• l’année dernière
Transcription
00:00 C'est l'heure de la seconde partie des Midis de culture, c'est l'heure de la rencontre.
00:03 *Midi de culture, Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoir*
00:09 Place à la rencontre. Aujourd'hui, notre invitée est actrice.
00:13 Vous l'avez forcément déjà vue sur les écrans.
00:15 Immédiatement reconnaissable, mais capable de passer d'une époque à l'autre, d'une peau à l'autre.
00:20 De l'aristocratie à la comtesse de Ségur, à une piste de danse des années 80,
00:25 de femmes de ménage dans un hôtel à côté de l'aéroport de Roissy,
00:27 à jeunes philosophes missionnés pour stimuler intellectuellement le maire de Lyon.
00:32 Mercredi prochain, vous la découvrirez dans la peau de Madeleine,
00:35 dans le dernier film de Cattel Chilivéré, "Le temps d'aimer".
00:38 *Anaïs Demoussier, bonjour* Bonjour.
00:40 *Bienvenue dans les Midis de culture* Merci.
00:42 Alors j'ai essayé de... J'ai voulu caractériser le personnage de Madeleine
00:47 que vous interprétez donc dans ce film de Cattel Chilivéré.
00:50 C'est quelque chose qu'on peut faire pour la plupart de vos rôles.
00:52 On peut dire que ce sont des amoureuses, on peut dire une philosophe.
00:55 Mais pour le rôle de Madeleine, c'est plus difficile.
00:58 Comment vous la décririez-vous Anaïs Demoussier ?
01:00 C'est vrai que c'est difficile parce que c'est un rôle qui est magnifique,
01:04 parce qu'il se déploie sur plusieurs années.
01:06 Donc on suit, c'est vrai, un personnage... On suit ce personnage de Madeleine très longtemps.
01:11 *30 ans à peu près, on va dire* A peu près, ouais, une vingtaine d'années, quoi.
01:14 Une grosse vingtaine d'années.
01:15 Et moi, je dirais qu'avant tout, c'est une femme très forte,
01:20 qui reste vaillante malgré les épreuves.
01:23 Il y a une épreuve qui est une très forte humiliation au début de sa vie
01:26 parce qu'elle est tondue à la libération, parce qu'elle a eu un enfant avec un soldat allemand.
01:30 *Donc ça on peut le dire déjà, de ce film*
01:31 Ça on peut le dire. Ce sont les premières images du film, donc je pense qu'on ne spoil rien.
01:35 *Parce que j'ai peur de spoiler d'autres choses du film, vous m'arrêtez tout de suite en me faisant un geste*
01:39 Je fais des grands gestes, aucun problème.
01:42 Là, je ne m'insurge pas, on peut le dire.
01:43 En fait, ce que c'est très important, disons,
01:45 parce que je dirais que c'est le point de départ du personnage,
01:48 c'est le point d'entrée dans le film, déjà pour les spectateurs.
01:50 Le film commence avec des images d'archives de femmes tondues à la libération
01:54 et puis le lien se fait des images d'archives à des images de moi,
02:00 jeune femme qui a été tondue.
02:02 C'est comme ça qu'on rentre dans l'intimité du personnage et dans la fiction.
02:05 Et je dirais que le point de départ du personnage, c'est ça,
02:08 c'est cette honte profonde, cette humiliation, cette blessure.
02:11 Et à partir de ce moment-là, elle va puiser une force immense en elle et s'en sortir,
02:17 et ne pas du tout rester une éternelle victime, au contraire.
02:21 - Donc, on la découvre aussi serveuse, c'est comme ça qu'elle rencontre François,
02:24 ça aussi, je peux le dire, interprété par Vincent Lacoste,
02:28 qui lui est un étudiant un petit peu oisif, en tout cas bourgeois,
02:33 pas du tout le même milieu social.
02:35 On la découvre amoureuse et puis on la suit.
02:38 On la découvre aussi mère et ça, c'est vraiment un des grands aspects du film,
02:43 sa relation à la fois avec François et avec son fils.
02:46 - Donc effectivement, ce personnage-là, on pourrait dire que c'est la vie d'une femme ?
02:50 - Complètement, c'est la première fois que j'ai joué un rôle qui a une telle densité.
02:56 J'ai vraiment eu l'impression d'avoir eu la chance de parcourir vraiment
03:00 toute la vie d'une femme dans toutes ses dimensions.
03:02 C'est-à-dire, en effet, la jeune fille, la mente, la mère,
03:06 c'est un rôle très, très complet qui, je trouve, rend grâce à la variété de nos vies de femmes
03:12 et à nos multiples visages.
03:15 - D'où cette impossibilité de l'enfermer juste dans un rôle ou dans une carte.
03:19 - Exactement, c'est absolument pas un rôle clichesque.
03:22 C'est impossible à réduire comme ça.
03:24 C'est vraiment un parcours de vie.
03:26 - On va tout de suite écouter la bande-annonce.
03:28 - Daniel !
03:29 - Merci beaucoup.
03:35 - Y'a pas de quoi.
03:36 - Je vais pas lui partir. Merci.
03:38 - Sois sage.
03:43 - Depuis la dernière fois, j'ai pas arrêté de penser à vous.
03:45 Je me suis jamais senti aussi bien avec quelqu'un.
03:51 Vous l'aimiez, la part de Daniel ?
03:56 - En fait, ça n'a pas duré longtemps.
03:58 - Comment on va faire pour retrouver si je change d'ami ?
04:03 - Daniel !
04:04 - Pourquoi tu fais ça ?
04:06 Mon rêve, c'est de travailler dans un dancing.
04:12 - J'adore voir les gens danser, s'amuser.
04:14 - Maman, je peux y aller où m'en veux ?
04:16 - Non, tu ne le réaliseras pas.
04:17 - Laisse-nous y dire.
04:18 - Je te dis quand même.
04:19 - Sous-tuer par Daniel.
04:25 - Qu'est-ce que tu veux que je lui dise ?
04:27 - Je sais que c'est toi, Rolamoi.
04:33 - Je sais que c'est lui, mon pote !
04:34 - T'en fous, c'est pas une femme que t'as épousée, c'était une couverture.
04:37 - Moi, j'ai pas été ta couverture, moi !
04:38 - Daniel, arrête-toi !
04:41 - C'est quoi son nom ?
04:42 - Ton seul père, c'est François, c'est lui qui t'a élevé.
