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00:00 *Musique*
00:19 Nous ne célébrons aucun anniversaire, ni celui de sa naissance, ni celui de sa mort
00:23 et pourtant on redécouvre ces derniers mois la figure de Delphine Sérig, comédienne
00:28 de théâtre, icône de cinéma et femme féministe engagée.
00:32 Au travers d'une rétrospective à l'Institut Lumière à Lyon, de la sortie en version
00:36 restaurée de son documentaire sur le métier d'artiste en début d'année "Sois belle
00:40 et tais-toi" mais aussi de la publication de deux livres qui nous racontent la femme,
00:45 la dame devrais-je dire, ses prestations sur les planches, son apparition sur le grand
00:50 écran mais aussi la cinéaste et féministe donc jusqu'à 13h30, portrait croisé de
00:56 Delphine Sérig avec la communauté du book club et avec nos deux invités.
01:00 *Voix de Delphine Sérig*
01:01 Et alors ils ont l'air bien pressés tous les deux, où ils vont si vite ?
01:04 *Voix de Jacques*
01:05 Bah là-bas Saint-Jacques.
01:06 *Voix de Delphine Sérig*
01:07 En pèlerinage ? Vous fatiguez pas, y'a personne.
01:08 *Voix de Delphine Sérig*
01:09 Le résultat c'est qu'ils bombardent leur propre troupe au moins une fois par semaine.
01:12 *Voix de Jacques*
01:13 Mais non madame, s'ils bombardent leur propre troupe c'est qu'ils ont leur raison.
01:15 *Voix de Delphine Sérig*
01:16 Quoi ?
01:17 *Voix de Delphine Sérig*
01:18 *Voix de Jacques*
01:25 C'est ça vite toi ?
01:32 *Voix de Delphine Sérig*
01:38 Oui monsieur.
01:41 *Voix de Nicolas Herbeau*
01:45 La fée des lilas.
01:48 *Musique*
01:49 France Culture, le boucleub.
01:52 *Musique*
01:53 La situation mérite attention, mon enfant, on n'épouse jamais ses parents, vous aimez votre
02:06 père je comprends, quelles que soient vos raisons, quels que soient pour lui vos sentiments,
02:12 mon enfant, on n'épouse pas plus sa maman, on dit que traditionnellement, des questions
02:22 de culture et de législature décidèrent dans leur temps, qu'on ne mariait pas les
02:29 filles avec leur papa.
02:32 *Musique*
02:33 Bonjour Virginie Apieu.
02:35 *Virginie Apieu*
02:36 Bonjour.
02:37 *Nicolas Demorand*
02:38 Vous êtes journaliste et éditrice de reportages et documentaires sur le cinéma et vous publiez
02:40 aujourd'hui votre premier livre intitulé "D'après Delphine Sérig" qui paraît aux éditions
02:45 Actes Sud en coédition avec l'Institut Lumière.
02:49 Si je ne dis pas de bêtises, le directeur de l'Institut Lumière Thierry Frémaux qui
02:53 vous a proposé d'écrire sur Delphine Sérig, quelle a été votre démarche, votre cadre
02:59 pour l'écriture ?
03:01 Oui effectivement j'en profite pour remercier Thierry Frémaux parce que franchement c'est
03:05 lui qui m'a proposé ça.
03:06 On discutait autour de Delphine Sérig et là il m'a dit "mais il faut faire un texte,
03:09 il faut faire quelque chose" et la seule chose qu'il m'a dit "fais quelque chose
03:13 qui part de toi" et c'est tout.
03:16 Je dirais presque ne va voir personne, ça il ne m'a pas dit mais c'était un peu ça.
03:20 Et ça correspond assez bien avec mon caractère, ça correspond assez bien avec la façon dont
03:23 je travaille et le fait de me dire "Delphine Sérig aujourd'hui, qu'est-ce que c'est,
03:30 qu'est-ce qu'il reste ?" Il reste beaucoup de choses et il reste essentiellement des
03:34 choses intimes puisque si on regarde sa filmographie, si on regarde également ce qu'elle a fait
03:38 au théâtre et toutes ses déclarations, on s'aperçoit que c'était quelqu'un qui
03:44 ne parlait jamais de sa vie intime, autant l'intime est toujours le grand sujet qu'elle
03:48 a travaillé et en partant de ça, elle a défini un être social, un être politique
03:54 et je pense que c'est une chose qu'on peut tous partager parce qu'on a tous un être
03:58 intime en nous.
03:59 Je me tourne vers Jean-Marc Léland avec qui on va vous faire dialoguer ce midi.
04:02 Bonjour.
04:03 Bonjour.
04:04 Vous collaborez régulièrement au Masque et la Plume chez nos amis de France Inter,
04:06 vous êtes rédacteur en chef au journal Les Inoccupables et vous publiez cette essaye
04:11 biographique qui s'intitule "Delphine Seyrig en construction" qui paraît aux éditions
04:16 Capricci.
04:17 Delphine Seyrig qui, on peut le dire, a brillé au cinéma dans les années 60-70, puis il
04:23 y a eu les années 80 qui l'ont un peu effacée et pourtant vous dites qu'elle est plus que
04:28 jamais notre contemporaine.
04:30 Oui, je pense que le retour du féminisme sur la scène politique et intellectuelle,
04:35 a favorisé la découverte de cette figure de pionnière et qu'il y a beaucoup à la
04:40 fois de jeunes femmes féministes, des cinéphiles aussi qui ont été modelés par une lecture
04:45 féministe du cinéma, qui voient en quoi elle a vraiment éclairé ce ressaisissement
04:51 du cinéma par ce prisme-là.
