Anne Fulda reçoit Patrick Besson pour son livre «Albertine Sarrazin, la fugitive» dans #HDLivres
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00:00 - Bienvenue à l'heure des livres, Patrick Besson.
00:02 Alors, on vous connaît, vous êtes l'auteur déjà d'une trentaine de romans.
00:05 Vous publiez une chronique inimitable dans Le Point chaque semaine.
00:11 Et vous venez de publier Albertine Sarrazin, La fugitive, un livre qui est paru chez La Tess.
00:16 Un très beau livre enflammé.
00:17 On a l'impression que vous êtes possédé par ce personnage.
00:19 - C'est difficile de ne pas l'être, vu le destin qu'elle a eu et le caractère qu'elle avait,
00:23 et les œuvres qu'elle a données surtout.
00:24 C'est ça qui m'a d'abord attiré, c'est la qualité littéraire.
00:28 - Oui, alors justement, j'allais vous demander pour faire question,
00:31 c'était pourquoi vous avez décidé de consacrer tout un livre à la vie de cette romancière ?
00:36 - Le personnage en lui-même, il est assez incroyable.
00:39 Il a un destin de martyr et en même temps un destin littéraire prodigieux.
00:43 Donc, c'est le mélange des deux qui est fascinant.
00:46 C'est qu'Au détenu racontait que le matin, en se réveillant,
00:49 elle était toujours la première levée.
00:51 Elle était déjà en train d'écrire dans sa cellule avec ses autres pensionnaires.
00:55 - Alors, elle était braqueuse, prostituée, elle a aimé les hommes, elle a aimé des femmes.
01:00 Elle a fait de la prison avant de mourir à 29 ans.
01:03 Et pourquoi il y avait-elle en elle cette espèce de colère, cette rage ?
01:07 - Je crois que c'est beaucoup dû à son enfance.
01:11 Elle avait un père qui bizarrement l'opprimait, mais qu'en même temps, il lui ressemble.
01:15 C'est-à-dire qu'elle avait un père adoptif, puisque c'est un enfant adopté,
01:19 alcoolique, obsédé de littérature.
01:21 Et au fond, c'est ce qu'elle était, elle aussi, qui détestait son père.
01:24 Mais elle était quand même obsédée par l'alcool et la littérature.
01:29 - Oui, il lui a appris quand même la littérature.
01:31 Alors, vous dites dans le portrait, vous dites qu'elle est myope, ce qui n'est pas un détail.
01:35 Elle est boiteuse aussi.
01:36 Vous écrivez le nez de Barbara, non refait.
01:39 - Oui, c'est-à-dire que ces handicaps l'ont amenée, peu à peu, à s'exprimer littérairement,
01:44 ce qui est la meilleure façon de compenser ces handicaps.
01:48 - Alors, elle se prostitue, elle est emprisonnée pour vol, pour tentative de meurtre.
01:52 Elle rencontre Julien.
01:53 - Oui, ce n'est pas elle qui avait tiré, d'ailleurs, elles étaient deux.
01:55 Et celle qui a tiré a pris moins qu'elle.
01:58 Parce que ce que j'explique dans le livre, c'est que c'est plus grave d'être un écrivain
02:03 et d'être une intellectuelle que d'être simplement une braqueuse.
02:06 - Et en prison, donc, ce que vous disiez, elle écrit, elle passe son temps à écrire ?
02:12 - Oui, elle ne fait jamais de ratures.
02:13 J'ai regardé ses manuscrits, c'est sans une rature.
02:15 C'est comme les manuscrits du cardinal de Retz ou de Saint-Simon.
02:18 Elle est d'avant la rature, parce que c'est Flaubert qui a inventé la rature.
02:21 Mais elle est d'avant la rature, c'est assez étonnant.
02:24 - Et puis, il y a l'apparution de ses deux romans.
02:28 - Elle écrit tout le temps en cellule.
02:32 Et un jour, il faut bien envoyer ses manuscrits quelque part et elle reçoit une réponse.
02:36 Et c'est la première fois qu'on lui dit vraiment oui dans la vie.
