• il y a 8 mois
Transcription
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis d'occulture.
00:05 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
00:09 Notre rencontre quotidienne, c'est une conversation à trois voix avec notre invité.
00:14 Ce midi, il est auteur de pièces de théâtre et bêteur en scène.
00:18 S'il est entré dans le théâtre par le jeu, l'envie de raconter et de créer a rapidement pris le dessus.
00:24 Il adapte d'abord des textes classiques avant de se lancer dans l'écriture et de porter lui-même l'histoire.
00:29 Le porteur d'histoire, c'est d'ailleurs le spectacle qui lance sa carrière et ses succès.
00:35 Suivront le Cercle des Illusionnistes, Edmond ou encore Intramuros.
00:40 Depuis quelques semaines et jusqu'à la fin du mois de juin prochain, sa nouvelle pièce "Passeport" se joue au Théâtre de la Renaissance à Paris.
00:48 Bonjour Alexis Michalik.
00:50 Bonjour, bonjour.
00:51 Bienvenue, bienvenue dans les midis d'occulture.
00:53 Alexis Michalik, avant de rentrer dans l'histoire que vous nous racontez dans "Passeport, Passeport",
00:58 chaque pièce que vous montez et que vous proposez au public est un succès, un succès populaire.
01:06 Des pièces d'ailleurs dont j'ai cité les titres et qui sont encore à l'affiche aujourd'hui et depuis plusieurs années.
01:11 Avec "Passeport", quel était le défi que vous vous êtes lancé ?
01:15 Il n'y a pas vraiment de défi.
01:17 A chaque fois, il y a uniquement une envie de raconter.
01:21 Comme vous disiez tout à l'heure, je suis porté par l'histoire et c'est même le mot d'ordre à tous mes comédiens,
01:28 c'est qu'on est tous au service d'une histoire.
01:30 C'est l'histoire qui me prend.
01:32 Tout à coup, je vais avoir une idée.
01:34 Tout le monde a des idées.
01:36 Certaines vont être un peu plus persistantes que d'autres.
01:38 C'est ces idées que je vais développer et laisser mûrir pendant parfois plusieurs mois, années.
01:45 À un moment, j'aurai à peu près de quoi raconter une histoire.
01:49 Et à ce moment-là, je commence à écrire et se met en branle le processus.
01:54 Entre-temps, en général, je me suis beaucoup renseigné sur le décorum pour essayer d'être un peu précis et de ne pas dire trop de bêtises.
02:02 Pour ce qui était de "Passeport", ça part aussi d'une idée.
02:05 Cette idée m'a amené dans la jungle de Calais.
02:09 C'était évident que ça devait démarrer dans la jungle de Calais.
02:14 - Je rappelle, c'est ce camp de migrants qui s'est construit aux portes de la ville de Calais,
02:20 dans les débuts des années 2010 jusqu'en 2016, au moment où il a été démantelé par les forces de l'ordre.
02:25 - Voilà. Et à son maximum, il accueillait environ 10 000 réfugiés qui, évidemment, voulaient tous passer en Angleterre.
02:31 Et donc, à partir de ce moment-là, j'ai commencé à me renseigner sur ce camp, sur le processus d'intégration,
02:39 et puis, de manière plus générale, sur l'immigration en France.
02:42 J'ai commencé à comprendre que le propos serait un tout petit peu plus polémique qu'Edmond.
02:47 - Justement, Alexis Michalik, un propos polémique au théâtre,
02:51 quand on a un public qui nous attend sur ce sujet-là, une critique qui nous attend aussi,
02:56 il y a une forme de défi, tout de même, sur cette thématique-là, et sur, aussi en 2023, remonter une pièce de théâtre.
03:03 - Non, bien sûr. Après, je pense que le défi, il est dans chaque création.
03:07 À partir du moment où on crée quelque chose, il y a une forme de défi, puisque personne ne nous attend,
03:12 puisqu'on décide de faire exister quelque chose qui n'existait pas avant.
03:17 Donc, déjà, il faut une certaine dose d'ego, et puis, oui, il y a forcément un défi.
03:21 Mais surtout, moi, je me réfugie toujours derrière l'histoire.
03:25 Et donc, je savais que j'avais une histoire romanesque et forte, et qui allait me faire traverser,
03:29 et qui allait aussi me donner l'occasion d'aborder des sujets qui me sont familiers, qui me touchent,
03:34 et d'y amener ce que j'y amène en général.
03:38 C'est-à-dire que je fais toujours des spectacles qui sont emprunts d'optimisme,
03:42 dont on ressort, en général, en n'étant pas complètement déprimé,
03:48 et avec une certaine envie, et avec un possible, et avec...
03:52 Voilà, j'ai ce côté qui est en moi, en fait, d'optimisme, de vision optimiste,
03:59 d'optimisme de la société, même si, évidemment, en racontant le parcours de ces réfugiés,
04:04 il y a des choses très dures qui leur arrivent, et tout n'est pas rose.
04:09 Néanmoins, je voulais parler, plus généralement, de l'immigration telle que moi, je la connais,
04:15 c'est-à-dire quelque chose de positif, et de raconter, à travers cette histoire romanesque,
04:21 un message plutôt humaniste sur ce qu'est l'immigration, de manière générale.
04:25 - Il s'est passé quoi exactement ? - On ne sait pas.
04:29 Il y a les tensions entre les Soudanais et les Afghans, peut-être il était au milieu.
04:34 - Ah ouais, il y a des dommages, c'est sûr. - C'est sûr.
04:37 - Hein ? - C'est sûr.
04:40 - Tu comprends ce que je dis ? - Oui.
04:43 - Il a dit oui, là ! Tu parles français ? - Oui.
04:47 - Comment tu t'appelles ? - Oui.
04:50 - Comment tu t'appelles ? - Peggy.
04:55 - Issa. - Ah, il se souvient !
04:58 En même temps, vous l'avez appelé Issa il y a 30 secondes.
05:01 Et ton nom de famille, tu t'appelles Issa comment ?
05:06 - Je m'appelle Issa... - Je m'appelle Issa.
05:11 - Kidane. Issa Kidane. - Kidane.
05:16 - Il a amnésie. Il a amnésie. - Sa mémoire, elle peut revenir ?
05:22 Il a eu un oedème pendant 8 jours, il est complètement grillé.
05:25 J'en ai vu plein des comme lui, et qui n'avaient pas perdu la mémoire.
05:28 Ils arrivent à la porte de la chapelle, ils tombent dans le trac et en 3 mois c'est fini.
05:32 - C'est fini. - Issa, tu sais où tu es ?
05:36 Tu es en France, tu es à Calais, dans un camp.