04:45 - Dis-moi son nom !
04:46 - Je ne te connais pas, en fait.
04:49 - Est-ce que c'est vrai tout ça ?
04:50 - Nous deux.
04:51 - Je suis sûr d'une chose, c'est que je suis pas heureux sans toi.
04:54 - Bande-annonce du film "Le temps d'aimer" de Cattel, qui sort mercredi prochain avec vous, Annelies Desmoussiers,
05:03 dans le rôle de Madeleine, Vincent Lacoste dans le rôle de François,
05:06 et Paul Beaurepère dans le rôle de Daniel, votre fils, mais quand il est plus âgé.
05:10 Alors, on l'a dit, le synopsis, c'est la rencontre entre Madeleine et François,
05:15 mais on peut se tromper en pensant que ce film porte uniquement sur l'amour entre ces deux personnes,
05:21 dont le milieu social est complètement opposé.
05:23 - C'est-à-dire que le film raconte d'autres choses que ça, vous voulez dire ?
05:26 - Oui, c'est pas un film romantique sur uniquement cette histoire qui les lie.
05:32 En tout cas, c'est pas une histoire d'amour seulement avec des milieux opposés, et contre tout, ils s'aimeraient.
05:36 - Oui, il y a ça, évidemment. C'est vrai que ce sont deux personnages qui se rencontrent sur une plage.
05:41 On sent que ce sont deux personnages qui ont eu une forme de blessure.
05:44 La blessure de Madeleine, on en a parlé. François, on en a eu une autre.
05:48 Ils portent une sorte de secret, et je pense que mon personnage décèle chez François un secret,
05:53 une honte un peu commune à la sienne, et à partir de cette rencontre,
05:58 va naître une très très grande histoire d'amour.
06:01 Mais c'est vrai que c'est une histoire complexe. Ils apprennent à grandir ensemble, à se sauver l'un l'autre.
06:09 Et le couple, le lieu du couple, moi ce que je trouve très beau dans ce film,
06:12 c'est que l'endroit du couple devient l'endroit de leur liberté.
06:14 C'est-à-dire que la société les empêche d'être pleinement ce qu'ils sont, les rejette d'une certaine manière.
06:21 Ils sont tous les deux un peu marginaux, et c'est à l'intérieur du couple qu'ils réussissent à être eux-mêmes,
06:26 à travers le regard de l'autre, sa tolérance. Et ils inventent une façon d'être ensemble
06:31 qui raconte, je trouve, à quel point les couples sont complexes,
06:34 à quel point deux personnes qui décident de vivre ensemble, c'est une multitude de choses.
06:38 C'est du désir, certes, mais c'est aussi une forme de fraternité, d'amitié.
06:43 Il y a une solidarité profonde entre ces deux personnages qui est très belle, je trouve.
06:46 C'est un film qui fonctionne par ellipse, on les suit vraiment sur plusieurs années,
06:50 et on apprend à voir aussi à quel point parfois un déplacement géographique,
06:54 c'est un déplacement intime. Il y a vraiment plusieurs pactes de nouveaux départs à chaque fois entre eux.
07:01 Ce film, c'est vrai, raconte, je trouve, quand même une très belle histoire d'amour, avec multiples facettes.
07:08 Mais si je vous dis ça, Annelise de Moussier, c'est parce qu'il y a quand même ce troisième personnage,
07:12 qui est le personnage de Daniel, qui est donc le fils de Madeleine,
07:17 et qui aussi va construire une relation avec sa mère, en même temps que sa mère construit une relation
07:21 avec François qui n'est pas son père. Et je trouve que c'est presque l'histoire,
07:26 ce n'est pas pour dévaloriser l'histoire, c'est la très belle histoire d'amour entre François et Madeleine,
07:30 mais c'est presque ce qui se joue entre la mère et le fils, qui est aussi déroutant.
07:35 Voir des personnages que tout oppose, dont les conditions les opposent, des secrets les rallient,
07:41 c'est peut-être plus connu. Mais voir un rôle de mère comme ça avec son fils, c'est plus inattendu.
07:48 - Est-ce que vous pourriez nous dire comment est cette mère justement ?
07:51 - Je suis d'accord avec vous, c'est un des aspects du film que je préfère aussi,
07:54 qui m'intéresse beaucoup en tant que spectatrice et qui me touche énormément.
07:58 Je suis toujours très émue par ce rapport entre Madeleine et Daniel.
08:02 Au départ, c'est une mère qui déjà échappe aux mères qu'on a l'habitude de voir au cinéma,
08:08 parce que c'est une mère qui a du mal à aimer son fils, qui a du mal à faire preuve de tendresse.
08:12 Cet enfant lui rappelle en permanence cette honte, cette humiliation qu'elle a eue quand elle a été tendue.
08:18 C'est le fils d'un officier allemand, on imagine qu'elle ne l'a dit à personne, à part à François.
08:23 C'est de là que naît leur histoire d'amour, mais c'est quelque chose qu'elle cache.
08:26 Donc elle a du mal à être dans la vérité avec cet enfant et il y a une forme de colère envers lui.
08:31 Et donc déjà ça c'est inédit, en tout cas on voit très peu de mauvaises mères aussi.
08:37 - C'est tout de suite des films à prétention sociale, presque documentaires.
08:43 - Oui, elle ne s'apesantit pas là-dessus, mais en tout cas c'est sûr que c'est là.
08:47 Ce n'est pas une mère idéale.
08:49 Et le temps du film, je trouve, le temps d'aimer, c'est le temps pour Madeleine d'aimer son fils.
08:54 C'est-à-dire le temps pour elle d'accepter de dire la vérité à Daniel,
08:59 de lui donner l'identité de son père pour qu'il puisse éventuellement aller le chercher, le trouver.
09:04 C'est une des thématiques qui me plaît beaucoup,
09:08 parce que je pense qu'en fait finalement le trajet pour aimer son enfant,
09:13 c'est quand même le trajet vers une forme de vérité.
09:15 Les familles ont toutes des secrets, en permanence il y a des choses qui sont mal dites.
09:19 On a tendance à idéaliser la vie des enfants, leur venue au monde pour les rassurer.
09:24 - Nous aussi on fait une histoire d'ailleurs.
09:26 - Complètement, tout est fiction, le couple, la famille, la naissance.
09:30 Et en fait, là, lui, vraiment cet enfant, ce personnage du fils, c'est génial
09:34 parce qu'en permanence il la ramène à la réalité, il la ramène à une forme de vérité.