04:53 Et puis il y a eu aussi le fait que Jeanne Dillman, un peu pour ces raisons également,
04:59 a été élue plus grand film de tous les temps par la revue anglaise Sight and Sound,
05:03 qui fait que le film est ressorti, que beaucoup de gens l'ont redécouvert et que du coup
05:08 c'est une facette qui n'était pas forcément celle qui a contribué à sa légende dans
05:13 les années 60-70, qui était plutôt liée à La Nouvelle Vague, à Truffaut, Demi, René.
05:17 Tout à coup c'est plutôt par Jeanne Dillman, donc par Ackermann et aussi sa personnalité
05:21 publique et même je dirais que les vidéos sur Youtube, on la voit dans des émissions
05:25 de télévision dans les années 70, prendre des prises, des dépositions comme ça extrêmement
05:30 intempestives sur des questions comme l'IVG, tout à coup ont frappé des gens qui ne la
05:35 connaissaient pas et qui l'ont vraiment découvert par cet entrée-là.
05:38 - Elle est revenue d'ailleurs dans le film à Nicolaire, qui traite du mouvement de libération
05:42 de l'avortement et de la contraception, c'était à la fin de l'année 2022, de Blandine, Le Noir.
05:48 Alors vous êtes tous les deux journalistes et c'est ce qui nous a amusés, puisqu'on
05:51 ne peut pas dire qu'elle se soit beaucoup confiée d'Elphine Serig aux journalistes,
05:55 elle ne s'est pas vraiment laissée aller aux confidences.
05:57 Virginie Appiaux, vous nous racontez cette interview avec Claude Lanzmann, vous dites
06:03 qu'elle écoute calmement les questions de Lanzmann auxquelles elle ne se plie pas vraiment,
06:07 non par amour de la révolte, mais plutôt parce que cela ne semble pas la concerner
06:10 tant que ça.
06:11 Elle se considère comme comédienne et elle met une barrière avec sa vie privée.
06:16 - Oui et puis surtout parce que Lanzmann l'abordait avec ce qu'il était, c'est-à-dire toute
06:21 son aura d'homme et ne lui présentait à elle que des symboles qui sont sa voix, son
06:29 rire, son apparence physique, là où elle était déjà depuis très longtemps ailleurs.
06:34 Elle voulait lui faire comprendre d'une manière extrêmement polie et très dégagée que
06:39 elle était vraiment beaucoup plus loin que ça et qu'il aurait été formidable qu'il
06:44 l'accompagne.
06:45 C'est une interview extrêmement intéressante parce qu'il est en amorce, il est assez puissant
06:50 c'est un homme intelligent, mais qui reste quand même dans son carcan de son époque
06:54 qu'on n'a pas à juger, c'est normal.
06:56 Mais elle, elle allait déjà ailleurs et c'est la seule à avoir été comme ça, c'est la
07:00 seule avec un statut qu'elle avait effectivement dans les années 70, c'est la seule à avoir
07:04 fait ça.
07:05 C'est-à-dire ni des très grandes comédiennes que moi j'adore et que je pense Jean Marc
07:10 adore comme Jeanne Moreau ou même comme Catherine Deneuve, aucune de ces grandes comédiennes
07:14 qui aussi ont leur féminisme à leur manière, mais aucune n'ont fait ce qu'a fait Cérig
07:20 et qui font qu'aujourd'hui c'est vraiment extrêmement important pour toutes les adolescentes,
07:24 pour toutes les femmes, de montrer ce féminisme-là et ce courage et elle y a été vraiment,
07:31 on le voit dans les interviews.
07:32 - Jean-Marc Lallanne, vous nous racontez comment elle peut s'emballer, comme dans
07:35 "Radioscopie" par exemple avec Jacques Chancel en 1971, de cette même façon, elle a un
07:40 rapport particulier à sa vie intime et au questionnement des journalistes.
07:45 - Elle détestait les questions sur sa biographie, d'abord parce qu'elle avait peur d'être
07:50 renvoyée à sa classe sociale d'origine et elle considérait qu'elle s'était vraiment
07:54 beaucoup déplacée et donc la manière dont le cinéma avait dans un premier temps, notamment
07:59 chez René mais même ensuite chez Truffaut, relié cette image de la très grande bourgeoise,
08:04 elle pensait qu'on pouvait l'utiliser pour dévaloriser ses engagements politiques, gauchistes,
08:10 féministes et donc être renvoyée à ça, à la grande bourgeoise en Chanel, elle pensait
08:15 que ça pouvait être un instrument pour la disqualifier de ce point de vue-là, donc
08:20 elle s'en méfiait, elle ne voulait absolument pas parler d'elle, elle avait un sens très
08:23 fort de la parole collective et elle a fait partie du MLF dès le début, elle fait partie
08:28 des discussions et à part le film qu'elle réalise, "Sois belle et tais-toi" qu'elle
08:32 a fait seule, elle a surtout signé des films collectifs, donc tout ce qui est renvoyé
08:36 à une individualité, à un parcours biographique, c'est quelque chose qu'elle trouvait réactionnaire.
08:40 - On va voir évidemment comment sa carrière se construit, avec d'abord le théâtre,
08:43 puis les films où elle joue et ensuite ce qu'elle va réaliser et il y a une bascule
08:48 presque d'engagement aussi dans la fin de sa carrière, "Je ne suis pas une intellectuelle,
08:53 je n'ai pas le bachot et je lis les trois mousquetaires", Virginie Laviou c'est une
08:57 citation de Delphine Zerrich dans "Trois filles d'ennemis".