05:41 - Calais. - Extrait de votre pièce de théâtre
05:44 que vous avez écrite et mise en scène Alexie Michelic, ça s'appelle "Passeport"
05:48 et c'est jusqu'au 30 juin prochain au théâtre de la Renaissance
05:51 avec notamment Patrick Blandin qu'on a entendu, Jean-Louis Garçon, ou encore Manda Touré.
05:56 On est au tout début de l'histoire, on rencontre Issa, ce jeune érythréen
06:01 qui est retrouvé inconscient, défiguré, tabassé dans cette jungle de Calais
06:06 et il se réveille amnésique et sa seule preuve d'identité, de bout de mémoire qui lui reste
06:13 c'est donc un passeport dans sa poche.
06:16 - Un passeport érythréen, effectivement, et il lui reste aussi quelques mots de français.
06:23 On se rend compte quand on lui parle qu'il a tout oublié, il a oublié les langues qui se parlent en érythrée
06:30 puisqu'il y a 9 langues qui se parlent là-bas et on les cite dans la pièce.
06:35 Il a oublié l'anglais mais il lui reste quelques mots de compréhension comme on vient de l'entendre.
06:40 Il peut dire "oui", "je sais pas", il y a quelque chose qui ressorte.
06:43 Et à partir de ces mots, il va tenter de s'intégrer petit à petit dans la société française.
06:49 Évidemment, ça va être un périple qui ne va pas durer deux jours.
06:52 En 1h40, on va suivre plusieurs mois, plusieurs années de son parcours.
06:58 - Il a sa vie dans la jungle donc, où il rencontre des compagnons de route.
07:02 Haroun l'Indien, Ali le Syrien.
07:04 On suit aussi la façon avec laquelle il va se battre pour demander l'asile, pour obtenir des papiers.
07:09 Comment il va travailler, gagner de l'argent pour justement s'intégrer.
07:12 Et puis, il y a en parallèle une autre histoire, celle de Lucas, un gendarme, fils de militaires,
07:18 qui lui a disparu lors d'une surveillance dans ce camp de migrants.
07:22 - Vous allez un peu vite en besogne.
07:24 Lucas, on va surtout suivre son parcours de gendarme.
07:28 Il revient de Guadeloupe où il était en poste.
07:30 Lui, il est né au Comores mais il a grandi à Calais parce qu'il a été adopté par un couple de Calaisiens,
07:36 Michel et Christine, qui eux sont plutôt traditionnels on va dire.
07:40 Et il revient au pays, il est embauché en tant que gendarme pour justement faire la surveillance de ce camp.
07:46 Donc il est de l'autre côté puisque les gendarmes et les CRS n'ont pas le droit de rentrer dans le camp.
07:51 Leur seule mission c'est d'empêcher que les réfugiés en sortent.
07:55 Et lui, il ne s'est jamais vraiment posé de questions sur son identité, sur d'où il vient.
08:00 Mais il va rencontrer Jeanne, une jeune journaliste noire, elle aussi, née en France de parents maliens,
08:07 et qui elle est beaucoup plus politisée que lui et qui du coup va lui poser des questions sur d'où il vient
08:13 et un peu l'éveiller à qu'est-ce que c'est que l'identité et qu'est-ce que c'est que ses propres origines.
08:18 Donc voilà, c'est des questions qui vont traverser toute la pièce.
08:21 - Tout à l'heure vous disiez, Alexis Michalik, que c'est un sujet familier, c'est des sujets qui me touchent.
08:25 Effectivement, comment est-ce que vous... - Qu'est-ce qui vous touche ?
08:28 - Non, non, comment vous justement, vous les appropriez, comment est-ce que vous mettez de la distance aussi
08:33 par rapport à ces sujets-là pour les transformer en histoire que vous nous racontez sur scène ?
08:38 - Je pense que c'est un peu le béa-ba de tout ce que je raconte.
08:41 La base c'est d'être ému par mon sujet.
08:44 C'est-à-dire que si ce sujet me touche, si ce que je raconte, cette histoire me touche,
08:47 et c'est le cas pour Edmond, c'est le cas pour Une histoire d'amour, un train muros,
08:50 cette histoire elle me touche d'une manière ou d'une autre.
08:53 C'est des raisons personnelles, parce que quand on est touché par quelque chose,
08:56 c'est forcément qu'il y a une résonance personnelle.
08:58 Quelle que soit l'oeuvre qu'on regarde, si on pleure tout à coup, c'est que ça nous rappelle un souvenir,
09:02 c'est pas ex nihilo.
09:04 Et après, ma mission à moi, puisque j'essaye de faire du théâtre populaire,
09:08 c'est de faire en sorte que l'ensemble du public soit touché par la même chose, en quelque sorte.
09:13 Que cette émotion que moi j'ai traversée et que j'ai ressentie, je puisse la transmettre au maximum de gens.
09:19 Et pour ça, il faut tout simplement donner des clés, de manière pas trop didactique,
09:24 à tous les gens qui vont venir voir ce spectacle.
09:26 Donc, dans Passeport, c'est d'arriver à faire en sorte de dire aux gens,
09:29 essayez de vous mettre à leur place.
09:31 Essayez de vous mettre à la place d'Issa, essayez de vous mettre à la place de Lucas.
09:34 Et pour ce faire, on va tout simplement vous raconter cette histoire,
09:38 d'une manière qui ne vous exclue pas, mais également en vous disant,
09:41 qu'est-ce que vous feriez vous si une guerre éclatait, et que vous deviez quitter votre pays,
09:45 et que vous arriviez entre deux pays, dans un pays dont vous ne parlez pas la langue,
09:49 comment vous feriez vous ? Et c'est le prologue de Passeport.
09:52 Sur un sujet comme ça, Alexis Michalik, notamment quand vous avez une vision optimiste
09:57 du sujet de l'immigration, sans tomber dans le didactisme,
10:01 et pour que le public soit touché, vous n'avez pas eu peur d'être naïf ou de faire du pathos ?
10:06 En tout cas, non, ce n'est pas vraiment une grosse peur.
10:10 Ce n'est pas ma peur principale.
10:12 Moi, ma peur, c'est que les gens ne viennent pas voir cette pièce.
10:15 Ma vraie peur, au fond, c'était que ceux qui sont directement représentés,
10:19 à savoir les réfugiés, les enfants d'immigrés, les premières, secondes générations,
10:24 ne trouvent pas ça juste.
10:26 Qu'ils sortent de cette pièce en disant "on n'est pas au bon endroit",
10:29 "ça ne parle pas de moi", "il y a un sentiment d'appropriation culturelle",
10:32 "c'est une vision de quelqu'un qui ne connaît rien à ce sujet".
