Category
🦄
Art et designTranscription
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis d'Occulture.
00:05 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoir.
00:09 Notre rencontre quotidienne, c'est une conversation à trois voix avec notre invité.
00:14 Ce midi, il est comédien de théâtre et acteur de cinéma.
00:17 Il aime passer de la scène au plateau de tournage, au gré des envies et des projets des metteurs en scène et réalisateurs qui le sollicitent.
00:24 Il aurait pu être danseur ou acrobat tellement il aime le mouvement, arrive à le saisir, l'imiter, se l'approprier.
00:31 Il aurait pu être danseur ou acrobat tellement il a longtemps préféré le geste à la parole.
00:36 Et pourtant, il monte encore et toujours sur scène, déclamé avec précision et indiction parfaite les textes des plus grands.
00:43 Il est clove dans "Fin de partie" de Samuel Beckett, mis en scène par Jacques Ozynski jusqu'à mi-juillet.
00:50 Autre compagnon de route, le réalisateur Léo Scarax, il embarque une nouvelle fois au cinéma avec ce film "C'est pas moi",
00:59 moyen métrage projeté à Cannes il y a quelques jours et qui sort le 12 juin prochain en salles.
01:06 C'est dans tout juste une semaine et c'est un film qui sort en partenariat avec France Culture.
01:14 - Bonjour Denis Lavant, je vous laisse vous installer ou est-ce que vous voulez qu'on écoute un petit ensemble de vos films ?
01:20 Vous venez juste d'arriver dans le studio, vous êtes en retard.
01:22 - Non, c'est pas de ma faute, c'est la faute des présidents qui ont donné le mot pour débarquer à Paname, pour le débarquement justement.
01:30 Mais allons-y. - Bon, ça va ? - Oui, tout à fait. - Bienvenue dans les Midis de Culture. - Merci.
01:35 - Prenez votre temps, respirez, asseyez-vous, installez-vous, nous parlions à l'instant de ce film "C'est pas moi"
01:42 qui sort donc la semaine prochaine. Film du réalisateur Léo Scarax, on va raconter évidemment et vous allez nous raconter votre relation avec cet ami, ce frère, ce réalisateur, ce camarade de travail.
01:55 D'abord "C'est pas moi", Denis Lavant, si je vous dis que c'est un film expérimental, autobiographique et rétrospectif, est-ce que vous êtes d'accord avec moi ?
02:04 - Ouais, je dirais "moi non plus". C'est ma réponse toute simple, c'est pas moi, moi non plus. C'est une sorte d'autoportrait, d'autoportrait agrandi, quoi, agrandi à un point de vue personnel sur le monde aussi, quoi.
02:26 Ce qui existe déjà dans les films de Léo, ça. Il y a une sorte de vision, de lucidité quant à le contexte dans lequel il vit, la société, le monde, l'humain, l'humanité, les manifestations humaines.
02:38 Et là c'est beaucoup plus proche de sa pensée, de son être, de ce qu'il ressent. C'est pour ça que moi je me sens concerné, forcément, naturellement.
02:50 Et en même temps, je suis à distance de cette œuvre, parce que j'y suis en tant que personnage d'archive, avec effectivement un petit pastis qu'on a fait, qui était délicieux d'ailleurs, de retrouvaille avec ce personnage que j'adore,
03:08 qui a inventé Léo, ce qui est Monsieur Merde, qui apparaît dans Tokyo et dans Holy Motors.
03:12 - Exactement. Évidemment, si Léo Scarax, le réalisateur, revient sur sa carrière, sur ses films, sur sa pensée, sur son travail aussi, il ne peut pas ne pas faire appel à vous.
03:23 Alors le Festival de Cannes présentait ce film comme un essai poétique à la première personne. On y retrouve des images emblématiques de ses films.
03:31 Et puis ce personnage aussi, Monsieur Merde, qu'est-ce qu'il représente ? Un pour vous et deux pour Léo Scarax.
03:38 - Écoutez, pour moi, il y a deux périodes avec Léo sur notre compagnonnage. Je pense que c'est le mot qui convient le mieux.
03:46 Il y a la période des Alex, c'est-à-dire des années 80, où il y a ces trois apparitions d'Alex qui sont des personnages différents, à différentes époques.
03:56 Alex de Boy Meets Girl, Alex de Mauvais Sang et Alex de Les Amants du Pont-Neuf. Cette sacrée aventure.
04:03 Et après, il se passe du temps, il se passe 15 ans et il y a l'émergence de Monsieur Merde, qui est une pure jubilation,
04:11 qui est un personnage que je n'ai pas eu beaucoup de mal à trouver, à incarner, parce que c'est comme si je le portais en moi.
04:18 Il vient du burlesque, il vient de la comédie à des lartes, il vient de la monstruosité d'une manifestation urbaine, anarchique, en liberté.
04:30 C'est l'incarnation, comme son nom l'indique, d'une sorte de ras-le-bol, de débordement, mais sous un aspect aussi très comique.
04:44 Et c'est ça qui m'a beaucoup plu dans ce premier volet où apparaît Monsieur Merde, c'est Tokyo.
04:52 Et donc il y a un film de moyen métrage de 20 minutes, associé à deux autres auteurs.
04:59 Et puis dans sa réapparition encore dans Holy Motors, c'est un personnage qui est totalement jubilatoire et qui est révélateur de notre société.
05:10 Et en plus, où il n'y a pas à s'embêter de psychologie ou de vécu, c'est un personnage hors normes.