02:39 C'est quand on lui dit oui pour ce qu'elle écrit.
02:41 - Grâce à un éditeur, Jean-Jacques Pauvert.
02:43 - Jean-Jacques Pauvert, qui change le titre de son livre.
02:46 Elle avait appelé ça "Les soleils noirs", ce qui n'est pas terrible.
02:48 Et lui, il a dit non, non, on ne va pas l'appeler ça comme ça.
02:50 On va l'appeler "L'Astragale".
02:51 Et j'ai dit non, c'est le nom d'un os.
02:53 - Et voilà, l'Astragale, pour ceux qui ne le savent pas, c'est effectivement un os
02:56 qu'elle s'est cassé, qui explique le fait qu'elle boite.
02:59 - Et bizarrement, elle fait un autre livre qui s'appelle "La cavale",
03:01 qui ne raconte pas du tout une cavale, parce qu'elle n'a jamais fait vraiment de cavale.
03:05 Mais ça raconte son emprisonnement, au contraire.
03:07 - Et alors, il y a une autre femme qui revient, deux d'ailleurs en fait, en filigrane.
03:11 Un moment, vous parlez d'Edith Piaf, vous dites qu'elle a quelque chose d'Edith Piaf.
03:14 - Elles avaient la même taille.
03:15 - 1,48 m.
03:16 - Edith Piaf en lunettes, écrivez-vous.
03:19 Et puis, d'une certaine façon, c'est l'anti-Sagan.
03:21 Mais en même temps, Sagan, vous dites que c'est son modèle, sa rivale, son double.
03:25 - A l'époque, c'est un peu comme Amélie Nothomb aujourd'hui.
03:28 On ne peut pas se passer de Sagan.
03:29 Je veux dire, on ne peut pas faire l'impasse sur Sagan,
03:31 même quand on est une délinquante et qu'on est en prison depuis plusieurs années.
03:35 - Est-ce que vous trouvez que d'une certaine façon, il faut réhabiliter son oeuvre,
03:39 même si elle n'est pas très abondante ?
03:42 - Elle a été oubliée, en tout cas.
03:44 Enfin, pas réhabilité, mais en tout cas, la remettre au bout du jour,
03:46 la faire connaître, pardon.
03:48 - Elle avait un tel succès que c'est un peu étonnant qu'aujourd'hui,
03:51 on l'ait oubliée, mais on a oublié beaucoup de choses.
03:55 - Oui, parce qu'elle a été traduite dans énormément de pays.
03:58 Ses livres ont été vendus par millions.
04:00 - Par millions en livres de poche, après sa mort.
04:03 - Après sa mort, en fait.
04:04 - Oui.
04:05 - Et à un moment aussi, vous parlez, vous évoquez Céline un peu dans l'écriture.
04:13 - Oui, parce que ça fait partie de ses écrivains de rupture.
04:15 Donc, elle le lit assez tard.
04:18 Et quand elle le lit, elle se dit bon, il va falloir quand même,
04:21 il est quand même fort, Céline, il va falloir que je fasse moi aussi des efforts
04:24 pour être à son niveau.
04:26 Sauf que Céline n'a jamais écrit sur la prison, alors qu'elle, c'est son thème.
04:29 - Oui, et certains parlent de jeûner féminin.
04:34 - Oui, mais jeûner est beaucoup plus précieux et transpose beaucoup plus qu'elle,
04:40 qui est vraiment de la littérature crue.
04:42 Elle raconte juste comment c'est la prison pour une femme dans les années 50.
04:46 - En tout cas, vraiment, je vous conseille de lire Albertine Sarrazin, "La fugitive".
04:51 Merci Patrice Besson, c'est un très beau livre, écrit d'une très belle écriture.
04:55 Et ça nous donne aussi envie de lire finalement Albertine Sarrazin,
04:59 pour ceux qui ne l'ont pas lu.
05:00 - Moi, je l'ai déjà lu plusieurs fois.
05:02 - Merci.
05:03 - Merci à vous.
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