10:35 Ça, c'était ma peur principale.
10:37 Plus que d'être naïf ou positif.
10:40 Parce qu'en plus, le parcours qu'il traverse dans la pièce,
10:43 il n'est pas rose, simplement.
10:45 Comme dans toutes mes pièces, comme dans "Une histoire d'amour avant"
10:48 qui parlait de cancer, de deuil, etc.
10:50 Il y a de l'humour parce qu'il y a de l'empathie.
10:52 Moi, ma clé vers les personnages, vers le public même,
10:56 c'est l'empathie que je mets dans un personnage.
10:58 Pour que nous, public, on s'identifie à ce personnage,
11:01 il faut qu'on l'aime, il faut qu'il y ait une porte d'entrée.
11:03 Vous revendiquez presque d'être pathos, en fait.
11:05 Vous ne voyez pas ça comme une sorte de repoussoir où vous dites
11:07 "les gens vont pleurer, les gens vont être touchés".
11:09 Et tant mieux ! Si c'est le cas, c'est qu'ils ont traversé quelque chose.
11:12 C'est qu'ils ont été touchés, c'est ce que je veux.
11:14 Le pathos, c'est quand on se dit "là, c'est des grosses ficelles, un peu faciles".
11:20 Et j'essaie que ce ne soit pas trop des grosses ficelles
11:23 et de garder un peu de subtilité.
11:25 Mais ils traversent des choses terribles, simplement.
11:27 En fait, les réfugiés qui sont venus voir la pièce,
11:30 et il y en a eu au début beaucoup,
11:32 et on a fait venir plein de gens, des associations, etc.
11:34 Eux n'ont pas du tout ce sentiment-là.
11:36 Ils ne sortent pas en disant "c'est trop gentil,
11:38 c'est une vision trop idyllique".
11:39 Non, pas du tout. Ils disent "mais c'est mon histoire,
11:41 c'est exactement ce que j'ai vécu et ça les touche d'autant plus".
11:43 Donc, que des gens puissent ensuite dire "ah, c'est un peu trop gentil,
11:47 j'aurais préféré qu'il se noie dans l'océan",
11:49 moi honnêtement, ce n'est pas le message que je veux faire passer.
11:51 Ce n'est pas que le côté positif, c'est le côté, vous l'avez dit,
11:53 "grosses ficelles" aussi.
11:54 Évitez de tomber dans une histoire qui serait trop facile de...
11:57 Je m'en pars d'un sujet difficile, mais regardez,
12:00 je vous montre le positif, et ça va vous faire pleurer,
12:02 ça va vous émouvoir.
12:03 En fait, moi, ce dont je parle, ce n'est pas les...
12:07 Comment dire ?
12:08 Ce dont je parle, c'est ceux qui arrivent en France.
12:11 Je raconte l'histoire de l'intégration, en fait.
12:14 C'est comment est-ce qu'on arrive en France,
12:16 et par le prisme de ces personnages, je parle de Issa,
12:19 et de comment Issa va parvenir à s'intégrer en France,
12:21 en tout cas on l'espère,
12:22 et comment justement, Lucas, Jeanne, tous les autres personnages
12:26 sont eux les enfants de ceux qui sont parvenus à s'intégrer en France.
12:28 Donc moi, l'histoire que je raconte,
12:30 ce n'est pas une histoire de ceux qui n'y arrivent pas,
12:33 et je ne veux pas que la morale se soit...
12:35 "Bon, ben en fait, finalement, c'est vraiment trop dur de s'intégrer en France,
12:38 restez chez vous."
12:39 Ça, ce n'est pas du tout ce que je pense et ce que je ressens.
12:42 Ce n'est pas ce que je voulais raconter.
12:43 Au contraire, moi, je veux que le sujet de cette histoire,
12:46 ce soit tous les gens, et il y en a un bon paquet quand même,
12:49 qui sont en France, mais dont les parents, en fait,
12:51 ou les grands-parents sont arrivés à un moment.
12:53 - Et ce que vous disiez aussi sur la forme,
12:56 effectivement, on retrouve dans cette pièce
12:59 votre patte de metteur en scène,
13:01 quelque chose de très fluide, de très rythmé,
13:04 où il y a sept comédiens qui sont sur scène,
13:06 qui incarnent une myriade de personnages.
13:08 Je crois qu'il y a un comédien qui en joue jusqu'à huit.
13:11 Un décor moderne,
13:13 qui, effectivement, nous maintient dans cette réalité,
13:16 aussi, dont vous parliez,
13:18 et qui est aussi l'une des forces de vos pièces de théâtre,
13:22 même précédentes, c'est-à-dire d'ancrer,
13:24 effectivement, dans le réel.
13:26 Qu'est-ce qui l'a aussi, pour peut-être
13:30 arriver à raconter tout ce que vous voulez raconter ?
13:33 Le départ de Calais,
13:35 l'envoi dans des centres de réfugiés,
13:37 le retour à Paris, tout ça, c'est une histoire
13:39 qui est effectivement très longue, très dense,
13:41 où il se passe beaucoup de choses, où il y a des obstacles.
13:43 Et moi, je pense notamment à cette scène
13:45 où Issa, qui n'a plus de mémoire, doit justement apprendre
13:48 un parcours fictif que lui a écrit son ami Ali,
13:52 qui est prof de littérature,
13:54 et qui appuie justement sur l'émotion, là aussi.
13:57 Oui, bien sûr, mais surtout, moi,
14:00 j'ai cette obsession de rythme en permanence,
14:03 je n'aime pas l'ennui, et je déteste que l'ennui
14:06 soit associé au théâtre, et donc mes pièces
14:08 sont très rythmées, il y a une vraie,
14:10 une sorte de rythme frénésie cinématographique,
14:12 presque sériel, et donc,
14:16 toute cette histoire, toute cette épopée,
14:18 je voulais que ça passe vite, et qu'on sorte
14:20 en se disant "Oh là là, toutes ces images que j'ai eues,
14:22 il y a la traversée, il y a tout son parcours,
14:25 il y a effectivement une fois qu'il va monter à Paris
14:29 et qu'il va commencer à bosser dans les cuisines, etc."
14:31 Il y a beaucoup de décors, et donc,
14:33 en plus, on parle d'un sujet, cette fois-ci,
14:36 qui est très proche de nous, très contemporain,
14:38 où on a eu beaucoup d'images de Calais,
14:41 des réfugiés, des camps, des traversées,
14:45 donc l'utilisation de la vidéo me semblait évidente
14:49 pour parvenir plus rapidement.
14:51 - C'est plutôt nouveau pour vous ?