09:38 Il l'oblige à s'accepter telle qu'elle est, il l'oblige à être en accord avec ce qu'elle a vécu.
09:45 - Oui, mais ce qui est terrible, c'est qu'il est face à un mur.
09:50 Vraiment, sa mère est un mur. J'ai trouvé ça terrible.
09:55 Je pense qu'en plus quand on est mère, il y a quand même quelque chose où on a envie de dire à Madeleine
09:59 "Mais tu vas lui faire un bisou avant de dormir ?"
10:01 - Elle est très sèche, c'est très dur.
10:03 - Elle est très sèche. Bon, il s'approche de la mère pour se baigner.
10:08 C'est comme ça qu'elle rencontre d'ailleurs François qui va sauver son fils qui se rapproche,
10:12 le fils de Madeleine qui se rapproche de l'eau pour pas qu'il se noie.
10:15 Elle le dispute, bon, une mère qui dispute son enfant, ça arrive.
10:18 Mais là c'est presque du dédain, du mépris.
10:22 Et ça, je ne sais pas comment on arrive, alors c'est votre métier d'être actrice,
10:27 de jouer ça, de jouer la sécheresse alors que spontanément il y a quelque chose d'autre
10:31 qu'on aimerait montrer ou incarner, c'est difficile.
10:34 - Oui, c'est difficile, c'est vrai.
10:36 Et moi-même, je pense que je suis aussi bien encombrée de toutes les normes sociales
10:41 parce que c'est vrai que j'avais du mal à être dure comme ça avec cet enfant.
10:45 Je trouvais que c'était beaucoup.
10:47 Je le disais à Cather, je me disais "Mais là, je suis très très froide".
10:50 Et elle m'a poussée...
10:52 - Elle faisait soit plus sèche, soit plus dure.
10:54 - Elle a réussi à être fidèle à ce qui était écrit et je pense qu'elle a eu raison.
10:57 Parce que c'est pour ça que le film est si émouvant, je trouve, à la fin.
11:00 C'est parce qu'il y a un trajet, il y a une évolution.
11:02 Et puis vous dites "c'est un mur", mais je pense qu'en effet c'est une immense forteresse
11:06 qui est créée et qui est à la mesure de l'immense souffrance qui a eu lieu au moment
11:11 de la grossesse.
11:13 C'est une chose qui est très profondément ancrée en elle et je pense qu'elle aimerait...
11:17 Je ne pense pas qu'il y ait un défaut d'amour, je pense qu'elle aime cet enfant.
11:19 - Ah oui ?
11:20 - Ah oui, oui, j'en suis convaincue.
11:21 Je pense simplement que le mensonge dans lequel elle est, l'indicible, crée un frottement
11:27 qui fait qu'elle ne peut pas être en totale sérénité avec lui.
11:31 - Ah, vous diriez qu'elle l'aime ?
11:33 - Ah oui, j'en suis sûre.
11:34 Elle ne l'a pas abandonné déjà.
11:35 Il y a plein de femmes à l'époque qui abandonnaient leurs enfants.
11:38 Elle, elle ne l'a pas abandonné.
11:39 - Oui, mais c'est une femme très droite aussi.
11:41 On peut faire la psychologie de Madeleine, j'imagine que vous l'avez beaucoup psychologisé,
11:44 vous, Annelise de Moustier.
11:46 Moi, je ne la vois pas aimant son enfant, je la vois apprenant à l'aimer, mais pas
11:51 à l'aimer comme ça.
11:52 Je ne la vois pas comme mère aimante.
11:53 Il y a quelque chose de l'ordre de l'instinct maternel qui parfois dépasse ce moment-là,
11:59 c'est-à-dire dépasse le mur.
12:01 Et il n'y a rien chez elle qui ne laisse transparer de ça.
12:05 - En tout cas, je me suis raconté qu'elle l'aimait, mais qu'elle n'arrivait pas à
12:08 lui dire.
12:09 - Vous avez parlé des…
12:11 Moi, j'ai dit que c'était un mur, ce personnage de Madeleine.
12:14 Il y a tout un ensemble de silence.
12:16 Autant elle peut parler avec François, elle va mettre des mots sur leur relation, elle
12:21 va lui dire qu'elle ne sait pas qui il est, mais ils vont pouvoir quand même évoquer
12:25 des choses tranquillement.
12:26 Mais il y a aussi tout ce moment de silence qui fait suite à l'humiliation, au fait
12:30 qu'elle ait été tendue.
12:32 Comment on joue le silence et l'humiliation qui perdurent comme ça ? À travers des scènes
12:37 parfois banales, de servir un verre d'eau, je pense à des scènes du quotidien.
12:41 - C'est vrai que j'ai toujours eu en tête cette humiliation de base pour le personnage
12:51 pendant tout le tournage.
12:52 Je me disais que c'était vraiment un marqueur de son histoire et qu'il fallait que je
12:55 l'ai en tête.
12:56 Mais en même temps, je trouve que souvent, chez les gens qui ont vécu des grands drames,
13:01 il y a une très grande vitalité, une espèce de dignité, une force.
13:06 Je me suis dit que c'était une femme qui prenait les choses avec courage et qui n'était
13:15 pas du tout complaisante.
13:16 Elle est dans l'action, elle a sept enfants, elle doit s'en occuper.
13:19 Elle doit s'en occuper et en même temps, elle doit travailler.
13:22 Elle fait un métier physique puisqu'elle est serveuse.
13:24 - De nuit ?
13:25 - De nuit.
13:26 Je me suis dit qu'en fait, elle est de nuit et de jour.
13:28 Au début, c'est de jour quand même, quand elle est dans l'hôtel printanial.
13:31 - Mais c'est quand même le soir.
13:32 Elle le met au lit.
13:33 - Oui, c'est vrai.
13:34 Elle le couche.
13:35 - C'est quand même le soir, évidemment.
13:36 - C'est ce que je l'ai vu plus récemment que vous, peut-être le film, mais vous êtes
13:40 beaucoup plus au taquet.
13:41 Je ne sais pas, je me suis dit qu'elle avance, elle est forte, elle avance, elle est droite.
13:48 Et c'est cette rencontre avec François qui va à un moment l'arrêter et lui, tout
13:52 à coup, l'amener à se livrer.
