Sa voix et son visage nous ont accompagné au cœur des années sombres du terrorisme en France : François Molins, l'ancien magistrat désormais retraité, publie "Au nom du peuple français", un livre écrit en collaboration avec la journaliste Chloé Triomphe. Il y raconte son métier, son parcours, ces 46 ans passés au service de la justice.
Regardez L'invité de RTL Soir du 21 février 2024 avec Marion Calais et Cyprien Cini.
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00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 Marion Calais, Alexandre de Saint-Aignan, Cyprien Simi.
00:07 RTL bonsoir jusqu'à 20h.
00:09 Et place à présent à notre invité,
00:12 Événement Savoie et son visage nous ont accompagnés au coeur des années sombres du terrorisme en France. Bonsoir François Mollins.
00:19 Bonsoir.
00:20 Vous l'ancien magistrat, désormais
00:23 retraité, vous publiez aujourd'hui "Au nom du peuple français", livre écrit en collaboration avec la journaliste Chloé Trillon. Vous y racontez
00:30 votre métier, votre parcours, ces 46 ans passés au service de la justice.
00:35 Je vais vous expliquer dans les toutes premières pages du livre que si vous avez eu envie d'écrire ce livre, c'est aussi pour expliquer le
00:42 travail du procureur.
00:43 Parce que malgré votre médiatisation à l'époque, vous avez eu droit à des "Monsieur le juge", à des "Monsieur le préfet" ou même à des
00:49 "Commissaire Mollins" vous dites, c'est vrai ça ? Tout à fait.
00:52 Vous vous êtes appelé "Commissaire Mollins" ?
00:54 Oui, oui, oui.
00:56 Ce qui est frappant dans votre ouvrage, c'est qu'on y lit aussi l'évolution de la justice avec laquelle on est toujours si exigeant et si sévère,
01:04 mais qui part finalement de très loin. Vous l'avez même expérimenté dans vos premières années ?
01:09 Oui, tout à fait.
01:10 J'ai vécu effectivement
01:12 la justice à des époques très différentes. La justice aujourd'hui n'est pas celle que j'ai connue en
01:18 1979, qui avait alors là pour le coup très peu de moyens. J'expliquais que ces moyens dépendaient des
01:23 arbitrages du président du conseil général de l'époque. C'est même pas le ministère de la justice qui payait les budgets de fonctionnement.
01:28 Et effectivement j'ai vu au cours de ces années
01:31 augmenter les charges des magistrats et des greffiers à travers des lois toujours plus nombreuses, des moyens qui les accompagnaient rarement en nombre suffisant.
01:40 Et tout ça pour traiter une délinquance qui
01:44 évoluait en grandissant et en s'aggravant,
01:46 notamment sous le poids de l'alcool et surtout de la consommation et du trafic de stupéfiants.
01:52 Donc j'ai vraiment vécu une époque,
01:55 une histoire très riche, avec toujours, je le dis, pour emparquer.
02:00 Parce que, comme vous le rappelez, ce livre est surtout fait, c'est un livre métier,
02:05 pour effectivement mieux expliquer, mieux faire comprendre le métier de procureur. Et puis j'ai aussi vécu un avant et un après.
02:11 J'ai vécu une époque
02:13 jusqu'en juillet 2013, où les parquets n'étaient pas complètement indépendants du pouvoir politique.
02:19 - Donc vous avez subi des pressions, vous avez eu des désillusions dès votre premier poste à Carcassonne en
02:24 1979, où un dossier est classé parce que ça concerne une personnalité influente de la région.
02:31 - Et je me suis juré effectivement que ça m'arriverait plus jamais.
02:34 J'ai fait en sorte, quelques mois après, de
02:40 retrouver le bon sens, j'allais dire, dans l'action de la justice.
02:42 - Mais ça vous a vraiment dégoûté ça ? - C'est quelque chose qui m'a traumatisé.
02:46 - Vous dites dans le livre que vous alliez au travail, mais comme un robot. - Tout à fait, j'étais complètement...
02:50 Complètement,
02:55 extrêmement déçu, et je croyais plus à rien. Une perte de sens dans l'action qui était la mienne.
03:01 Ça m'a franchement beaucoup marqué, et c'est quelque chose que j'ai jamais oublié tout au long de ma carrière, et qui je pense d'ailleurs peut-être
03:08 explique certainement beaucoup.
03:10 Le soin que j'ai eu effectivement a marqué cette indépendance du travail du procureur dans la gestion des affaires individuelles, et des pressions...