14:53 - Il y a toujours un peu de vidéo, mais là,
14:55 on va dire qu'elle se déploie grâce aux images
14:57 de Nathalie Cabrol, et voilà,
15:00 je voulais que ce soit contemporain,
15:02 mais qu'en même temps, j'ai besoin de toute façon
15:04 que ça aille vite et qu'un décor chasse l'autre,
15:07 donc oui, c'était nécessaire.
15:09 Jusqu'à 13h30, les midis de culture,
15:15 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
15:19 Ce rôle de spectateur, aujourd'hui,
15:22 est tellement lié à toutes les associations
15:28 culturelles que nous avons,
15:30 que même le spectacle le plus dangereux
15:33 est automatiquement rendu d'un certain côté inoffensif,
15:38 parce que le public n'est pas directement mis en cause.
15:42 Ils sont toujours dans cette position qu'adore prendre,
15:44 chaque public, la position d'être des juges,
15:48 et jamais le public n'est touché directement
15:51 parce que la forme, aujourd'hui, n'empêche l'être.
15:55 Mais si on remplace cette forme-là
16:01 par une autre dialectique,
16:03 où les mêmes éléments d'opposition et de contradiction
16:08 se passent moins entre les protagonistes
16:11 et plutôt entre la scène et la salle,
16:13 vous retrouvez la même situation
16:16 d'opposition et de contradiction tragique,
16:19 mais dans une forme qui, à chaque instant,
16:23 devient cruelle, dangereuse pour le spectateur.
16:27 La voix de Peter Brook, c'était dans "Journal d'un autre homme"
16:31 du 5 juillet 1967 sur France Culture.
16:34 - Alexis Michalik, c'était à l'époque où Peter Brook
16:36 avait proposé une pièce sur la guerre du Vietnam.
16:39 On comprend mieux, effectivement, le sens de ce propos
16:43 et de son engagement, mais ça nous a fait penser
16:45 en le réécoutant, à des questions que vous vous êtes posées.
16:48 Vous aussi, tout à l'heure, vous disiez
16:50 "je veux faire un récit qui n'exclue pas le spectateur".
16:54 Comment vous vous êtes mis à la place du spectateur ?
16:57 Qu'est-ce que vous vouliez lui faire ressentir ?
16:59 Est-ce que vous vouliez aussi le déranger, peut-être,
17:01 à un moment donné, sur cette question-là ?
17:03 Une question que vous-même, vous avez qualifiée de polémique.
17:06 - Moi, j'ai du mal avec le malaise au théâtre.
17:10 En tant que spectateur, quand il y a une situation de malaise,
17:14 ça me dérange un peu.
17:17 En revanche, je voulais effectivement, à la fois qu'il se mette
17:21 à la place de ce que va vivre Issa, de ce qu'il va traverser,
17:25 des obstacles qu'il va rencontrer, mais sans que ce soit non plus
17:29 malaisant ou moralisateur ou accusateur.
17:32 Je sais que c'est beaucoup plus efficace,
17:34 un message est beaucoup plus efficace s'il n'est pas asséné
17:37 avec une violence qui va exclure une bonne partie du public.
17:42 Je préfère qu'on sorte de la pièce en gardant,
17:46 en ayant quelque chose qui a germé.
17:48 Et il y a effectivement une seule scène,
17:51 où là, c'est très différent de ce que j'écris d'habitude,
17:54 je pense, qui est la scène entre Jeanne et Michel,
17:56 où donc Lucas va amener sa petite amie Jeanne, la journaliste,
18:00 à dîner pour rencontrer ses parents.
18:04 Et son père, Michel, est plutôt, on va dire, difficile
18:09 et un peu arqué sur ses idées, plutôt réactionnaires.
18:14 Et les deux vont se retrouver autour du dîner,
18:17 et le sujet de l'immigration va arriver,
18:20 et le débat va se muscler.
18:22 Et donc, c'est vraiment la première fois que,
18:25 en enquêtant, en lisant, évidemment, sur le sujet,
18:29 je me suis dit, il y a tellement de chiffres et tellement de faits
18:32 que je ne peux pas ne pas faire cette scène
18:34 où j'oppose, en gros, les idées reçues qu'on entend
18:37 à longueur de journée au café du commerce,
18:40 mais aussi sur plusieurs chaînes d'infos privées,
18:43 à des véritables chiffres, à quelque chose de documenté
18:48 et qui n'est pas simplement passionnel, qui est réel.
18:51 Et c'est ce qui en résulte.
18:53 Et effectivement, je pense que c'est une scène où, tout à coup,
18:56 alors que depuis une heure, on est plutôt extérieur,
18:58 on a plutôt un confort et on suit un peu ses aventures,
19:02 c'est un miroir, parce qu'on se retrouve à se dire
19:05 où est-ce que je suis, moi, dans ce ping-pong,
19:08 dans cet échange, quelle est ma position dans tout ça ?
19:11 Et d'une certaine manière, dans tout le spectacle,
19:14 ils sont sept sur scène, il y a un comédien non racisé,
19:17 qui est Patrick Blandin, et qui joue plusieurs personnages,
19:20 dont Michel, et tous ces personnages qu'il joue,
19:23 il va jouer le médecin MSF, il va jouer le banquier,
19:28 sont des personnages qui ont une importance, à un moment,
19:31 dans l'accueil et le destin d'Issa.
19:34 Et le spectateur lui-même va se retrouver à se dire,
19:38 en tout cas le spectateur non racisé, va se retrouver à se dire
19:41 où est-ce que je suis, moi, dans le prisme de ces possibles ?
19:44 Quel est, moi, mon regard par rapport à, justement,
19:48 cet étranger qui arrive ?
19:50 Quel est mon regard par rapport à cette personne
19:53 qui essaye de s'intégrer ?
19:55 Et c'est là que le spectateur est actif,
19:58 et qu'il se positionne et qu'il se demande
20:01 est-ce que je suis plutôt le mec qui les aide,
20:03 ou est-ce que je suis plutôt le mec qui est Michel ?
20:05 - Mais donc là, sur cette scène, si je me suis bien,
20:07 Alexis Michelic, vous êtes d'accord avec Peter Brooks
20:10 sur l'expérience du spectateur, sur sa façon de...
20:14 - De manière générale, je suis quand même beaucoup d'accord avec Peter Brooks.
20:18 - Cette scène, justement, elle est arrivée à quel moment dans l'écriture ?
20:22 Et est-ce que vous diriez qu'elle a été aussi inspirée par...
20:25 Vous avez parlé des chaînes d'information, de l'actualité de la société,
20:28 en tout cas d'un climat de la société actuelle ?