13:54 On ne sait pas pourquoi, tout à coup, quand les histoires d'amour commencent, souvent
13:57 il y a une espèce d'élan vers la confidence et c'est ça qui les lie et qui l'arrête un peu.
14:03 - Vous voulez dire qu'elle est en mode survie un peu jusqu'au moment où il y a cette rencontre
14:07 et là, elle va peut-être se demander ce qui lui est arrivé et comment sortir de ce traumatisme aussi ?
14:13 - Ah oui, je pense qu'elle est vraiment en survie, qu'elle est persuadée qu'elle est
14:17 impossible à aimer, qu'elle n'a pas le droit au bonheur, qu'elle ne pourra jamais être aimée
14:22 puisque de toute façon, elle est indigne aux yeux de tous, qu'elle ne sera jamais dans
14:26 un rapport de vérité avec quelqu'un puisqu'elle doit cacher l'origine de cet enfant.
14:30 Donc oui, je pense qu'elle survit et elle a du mal à faire avec elle-même et avec cet enfant.
14:36 Et tout à coup, le regard d'un homme qui entend son secret et qui lui dit "pour moi, ça ne change rien",
14:42 ça va être le départ d'une grande histoire d'amour, d'une grande acceptation d'elle-même et de lui.
14:49 - Vous avez parlé du titre, Annelies de Moussier, vous avez incité sur le terme "le temps d'aimer son fils".
14:56 Le titre, c'est "le temps d'aimer", c'est ça aussi qui peut prêter, c'est-à-dire que quand on voit la rencontre
15:01 entre vous, entre Madeleine, que vous interprétez Annelies de Moussier, et François, on a l'impression
15:09 que c'est après la guerre, il y a le temps d'aimer. Mais en fait, le temps a plusieurs sens dans ce film.
15:14 C'est-à-dire le temps de se reconstruire, le temps de l'après-guerre évidemment, mais aussi le temps très subjectif
15:19 du pardon, du fait de se pardonner elle-même. - Exactement. Oui, oui, c'est vraiment...
15:23 - Mais j'ai tout dit alors ! - Non mais c'est vrai, vous avez tout dit.
15:26 C'est le temps pour, je pense, pour Madeleine de s'aimer, de s'accepter, d'aimer son fils, en tout cas de lui dire son amour,
15:35 en lui donnant accès à sa vérité. Le temps d'aimer François dans la durée, parce que c'est vraiment, comme je le disais,
15:41 un couple qui se déploie. Et donc on a le temps de voir ce que c'est qu'un couple qui dure, ce que ça implique,
15:47 et les changements de vie aussi. - Les déménagements. - Voilà, les changements de lieu, et puis tout à coup,
15:54 ils rentrent dans un mode de vie un peu bourgeois à la fin. - Complètement !
15:56 - Elle est au départ une femme très modeste qui bosse dans un hôtel sur une plage, et à la fin, elle est...
16:00 - Bourgeoise du 8e ! - Bourgeoise à Paris, voilà. Et les trajets des gens sont comme ça.
16:05 Il y a quand même souvent, quand les gens racontent leur vie, c'est passionnant, parce qu'en fait, il y a plusieurs époques dans les vies des gens.
16:12 Et ce film-là nous montre ça, nous permet de traverser comme ça la vie de ce couple.
16:17 - Et vous-même, quand vous avez travaillé le rôle Anaïs Omoussié, on l'a dit, sur plusieurs années, un peu plus de 20 ans,
16:24 vous vous êtes attachée à des transformations psychologiques. Vous dire, bon là, j'imagine que maintenant mon fils a 18 ans,
16:33 dans quel état je vais être, comment je lui parle, comment je bois ce verre d'eau ?
16:37 Parce que j'enseigne cette scène qui est assez frappante où elle boit un verre d'eau. Normalement, elle boit un petit peu du vin,
16:42 à un moment donné de sa vie, et là, elle est repassée à l'eau. Et donc, elle est vraiment en train de boire un verre d'eau,
16:48 elle est presque devenue neutre, d'une certaine manière.
16:50 - Oui, oui. En fait, j'avais un peu d'appréhension par rapport à ce temps qui passe. Je trouve toujours que ça...
16:58 En tout cas, en tant que spectatrice, parfois, moi, on me perd quand le temps passe au cinéma.
17:02 Tout à coup, il y a une ellipse qui est mal gérée. Je me dis, ah non, mais l'enfant, il était beaucoup mieux avant.
17:06 Ce changement de comédien me fait complètement sortir du film. Ou alors, qu'est-ce que c'est que cette actrice ridicule avec sa perruque,
17:12 qui prend une voix de vieille dame. - Et puis, comme si deux, trois cheveux blancs pouvaient suffire.
17:15 - Voilà. Parfois, c'était vraiment très difficile à réussir, je trouve. Donc, je me suis dit, bon, en fait, le scénario est extrêmement bien construit,
17:22 vraiment en cas de tels qu'il y avait. Et Gilles Torrent avait fait un travail génial. Donc, en fait, j'avais une grande confiance dans le scénario.
17:28 Et je me suis dit, après, il y a une histoire d'incarnation. On est extrêmement bien aidés par les choix de direction artistique de Cattel,
17:35 qui s'entoure très bien avec des techniciens super. Je pense à Rachel Raoult, qui fait les costumes, qui nous avait vraiment...
17:41 Enfin, qui a fait un travail génial pour la traversée des époques. Et donc, au départ, j'ai une espèce de figure comme ça de jeune fille.
17:47 Puis après, quand on part à Châteauroux, elle devient beaucoup plus femme, beaucoup plus sensuelle. Et puis, à la fin, en effet, cette femme bourgeoise.
17:53 Tout ça, ça dessine quand même les personnages et les coiffures, le maquillage. Donc, on est aidés déjà visuellement.
18:00 Et je me suis dit qu'il fallait que je fasse un travail très subtil, presque imperceptible, en fait, dans l'interprétation pour que le temps passe.
18:07 Et je ne sais pas pourquoi, je me suis dit que ça passait par le ralentissement. J'ai une tendance à aller très vite dans la vie. Je parle vite.
18:14 J'ai une énergie nerveuse, disons. Et j'avais l'impression que la maturité de Madeleine pouvait passer par une forme de calme, de ralentissement.
18:23 Et que ça allait pour moi avec l'espèce de tranquillité à laquelle elle accède à travers le temps du film. Donc, j'ai essayé de ralentir.
18:33 - D'où le fait que j'ai bien vu ce verre d'eau que vous buviez deux fois, peut-être.