09:00 - Oui, elle tenait beaucoup à une chose, c'est qu'on ne se méprenne pas sur ce qu'elle
09:06 était, c'était vraiment une fille internationale, elle est née au Liban, elle a vécu en France,
09:11 elle a vécu aux Etats-Unis, elle parlait plusieurs langues mais ce n'était pas du
09:14 tout par snomisme, c'est parce que son parcours de vie avait fait qu'elle venait de tous
09:18 ces terroirs-là et elle le disait dans le film de Guigy, "Le jardin qui bascule",
09:23 elle disait "Je suis internationale" et c'est vraiment ça.
09:27 Et aussi, elle était évanescente aussi, elle était perçue comme une apparition,
09:34 qui est l'autre grand cliché qui vient toujours à son propos, mais à chaque fois
09:39 elle cassait ce cliché très aimablement en disant "Oui, on peut apparaître comme
09:43 ça mais l'apparence ne suffit absolument pas", ce qui peut paraître une vérité
09:47 de la palissade, mais qu'elle répétait vraiment et c'est pour ça qu'on disait
09:50 "Je n'ai pas le bachot" quand elle avait 16 ans, elle a écrit à son père pour lui
09:54 demander l'autorisation de ne pas passer son bac parce qu'elle se disait "Quand
09:58 on est adolescente, on a tellement de choses à vivre" et il lui a répondu "Je parie
10:02 sur toi, petit poney" et qui se trouve qui était un des titres que j'aurais aimé
10:07 aussi utiliser parce que c'est très joli et parce qu'elle a assumé être un petit
10:13 poney tout en étant Delphine Sérig avec toute l'imagerie visuelle extraordinaire
10:19 et sonore aussi qui l'accompagne.
10:21 - C'est un bébé multiculturel, vous l'avez dit, née à Beyrouth où elle apprend que
10:27 tout est possible, elle va vivre son adolescence à New York puisque son père est diplomate
10:32 et elle va ensuite venir en France.
10:35 Donc ça c'est la cartographie si on peut dire du début de sa carrière mais vous l'avez
10:40 dit, Jean-Marc Lalanne, elle fait partie d'une famille de la haute bourgeoisie, elle
10:45 côtoie dans son enfance aussi les plus grands artistes.
10:48 Et comme son père était attaché culturel, elle a connu à la fois bretons, les plus
10:55 grands poètes, les plus grands plasticiens et c'était vraiment une bourgeoisie extrêmement
11:01 cultivée.
11:02 C'est pas seulement une élite économique mais aussi une élite intellectuelle.
11:06 Quand elle dit qu'elle n'est pas une intellectuelle et qu'elle lit Les Trois Mousquetards, il
11:10 y a une part d'humour parce que même si effectivement elle n'a pas son bac, elle
11:13 n'a pas lu dans sa vie que Les Trois Mousquetards, elle a une familiarité avec la production
11:19 artistique très haut de gamme depuis son enfance et jusqu'à la fin de sa vie elle
11:23 a été vraiment dans la recherche des avant-gardes, elle a un goût pour les avant-gardes, que
11:28 ce soit littéraire puisqu'elle a été très proche du nouveau roman, que parce qu'elle
11:32 a épousé un peintre, elle a aussi connu toute l'avant-garde plastique de New York.
11:36 Donc c'est quand même une figure clé qui relie entre elle toutes les avant-gardes du
11:39 20ème siècle, on peut dire.
11:41 Je pense que même si elle n'était pas une intellectuelle dans le sens institutionnel
11:45 du terme, elle avait quand même une acuité à la création, à la pensée sous toutes
11:52 ses formes qui en font aussi une actrice très très singulaire en cela.
11:56 - Elle est parfaitement bilingue, Virginia Apius, ça va lui permettre de monter sur
12:00 scène, notamment de jouer Shakespeare et de tourner dans des films aussi.
12:03 Ça c'est le début de sa carrière ?
12:05 - Oui, elle va faire pas mal surtout de théâtre.
12:09 C'est le théâtre qui était en elle, elle faisait partie de cette génération de comédiens
12:13 pour lequel le théâtre était la grande aventure noble, la grande aventure où tout
12:17 se passait, où le comédien était pleinement lui-même et où le cinéma a été vu comme
12:22 quelque chose d'un peu, c'est pas suspect, mais de plus commercial.
12:26 Donc il aura fallu rien moins que René et l'année dernière un Marianne Badd qui
12:32 donc pour le coup est quelque chose, un film très très singulier pour justement qu'elle
12:38 naisse à elle-même à l'écran.
12:40 Mais c'est vrai qu'au départ, sa grande idée, sa grande aventure, elle est théâtrale.
12:45 - On va donc écouter à présent Émilie de la communauté du Book Club qui a lu, d'après
12:50 Delphine Seyrig de Virginia Apius, voici ce qu'elle en retient.
12:53 - Ce qui m'a particulièrement plu dans ce livre, c'est qu'en fait c'est un livre
12:58 très cinéphile, mais pourtant accessible au nom cinéphile, c'est-à-dire que l'autrice
13:04 parle de beaucoup de films, mais elle les décrit avec tout ce qu'il faut pour qu'on
13:08 comprenne même si on n'a pas vu les films, ce qui était mon cas dans une très très
13:11 grande partie des exemples qui sont donnés dans ce livre sur Delphine Seyrig.
13:15 Et c'est vrai qu'on ne peut pas parler d'elle sans parler de son travail au cinéma.