20:32 - En général, moi je vous dis, j'ai plutôt tendance à faire des récits fédérateurs
20:38 et essayer de faire un théâtre populaire,
20:41 donc qui n'exclue personne.
20:43 À la fois des gens qui n'ont pas forcément les codes du théâtre,
20:45 qui viennent au théâtre pour la première fois,
20:47 et moi mon but c'est qu'ils ressortent en disant
20:49 "ça me donne envie d'aller au théâtre",
20:51 et à la fois des gens qui vont beaucoup au théâtre
20:53 et qui disent "ah tiens, c'est un peu comme d'aller voir
20:56 un truc populaire mais de qualité,
20:59 qui fait passer un bon moment et qui change".
21:02 Là, cette scène-là, petit à petit,
21:05 elle arrivait et je me disais "je ne peux pas ne pas la mettre".
21:09 C'est trop important que je ne puisse pas exprimer ce que j'en pense,
21:15 ou tout simplement ce que j'ai appris en glandant ces informations.
21:18 Et il y avait presque un petit plaisir de me dire
21:22 "j'attends de voir comment ça va réagir à ce moment-là
21:25 parce que ça ne manque pas, c'est vraiment le moment
21:27 où la salle réagit le plus".
21:28 Ils font quoi ?
21:30 Ils jettent des tomates, ils se lèvent, ils crient...
21:33 "Scandale, scandale !"
21:35 Non, mais ils réagissent à chaque réplique de Michel
21:38 et à chaque réplique de Jeanne,
21:40 puisqu'il y a déjà une scène en préparatif
21:42 où il va un peu la titiller.
21:45 En fait, il va dire tout ce qu'on dit
21:48 quand on est un peu maladroit et qu'on rencontre
21:50 quelqu'un qui est noir ou qui est racisé
21:53 et qu'on n'a pas l'habitude.
21:55 Il va tomber dans tous les poncifs.
21:57 Il va demander d'où elle vient, de quel pays,
21:59 ça fait longtemps, est-ce qu'elle est vraiment française ?
22:01 Tout ce truc que subissent toutes les personnes racisées au quotidien.
22:04 Mais d'une manière un peu affirmée, assumée,
22:09 et de quelqu'un qui, malgré tout, a adopté un enfant noir
22:12 et donc qui a cette espèce de protection vis-à-vis de la société.
22:16 Mais ça va se tendre de plus en plus au fur et à mesure de cette scène
22:20 et on sent que le public se tend aussi,
22:23 qu'il est outré de plus en plus,
22:27 qu'il a envie de rentrer dans le débat.
22:29 Et donc, effectivement, c'est assez jouissif.
22:32 - Ça vous a donné envie de faire plus de scènes de ce genre-là
22:35 pour d'autres pièces où justement vous n'êtes pas dans quelque chose de fédérateur,
22:38 mais de plus, sans tomber dans le malaise ?
22:40 - En fait, moi je considère que, encore une fois,
22:44 je reviens toujours à l'histoire.
22:46 C'est-à-dire, mon but c'est de raconter des histoires.
22:48 - Mais après, il y a les manières de la raconter.
22:50 - Bien sûr, mais je n'ai pas l'impression,
22:53 de manière tout à fait honnête,
22:56 moi je n'ai pas l'impression d'être radical dans mes positions.
23:00 Quand j'écris "Passeport", c'est un point de vue de gauche,
23:04 un peu, voilà, que la plupart de mes potes partagent.
23:08 Et donc, je n'ai pas du tout l'impression de faire quelque chose de révolutionnaire.
23:12 Plutôt d'enfoncer des portes ouvertes pour moi.
23:15 Néanmoins, quand je vois les réactions provoquées,
23:18 je comprends qu'aujourd'hui, ce n'est pas si anodin.
23:22 Et donc, est-ce que j'ai envie de continuer dans cette direction-là ?
23:26 On verra ce que l'histoire d'après...
23:27 - Ou il y aura un public qui se pose des questions, qui se tend.
23:30 - Oui, mais en même temps, il n'y a pas que ça.
23:32 C'est-à-dire que c'est une scène dans la pièce.
23:34 C'est un moment où tout à coup, ça réagit.
23:37 Mais l'ensemble de la pièce n'est pas que cette scène.
23:40 Et c'est parce qu'il y a cette histoire,
23:42 et qu'à un moment, il y a cette pause,
23:45 et ce moment de réflexion et de débat,
23:47 que je peux me permettre cette scène-là.
23:49 Mais c'est parce qu'il y a toute l'histoire,
23:51 tout le côté romanesque, toute l'odyssée.
23:53 Il n'y a pas que ça dont on se rappelle.
23:54 On va se rappeler de la fin, de...
23:56 On s'en a dévoilé, mais il y a de l'émotion, il y a de la montée,
23:59 il y a de l'humour, il y a plein de choses.
24:00 Et puis, il y a ce moment qui est effectivement nouveau.
24:03 - On a écouté tout à l'heure Alexis Michalik,
24:05 la voix de Peter Brook, metteur en scène et réalisateur britannique,
24:08 qui a été quelqu'un qui vous a fortement influencé.
24:11 Et vous avez une histoire, si je puis dire, avec la famille Brook,
24:14 puisque quand vous avez débuté en tant qu'acteur,
24:17 il y a quelques temps maintenant,
24:18 vous avez travaillé sous la direction d'Irina Brook,
24:21 la fille de Peter Brook.
24:23 C'était le moment, peut-être, où vous étiez donc acteur,
24:27 et où vous découvriez cette idée de troupe,
24:30 cette idée aussi de mise en scène,
24:32 et justement de la création, plus que de l'action.
24:35 - Oui, oui, j'avais 18 ans,
24:37 et moi, je rêvais juste d'être acteur,
24:39 et je me suis retrouvé à faire "Romeo" sur "Juliette et Romeo" d'Irina Brook.
24:43 Et sa façon de créer était révolutionnaire pour moi,
24:47 parce que je sortais d'un théâtre scolaire,
24:50 puisque j'avais fait un club de théâtre au collège-lycée.
24:53 Et donc, ma vision de la mise en scène,
24:55 c'était de respecter l'Eddie Dascali et de parler fort.
24:58 Et là, tout à coup, je tombe sur quelqu'un qui crée un groupe,
25:02 qui dit "vas-y, faites des chansons,
25:05 jouons à la balle aux prisonniers avant d'attaquer les répètes,
25:08 créons un ensemble, proposez".
25:11 Et tout ça, tourner vers le public,
25:14 "c'est Shakespeare, il faut raconter cette essence,
25:16 mais on peut aussi raconter autre chose".
25:18 C'était assez dingue, quoi.