05:22 - Il n'a pas changé depuis les années 80, ce personnage ?
05:25 - Euh... - Un peu après, pardon.
05:28 - Non, c'est déjà 2000. - Je pensais à Alex.
05:31 - C'est déjà 2007, Tokyo. - Qu'est-ce qu'il...
05:34 - Non, il reste identique. - Vous aviez plaisir en tout cas à le retrouver.
05:37 - Il reste identique. Il y a son langage qui évolue un peu. Il s'enrichit, le Merdegon, parce que c'est un personnage qui nous rassemble complètement avec Léos.
05:46 C'est un personnage qui est atypique, qui est hors normes, qui se comporte de façon brutale, inconséquente dans la rue,
05:55 et avec une insolence, un irrespect total des conventions, qui parle une langue qui n'existe pas.
06:03 - Le Merdegon ? - Le Merdegon.
06:05 - "Arrivé, arrivé", là il propose tonnette.
06:08 - Voilà, je suis le seul à parler Merdegon à l'heure actuelle, c'est bien dommage.
06:12 Et puis qui se nourrit avec de l'argent et avec des fleurs.
06:19 Et donc c'est un personnage qui est poétique, et en même temps qui est...
06:24 Les indications ou l'idée de Léos, la première fois qu'on a abordé Monsieur Merde,
06:29 c'était un personnage, une sorte de personnage sorti de la tête d'un Dostoevsky fou.
06:38 C'est une bonne définition.
06:40 - J'allais justement vous poser la question de pourquoi Merde, mais vous avez un peu répondu.
06:44 Mais ce personnage de Monsieur Merde, vous l'avez décrit, mais c'est bizarre qu'il ait jamais été inventé avant Monsieur Merde.
06:52 En fait c'est tout ce qu'on aimerait faire mais qu'on n'ose pas faire, c'est tous les rebuts,
06:57 c'est tout ce qu'on se permet mais qu'on se contraint.
07:01 - Si vous voulez, pour moi, il existe depuis très longtemps.
07:08 Il apparaît.
07:10 - Mais là, est-ce qu'on l'a figuré en tant que Monsieur Merde ?
07:13 - Il y a des résurgences de Monsieur Merde dans la littérature, dans la comédie à Delarte.
07:19 Pour moi, un des personnages qui m'a inspiré énormément pour trouver la dynamique de Monsieur Merde, c'est Poul Tchinelle.
07:25 Un masque de la comédie à Delarte qui est nonchalant mais qui peut être terrible, qui peut être très offensif.
07:32 Et dans la comédie à Delarte, c'est sûr qu'il n'y a pas de limite à l'expression, il n'y a pas de censure.
07:39 Ça peut être scatologique, ça peut être obscène.
07:42 - Est-ce qu'il est une question de moral aussi ?
07:45 - Est-ce qu'il est bon, est-ce qu'il est mauvais ou au contraire, est-ce qu'il nous ramène une forme de bonté originelle ?
07:50 - Non, je pense que c'est inutile de s'attarder là-dessus sur une notion de la bonté.
07:56 Ça ne veut rien dire, c'est selon les cultures, selon les époques.
08:00 Non, c'est un personnage qui est en marge.
08:03 Déjà, là où il est intéressant, ethnologiquement, où il m'intéresse beaucoup,
08:08 c'est qu'il fait partie d'une ethnie, les merdeux, si vous voulez, dont Jean-François Balmer fait partie aussi dans la première apparition de Monsieur Merde à Tokyo.
08:18 Sauf que lui, c'est un merdeux qui s'est adapté à la société, qui est un avocat.
08:24 Donc il va faire parler, il va essayer de communiquer avec Monsieur Merde,
08:29 qui lui, est déjà rebelle et déjà en insurrection par rapport à son peuple, à sa propre ethnie.
08:35 - C'est le plus merdeux des merdes ?
08:37 - C'est le plus de celui qui est... Il est marginal par rapport à une ethnie qui est elle-même marginale.
08:43 C'est ça qui est fabuleux.
08:45 C'est un être solitaire qui ne peut compter que sur lui-même et donc qui est en liberté totale.
08:53 Et qui est aussi en naïveté totale.
08:56 Parce qu'il n'y a pas une vraie méchanceté, mais il n'y a pas du tout les mêmes valeurs que...
09:01 Il a un point de vue qui lui est absolument personnel, donc qui cadre dans aucune société finalement.
09:07 - La nuit dernière, j'étais avec Lise dans un pays étranger.
09:13 Étrange.
09:14 - Elle a tout pris, toutes ses affaires.
09:17 Elle voulait même emporter les lettres que je lui avais écrites.
09:20 Moi je disais non, elles sont à moi.
09:21 Elles sont de moi, elles sont à moi.
09:23 Si je passe à côté de toi, je passe à côté de tout.
09:26 Pour très longtemps.
09:29 Non, c'est pas la vie.
09:30 Et vous dîtes "Oui, je m'en fiche".
09:32 Mais c'est pas la vie, Anna.
09:35 C'est toi que j'aime.
09:36 - Je bois de plus.
09:41 - Quoi ?
09:42 - Je bois de plus.
09:44 Je continue comme j'ai commencé.
09:52 Pour la beauté du geste.
09:55 - Mon petit fils.
09:57 - Un mix des films Léo Starax.
10:12 Vous avez reconnu quelques films ?
10:13 - J'ai tout reconnu.