18:38 - En fait, c'est vraiment très intérieur. J'ai pensé à une sorte de poids, de lourdeur, comme si le temps et les épreuves...
18:45 Parce qu'il y a aussi quelque chose de très physique dans ce rôle. J'ai pu aussi percevoir à quel point la vie d'une femme, c'est aussi le temps pour le corps d'être éprouvé à plein d'égards.
18:57 Je pense effectivement au tout début. Mon personnage est enceinte avec une croix gammée sur le ventre.
19:04 Elle court pour fuir les hommes qui l'ont probablement tondu juste avant. Après, elle est serveuse. En même temps, elle couche son fils.
19:11 C'est assez physique de s'occuper d'un enfant petit. Et puis ensuite, le film parle beaucoup de désirs. Elle est assez frustrée. On n'en a pas parlé.
19:18 Mais le personnage joué par Vincent Lacoste a des désirs changeants. Il aime aussi les hommes. Et donc, elle, elle ne se sent pas assez désirée.
19:27 Elle explore d'autres choses avec un troisième personnage qui s'appelle Jimmy. Donc, le corps, à la fin, il lui arrive d'autres choses encore que les gens découvrent en voyant le film.
19:36 Je ne vais pas tout raconter. Mais c'est vrai que c'est assez passionnant, je trouve, de voir comme ça au cinéma.
19:41 Et moi, j'ai beaucoup pensé, en jouant ce personnage, à quel point le corps des femmes traverse mille épreuves.
19:49 - Et est-ce que vous pensez encore à Madeleine ? Aujourd'hui, vous êtes en promotion pour ce film. Mais est-ce que parfois, vous pensez à ce personnage-là ?
19:56 Parce que vous l'avez quand même habité pendant plusieurs semaines et vous avez quand même traversé 20 ans de sa vie.
20:00 - Oui, c'est marrant parce que c'est un personnage qui m'a plus, je dirais, pas ébranlé. Mais c'est vrai que j'ai vraiment l'impression d'avoir rencontré quelqu'un en jouant cette femme.
20:11 - Une amie ? - Non, pas une amie, une dame.
20:13 - Une dame ? - Oui, une dame. Elle est très inspirée de la grand-mère de la réalisatrice qui a été équilibrée.
20:22 - Le film est dédié à la femme. - Je pense que ça joue dans mon implication, dans mon envie de lui rendre hommage.
20:30 - Il y a une forme de respect. - Évidemment. Je crois que j'ai dû y penser plus que si c'était un personnage purement de fiction.
20:38 Mais aujourd'hui, c'est vrai que même pendant le tournage, je me suis sentie accompagnée par cette femme. J'y pensais souvent.
20:45 Et aujourd'hui, je suis heureuse qu'elle soit sur l'écran. Franchement, à chaque fois qu'on présente le film en projection, par exemple, on est allé en France le présenter, je suis à l'arène.
20:55 À chaque fois, j'arrive à la fin de la projection, avant le débat avec le public, et je revois la fin du film, que je trouve très belle.
21:01 C'est un des rares films que j'arrive à voir en spectatrice, parce que je ne me sens pas du tout moi-même. Je vois vraiment un personnage.
21:10 Je ne me sens pas du tout Anaïs, comme je peux le voir quand je vois Alice et le maire, ou des films où je me ressemble un peu plus.
21:17 Là, c'est tellement loin de moi, cette Anaïs qui a 20 ans. J'arrive à apprécier le film et à avoir de la tendresse pour ce personnage.
21:27 - C'est ce que j'avais vous demandé, cette différence sur qui vous voyez à l'écran. C'est ce que vous venez de dire, effectivement.
21:34 C'est un peu schizophrénique ? Ça vous inquiète ?
21:39 - Non, c'est plaisant. - J'ai joué vachement bien.
21:42 - Je vois cette femme sur le quai, avec une perruque courte. Ce n'est vraiment pas moi. C'est vraiment une femme plus âgée, qui a l'air d'avoir vécu plein de choses.
21:50 J'ai pas connu mes grands-mères, elles sont toutes les deux mortes avant que j'arrive. J'ai l'impression que ça me permet de les apercevoir.
22:01 12h-13h30, les midis de culture. Géraldine Mosnassavoy, Nicolas Herbeau.
22:10 - Gruau !
22:26 - Qu'est-ce qu'il y a, Gaston ? Tu cherches ton dessert ? - Ouais.
22:29 - Ben, cherche pas ma poule, le blâme.
22:32 - Si tu veux quelque chose, la prochaine fois, tu le demandes. - Putain. T'as vu ce qu'elle m'a fait, cette salope ?
22:49 - Guyla ! Guyla ! Guyla !
22:57 - Il faut vraiment avoir en tête le film de Claude Miller. C'est un extrait de "La petite voleuse" qui date de 1988, avec Charlotte Gainsbourg, qui interprète Janine Castan.
23:06 Il faut avoir en tête très bien ce film, puisqu'à ce moment-là, Janine plante une fourchette dans la main d'une de ses camarades de classe,
23:14 enfin plutôt de l'institut dans lequel elle est placée, pour lui avoir volé une pomme pendant qu'elle récitait quelque chose à l'ensemble des jeunes filles attablées.
23:23 Et je crois, Annelise de Moustier, que c'est une scène qui vous a particulièrement frappée.
23:28 J'ai eu peur au début, quand vous avez diffusé l'extrait, parce que je ne savais pas si vous reconnaissiez le film.
23:32 - Ah oui, si, si, j'ai reconnu au bout d'un moment, évidemment, le fameux extrait de "La fourchette".
23:36 - "La fourchette". - "La fourchette".
23:38 Oui, c'est un extrait, c'est une scène qui m'a marquée, et surtout un film qui m'a marquée, parce que je l'ai vu assez jeune.
23:46 C'est mon frère Stéphane de Moustier, qui a dix ans de plus que moi, et qui me montrait des films assez généreusement.
23:53 Il m'invitait à regarder des films, ce qui est quand même sympa.
23:56 Et j'ai vu ce film de Claude Miller, "La petite voleuse".
23:59 Et je me rappelle d'avoir eu vraiment un espèce de choc, parce que je me suis très fortement identifiée à Charlotte Gainsbourg.
24:08 Et je me rappelle que c'était très organique, que j'avais vraiment envie d'être à sa place.
24:12 J'avais vraiment l'impression que c'était très agréable, ce qu'elle faisait.