25:21 Je réalisais la liberté qu'on pouvait avoir dans la mise en scène.
25:25 Et en même temps, au fur et à mesure qu'on répétait,
25:28 je me disais "ah mais là, tu veux pas garder ce gag ?
25:31 Il est quand même chouette".
25:32 Et puis Irina disait "non, non, pas là".
25:34 Et je me disais "ah, si jamais je l'avais mis en scène,
25:36 peut-être que j'aurais fait autrement".
25:37 Et ça, c'est le début de l'envie de mettre en scène.
25:40 Et à partir de là, juste après "Romeo et Juliette",
25:43 j'ai monté mon premier spectacle, qui était "Le mariage de Figaro",
25:45 qui était un classique revisité avec une bande de copains
25:49 du conservatoire municipal, et qu'on a amené à Avignon.
25:52 Et en découvrant Avignon, je me suis dit
25:54 "ah mais en fait, il y a peut-être quelque chose à faire ici".
25:56 - Qu'est-ce qui vous a tant marqué à Avignon ?
25:59 Vous parliez de liberté il y a quelques instants.
26:01 Est-ce que c'est ça, peut-être, qui ressort le plus ?
26:04 L'idée de se donner les moyens de faire des choses,
26:09 d'avoir des moyens, même sans avoir les moyens financiers, peut-être ?
26:12 - Je pense que c'était tout simplement le fait
26:14 qu'il y avait cet endroit, donc Avignon, dans le Hof,
26:17 puisque moi, je suis un enfant du Hof.
26:19 - C'est la programmation alternative, si on peut dire,
26:22 pour ceux qui ne sont jamais allés à Avignon.
26:23 - Alternative, c'est un mot rigolo, parce qu'il y a évidemment
26:25 beaucoup plus de spectateurs qui vont dans le Hof
26:27 que dans le Hine, rappelons-le.
26:29 Comme il y a beaucoup plus de spectateurs
26:30 qui vont voir du théâtre privé que du théâtre public.
26:32 Mais oui, c'est effectivement la programmation
26:36 qui n'est pas la programmation officielle.
26:37 Et donc, c'est un réseau, il y a une centaine de salles
26:40 qui louent leur salle.
26:41 Et il y a des spectacles de 10h du matin jusqu'à minuit.
26:44 Et tous les deux heures, il y a un autre spectacle.
26:46 Et je découvre, en fait, déjà l'économie du théâtre,
26:51 puisque je découvre qu'on peut vivre en faisant du théâtre,
26:54 qu'on peut créer sa troupe, qu'on peut louer un théâtre
26:57 pendant un mois à Avignon, puis vendre des dates de tournée.
27:00 Je découvre qu'on peut vendre des dates de tournée
27:02 à des municipalités, qu'en fait, il y a moyen
27:05 de gagner de l'argent, enfin de gagner de l'argent,
27:08 en tout cas d'être payé pour ce qu'on fait.
27:09 De devenir milliardaire avec le théâtre.
27:10 Ça, je ne le découvre pas tout de suite.
27:12 Mais non, je découvre qu'en fait,
27:15 moi j'y allais vraiment en me disant
27:17 on y va pour jouer, on y va pour faire Avignon.
27:20 Et puis c'est à Avignon, quand il y a un programmateur
27:22 qui vient et qui me demande un dossier de presse
27:24 et que je dis c'est quoi un dossier de presse ?
27:25 J'avais 22 ans.
27:27 Et que je comprends qu'en fait, il y a tout un système
27:30 qui permet de faire des spectacles et d'en vivre.
27:32 Et qu'il n'y a pas un système où on doit aller chercher
27:36 nécessairement des subventions, mais qu'il y a moyen d'y arriver.
27:40 Il y a moyen, en créant un spectacle dans notre coin,
27:43 de l'amener à Avignon et d'avoir une chance
27:45 de voir ce spectacle avoir une vie.
27:47 Et donc l'année d'après, c'est comme si j'avais
27:50 un espace de création.
27:51 Moi, très tôt, je vais un peu voir
27:54 qu'est-ce que c'est, comment ça fonctionne.
27:56 Je vais voir la DRAC.
27:58 La Direction Régionale des Affaires Culturelles.
28:00 Voilà, ou d'autres organismes qui accordent des subventions.
28:03 Je leur dis j'ai envie de faire un Shakespeare
28:06 revisité en comédie musicale avec beaucoup de gags.
28:09 Ils me disent c'est pas vraiment l'endroit pour nous.
28:12 Nous, c'est plutôt si vous voulez faire une pièce
28:15 d'un auteur engagé, étranger,
28:19 qui raconte un truc un peu plus dur.
28:20 Là, on peut vous accorder une subvention.
28:22 Donc c'est là que naît l'Alexis Michalik,
28:24 un peu entrepreneur du théâtre privé,
28:26 qui va créer sa façon de mettre en scène
28:30 et de monter des projets avec, vous le disiez,
28:33 aussi une idée très égalitaire.
28:35 Il n'y a pas de tête d'affiche, par exemple,
28:36 dans vos spectacles.
28:37 Vous choisissez des comédiens.
28:40 Des très bons comédiens.
28:41 Très bons comédiens, oui.
28:42 Mais même pas seulement les comédiens.
28:44 Il n'y a pas de tête d'affiche dans le sens
28:46 où dans mes spectacles, il n'y a pas de rôle prédominant.
28:49 C'est une troupe.
28:50 C'est une troupe et chacun va avoir
28:52 autant à défendre que l'autre.
28:53 Mais surtout, Avignon, le Hof,
28:56 en tout cas, c'est une espèce de petit laboratoire
28:59 de ce que c'est que le théâtre privé.
29:01 C'est à petite échelle.
29:03 Tout le monde, à peu près,
29:05 peut se débrouiller pour trouver les moyens
29:08 pour louer sa salle, partir là-bas
29:10 et créer son spectacle.
29:12 Et se confronter à un public
29:13 qui n'est pas un public d'amis.
29:15 Puisque dans le Hof,
29:16 les gens viennent pour voir des spectacles.
29:18 Et partent dès que ça les saoule.
29:19 Pas forcément.
29:20 Ou restent juste au bout
29:21 parce que ça ne dure pas trop longtemps.
29:22 Mais en tout cas,
29:23 on peut aller voir des spectateurs dans la rue
29:25 et leur dire "je vous parle de mon spectacle".
29:27 C'est vraiment le B.A.B.A. de la com'
29:28 là où aujourd'hui, il m'a ajouté.
29:29 Mais ça n'a rien à voir avec la mise en scène.
29:31 Ça aurait pu vous rebuter.