10:14 - Denis Lavin ?
10:15 - Instantanément, je reconnais tout.
10:16 - Holly Motors.
10:18 Merde donc, Les amants du Pont-Neuf.
10:20 Mauvais sang et Boys meets Girls.
10:22 - Boy meets Girls.
10:24 Tout le monde écorche le nom de ce film.
10:26 Un garçon rencontre une fille.
10:28 - En français, ça va plus facilement.
10:30 C'est d'ailleurs le premier grand rôle.
10:32 Boy meets Girl.
10:33 En 1984, Denis Lavin, puisque vous avez participé à quasiment tous les films de Léo Starax.
10:39 Dans ces deux parties dont vous nous avez parlé,
10:42 cette première partie des années 80,
10:44 où vous incarnez cet Alex.
10:46 Alex qui est en quelque sorte le double de cinéma de Léo Starax, c'est ça ?
10:50 - Surveux.
10:52 On m'a traité d'alter-ego, mais c'est pas faux.
10:54 Mais monsieur Merde l'est aussi.
10:57 - Ça veut dire que c'est quoi cette relation qui naît entre vous et lui ?
11:03 Et comment est-ce qu'elle a évolué ?
11:05 Comment vous avez travaillé ?
11:06 Qu'est-ce qu'il vous a dit quand vous venez sur ses premiers films ?
11:09 - C'est compliqué.
11:11 - On a le temps.
11:12 - Vous avez le temps, moi aussi un petit peu.
11:14 - On a 25 minutes.
11:15 - Je sais pas, il faut en redéfinir.
11:16 - Ça commence par une invitation de Léo,
11:22 c'est alors que j'étais au conservatoire,
11:24 à lire le scénario de "Boy Meets Girl".
11:27 Et voilà, toute convivialité.
11:32 Et je lui rends, en disant à peu près le bien que j'en avais pensé,
11:38 ou du moins ce que j'en avais compris,
11:40 ce qui m'avait touché dedans.
11:42 Et quelques temps après, il a obtenu le...
11:46 Il a rencontré Alain Daan, qui a produit son film.
11:50 Et donc il s'est mis en quête vraiment de chercher le comédien de cette génération-là.
11:57 C'était en 83 en fait,
11:59 qui allait jouer cet Alex pour son premier long métrage.
12:03 Et j'ai passé des essais, ça existe encore d'ailleurs,
12:07 où je suis avec la veste d'Alex à carreaux noir et blanc,
12:12 avec des écouteurs, sur une musique de David Bowie je pense,
12:15 et je réponds à des questions.
12:17 De toute façon, j'ai regardé ça longtemps après,
12:20 et je trouve que c'est très sensé.
12:22 J'ai pas autant un aplomb comme ça de ferveur en ce que je pense.
12:30 Je dirais que je suis plus en doute maintenant qu'à l'époque.
12:34 Et il s'est trouvé qu'après une attente, il y a Léos qui m'a choisi.
12:39 Et je ne sais pas pourquoi.
12:41 - Vous ne l'avez jamais demandé ?
12:43 - Non, je ne l'ai jamais demandé, parce que vous savez,
12:45 c'est pas une relation qui passe par énormément de paroles.
12:53 C'est une relation qui s'est ancrée dès le départ,
12:58 de la part d'Elos, et moi j'ai suivi aussi,
13:02 dans une sorte de mutisme, de grande réserve.
13:06 Parce que, attention, moi je suis un comédien,
13:12 je suis un comédien de théâtre, au départ.
13:14 C'était mes premiers pas, pour ainsi dire, dans le 7e art.
13:18 Ça m'a amené très loin, je ne pensais pas, je n'avais pas prémédité.
13:22 J'y étais par curiosité, au cinéma, parce qu'on me proposait ça,
13:27 en me disant "ça doit être moins fatigant que le théâtre,
13:31 parce qu'on est filmé, il n'y a pas à se décarcasser
13:34 comme sur une scène de théâtre".
13:36 Là je me trompais un petit peu par rapport au cinéma
13:38 que j'allais aborder avec Léos.
13:40 Et puis, voilà, on a appris à se connaître un petit peu
13:47 à travers des films.
13:49 Ça a été chaque fois des aventures, pour moi,
13:51 extrêmement intenses, humaines et artistiques.
13:56 - Si vous ne savez pas, Denis Lavant, pourquoi il est venu vous chercher
13:58 à ce moment-là, aujourd'hui, avec le recul,
14:00 avec le fait qu'il vous ressollicite pour ce dernier film "C'est pas moi",
14:04 vous savez ce que vous lui donnez.
14:05 Alors qu'est-ce que vous lui donnez ?
14:07 - Je ne sais pas, on s'apporte quelque chose l'un l'autre,
14:10 il y a un échange tacite entre nous.
14:14 Mais à mon avis, il y a quelque chose qui nous lie,
14:16 et qui est évident, et qui m'a paru évident à quelques moments
14:20 où j'ai surpris Léos en pleine créativité,
14:27 que ce soit en plein désarroi, des fois,
14:31 que ce soit pendant le tournage des "Amants du Pont-Neuf"
14:34 où c'était vraiment des moments pénibles,
14:37 où on s'est bien enlisé dans cette histoire,
14:40 ou dans des moments de pure créativité,
14:43 en clandestine, comme quand on a tourné "Tokyo",
14:46 où il fallait, parce qu'on n'avait pas le droit de tourner dans la rue à "Tokyo",
14:49 donc on devait faire les choses très vite.