24:15 J'avais l'impression que c'était très libérateur de jouer, et j'avais envie d'entrer dans la télé et de faire comme elle.
24:21 Je la trouvais fascinante, je me souviens de sa révolte, de son regard noir.
24:25 Elle était très insolente, très impertinente, ce que je n'étais absolument pas quand j'étais jeune.
24:29 Et donc je crois qu'en effet, cette espèce de transgression, de violence assumée, d'insolence, ça m'a beaucoup inspirée.
24:39 Et puis surtout, ça m'a fait comprendre qu'on pouvait être jeune et jouer dans des films.
24:42 C'est comme si d'un coup, ça m'était apparue.
24:44 - Mais ça a eu un déclic pour avoir envie de jouer ? Vous avez pris après des cours de théâtre ?
24:49 - Je pense que j'en prenais déjà, je ne sais plus trop quand je l'ai vue.
24:52 Mais je pense que j'en prenais déjà quand même.
24:53 - Parce qu'on peut avoir aussi un déclic plus de cinéphile.
24:55 C'est-à-dire se dire "c'est cathartique, je vois ça à l'écran, je me dis que c'est possible".
24:59 - Ah non, moi j'avais vraiment envie de le faire à sa place.
25:01 - De planter la fourchette ?
25:02 - Non mais de jouer.
25:05 - D'être quelqu'un d'autre.
25:07 - D'être quelqu'un d'autre, exactement.
25:08 - Et est-ce que vous trouvez qu'on vous avait joué dans beaucoup de films, une cinquantaine de films ?
25:13 Est-ce que vous avez eu des rôles comme ça, libérateurs à ce point-là ?
25:18 On vous a fait jouer des choses avec cette violence-là ?
25:21 Parce que je pense au personnage de Madeleine dans "Le Temps d'aimer".
25:24 Il est en colère mais ça passe de manière presque imperceptible,
25:28 par de l'indifférence à son fils ou par des phrases un petit peu sèches.
25:32 Mais elle ne va pas planter une fourchette.
25:34 - Non, je n'ai jamais eu de rôle de planteuse de fourchette.
25:37 - Oui, ça manque dans la filmo.
25:39 - Non mais c'est vrai, ça manque d'un rôle peut-être avec une violence plus sortie.
25:43 - Une rage quoi.
25:44 - Le seul qui me l'a proposé et avec qui j'ai adoré travailler,
25:49 c'était Robert Guédiguian sur Gloria Mundi.
25:52 Dans Gloria Mundi, je joue un personnage d'une fille très négative, très pessimiste,
25:56 qui est très dure avec son mari.
25:58 C'est Robinson Stévenin qui joue mon mari.
26:00 Je me rappelle de scènes où je lui dis de façon hyper directe
26:04 à quel point on a une vie de merde, à quel point notre télé est nulle,
26:07 parce qu'elle ressemble à un timbre, qu'on n'a pas d'argent et que rien ne va.
26:10 Je suis très dure avec lui.
26:12 C'est peut-être le rôle où j'ai été la plus violente.
26:15 - On peut aller plus loin.
26:17 - On est loin de la fourchette.
26:18 - Ce qui est paradoxal, parce qu'à ce moment-là, vous avez un déclic.
26:21 Est-ce que des gens peuvent parler de déclic avec ce film ?
26:24 - Oui, il y a eu plusieurs films comme ça.
26:27 Avec Charlotte Gainsbourg, elle a été importante, parce qu'il y a eu aussi "Les Frontées".
26:30 Et il y a eu aussi "À nos amours" de Pialat avec Sandrine Bonner.
26:34 C'était des jeunes femmes, libres et assez insolentes.
26:37 - C'est un film assez noir.
26:39 - Pour moi, c'était quand même la transgression.
26:41 Mon rapport au jeu et mon plaisir du jeu est venu de façon très liée à la transgression.
26:47 J'ai voulu prendre des cours de théâtre parce qu'à l'école, on a fait une pièce de théâtre
26:51 et qu'il fallait monter sur les tables pour jouer.
26:54 C'est aussi bête que ça, mais pour l'enfant très sage que j'étais,
26:58 je trouvais ça génial et extrêmement punk de monter sur la table pour jouer.
27:02 Et c'est suite à ça que j'ai dit à mes parents que j'aimerais beaucoup prendre des cours de théâtre.
27:06 Et après, le film que j'ai fait en premier, c'est le film d'Hanneke,
27:09 qui est un film quand même assez sombre.
27:12 - C'était en 2003.
27:14 - En 2003, j'ai l'impression que j'étais attirée par ces films,
27:18 qui sont quand même des films très sombres.
27:20 Je me souviens aussi de "L'Enfer" de Claude Chabrol,
27:22 avec Emmanuel Béart et François Cluset, qui est assez violent.
27:25 - Donc une filmographie quand même assez pessimiste.
27:28 - Assez intense.
27:30 Je dirais que je pense que j'ai grandi dans un milieu
27:32 où les émotions n'étaient pas très formulées, nommées et sorties.
27:36 Et donc, tout à coup, je pense qu'en même temps,
27:38 j'étais ultra attentive aux émotions de tous.
27:41 Et que tout à coup, voir des gens qui sortaient des émotions
27:44 à travers des films, et pouvoir moi m'en libérer
27:47 à travers mes cours de théâtre, c'était exceptionnellement agréable.
27:51 - Mais ça a eu vraiment cet effet, parce qu'on a un tout petit peu
27:55 évoqué votre filmographie, "Anaïs de Moustier".
27:57 Il y a beaucoup de personnages aussi qui vous ressemblent.
28:00 Vous l'avez dit, quand je vois Madeleine à l'écran,
28:03 à la fin de sa vie, je me dis que je regarde vraiment quelqu'un d'autre,
28:05 alors que j'ai fait beaucoup de rôles où je pouvais me reconnaître.
28:08 À savoir de jeunes femmes, la trentaine, qui est avec son compagnon,
28:13 qui est institutrice, qui a fait de la philosophie,
28:16 qui sort des études, qui est en province.
28:17 Quelque chose qui pourrait être assez proche de vous.
28:20 - Oui, ça c'est aussi un goût d'interprète.
28:23 Moi j'aime bien quand même quand l'acteur s'efface un peu à travers le rôle,
28:28 et en même temps l'acteur est le rôle.