29:32 Parce qu'entre créer et communiquer sur un spectacle,
29:35 chercher des financements,
29:36 vous avez aussi trouvé un certain plaisir
29:38 à faire ça.
29:41 Non, mais la mise en scène,
29:43 là, on ne parle pas de ça.
29:44 Là, je vous parle d'Avignon.
29:45 Je vous parle de ce qu'est Avignon
29:46 et pourquoi Avignon a été une révolution.
29:48 Je ne parle pas du côté artistique,
29:50 de ce que je crée.
29:51 Je parle du fait que je me suis dit
29:53 "donc en fait, je peux avoir une plateforme
29:56 pour avoir des spectateurs
29:58 et pour avoir cet endroit qui est une scène".
30:01 Alors qu'à Paris, c'est évidemment
30:02 beaucoup plus difficile
30:03 quand on est une jeune compagnie.
30:04 Il y a cet endroit, Avignon,
30:06 où chaque année, on peut revenir
30:07 et avoir un public
30:09 qui n'est pas un public d'amis,
30:11 qui est un public qui vient,
30:12 qui paye sa place.
30:13 S'il applaudit à la fin,
30:14 c'est qu'il est content.
30:15 Et à Avignon, il y a une règle prédominante
30:17 dans le Hoff
30:18 qui est que le bouche à oreille,
30:19 c'est le plus important.
30:20 Si on a un spectacle
30:21 qui fait parler de lui,
30:23 on n'est pas sur une question
30:24 de tête d'affiche.
30:25 Il faut juste que le spectacle
30:27 soit suffisamment original,
30:29 fort, drôle, percutant,
30:31 intelligent ou émouvant.
30:33 Et ça suffira, normalement,
30:35 à remplir cette salle.
30:37 "Allez, allez, trois minutes,
30:45 trois minutes avant l'acte II !"
30:47 "Allez, Norbi, viens !"
30:49 "Très bien, Norbi, viens !"
30:50 "Merci, monsieur Rostand."
30:51 "Dites, en ce qui concerne
30:52 la psychologie du personnage..."
30:54 "Edmond ! Edmond !"
30:56 "Est-ce qu'il y a encore maïs ?"
30:57 "Pourquoi n'ai-je pas de réplique dans le I ?
30:59 Fauclain avait tous les rires
31:00 et moi au balcon comme une cruche."
31:01 "C'est vous-même qui m'avez menti !"
31:02 "Parce que je suis une femme ?
31:03 Vous pensez que je n'ai pas
31:04 assez de mémoire ?"
31:05 "Mais enfin, il y a huit jours,
31:06 vous vouliez quitter le spectacle !"
31:07 "L'ai-je quitté ? Non !
31:08 Je suis revenue !
31:09 Et heureusement pour vous !
31:10 Je me demande bien d'ailleurs
31:11 ce que vous auriez fait, Jean-Paul !"
31:15 "Oh mon Dieu, Roxane est morte à l'acte 1."
31:18 "Elle respire."
31:19 "Mégorias."
31:20 "Bon, eh bien, vite, remontons-la,
31:21 apportons des selles."
31:22 "Elle ne jouera jamais,
31:23 elle va faire baisser le rideau."
31:24 "M. Cochlin, en scène, pour le 2."
31:25 "J'arrive !"
31:26 "On la remonte ou on ne la remonte pas ?"
31:32 "Vous connaissez le rôle ?"
31:34 "Parker ?"
31:35 "Il y a un costume de rechange ?"
31:36 "Il y en a deux."
31:37 "En scène, dans dix minutes."
31:39 "Mais..."
31:40 "Enchanté, Roxane."
31:41 "Christian, donne nos billettes."
31:42 "Vous savez vraiment le texte ?"
31:44 "Oui, sauf l'acte 5."
31:46 "Quoi ?"
31:47 "Le rideau est levé !"
31:49 Un extrait d'Edmond,
31:52 votre film, Alexis,
31:53 Michalik,
31:54 c'est l'adaptation de votre pièce éponyme
31:56 qui a été créée en 2016
31:57 au Théâtre du Palais Royal
31:58 et qui est toujours à l'affiche du Théâtre.
31:59 Tout à fait, absolument.
32:00 On a fêté la 1600ème
32:02 au Théâtre du Palais Royal.
32:04 Devant nous, il y a la cage aux folles,
32:07 qui en ont fait 1800,
32:10 mais on ne désespère pas de les dépasser.
32:12 Ça a porté de main, là, quand même.
32:14 On y pense, on y pense.
32:15 C'est proche.
32:16 Alexis, Michalik,
32:17 l'histoire du film et de la pièce
32:20 sont intéressantes dans votre parcours
32:21 parce qu'à l'origine,
32:22 le projet était de faire un film.
32:24 Aucun réalisateur n'en voulait,
32:26 du coup, vous l'avez monté sur les planches.
32:28 Réalisateur, distributeur,
32:30 personne n'en voulait,
32:31 mais oui, oui,
32:33 c'est un projet que j'avais depuis 10 ans,
32:35 15 ans dans la tête
32:36 et puis j'ai fini par trouver un producteur,
32:39 Alain Goldman, chez Légendes,
32:41 avec Vanessa Djan,
32:42 qui est venue me chercher à la sortie du Porteur d'Histoire,
32:44 en me disant "Est-ce que tu as un rêve de cinéma ?"
32:45 J'ai dit "Oui !"
32:46 J'ai raconté Edmond,
32:47 il m'a dit "Bon, allez-y, développons le scénario."
32:50 Et puis, effectivement, personne n'en a voulu
32:52 et un jour, je vais à Londres voir des spectacles
32:55 et je vois Shakespeare in Love adapté au théâtre
32:57 et je me dis "Mais en fait, il faut que je fasse au théâtre d'abord,
33:00 ça va être beaucoup plus fort."
33:01 Et puis, finalement, le Palais Royal,
33:03 Francis Nanny et Sébastien Zopardy,
33:05 nous ont ouvert les portes
33:07 et on a démarré en septembre 2016
33:11 et on y est toujours.
33:12 Donc c'est une histoire un peu dingue.
33:14 - Il y a beaucoup de théâtre dans le film
33:16 et beaucoup de films dans le théâtre,
33:18 en tout cas de façon de réaliser d'inspiration cinématographique.
33:21 Dans le délire, c'est quoi la force de ce spectacle,
33:25 Edmond, que vous avez mis en scène ?
33:27 - Vous savez, c'est des choses qui nous dépassent,
33:29 vraiment, comme le Porteur d'Histoire avant,
33:32 qui a été créé dans un garage et qu'on a joué à 3000 fois.