13:19 Donc tous ces films qui sont mentionnés, non seulement ceux que je n'avais pas vus,
13:23 je n'ai pas été frustrée de ne pas les avoir vus pour pouvoir comprendre qui est
13:28 ce personnage.
13:29 Et en plus, j'ai envie de les voir maintenant.
13:32 Je trouve que c'est un livre qui appelle à la curiosité, qui me rend très curieuse
13:35 de voir plein de films.
13:36 - Mission accomplie !
13:38 - Oui, oui, moi j'ai l'obsession de la transmission.
13:40 Je veux absolument que les gens comprennent que la culture n'est pas quelque chose
13:47 pour une certaine élite ou quoi que ce soit.
13:49 La culture c'est ce qui nous constitue et je pense qu'un État qui a une culture
13:53 extraordinaire est un État qui va bien et que plus on parle de tout à tout le monde
13:58 en essayant de lancer des pistes, plus c'est extraordinaire.
14:03 - Il faut jouer, avant tout jouer, ne pas penser à sa carrière mais à la chose que
14:06 l'on est en train de faire ou que l'on va faire.
14:09 Elle n'est pas tout à fait intéressée par le cinéma dans les années 50.
14:12 C'est ce que vous disiez il y a un instant, Virginie Apieu et Jean-Marc Lalanne.
14:15 Pourtant, quand elle rentre sur le grand écran, qu'elle va jouer dans des films,
14:20 c'est cette image de la grande bourgeoise en fait que les cinéastes recherchent.
14:25 - Oui, alors même qu'elle n'en était pas du tout là dans sa vie.
14:28 C'est-à-dire que quand elle était une jeune fille, elle avait un look très androgyne,
14:31 elle avait les cheveux courts, elle portait des pantalons.
14:33 Elle n'avait pas du tout le look d'une jeune fille issue des élites de l'époque.
14:38 Elle faisait plutôt partie de cette jeunesse intellectuelle post-existentialiste
14:42 ou situationniste Saint-Germain années 50.
14:45 Et c'est René qui va, avec sa complicité la plus totale, reconstituer la très grande dame.
14:51 Mais cette dame, elle arrive à la jouer de manière aussi habitée
14:54 parce qu'elle a une familiarité avec les séquelles sociaux.
14:57 Mais en même temps, ce n'est plus du tout ce qu'elle est, c'est une construction.
15:00 - Quand elle dit "j'ai vraiment cherché à être de la pointe de mes pieds au sommet de mon crâne, une dame",
15:05 c'est ça que ça veut dire ?
15:06 - Absolument, d'ailleurs c'est assez amusant de la pointe des pieds au sommet du crâne.
15:09 On se demande comment on joue avec le sommet de son crâne à une dame.
15:12 Mais effectivement, elle veut vraiment signifier qu'elle ne s'identifie pas à ce stéréotype social.
15:16 - Et d'ailleurs, pendant tous ses premiers films, en tout cas, elle va jouer des femmes plus âgées que ce qu'elle est.
15:23 - Oui, il y a vraiment quelque chose de passionnant sur l'âge d'Elle Fincenric,
15:27 parce qu'elle entre au cinéma à 30 ans.
15:29 À partir de l'âge de 50 ans, elle sera très peu filmée.
15:32 Donc on peut dire que d'une certaine façon, c'est uniquement la femme autour de la quarantaine
15:37 qu'elle a incarnée à l'écran.
15:39 Parce que déjà, dans ces films des années 60,
15:41 à mon avis, ces personnages pourraient être joués par une femme de 40 ans, même si elle en a 30.
15:45 Notamment Muriel de Drené, où carrément elle est vieillie.
15:49 Mais même Marianne Badd, c'est une femme déjà qui est dans l'apogée de sa vie,
15:53 plus dans une sorte d'acmé.
15:55 Et le cinéma va avoir la cruauté de ne pas tellement s'intéresser à sa prise d'âge
16:00 et va la rejeter à partir de la cinquantaine.
16:03 - L'année dernière à Marianne Badd, Virginie Lapieux, c'est vraiment le succès mondial.
16:07 On est en 1960, si je ne dis pas de bêtises.
16:10 Elle a à peine 30 ans.
16:12 Quelle héroïne elle est dans ce film-là ?
16:16 - Déjà, c'est une héroïne qui n'a pas de nom.
16:18 Il y a quelque chose d'assez magnifique chez Céric,
16:20 c'est qu'elle a fait plusieurs fois des rôles où elle n'avait pas de nom.
16:23 C'est une émanation dans un sens très extraordinaire du terme.
16:28 Et c'est quelqu'un qui montre qu'elle accepte de tout faire,
16:32 avec à la fois son corps et son visage.
16:35 Donc il y a déjà des choses comme ça, des codes de ce qu'elle est qui vont être posés.
16:40 Et cette héroïne qui n'a pas de nom va incarner effectivement une femme.
16:46 Une femme qui n'a pas de problème de pouvoir d'achat,
16:49 comme certaines de ses autres rôles.
16:52 Et qui va donc se préoccuper d'un grand thème qui est le thème de l'amour fou.
16:56 L'amour fou pas toujours partagé, l'amour fou qui dérange et qui dévaste.
17:01 Et c'est un thème qu'elle incarne et qu'elle va incarner plusieurs fois de manière très respectable.
17:07 Parce que c'est un thème qui parfois peut être galvaudé comme pas assez important
17:11 par rapport à des grands films sur la guerre, sur des grands problèmes politiques ou géopolitiques.
17:16 Elle, elle restitue à l'amour fou sa noblesse et le fait que ça peut absolument tomber sur tout le monde,
17:23 comme la foudre. Et bien malin celui qui peut s'en sortir.