28:30 Disons que je ne suis pas forcément très fan des performances d'acteurs
28:33 qui se voient beaucoup.
28:35 - Des transformations physiques ?
28:38 - Non, moi ce qui m'intéresse c'est vraiment d'être une sorte de page blanche
28:41 et de me fondre, de brouiller les pistes sur ce qui est le personnage
28:44 et ce que je suis moi, et d'un coup d'être le vecteur d'un réalisateur
28:47 qui va raconter quelque chose.
28:49 Mais disons que je n'ai pas le goût du jeu comme ça, pur.
28:53 Ça ne m'excite pas beaucoup de me transformer.
28:56 Ce n'est pas ça qui m'amuse.
28:57 - C'est quoi alors ?
28:58 - C'est de parler avec un metteur en scène,
29:00 comprendre qu'il a une vision qui m'intéresse,
29:02 être observée avec grande précision par un cinéaste
29:06 et de plonger dans la croyance de la fiction du film.
29:10 De croire à ce que je vois.
29:12 - C'est la fiction en fait.
29:13 Ce n'est pas le jeu au sens de performer,
29:15 c'est vraiment jouer une histoire.
29:17 - Oui, exactement.
29:18 - C'est amusant parce que souvent on peut parfois entendre des acteurs et des actrices dire
29:22 "je joue toujours les mêmes rôles"
29:24 parce que les réalisateurs voient en moi toujours le même personnage
29:28 ou en tout cas toujours la même personne.
29:30 Donc c'est agréable d'entendre que vous assumez ça
29:34 et que vous vous dites "moi je joue aussi en confiance avec la personne qui me demande de jouer quelque chose".
29:39 - Oui, et surtout je n'ai absolument pas l'impression moi de jouer tout le temps la même chose.
29:43 J'ai l'impression qu'en étant comme ça,
29:46 en n'ayant pas une nature trop présente a priori,
29:49 je pense que je peux me fondre dans tout un tas de personnalités
29:53 et que les personnages que je peux jouer, les rôles que je peux jouer sont hyper variés.
29:58 Je peux aller d'un genre à l'autre,
30:00 je peux jouer des femmes autoritaires et des femmes timides.
30:03 Il y a des gens qui ont une nature tellement forte dans la vie,
30:06 un charisme tellement énorme qu'en fait c'est écrasant
30:09 et qu'ils vont jouer tout le temps eux-mêmes dans tous les films.
30:11 Leur musique va imprimer le film.
30:14 Moi c'est plus sournois.
30:17 - Actrice sournoise.
30:19 - Oui, mais c'est vraiment ça, c'est vraiment le paradoxe du comédien.
30:22 De jouer le maximum d'émotions en n'en ressentant aucune.
30:26 - Vous avez l'air d'être vraiment une sorte de page blanche.
30:28 - Oui, exactement.
30:29 Et ça, le mot "page blanche", je me rappelle que c'est la directrice de casting du film d'Anneke,
30:33 qui est une des premières personnes du cinéma que j'ai rencontrée.
30:36 Elle s'appelle Chris Portier de Bel Air.
30:38 Je me souviens qu'elle m'avait parlé de ça.
30:39 Elle m'avait dit "c'est important quand tu vas à un casting d'être une page blanche".
30:43 Et ça ne m'a pas du tout paru difficile de l'être,
30:46 parce que je crois vraiment que j'ai ça dans ma nature.
30:49 - Page blanche.
30:50 - Je pense vraiment que je suis actrice.
30:52 On dit souvent que les acteurs sont complètement gonflés d'eux-mêmes,
30:55 qu'ils ne sont pas intéressés par eux-mêmes.
30:57 Moi, je crois vraiment que je suis très intéressée par les autres
31:00 et que je me nourris énormément de ce que je vois, de ce que je ressens des autres.
31:05 Ce n'est pas du tout une qualité...
31:07 Enfin, je veux dire, il n'y a pas à s'en vanter.
31:09 Mais je crois que c'est vraiment dans ma nature.
31:11 Et il y a des enfants qui sont comme ça aussi,
31:13 qui sont très perméables aux émotions des uns, des autres.
31:16 Je pense que j'étais une enfant comme ça et que ça s'est développé.
31:19 - Ça a pris le chemin de la comédie.
31:21 - Et ça m'a rendue actrice.
31:22 Oui, voilà, ça m'a permis d'être actrice.
31:24 [Musique]
31:32 [Musique]
31:40 [Musique]
31:47 [Musique]
32:05 C'est un extrait d'Annette de Léo Scarrac,
32:08 ce qui est un film qui vous a aussi marquée.
32:11 Beaucoup plus récemment, Annelise de Moustier.
32:13 C'est un film qui est...
32:14 Alors, je ne l'ai pas vu, moi, donc j'avoue tout de suite que je ne l'ai pas vu.
32:17 Mais qui est extrêmement stylisé, avec des moments chantés,
32:20 avec aussi des marionnettes, qui est extrêmement beau.
32:23 Et c'est typiquement le genre de film que vous aimez.
32:25 Oui, enfin, le genre, je ne sais pas.
32:28 Vous n'avez pas un genre spécial, non ?
32:29 Non, je n'ai pas du tout un genre spécialement.
32:32 Mais ce film-là, c'est vrai, m'a profondément marquée, m'a énormément émue.
32:37 J'ai l'impression que c'est un film qui provoque soit une grosse adhésion, soit un rejet.
32:42 Je connais vraiment des gens qui sont sortis de la salle
32:44 et je me sens vraiment très éloignée de ces gens.
32:47 Ça a créé des disputes entre amis.
32:49 Oui, un peu, je n'aime pas ça.
32:50 Ça ne me plaît pas du tout.
32:52 Mais bon, c'est un film qui, oui, qui est une sorte, pour moi,
32:56 de gestes totalement virtuoses, formellement,
33:01 qui s'autorise énormément de choses.
33:03 Vous l'avez dit, il y a des passages avec des marionnettes, il y a de la chanson.
33:06 C'est un film qui ne ressemble à aucun autre d'un point de vue esthétique.
33:10 Mais pour moi, la forme ne peut pas suffire.
33:12 Enfin, si je vois un réalisateur qui s'amuse avec plein de moyens à faire un film original,
33:17 ça ne peut pas me suffire.
33:18 Mais là, je ne sais pas ce qui s'est passé.
33:21 En tout cas, le film a résonné de façon très intime.