03:18 Il n'y a plus de pressions qui sont venues interférer effectivement sur le cours des décisions que j'ai été amené à prendre dans le
03:24 cadre de ces affaires. - Malgré tout, dans ce livre, la question des rapports entre la justice et le monde politique n'est jamais très loin.
03:30 Vous revenez longuement notamment sur votre décision de renvoyer le garde des Sceaux,
03:36 Éric Dupond-Moretti, devant la Cour de justice de la République, pour prise illégale d'intérêt, dossier dans lequel il a été
03:40 relaxé. Vous vous assurez avoir agi conformément à la loi, là où le ministre lui assure que vous n'avez eu de cesse de lui savonner la planche.
03:48 - Vous estimiez avoir besoin de clarifier les choses ? Vous aviez la crainte de voir ce sujet rester comme
03:53 une ombre sur la fin de votre carrière ?
03:55 - C'est pas une ombre sur la fin de ma carrière, parce que j'ai fait mon devoir. En réalité, ce dossier, je ne suis pas allé le chercher.
04:01 Il est arrivé, je l'ai traité comme je devais, et en fonction de la loi.
04:05 J'ai expliqué dans le livre ce qui s'est passé. Je n'ai pas voulu refaire le procès, ce n'est pas du tout le but.
04:09 J'ai voulu montrer en réalité comment un dossier qui avait été à l'origine mal traité,
04:14 parce que ce conflit d'intérêt aurait dû être traité autrement,
04:16 comment un dossier mal traité et non traité avait pu devenir une affaire judiciaire.
04:21 Dans le cadre de laquelle, moi, je n'ai fait en réalité qu'exercer mes compétences,
04:24 parce que c'est un peu simpliste de dire "c'est la faute de François Mollin, il a poursuivi, c'est lui le coupable".
04:31 J'ai poursuivi parce que la loi m'obligeait à poursuivre. A partir du moment où la commission des requêtes,
04:36 composée de magistrats et de gens du conseil d'état et de la cour des comptes, avait donné un feu vert aux poursuites,
04:42 le procureur général était obligé de poursuite, et n'importe quel procureur général autre que moi aurait été obligé de faire la même chose.
04:49 C'est ça qu'il faut comprendre, et c'est ça aussi que j'ai voulu vérifier, j'ai voulu
04:53 rectifier en essayant de présenter cette affaire de la façon la plus factuelle qui soit, parce que je me rends compte encore aujourd'hui que
05:01 la grande majorité de nos concitoyens n'ont toujours pas compris le contenu de cette affaire.
05:06 Et il m'arrive parfois d'en parler avec des gens que je connais qui
05:09 sont intelligents, qui sont cultivés, qui connaissent un peu la justice et qui m'avouent qu'ils n'ont toujours pas compris ce qu'on reprochait à M. Dupond-Moretti.
05:16 Un peu plus haut dans le livre, vous ne mâchez pas vos mots sur la Cour de justice de la République, seule habilité à
05:22 juger des ministres pour des actes commis durant l'exercice de leur fonction, une juridiction qui selon vous n'est plus adaptée
05:27 aux exigences de notre temps ? Pourquoi ? Elle est trop politique ?
05:32 - Écoutez, elle n'est pas adaptée parce qu'elle a été, j'allais dire, mal conçue. Je rappelle qu'elle a été
05:37 conçue en 1993 pour porter le procès du sang contaminé parce que la haute cour de justice ne pouvait pas fonctionner.
05:44 Je ne suis pas le seul à être convaincu qu'elle...
05:47 - Elle est composée en partie de parlementaires et de magistrats.
05:49 - La formation du juin est composée de trois magistrats, six députés, six sénateurs.
05:53 Donc douze politiques sur quinze membres. Je ne suis pas le seul à penser qu'elle n'est pas adaptée. Je rappelle qu'en
05:58 2017, notre président de la République avait porté un projet de réforme de la constitution pour supprimer la CGR et la remplacer
06:06 par une juridiction qui était la Cour d'appel de Paris qui aurait été en charge du jugement.
06:10 Donc ces défauts, je pense, qui sont fondés, ils ont été reconnus, ils ont justifié le dépôt d'un projet de réforme constitutionnelle
06:16 qui, je l'explique dans le livre, a été bloqué à cause de l'affaire Benalla, comprennent qui pourra.
06:22 Donc ces vices, ils sont là et ils renvoient un certain nombre de critiques qu'on fait à cette juridiction depuis des années.
06:27 Le risque d'avoir des décisions politiques,
06:29 le fait de ne pas pouvoir faire de recours, il n'y a pas d'appel possible, le fait de séparer le volet ministériel/non ministériel
06:36 avec un risque de contrariété de décision, tout ça c'est des choses qui sont objectivées et objectivées depuis longtemps.