17:27 Et c'est exactement, en tout cas c'est une partie de ce qu'incarne l'année dernière à Marianne Bade.
17:33 C'est aussi l'idée que physiquement elle va incarner, moi je trouve que c'est la grande actrice des robes.
17:40 Pour le coup, elle va très très peu jouer en pantalon.
17:43 Mais non pas dans un côté machiste, c'est parce qu'elle sait qu'elle est belle en robe,
17:47 elle sait comment chalouper en robe.
17:49 Et elle l'utilise pleinement pour aussi à la fois mettre à distance, à la fois combattre, à la fois aimer.
17:55 Et puis c'est une grande actrice des parcs et jardins également.
17:58 Mais oui, c'est même je pense la plus grande actrice des parcs et jardins.
18:02 Et tous les jardins qu'elle va, comment dire, jalonner, dans lesquels elle va marcher tout au long de sa carrière de cinéma,
18:09 du jardin le plus minéral, qui est celui de l'année dernière à Marianne Bade,
18:14 au jardin le plus flou, qui est celui du jardin qui bascule,
18:18 vont donner des signes sur ce qu'elle vit, sur comment elle est et sur la féminité qu'elle incarne.
18:26 - Il y a ces 15 premières années de sa carrière, de Marianne Bade jusqu'au film avec Marguerite Duras, Cindy Hassang,
18:32 vous dites qu'elle apparaît, Jean-Marc Lalanne, comme une star.
18:36 C'est véritablement ce que vous venez de dire, Virginie Apiou, c'est-à-dire une icône ?
18:40 - Mais à ceci près qu'elle ne l'est pas au sens industriel du terme.
18:45 C'est-à-dire qu'elle n'a jamais été comme, disons, Brigitte Bardot ou même Catherine Deneuve ou Jeanne Moreau,
18:50 quelqu'un sur lequel on pouvait monter un film très char.
18:53 Elle n'a jamais été un des poumons économiques du cinéma français.
18:56 Elle n'a jamais été extrêmement populaire.
18:58 C'est-à-dire que même en 1970, il y a plein de gens qui ne savent pas qui est Delphine Sering,
19:01 parce qu'elle joue dans des films, ses films les plus populaires ont fait 1,5 million d'entrées, comme "Les Buts Noëls".
19:07 Mais par contre, à l'intérieur du film, elle est filmée comme une star,
19:10 comme la plus grande des stars, comme si elle était l'égale de Garbo ou de Dietrich.
19:13 Donc le cinéma moderne va faire à travers elle une espèce d'usage, de déconstruction du cinéma,
19:20 en la filmant comme une star, mais elle n'était pas réellement une star.
19:23 - Mais comment ça s'explique ? C'est parce qu'elle a beaucoup changé de style ?
19:27 Elle a beaucoup changé aussi, qu'elle a fait des choses extrêmement différentes ?
19:30 - Moi je pense qu'elle a fait des choses, effectivement, si on regarde bien sa filmographie,
19:34 des choses très très différentes, mais qui avaient quand même un point commun.
19:37 C'est un cheminement intérieur très particulier et qui n'est pas...
19:41 qui est presque à prendre ou à laisser.
19:44 C'est-à-dire que ce n'est pas quelque chose de populaire au sens, je dirais, au sens de la masse.
19:53 C'est-à-dire au sens d'un énorme public... - C'est pas grand public, c'est ça ?
19:56 - Non, où vous devez abandonner quand même certaines nuances,
19:59 si vous voulez aller sur quelque chose de très grand public.
20:02 Elle a infiniment de nuances dans son jeu, dans ses choix de comédienne, dans ses choix de personnage,
20:07 dans sa façon de parler et d'être, qui font que ça ne peut pas...
20:12 l'adhésion ne peut pas être massive et dans ce sens-là du populaire, on va dire.
20:17 - Et pourtant elle fait rêver, elle a des pouvoirs surnaturels, d'Empoe d'Âne, par exemple,
20:21 Jacques Demy qui lui offre cette baguette magique, en quelque sorte.
20:25 - Mais je pense qu'elle a très fortement suscité l'idolâtrie.
20:28 Enfin, nous-mêmes, nous l'idolâtrons.
20:30 Mais je pense que déjà, lorsque les films sortaient, les gens qui allaient voir ses films,
20:33 la considérait comme une star, je pense qu'elle suscite l'adoration.
20:37 Mais par les choix qu'elle a faits, parce que par exemple,
20:40 elle a refusé "La piscine" de Jacques Deray,
20:42 elle n'était pas très attirée par le cinéma extrêmement commercial,
20:46 parce qu'elle aimait trop l'innovation.
20:48 Et donc les films les plus populaires qu'elle a faits,
20:50 c'est quand même des films signés par Truffaut, Demy, Buñuel.
20:52 Elle n'est pas allée au-delà en termes de cinéma fédérateur.
20:55 Donc forcément, ça l'a coupé du très grand public, mais ça lui était parfaitement égal.
20:59 - Vous dites, Virginie Ampio, et vous avez lâché le mot tout à l'heure,
21:02 qu'elle est comme une apparition. Qu'est-ce que ça veut dire ?
21:05 - Ça veut dire, et c'est assez intéressant, c'est que dès qu'elle apparaît,
21:08 il n'a de cesse de dire "Ok, j'apparais, mais je vais tout de suite déconstruire",
21:12 pour reprendre un mot à Jean-Marc, "mais je vais tout de suite déconstruire ça".
21:17 C'est-à-dire que si elle apparaît en fée des Lilas, c'est pour dire des choses,
21:20 comme elle dira plus tard dans un autre film "Repérage", des choses toutes crues.