33:36 Edmond, je pense que ça touche à quelque chose,
33:40 à une âme française aussi,
33:42 parce que Cyrano, c'est la pièce de théâtre préférée de tout le monde,
33:46 concrètement, ça nous touche particulièrement,
33:49 c'est un perdant magnifique,
33:50 c'est de la poésie, de la romance, de l'humour,
33:52 c'est tout ce qu'on aime.
33:54 Tout le monde adore Cyrano, moi-même, je suis fan de Cyrano
33:57 et Edmond, c'est l'âme de Cyrano
34:00 que j'ai essayé d'insuffler dans cette pièce.
34:04 Donc, il y a du Cyrano là-dedans
34:08 et je pense que ça touche particulièrement
34:10 ce qu'on est, nous, en tant que Français.
34:13 Puis en plus, ça parle du XIXe siècle,
34:15 de ce siècle de création d'auteurs, de compositeurs,
34:19 de Paris, de ce que Paris était.
34:23 Il y a une certaine nostalgie aussi là-dedans.
34:26 Il y a tout ce qu'il faut pour que ça nous parle,
34:29 à nous, public français, en tout cas.
34:31 - Metteur en scène au théâtre, réalisateur au cinéma,
34:34 ce sont deux professions, deux métiers
34:36 qui sont les mêmes pour vous ?
34:38 - Non, c'est différent, ça s'alimente,
34:41 mais c'est très différent.
34:44 Ma phrase, c'est qu'au théâtre, on raconte
34:46 et au cinéma, on montre.
34:48 Donc, quand j'écris pour le théâtre,
34:50 il peut y avoir de l'adresse au public,
34:52 on peut décrire une bataille.
34:54 Au cinéma, il faut la montrer.
34:56 Le cinéma, moi, personnellement,
34:58 je trouve ça plus dur, dans le sens
35:00 où je trouve ça plus exigeant.
35:03 C'est des moyens plus grands,
35:05 il faut aller les chercher.
35:07 Et puis, il y a beaucoup plus de concurrence.
35:10 C'est magnifique, le cinéma,
35:14 parce qu'on raconte l'histoire dans le désordre,
35:16 on ne la tourne pas dans l'ordre chronologique.
35:18 Le théâtre, c'est quelque chose de plus artisanal.
35:20 En même temps, le théâtre, c'est mon ADN.
35:22 Moi, j'aime qu'on y retourne tous les soirs.
35:24 J'aime que ce soit l'art de l'éphémère.
35:26 Tant qu'une pièce se joue, ça veut dire qu'il y a des acteurs
35:28 qui sont en train de la jouer.
35:30 Alors que, comme disait Jouvé, au théâtre,
35:32 on joue, au cinéma, on a joué.
35:34 - Quelles sont les prochaines histoires
35:36 qui sont en attente ?
35:38 Est-ce qu'il y a des choses qui vous ont inspiré récemment ?
35:40 Est-ce qu'il y a des choses qui sont déjà
35:42 dans les tiroirs et qui vont bientôt
35:44 éclore, Alexime Chénique ?
35:46 - Je ne dirai pas jusque-là.
35:48 Mais oui, il y a des choses sur lesquelles je travaille.
35:50 J'ai pris l'habitude de ne jamais parler
35:52 de mes projets parce qu'à chaque fois que j'en parle,
35:54 ça ne se fait pas et je fais autre chose finalement.
35:56 Donc, je préfère juste parler de ce qui a été fait.
35:58 C'est plus facile.
36:00 - Il y a une chose que vous ferez avant l'été,
36:02 Alexime Chénique,
36:04 vous me voyez venir, c'est porter la flamme
36:06 des Jeux Olympiques.
36:08 Vous avez été choisi comme éclaireur.
36:10 Notamment, je cite ceux qui ont fait le choix
36:12 pour votre capacité à faire vivre les émotions.
36:14 - Oui.
36:16 Je suis extrêmement fier, je suis hyper heureux de ça.
36:18 Je vais la porter à Avignon
36:20 sur 200 mètres, donc à priori, ça devrait aller
36:22 au niveau sportif.
36:24 Mais oui, moi j'adore le sport,
36:26 j'adore ce que ça colporte.
36:28 J'aime regarder, j'aime participer, j'aime jouer.
36:30 Je suis très heureux de ça.
36:32 - Et vous aimez gagner ?
36:34 - J'aime gagner, oui, mais ça va, je suis un bon perdant aussi.
36:36 - Merci beaucoup, Alexime Chénique,
36:38 d'être venu dans les Médias de Culture.
36:40 On s'approche de la fin de l'émission.
36:42 Je rappelle que votre pièce passeport se joue au Théâtre de la Renaissance
36:44 à Paris jusqu'au 30 juin prochain avec
36:46 Eric Blandin, Christopher Baiemi, Faisal Safi,
36:48 Isma'an Yaqini,
36:50 Jean-Louis Garçon, Kevin Rezzi
36:52 et Manda Touré.
36:54 - Pour finir, Alexi Michalik, nous avons choisi
36:56 deux musiques, deux airs en référence à des classiques
36:58 que vous avez rencontrés dans votre carrière.
37:00 Figaro ou Romeo et Juliette ?
37:02 Lequel des deux souhaitez-vous écouter ?
37:04 - Figaro.
37:06 (musique)
37:08 (musique)
37:10 (musique)
37:12 De l'enfer sur le champ, le repos,
37:16 Narcissiste, anonciné d'amour.
37:20 De l'enfer sur le champ, le repos,
37:24 Narcissiste, anonciné d'amour.
37:27 Tu n'auras plus ces beaux peintures.
37:34 Ce chapeau léger et galant,
37:40 Quelle plume, quelle air brillant,
37:43 Quel vermilion d'ondesque couleur.
37:46 Quel vermilion d'ondesque couleur.
37:50 Tu n'auras plus ces peintures,
37:54 Ce chapeau,
37:56 Quelle plume, quelle air brillant,
38:01 Tu n'auras plus ces beaux peintures.
38:04 La nuit, le jour, l'endroit, le tour,
38:08 De l'enfer sur le champ, le repos,
38:11 Narcissiste, anonciné d'amour.
38:15 - Les noces de Figaro pour terminer cette émission.
38:17 Merci beaucoup Alexis Michel-Dick d'être venu sur France Culture,
38:21 dans les Midis de culture, une émission préparée par Aixa Touhendoy,
38:23 Anaïs Sisbert, Cyril Marchand, Zora Vignet, Manon Delassalle et Laura Dutèche-Pérez.
38:28 L'émission est réalisée ce midi par Nicolas Berger et à la prise de son c'est Dali Yaha.
38:33 Merci Géraldine. - A demain Nicolas, merci à vous.

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