14:52 Et en pleine créativité, comme ça, rapide,
14:54 d'apprêter une scène de cadavre sur un escalier la nuit
14:59 dans un coin de Tokyo,
15:01 et un rapport à l'enfance qui nous lie complètement.
15:07 Une manière dont le regard de l'enfant perdure dans la création artistique,
15:13 et même chez l'adulte, une manière de se protéger aussi
15:17 de la société moderne qui est complètement envahissante,
15:20 et de la sauvageté humaine.
15:23 Et cette chose-là qui est pleine de candeur,
15:28 et avec une grande lucidité,
15:30 un regard sur le monde, ou une attitude de vie
15:33 qui n'est pas dans les mêmes directions,
15:35 parce qu'on ne rayonne pas exactement dans les mêmes directions,
15:38 mais ce point de rencontre, de jonction entre nous,
15:41 où je suis filmé, où il me filme,
15:43 c'est là qu'il y a une relation que je ne peux pas expliquer complètement,
15:48 mais qui est au plus haut de son intensité.
15:52 Nous nous demandons tous comment on peut oser encore recommencer,
15:56 mais il faut pourtant toujours recommencer.
15:58 Il faut toujours recommencer à jouer Shakespeare, Molière, etc.
16:03 Parce que, de la même manière qu'il faut toujours recommencer
16:07 à apprendre la table de multiplication,
16:09 il faut sans cesse retravailler, il faut relire, toujours.
16:13 C'est une bizarre pièce, Hamlet.
16:15 Je ne pense pas du tout qu'il soit nécessaire
16:18 d'apporter un éclairage moderne sur Hamlet,
16:20 parce que Hamlet, c'est vraiment ici et maintenant.
16:24 C'est ici et encore maintenant.
16:26 C'est une des rares oeuvres du théâtre,
16:30 de la littérature mondiale même, passée,
16:34 qui soit directement lisible
16:38 et qui ait autant de sens pour tout le monde aujourd'hui,
16:44 sans qu'il soit nécessaire d'y apporter
16:47 une volonté d'éclairage contemporain,
16:50 de faire une sorte de transposition contemporaine.
16:53 Il suffit de la lire sérieusement
16:56 et on voit apparaître toutes les associations d'idées
17:01 à toutes les situations, particulièrement les situations politiques contemporaines.
17:06 La voix du comédien et metteur en scène, Antoine Vitez.
17:08 Je savais vous le dire.
17:10 Oui, mais ce que vous n'allez pas me dire,
17:12 parce que moi je le sais et pas vous, Denis Lavant,
17:15 c'est que c'était le 7 décembre 1982 sur Interactualité à 8h.
17:20 Vous ne le saviez pas ça ?
17:21 Non, mais j'avais bien reconnu.
17:23 J'ai mis un petit temps.
17:24 Puis quand il a parlé d'Hamlet, ça fait longtemps quand même qu'il a disparu.
17:27 Ça fait longtemps qu'on n'en prend pas sa voix.
17:30 C'était début 80.
17:32 C'était même avant Boy Meets Girl que j'ai eu l'honneur
17:36 et le grand plaisir de travailler avec Antoine Vitez.
17:40 À la sortie du conservatoire, il vous confie Hamlet sur scène.
17:44 C'est à Chaillot ?
17:45 Non, c'est même avant.
17:46 C'est avant ?
17:47 C'est avant.
17:48 Excusez-moi, il faut que je remette les choses en ordre.
17:50 Allez-y.
17:51 C'était avant.
17:52 C'était à la sortie de la rue Blanche, parce que j'ai fait la rue Blanche, l'ENSAT, un petit peu.
17:56 À moitié.
17:57 Donc des cours de comédie aussi ?
17:59 Oui, une école de théâtre qui est maintenant à Lyon.
18:01 Une école nationale, l'ENSAT.
18:04 L'École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre, n'est-ce pas ?
18:08 À la sortie de ça, j'ai rencontré Antoine Vitez qui cherchait quelqu'un pour faire
18:19 un peu d'animation physique au milieu des chanteurs de l'Orfeo de Monteverdi.
18:25 Et donc c'est tombé sur moi.
18:27 C'était notre première rencontre.
18:29 C'était un rôle, pour moi c'était enfantin, mais c'était merveilleux.
18:32 Je faisais l'esprit de la danse.
18:34 J'évoluais au milieu des chanteurs.
18:36 Et ça a donné lieu à mon première appréciation des critiques parisiens qui ont dit "Antoine
18:46 Vitez a trouvé bon d'ajouter à l'Orfeo un jeune homme qui s'ébat bruyamment à
18:52 contre-temps sur la musique avec des ébats d'handicapé mental".
18:55 J'ai dit "ouais, c'est cool".
18:57 Ça m'a bien plu comme appréciation.
18:59 Et après, comme Antoine Vitez était extrêmement fidèle aux comédiens, il aimait beaucoup
19:05 les comédiens.
19:06 Preuve, il a embarqué beaucoup de ses élèves du conservatoire dans son aventure à Chaillot.
19:12 Et il m'a confié ce rôle qui était à la base physique aussi, qui était la reine
19:17 de comédie dans Hamlet de Shakespeare.
19:21 - Denis Lavant, vous n'arrêtez pas de parler de physique.
19:24 Il faut nous expliquer.
19:25 Tout à l'heure, j'ai dit en vous présentant que vous auriez pu être danseur, acrobate.