21:23 C'est-à-dire pour dire "Mon enfant n'épouse pas ses parents".
21:26 C'est-à-dire qu'elle n'est pas du tout évanescente dans ses propos.
21:30 Si elle peut paraître l'être visuellement, et après tout,
21:34 elle ne peut pas non plus se grimer pour apparaître moins belle, etc.
21:38 Ça n'aurait aucun sens pour elle.
21:40 Mais en revanche, tout ce qu'elle va dire, exactement comme le monologue chez Truffaut,
21:45 c'est-à-dire qu'elle explique comment elle est belle
21:48 et comment toutes les femmes peuvent être belles.
21:51 Toutes les femmes peuvent se maquiller, toutes les femmes ont un processus particulier
21:54 qui est lié à la réalité.
21:56 C'est une grande actrice, mine de rien, de la réalité.
22:00 Et elle n'arrête pas de le crier.
22:02 Elle le crie dans "Marianne Bade", elle le crie chez Duras,
22:04 qu'en fait, elle est réelle et qu'elle a des besoins réels, etc.
22:08 Elle le fera sans le crier, mais d'une manière beaucoup plus tranquille, etc.
22:14 chez Guy Gilles ou même chez Michel Souter et d'autres.
22:17 Donc c'est vraiment ça.
22:18 Ça veut dire, Jean-Marc Lelanne, qu'il y a déjà, dans sa façon de jouer,
22:23 dans sa façon de représenter, d'être une femme sur le grand écran,
22:27 l'image d'une femme libre qu'elle va ensuite défendre de manière plus militante, si on peut dire.
22:33 - Je pense que dans la première partie de sa carrière,
22:36 cette manière un peu emphatique de jouer des codes de la féminité,
22:41 c'est déjà une manière de montrer que la féminité, c'est une construction sociale.
22:46 Et ça, c'est... Elle est très très jeune, elle a lu Simone de Beauvoir,
22:49 et donc ça la travaille très fortement, cette idée qu'on ne naît pas femme et qu'on le devient.
22:54 Donc dans les années 60, elle montre ça.
22:56 Elle montre par l'emphase que la femme, c'est une fabrication.
23:01 Et dans la deuxième partie de sa carrière, avec Chantal Ackerman,
23:04 elle va aller beaucoup plus loin.
23:06 Elle va tuer ce personnage de dame qu'elle avait créé dans les années 60
23:10 pour l'amener vers autre chose.
23:12 - Vous nous parlez aussi de son corps, et notamment de ce film "Mr. Freedom",
23:17 où vous dites que son corps exulte dans un pamphlet contre la politique impérialiste américaine.
23:22 Elle incarne à ce moment-là une agente double, vêtue d'une sorte de combinaison à la Wonder Woman,
23:28 évidemment, où son corps est très mis en valeur.
23:31 C'est la première fois que son corps est à ce point utilisé ?
23:34 - Non, je pense que son corps, en fait, il a toujours été utilisé, habillé.
23:41 Elle a rarement joué nue, elle a joué un peu pour Duras.
23:45 On voit à un moment qu'un sein nu, elle est à terre,
23:49 et elle respire très très mal, c'est assez stupéfiant, c'est sidérant, c'est très beau.
23:55 Il y a un film de genre dans lequel elle se fait assassiner nue,
24:00 qui est assez aussi particulier.
24:03 Et puis dans "Mr. Freedom", elle joue avec ça en fait.
24:06 Elle joue tout le temps, mais comme elle joue avec, dès qu'on lui dit qu'elle est sublime
24:10 et forcément au-dessus des autres, etc., elle joue à déconstruire ça.
24:14 - J'emmarque.
24:15 - Oui, son corps, il n'avait pas été autant dévoilé avant "Mr. Freedom",
24:20 mais il est quand même très important.
24:22 Elle est soulevant filmée, ce n'est pas une actrice qui incite vraiment au gros plan.
24:26 Au contraire, les cinéastes la filment souvent de loin.
24:28 Et je pense que sa formation théâtrale fait qu'elle a une manière d'amplir l'espace,
24:32 de se tenir, il y a ce balancement du corps, dont parlait Virginie, qui est très important chez elle.
24:37 Donc le rapport entre le corps et l'espace est très important.
24:40 Elle a souvent été filmée de pied.
24:42 Et elle avait un corps qui était à la fois très beau, très athlétique,
24:45 qui étrangement a été finalement minoré par rapport à la voix.
24:49 Ce qu'on retient absolument chez elle, c'est sa voix, mais le corps est très important aussi.
24:53 - Je crois que depuis un moment, je me permets de vous arrêter un tout petit instant,
24:57 depuis un moment, on fait savoir que Delphine Séric veut intervenir.
25:00 - Oui, moi je sens que je ne vais pas beaucoup avoir l'occasion de parler,
25:03 parce qu'évidemment, je suis là dans un studio à part,
25:07 donc je vais dire simplement ce que j'ai à dire maintenant,
25:09 parce que je sens que je n'arriverai plus à placer un mot.
25:12 On a de nouveau parlé de traumatisme. Je dis qu'il est plus traumatisant,
25:15 et toutes les femmes le savent, d'élever des enfants que d'avorter.
25:19 Un avortement fait sciemment, délicatement,
25:23 et je ne sais plus qui a dit tout à l'heure, je ne sais plus parce qu'on ne va pas laisser parler,
25:27 a dit qu'il s'agissait de cas particuliers. En effet, il s'agit de cas particuliers.