06:41 - Mais on se rend compte aussi, en lisant votre livre, François Mollins,
06:44 que vous avez été au cœur de dossiers qui ont rythmé l'actualité française.
06:47 Enfin c'est presque un livre de notre époque, il y a eu le drame de Furiani, la mort d'Oziade Ebouna,
06:51 la cliché sous bois, les attentats, l'affaire Bigmalion, Benalla, dans tous ces dossiers,
06:57 lequel restera à graver jamais, dans votre tête, à jamais graver ?
07:01 - Je ne veux pas faire de hiérarchie dans l'horreur, surtout entre le hiérarchie dans la douleur qu'ont subi les victimes.
07:08 Je dirais que si je devais, oui vous avez effectivement, il y a Furiani, il y a Zied Bouna,
07:16 je pense que ça a trop... - Ces jeunes dans un transformateur... - Oui, les deux jeunes électrocutés, et le troisième gravement blessé,
07:21 à cliché sous bois, qui va entraîner des émeutes urbaines qui vont durer plus de huit jours, en tout cas en Seine-Saint-Denis.
07:29 Et puis bien sûr, il y a ces attentats terroristes majeurs de janvier 2015, 13 novembre 2015 et 14 juillet 2016.
07:36 C'est des choses qu'on ne peut pas oublier. - Vous racontez d'ailleurs dans ce livre que ces images, ce que vous avez vu dans la réaction de Charlie Hebdo,
07:44 ou au Bataclan, vous les garderez à jamais en tête. Vous consacrez aussi tout un chapitre à la lutte contre les violences
07:51 faites aux femmes, avec notamment ce chiffre de 2018 que vous rappelez, 73% des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite.
07:59 Ça reste aujourd'hui un sujet sur lequel la justice doit progresser, à l'heure où on voit aussi la multiplication des affaires. On parle encore ces derniers temps
08:08 d'accusations contre Gérard Miller ou contre des réalisateurs.
08:13 - Oui, ça a été un combat.
08:15 Un combat qu'on a mené à l'époque avec le parquet de Bobigny puis le parquet de Paris. Un combat qui va terminer parce que
08:21 je le dis dans le livre, je pense qu'il y a encore beaucoup de chemin à faire pour la justice.
08:25 C'est des affaires qui sont extrêmement difficiles à traiter. Je pense que pour moi, les affaires de viol c'est les dossiers les plus difficiles à
08:31 traiter parce qu'on est souvent parole contre parole.
08:33 Et effectivement c'est un combat qui doit être poursuivi parce que le compte n'y est pas encore et je pense que la justice doit encore beaucoup
08:41 progresser en efficacité, en rapidité. Alors après c'est plus facile à dire qu'à faire.
08:45 Ça passe par des efforts de formation, des magistrats, des policiers,
08:49 par l'acquisition de la culture de la protection des victimes,
08:52 par le développement de l'écoute des victimes.
08:55 Mais ce que je voudrais dire c'est que je pense qu'il faut aussi savoir faire confiance à l'institution. Il faut cesser de dresser
09:02 la parole des victimes contre le procès équitable.
09:04 C'est pas parce qu'on va faire un procès avec des garanties pour les gens qu'on accuse que pour autant on refuse la parole des victimes.
09:11 Et qu'on la prend pas en compte. Et ça il faut bien s'en persuader. Je pense qu'il faut avoir confiance
09:15 même si on sait que le résultat ne sera peut-être pas toujours là.
09:19 Mais je pense qu'il faut avoir confiance dans la justice.
09:22 Confiance dans la justice c'est d'ailleurs le message que vous essayez de faire passer tout au long
09:25 de ce livre donc au nom du peuple français qui paraît aujourd'hui. Merci à vous
09:31 François Mollens de nous avoir accompagné ce soir sur RTL.
09:35 RTL bonsoir jusqu'à 20h.
09:39 Vous ne bougez pas dans un instant. RTL Inside à bord du Panthéon.
09:43 Où entre ce soir le couple Manouchian et leurs camarades de lutte panthéonisation
09:47 que l'on suit depuis ce matin avec une classe du Pas-de-Calais venue spécialement à Paris.
09:50 Lui est déjà rentré au Panthéon de l'humour Alex Vizorek.
09:52 Il y aura de quoi au menu de votre visoconférence ?
09:55 Écoutez je suis en train de mettre les derniers mots là sur mes feuilles ça va être très drôle.
09:59 Allez entre ici Jean Moulin.
10:01 (rires)
10:02 RTL.
10:04 Merci à tous !