19:29 Il y a eu d'abord une expression corporelle chez vous en montant sur scène.
19:34 C'était ça la première façon de vous exprimer sur une scène ?
19:38 - Absolument.
19:39 Oui, dans la vie.
19:40 Ma première façon, c'était de faire des excentricités.
19:44 J'étais plus doué pour l'expression corporelle, comme vous dites, le mouvement, que pour
19:50 le langage.
19:51 J'avais une grande méfiance du langage.
19:53 Je reste défiant, mais je me suis un peu rattrapé là-dessus sur mon débit.
19:57 Mais effectivement, j'ai commencé par m'exprimer physiquement et donc naturellement, par aller
20:02 du côté du mime, apprendre des cours de mime ou d'expression corporelle.
20:08 De faire des petites pantomimes à la manière de Marcel Marceau, de son personnage Bip,
20:15 que j'avais vu pour de vrai, qui m'avait épaté.
20:19 Et de trouver un comportement urbain.
20:22 C'est pour ça que ça nous annonce déjà, pour moi, M. Merde, à l'image des burlesques.
20:27 C'est-à-dire d'être dans une manifestation au quotidien un peu d'équilibriste, de baladin,
20:35 de Thiel Huygens Spiegel, si vous voyez, de danseur de cordes.
20:39 Donc j'aurais pu radicalement me diriger vers le cirque, que j'ai commencé à étudier
20:45 un petit peu personnellement, ou vers la danse.
20:48 Et en fait, j'ai voulu aller, j'ai découvert l'art dramatique, le fait de jouer avec d'autres
20:54 personnes, quand j'étais au lycée, dans un groupe de théâtre.
20:57 Et donc je me suis dit, c'est là.
20:59 En fait, il y a quelque chose qui me plaît là-dedans.
21:01 Et puis j'ai fait en sorte de pouvoir accéder à cet univers.
21:05 - Ça veut dire que vous étiez un peu décalé dans ces institutions où on apprend le théâtre,
21:09 école de théâtre, etc. ?
21:11 - Bah oui, j'ai pas très bien compris, quoi.
21:14 Comme j'avais déjà joué sans rien savoir, je me suis retrouvé dans des institutions
21:19 où il fallait faire des bouts de scène devant les autres, qui regardaient les autres élèves.
21:25 J'ai été une première fois dans un cours privé, parce que j'ai pas été pris tout de suite
21:29 au conservatoire.
21:30 Et c'est très impressionnant, très intimidant.
21:32 Parce qu'il y en a qui sont très doués pour ça.
21:34 Il y a souvent des vedettes de cours.
21:37 Et là, ce qu'on retrouve rarement après, dans le métier.
21:41 Et moi, j'étais timide, j'avais pas de facilité à parler.
21:46 Je commençais par bouger, à essayer d'évacuer le texte.
21:51 Je me cassais la voix régulièrement.
21:53 Et là où j'ai trouvé vraiment ma voix, et un enseignement qui était à la hauteur
21:58 de mes espérances, c'est avec un maître qui s'appelle Carlo Bozzo,
22:04 qui faisait à l'époque des stages de Comédia dell'arte.
22:07 Et vraiment, il m'a enseigné les bases de mon métier, même si c'est dans un mode
22:11 extrêmement expressif de théâtre de très tôt, avec les masques, Puccinelli, l'art,
22:17 le quin, dont je parlais tout à l'heure, Zanni.
22:19 Et c'est là que j'ai trouvé vraiment une acuité de direction physique,
22:26 et de rythme d'énergie, d'exigence d'énergie sur scène,
22:32 qui m'a servi, et qui continue à me servir, comme définition du jeu,
22:37 même au cinéma.
22:38 Même parce qu'on peut toujours réduire, d'aller au-delà, d'agrandir son expressivité,
22:44 c'est pas facile.
22:45 Mais quand on l'a, on peut toujours la réduire à l'immobilité, et au minimum.
22:49 - Vous avez dit que vous étiez timide ? J'ai du mal à y croire, Denis Laveau.
22:53 - Moi aussi, et je le reste un petit peu.
22:55 - Ah bon ? Vous êtes arrivé en disant "c'est pas moi qui suis en retard,
22:59 c'est la faute des présidents, vous prenez la parole".
23:02 - Non, ça n'a rien à voir avec la timidité, c'est une expression sociale.
23:09 - Expliquez-moi comment ça se fait qu'on retrouve souvent dans la bouche de comédiens,
23:12 d'acteurs, d'actrices, l'idée qu'ils sont timides,
23:16 alors que vraiment, l'endroit où on est le plus exposé, c'est sur une scène.
23:20 - Oui, mais on a l'excuse de ne pas être tout à fait soi-même.
23:24 C'est-à-dire qu'on s'exprime à travers un personnage.
23:29 Souvent un masque, ou une entité, ou un auteur.
23:34 - Comme Monsieur Merde.
23:36 - Comme Monsieur Merde.
23:38 C'est pas que c'est en toute impunité, mais il ne s'agit pas tout à fait de soi.
23:42 On investit une présence aux autres.
23:45 Et c'est là que c'est passionnant.
23:47 On se déplace vers quelqu'un d'autre.
23:50 En tout cas, il y a plusieurs modes de travail, d'opération pour les comédiens.
23:56 Il y en a qui ramènent à eux, et il y en a qui se déplacent.
23:58 - Et vous ?