33:23 Et quand tout à coup, la forme est au service du fond
33:27 et que ce film raconte une histoire d'amour et tout ce qu'elle contient aussi de violence.
33:33 C'est un film très noir et en même temps qui donne énormément envie de vivre.
33:38 J'aimerais beaucoup le revoir parce que je ne l'ai vu qu'une fois.
33:42 Après, j'ai marché super longtemps dans Paris pour digérer.
33:45 Il fallait que je redescende.
33:47 Le film a fait beaucoup, beaucoup d'effets.
33:49 C'est intéressant parce que vous vous insistez sur le fait que la forme n'est jamais suffisante,
33:54 alors que certains cinéastes vont être vraiment des créateurs de génie,
33:58 de manière formelle, sur des plans, sur des choses.
34:00 Vous, quand vous découvrez un film, soit pour jouer dedans ou soit à l'écran,
34:05 il faut qu'il y ait un sens, qu'il y ait vraiment quelque chose qui se...
34:07 Enfin, que ça dise quelque chose qui est presque une analyse, un message ?
34:11 Non, un message, je trouve ça un peu trop pédagogique
34:14 et ça réduit un peu le cinéma à un truc qui ne me plaît pas beaucoup.
34:17 Mais en tout cas, disons que la pure forme, ça ne me suffit pas.
34:21 Je pense par exemple à Wes Anderson, qui est un metteur en scène que les gens aiment beaucoup.
34:25 Et moi, ces films ne me parviennent pas parce que j'ai l'impression de voir trop de formes.
34:29 Et les histoires ne me...
34:33 Ne me touchent pas.
34:35 Oui, ne me touchent pas assez.
34:36 Et si Wes Anderson venait vous voir en vous disant...
34:37 En même temps, Fantastic Mr Fox est exceptionnel.
34:39 Oui, il y en a certains qui sont quand même...
34:41 C'est plutôt sur les derniers, c'est-à-dire que...
34:43 Oui, les derniers qui sont dans les pures films de fiction.
34:47 Mais oui, en fait, je ne sais pas ce que c'est qu'un film qui...
34:51 Non, mais oui, il faut qu'un cinéaste, il ait une recherche esthétique,
34:55 il ait une vision.
34:57 Mais parfois, la mise en scène, ça peut être très puissant, mais aussi très subtil.
35:02 Il n'y a pas forcément de gros effets de manche pour qu'un cinéaste soit un grand cinéaste.
35:06 Et parfois, des plans fixes, c'est beaucoup plus parlant,
35:08 beaucoup plus original que des grues et des travelling.
35:12 Donc, ce qu'il faut, c'est une forme de cohérence.
35:14 Et ce que je trouve magnifique, c'est quand...
35:17 Enfin, le geste parfait, c'est quand la mise en scène est totalement au service des acteurs
35:21 et de ce que raconte le film.
35:23 Je pense par exemple à François Ozon, avec qui j'ai travaillé.
35:25 Quand on est acteur chez François Ozon, on ressent vraiment ça,
35:29 parce qu'on a la sensation que la caméra est toujours à l'endroit où il faut.
35:33 On sent que ce qu'on fait...
35:35 Que vous ne forcez pas, que c'est fluide.
35:37 Oui, on sent qu'il y a une chorégraphie entre la technique et les acteurs
35:39 qui est merveilleuse, parce qu'on a l'impression que tout ce qu'on fait est pris en charge
35:42 au bon endroit, au bon moment.
35:44 C'est une sorte de ballet génial.
35:46 C'est assez génial, parce que la mise en scène, c'est quand même mystérieux.
35:50 Il y a quelque chose de...
35:52 C'est un rapport à l'espace, c'est un rapport au vivant, à l'organique, aux acteurs.
35:56 En même temps, il faut avoir très en tête l'histoire qu'on veut raconter.
36:01 Et ça vous intéresse, la mise en scène ?
36:03 Ah oui, ça m'intéresse beaucoup.
36:05 Mais d'en faire ?
36:06 D'en faire, oui, ça m'intéresserait beaucoup.
36:07 Mais pour l'instant, je n'ai pas d'histoire à raconter.
36:09 Il manque le fond, c'est ça ?
36:12 Oui, exactement.
36:13 Merci beaucoup Annelies de Moussié.
36:15 On pourra vous voir mercredi prochain, c'est le 29 novembre, sur les écrans,
36:18 dans le temps d'Aimé de Cattel-Kilivéré, avec Vincent Lacoste également.
36:23 Vous allez choisir une musique pour terminer cette émission.
36:26 Je vais faire un peu en l'air.
36:27 Oui, je ne sais pas, je vous suis Géraldine.
36:29 On a choisi deux chansons pour vous.
36:31 Une chanson de Dalida, ou une chanson de Barbara, en référence à deux de vos films.
36:35 Laquelle voulez-vous écouter ?
36:36 Barbara, évidemment.
36:38 [BARBARA - DALIDA]
36:40 [Musique]
37:08 Si je t'écris ce soir de Vienne,
37:11 J'aimerais bien que tu comprennes
37:15 Que j'ai choisi l'absence comme dernière chance
37:18 Notre ciel devenait si lourd
37:21 Si je t'écris ce soir de Vienne,
37:24 Oh que c'est beau le longtemps d'Avienne
37:28 C'est que sans réfléchir, j'ai préféré partir
37:31 Et je suis à Vienne sans toi
37:34 Je marche, je rêve dans Vienne
37:38 Sur trois temps de valse lointaine
37:41 Il semble que des ombres tournent et se confondent
37:44 Qu'ils étaient beaux les soirs de Vienne
37:47 Ta lettre a dû croiser la mienne
37:50 Non, je ne veux pas que tu viennes
37:53 Je suis seule et puis j'aime être libre
37:56 Oh que j'aime cet exil à Vienne sans toi
38:00 "Vienne" de Barbara, votre chanson préférée, Anaïs Demoustier.
38:03 Merci à vous d'être venu dans les Midi de Culture
38:06 et un grand merci à l'équipe des Midi qui sont préparés par Issa Touhendoy,
38:09 Anaïs Hiesbert, Cyril Marchand, Zora Vignier, Laura Dutèche-Pérez et Manon Delassalle.
38:13 Réalisation Nicolas Berger, prise de son Anthony Thomasson.
38:16 Vous pouvez réécouter cette émission sur le site de France Culture
38:19 ou sur l'application Radio France.
38:22 Merci beaucoup Nicolas, à demain.

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