25:31 Chaque femme doit se faire avorter dans les conditions qu'elle souhaite.
25:35 - La voix de Delphine Séric en 1972, quand elle est l'invité surprise,
25:39 c'est comme ça qu'on appelait du talk show actuel de, avec Jean-Pierre Elgabache,
25:44 talk show consacré à l'avortement. Jean-Marc Lalanne, vous nous racontez ce 13 octobre,
25:49 elle n'a pas sa langue dans sa bouche, et elle veut effectivement s'engager sur ce terrain-là,
25:55 et là, sur le plateau, elle sèche tout le monde.
25:58 - Déjà, elle remet en cause le dispositif de l'émission,
26:01 puisque ce dispositif de l'invité surprise fait qu'elle est isolée sur un autre plateau,
26:05 donc mise à l'écart, ghettoisée, et que sur le plateau principal, il n'y a presque que des hommes,
26:11 et des hommes qui sont plutôt contre la légalisation de l'IVG.
26:16 Donc, elle va vraiment mettre en cause le système de la télévision, son idéologie,
26:22 et elle le fait avec une colère, un emportement qui sont vraiment saisissants.
26:27 Mais quand on le réécoute aujourd'hui, on est aussi frappé par la limpidité de ce qu'elle dit,
26:32 on a l'impression qu'elle fout droit ses interlocuteurs, à quel point c'est censé ce qu'elle dit.
26:37 - Qui ne comprennent pas d'ailleurs pourquoi une femme prend cette position,
26:40 et pourquoi elle dit que des femmes sont responsables et font ce qu'elles veulent,
26:42 on est dans un autre monde, Génie-Actual.
26:44 - Oui, on voit qu'on vient de loin, que les choses ne se sont toujours pas gagnées d'une certaine manière,
26:49 mais on voit aussi son courage, puisqu'elle est seule, en plus, elle est isolée,
26:54 on ne voit pas vraiment les intervenants, et à un moment donné,
26:57 il parle de sexualité vagabonde des femmes, ce qui est quand même hallucinant de jugement,
27:03 et sur lequel elle revient, et on voit qu'elle a effectivement, sur l'archive,
27:08 elle les joue en feu de dire "mais c'est impossible".
27:11 Et une chose à laquelle elle faisait très attention, c'est d'être en colère,
27:15 mais que cette colère ne soit pas jugée comme de l'hystérie.
27:18 C'était pour elle extrêmement important, c'est-à-dire de faire naître une militance
27:22 qui était vraiment tellement juste, mais une militance qui, revêtue par des femmes,
27:28 elle disait "on est tout de suite cataloguées comme des filles chiantes", etc.
27:33 Et là-dessus, elle a beaucoup, beaucoup travaillé.
27:35 - Vous racontez qu'elle a évidemment participé à la marche des femmes,
27:38 c'était à Paris, quelques mois plus tôt, en mars 71, et d'ailleurs dans le monde entier,
27:42 vous écrivez "ce jour-là Delphine est très en colère, et encore plus,
27:46 elle est survoltée, déterminée, inarrêtable, elle réclame pour les femmes l'autonomie,
27:50 le droit de disposer de leur corps, comme un peuple colonisé vient signifier
27:53 l'obscénité de leur pouvoir à ses colonisateurs, qui avec beaucoup de paternalisme
27:57 et de condescendance décident de tout pour lui, pour elle.
28:00 Delphine agit, elle prête son appartement pour celles qui le veulent,
28:04 pour celles qui le veulent puissent avorter, et elle multiplie les prises de parole.
28:08 Il faut que les femmes se mettent à écrire, ou à filmer, ajoutez-vous.
28:12 Il y a un basculement dans les années 70, où elle dit "ça suffit, il n'y a que les hommes
28:18 au cinéma qui représentent les femmes, il faut que ça change".
28:21 - Oui, c'est vraiment quelque chose qui est très important, parce que même,
28:24 ce qui était très délicat aussi, c'est que même certains hommes qui voulaient aider les femmes
28:30 ne le faisaient pas sans un certain paternalisme.
28:33 Donc il fallait triplement, quadruplement, enfin bref, se faire comprendre,
28:37 il fallait montrer qui on était, et surtout pourquoi les femmes devaient être absolument
28:43 l'égal des hommes, y compris dans la création, ce qu'on voit beaucoup dans ce rébel et tétois,
28:47 ce qu'on entend beaucoup dans ce rébel et tétois d'ailleurs.
28:50 - Il y a des films, vous en citez trois, j'en marque la laine, qui marquent justement
28:54 ce mouvement d'agir aussi dans le milieu du cinéma.
29:00 - Oui, longtemps elle s'est plaint de ne l'avoir tourné qu'avec des oeufs,
29:04 et tout à coup arrivent trois propositions qui sont Jeanne Dillman, de Chantal Ackerman,
29:10 India Song de Duras, et un troisième film un peu moins connu mais très intéressant
29:14 qui s'appelle Aloïs, du lien de Kamadech, et ça va être une révélation,
29:18 les trois films sont présentés au Festival de Cannes en 1975, et tout à coup,
29:22 elle peut incarner des destins de femmes qui ensemble montrent toute la diversité
29:28 de ce que ça peut être la vie d'une femme au XXe siècle, grosso modo.
29:32 - Les trois films dessinent, écrivez-vous, une condition identique à ces trois figures féminines,
29:36 celle de l'aliénation, et au-delà de ces cas particuliers font de cet asservissement
29:40 un spécial réservé aux femmes, leur condition, aucune des trois n'a de vie professionnelle.