23:59 - Moi, je m'efforce de me déplacer, mais sans être tout à fait dupe.
24:03 Je sais bien que c'est de moi qu'il s'agit.
24:05 - En plus, quand on regarde un film de Léo Scarax avec vous, Denis Lavant,
24:08 quand on dit par exemple qu'on vous reçoit ici,
24:11 il y a un attachement à vous, à ce que vous êtes,
24:14 à la manière dont vous bougez, la manière dont vous interprétez.
24:17 C'est bizarre que vous pensiez que c'est quelqu'un d'autre que vous, que vous jouiez,
24:21 alors qu'au bout d'un moment, c'est presque vous qu'on retrouve de film en film.
24:24 - Je sais, mais en fait, non, pas tout à fait.
24:27 Si vous voulez que je vous donne un exemple pour moi qui est flagrant,
24:30 auquel je repensais récemment,
24:33 pour l'apparition du deuxième Alex qu'on a fait avec Léo Scarax,
24:39 donc Alex dans "Mauvais sang",
24:41 c'est un personnage pour lequel j'ai compris qu'il fallait que je me bouge,
24:46 que je me déplace de moi-même, que je m'affûte,
24:50 que je définisse vraiment une ligne d'un personnage,
24:53 c'est-à-dire en courant tous les matins,
24:55 en faisant des choses que j'aurais jamais osé faire de moi-même,
24:59 c'est-à-dire sauter en parachute, passer le permis moto, courir,
25:04 porter Juliette Binoche dans mes bras en traversant une rue brûlante,
25:08 des choses, il n'y avait que des exploits à faire tout du long du film.
25:12 Et pour moi, je me suis vraiment sculpté ce personnage-là pour ce film,
25:17 qui est pour moi, qui n'apparaît plus après,
25:20 et qui est moi, qui est un peu plus que moi, si vous voulez.
25:24 Et par exemple, ce qui a été curieux,
25:28 et qui m'a un peu mis la puce à l'oreille, comme on dit vulgairement,
25:32 c'est à cette époque-là, quand je suis apparu dans ce film,
25:36 la plupart des gens ont pensé que j'étais comme ça,
25:40 que Léo s'est pris tel quel dans la rue et hop, qu'il m'avait filmé,
25:44 alors que pas du tout, c'était un travail énorme
25:48 que je me suis empêché de saccager ou d'emmener ailleurs ensuite.
25:53 Donc c'est pour vous dire. Après, c'est l'importance pour moi
25:56 qui a le fait de se transformer. Pas forcément justement de façon voyante.
26:02 Pas du tout à la manière de l'acteur studio,
26:06 ou des Américains qui vivent quelque chose,
26:09 soi-disant, pour pouvoir le jouer.
26:11 Et ça se voit, on les reconnaît toujours, mais on voit le travail qu'ils ont fait.
26:15 Non, pour moi, c'est plus insidieux, plus périlleux,
26:19 et plus intime que ça, le travail qu'ils se font. Il est moins calculé.
26:22 C'est une sincérité ?
26:24 Oui, pour moi, c'est le mot clé.
26:27 Ça doit passer absolument par la sincérité.
26:30 - Quelle heure est-il ? - La même que d'habitude.
26:34 - Tu as regardé ? - Oui.
26:36 - Et alors ? - Zéro.
26:38 - Il faudrait qu'il pleuve. - Il ne pleuvra pas.
26:41 - À part ça, ça va ? - Je ne me plains pas.
26:49 - Tu te sens dans ton état normal ? - Je te dis que je ne me plains pas.
26:54 Moi, je me sens un peu drôle.
26:57 - Claude ? - Oui ?
27:03 - Tu n'en as pas assez ? - Si.
27:05 - De quoi ? - De cette chose.
27:14 Depuis toujours ?
27:18 - Toi, non ? - Alors, il n'y a pas de raison pour que ça change.
27:23 Ça peut finir.
27:25 Toute la vie, les mêmes questions, les mêmes réponses.
27:33 Je ne sais pas pourquoi on passe à un extrait de "Fin de partie".
27:37 Vous pourriez le faire vous-même. Vous êtes en train de le faire en doublage.
27:41 Je le dis pour les auditeurs, auditrices.
27:43 "Fin de partie" de Samuel Beckett.
27:45 La mise en scène de Jacques Osinski, c'est au Théâtre de l'Atelier jusqu'au 14 juillet.
27:49 Et donc, vous jouez dedans.
27:51 - Vous jouez dedans, Denis Lavant, le personnage de Clauve,
27:53 aux côtés de Frédéric Lettgens, qui joue lui, Ham.
27:57 Il y a un rapport très particulier entre ces deux personnages,
27:59 qui sont les personnages principaux, au rapport de père, de fils,
28:03 de maître, de domestique, de valet, en quelque sorte.
28:06 En tout cas, c'est très, comment dire, relation étrange, déséquilibrée,
28:11 mais une forme d'interdépendance, puisque les deux personnages
28:14 et tous les personnages d'ailleurs sont des personnages handicapés
28:18 et qui doivent donc prendre soin.
28:20 - Empêcher. - Empêcher.
28:21 - Prendre soin avec les uns des autres.
28:23 - Et il y a des parents qui sont dans les poubelles.
28:25 Claudine Delvaux et Peter Brunk, qui font les parents de Ham.
28:30 Et donc, c'est une pièce à quatre. C'est un quartet, si on veut.
28:33 - Personnage qui, quand on voit la pièce, au début, il y a une longue partie
28:38 où, effectivement, vous vous exprimez dans le mouvement, justement.
28:41 C'est pour ça que vous avez été choisi aussi, parce que vous savez faire les deux.
28:45 Il y a cette idée, peut-être, de vous offrir le rôle où vous vous exprimerez le mieux.
28:51 - Si vous voulez, c'est pas exactement ça le cursus, parce qu'avec Jacques Osinski,
28:57 on s'était rencontrés déjà il y a longtemps.
29:00 Il avait mis en scène la fin de "Knut Hamsun".
29:03 Puis on s'est retrouvés, c'est lui le premier, finalement,
29:06 parce que Beckett, je le connais depuis longtemps,
29:08 depuis mon apprentissage de comédien, même un peu avant.
29:12 Et cette pièce-là, fin de partie, m'a toujours énormément plu.
29:15 Et particulièrement le personnage de Clove.
29:18 Je rêvais pas de jouer un autre personnage, de jouer Ham, par exemple, dans la pièce.
29:22 Mais avant d'aborder ça, on est passé par quelque chose de beaucoup plus exigeant,
29:27 qui est un des derniers textes de Beckett, qui s'appelle "Capopia".
29:32 - Que vous avez dans la poche et que vous venez de sortir.
29:35 - Je suis en train de le rebaser, comme on dit, parce que je dois le reprendre au Théâtre XIV.
29:40 Et qui est une sorte d'avancée vers le néant.
29:43 Un texte où le langage s'élague de plus en plus, s'appauvrisse, s'amenuise,
29:49 où la vision est de plus en plus obscurissime, dans l'obscurissime pénombre des ombres.
29:56 C'est terrible, mais c'est passionnant.
29:58 Et ça, on l'a fait, on a abordé le premier acte Beckettien qu'on a fait avec Jacques.
30:02 C'était totalement immobile, sur un carré blanc, il est illuminé,
30:07 et sans bouger pendant une heure et demie.
30:09 On va dire le texte.
30:11 Mais, vous me direz, c'est absolument physique aussi,
30:15 de tenter une telle immobilité, une telle retenue.
30:19 Et effectivement, ensuite, on est passé par d'autres étapes de Beckett,
30:23 dont la dernière bande, qu'on vient de montrer à Liverpool.
30:26 C'était assez curieux, devant des Irlandais d'ailleurs.
30:29 C'était un peu impressionnant d'avoir affaire avec Beckett, près de son pays natal.
30:35 Et là, on reprend cette merveille qui est fin de partie,
30:39 où effectivement, le rôle de Clove, il me parle absolument.
30:43 Il n'y a que des répliques en or, il y a un comportement physique.
30:47 C'est le seul qui bouge dans la pièce, parce que les deux vieux sont dans les poubelles,
30:51 et Ham, il est aveugle et impotent sur son fauteuil roulant.
30:55 Et donc, c'est le factotum.
30:57 C'est l'homme à tout faire qui rêve de partir, et qui ne sait pas partir.
31:02 Voilà. Dans le propos et dans l'action, c'est un personnage qui m'enchante.
31:09 - Ce sont des pièces aussi qui remettent en cause le théâtre même,
31:14 le fait de jouer du théâtre.
31:16 Il n'y a pas véritablement de suspense dans ces pièces, pas vraiment de péripéties aussi.
31:20 Les personnages parlent au public, expriment leur ennui aussi
31:25 durant cette pièce.
31:27 - Marie exprime qu'il ne se passe pas grand-chose.
31:31 Mais il y a une ironie implacable.
31:34 Et en même temps, il y a une sorte de mise en abîme par rapport au théâtre.
31:39 Et moi, je ne peux pas dire que ce soit ennuyeux.
31:44 Parce qu'il y a tout le temps, pour moi, il va se passer quelque chose.
31:50 Il y a un questionnement, il y a une sorte de chose qui s'installe.
31:55 Mais je n'ai pas le point de vue du spectateur par rapport à cette pièce.
31:59 Pour moi, il y a une vraie dynamique.
32:03 Parce qu'on se dit "il va se passer quelque chose".
32:05 - Mais oui, à chaque fois qu'on voit une trésoréquette, on espère encore, on connaît la fin.
32:09 Mais on se dit "et si cette fois, ils y arrivaient à partir ?"
32:12 Et c'est pareil pour "En attendant Godot".
32:14 - "En attendant Godot", je ne l'ai pas encore fait.
32:16 Peut-être bientôt, mais effectivement, on attend.
32:18 - Mais on se dit "quand est-ce qu'ils partent ?"
32:20 - Mais pour moi, ce qui est excellent, c'est qu'il y a une sorte de précipité de l'humain.
32:25 Que je me trouvais aussi chez Léos, d'ailleurs.
32:28 De très grande lucidité par rapport au rapport humain.
32:32 Qui est assez délicat à jouer, parce qu'il ne s'agit pas de dramatiser.
32:37 Le piège, effectivement, c'est d'y mettre trop d'émotions, de pathos.
32:41 Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'émotions.
32:42 Il y a de la relation humaine, mais qui est aussi drôlatique.
32:46 Moi, ce que je retiens aussi de Samuel Beckett, c'est qu'il a fait un film,
32:53 qui s'appelle "Film", où il a fait jouer Buster Keaton,
32:56 tout vieux, à la fin de sa vie.
32:59 Dans un rythme qui n'est pas du tout celui du slapstick,
33:02 mais avec quand même les éléments du slapstick.