29:44 - Oui, ces trois figures d'enfermement, Jeanne Dillman, Anne-Marie Schrechter,
29:49 India Song et Aloïs, ces trois femmes qui sont assignées,
29:53 et Delphine Serig part des jeux extrêmement différents, c'est-à-dire qu'elle est vraiment,
29:57 elle compose de manière très spécifique chaque figure, mais elle montre comment
30:03 toute femme est en lutte avec la tentation de la société et des hommes de l'enfermer.
30:09 - D'ailleurs, c'est vous qui le disiez tout à l'heure au début de l'émission, Jean-Marc Lalanne,
30:13 Jeanne Dillman de Chantal Ackermann, c'est le film peut-être qu'on retient aujourd'hui,
30:18 Virginie Apieu, vous aussi, c'est celui peut-être qui vous marque le plus ?
30:22 - C'est évidemment le grand film de Delphine Serig, après, je trouve qu'il y en a d'autres,
30:31 je trouve que le personnage d'Hélène qu'elle incarne dans Muriel est absolument incroyable,
30:36 justement pour montrer à quel point les femmes essayent de se débattre,
30:41 essayent comme elles peuvent d'exister au prix de plein de petits efforts, etc.
30:46 Jeanne Dillman est absolument remarquable, parce qu'évidemment que sur la durée,
30:50 on se rend compte de tellement de choses.
30:52 Ackermann, en fait, c'est l'association des deux, Ackermann et Delphine Serig,
30:57 ça fait quelque chose d'inouï, d'inouï autour du ménage, d'inouï autour de la vie ménagère,
31:04 même quand vous êtes dehors, vous êtes quand même dans un couloir, les rues sont des couloirs.
31:08 Alors ces graphiques, d'une certaine manière, ça peut endormir, ça peut endormir Jeanne et tout,
31:13 jusqu'à un moment où la vie doit arriver, la vie nous traverse.
31:18 Et je pense que le temps des femmes, à ce moment-là, c'était la vie doit aussi nous traverser.
31:24 Et c'est vrai que là-dessus, Jeanne Dillman est absolument remarquable,
31:27 remarquable aussi dans la façon dont il y a pratiquement très peu de dialogues,
31:32 que les scènes qui sont dialoguées sont absolument primordiales,
31:35 et que les dialogues que Jeanne Dillman et que Serig a avec le film,
31:40 ce sont des dialogues avec les bruits, les bruits des portes, les bruits des pas,
31:45 les bruits des choses ménagères qu'on dépiote, les bruits des lumières qu'on allume ou qu'on éteint.
31:53 Et tout ça forme un dialogue qui est à la fois extrêmement séduisant,
31:59 parce que le son là-dessus, à Carmen, était génial, parce que le son est une très très grande séduction,
32:04 c'est ce qu'elle a compris aussi de Bresson, tout ça.
32:06 Mais cette séduction, cette séduction est un piège.
32:09 Et c'est vraiment très très intéressant de voir à quel point Dillman est dans ce piège-là,
32:14 et à quel point ce sont des femmes qu'il faut non pas réveiller, mais éveiller.
32:18 Et c'est des femmes auxquelles il faut penser, et des femmes, on ne dira pas que ce sont des apparitions,
32:24 c'est plutôt des femmes de la disparition, et c'est ça qui est vraiment primordial.
32:28 - Des femmes qu'il faut éveiller et des femmes qu'il faut écouter.
32:32 Et là c'est pour terminer évidemment les films qu'elle a elle-même réalisés.
32:35 Jean-Marc Ladanne, "Sois belle et tais-toi", donc un documentaire où elle fait parler des femmes,
32:42 de ce métier d'actrice, et évidemment aujourd'hui ça nous parle encore plus.
32:46 - Oui, elle s'adresse à 23 actrices, américaines, françaises, canadiennes, il y a 6 nationalités,
32:52 il y a toutes les tranches d'âge, il y a une actrice racisée, afro-américaine,
32:59 et elle leur pose un questionnaire très simple.
33:02 Elle leur demande par exemple si dans leur carrière, elles ont eu l'occasion de jouer une scène de complicité
33:06 entre deux actrices, ou sinon, elles ont plutôt joué que la rivalité,
33:10 et toutes répondent qu'elles n'ont joué que la rivalité.
33:12 Et donc elle va mettre en relief quels sont les stéréotypes associés aux personnages féminins dans le cinéma mondial.
33:19 Et ce qui est très beau dans le film, c'est que ces actrices, on leur a jamais posé ces questions,
33:23 il y a vraiment une libération de la parole, vraiment c'est le terme qui s'impose quand on voit le film.
33:28 Tout à coup, elles ont des tonnes de choses à dire, sur des sentiments qu'elles n'ont jamais pu exprimer,
33:33 et Delphine Sering n'apparaît pas dans le film, elle est juste là comme une instance d'écoute,
33:37 et c'est vraiment très beau.
33:38 - A voir et à revoir, puisqu'il a été réédité, et il est sorti en salle d'ailleurs au début d'année,
33:44 "Sois belle et tais-toi", merci à tous les deux d'être venus nous parler,
33:47 Delphine Sering, Jean-Marc Lalanne, "Delphine Sering en construction" chez Capricci,
33:52 c'est à découvrir évidemment, et pour vous Virginie Apieu, votre livre d'après Delphine Sering chez Actesud,
33:59 et je rappelle que jusqu'au 30 juin prochain, vous pouvez découvrir à l'Institut Lumière de Lyon,
34:04 la rétrospective "Delphine Sering, la discrète insoumise".
34:07 Merci à tous les deux.
34:08 - Merci beaucoup.