33:04 Et je trouve que cette rencontre, elle est extraordinaire.
33:07 Et voilà, moi j'ai l'impression d'avoir à faire,
33:10 comme quand je lis "Molloy", qui est un des romans de Beckett que je préfère,
33:14 d'avoir à faire un personnage qui est directement issu du burlesque.
33:18 - Denis Lavant, vous êtes sur tous les fronts, si je puis dire.
33:20 Au cinéma, au théâtre, en train de préparer une autre pièce ensuite.
33:23 Qu'est-ce qui vous fait continuer à monter sur cette scène ?
33:26 Qu'est-ce qui vous plaît tant encore, aujourd'hui, tous les jours,
33:29 se dire "je retourne sur cette scène" ?
33:31 - J'ai fait une réponse caraxienne, pour la beauté du geste.
33:35 Mais ne dit-on pas que la beauté est dans l'œil de celui qui regarde.
33:39 Mais pour moi, c'est une démarche infinie.
33:44 C'est comme, si vous voulez, les nuances en peinture ou en pastel.
33:50 Il y avait un vieux peintre qui habitait près de chez moi, Alf Green,
33:54 qui m'avait fait part de ça, je trouvais ça merveilleux.
33:57 Il faisait des paysages avec de l'eau, de la lumière, avec du pastel gras.
34:03 C'était adonné au pastel gras parce qu'on lui avait fauché ses peintures,
34:07 parfois, je ne sais où, dans une ville, peu importe.
34:10 Mais donc, il s'était consacré.
34:12 Et il arrivait à faire des nuances insensées, de couleurs, de tons, de paysages,
34:16 de luminescence avec le pastel gras.
34:19 Il m'a dit "mais il y a quelque chose d'infini, il y a un domaine infini".
34:22 Et je me rends compte même, avec une partition qui est aussi rigoureuse,
34:26 écrite jusque dans "L'Edit d'Ascali" que "Fin de partie",
34:30 il y a tout le temps quelque chose qui peut fleurir.
34:33 C'est ouvert.
34:35 Si on laisse ça ouvert, il y a toujours...
34:37 Parce que moi, il y a une intonation, ou la manière dont Frédéric, par exemple,
34:42 va me livrer une répartie, et moi je vais lui répondre comme ça,
34:46 "Ah ouais ? Ah mais ça peut résonner comme ça aussi !"
34:49 Donc c'est les palettes, le prisme de l'humain, il est passionnant.
34:53 Parce que c'est ça qu'on explore en étant comédien.
34:56 - Et il s'exprime à chaque fois sur scène différemment.
34:59 Tous les soirs, vous êtes jusqu'au 14 juillet au Théâtre de l'Atelier,
35:02 dans "Fin de partie" de Samuel Beckett, mise en scène par Jacques Ozynski,
35:06 avec Frédéric Lengens, Claudine Delvaux et Peter Bonqueux.
35:09 Et mercredi prochain, on vous retrouve le 12 juin,
35:12 en partenariat avec France Culture, au cinéma, dans le film de Léo Scarax,
35:16 dans lequel vous jouez. Le film s'appelle "C'est pas moi".
35:20 - Pour finir, Denis Lavant, nous avons choisi deux musiques,
35:23 avec deux instruments avant que vous avez appris à jouer quand vous étiez jeune.
35:27 Le nez, ou le neil, on dit, je ne connais pas.
35:31 - Vous en avez un dans la poche ? - Oui, naturellement, c'est pas vrai.
35:34 - Allez-y, je vous donne directement un peu de neig.
35:37 - Je ne sais pas de quoi on va faire un neig, c'est une petite flûte de Constantine.
35:41 - Plutôt que de vous faire choisir une chanson fin.
35:44 - Non, je vais jouer un petit truc qui s'appelle un flé.
35:47 - Allez-y.
35:48 * Flûte *
36:12 - Jusque là.
36:13 - Bravo, merci beaucoup. C'est la première fois qu'un invité n'a pas à choisir de chanson
36:17 parce qu'il la propose lui-même.
36:19 - Et bien avec son instrument, merci beaucoup.
36:21 - Vous dites que vous débutez, moi je ne fais pas ça.
36:24 - Oui, mais j'improvise.
36:27 - Ça s'appelle comment, redites-nous ?
36:29 - Quoi ?
36:30 - Ça s'appelle un flé.
36:31 - Un flé, très bien.
36:33 - Merci beaucoup pour votre interprétation et votre généreusité.
36:37 - Non, pas un flé, un neil, on a dit.
36:39 - C'est de la famille du neil.
36:41 C'est un instrument sans embouchure à pointer, mais c'est un fèle.
36:45 - Un fèle.
36:47 - Il faut être précis.
36:48 - Oui, sur France Culture.
36:49 - Il faut être précis.
36:50 Denis Lavant, merci d'être venu dans la Médique Culture.
36:52 Émission préparée par Essa Toundoy, Anna-Lucis Berth, Cyril Marchand, Zora Vignier, Laura Duttech-Pérez
36:56 et Manon Delassalle.
36:57 L'émission est réalisée ce midi par Louise André et à la prise de son, c'est Olivier-Arne Géraldine.
37:02 Merci.
37:03 - A demain, je viendrai sans instrument, moi.
37:04 - Ah bah si, venez.
37:05 Vous n'êtes pas du saxophone ?
37:06 - Mais je viendrai quand même.
37:07 - Peut-être.