Xerfi Canal a reçu Nicolas Moinet, professeur d’intelligence économique à l’IAE de l’Université de Poitiers, pour parler du déni de la guerre économique.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00 Bonjour Nicolas Moinet.
00:10 Bonjour Jean-Philippe Denis.
00:11 Nicolas Moinet, professeur d'intelligence économique à l'IAE de Poitiers, l'Institut
00:15 d'administration des entreprises de l'université de Poitiers.
00:17 Nicolas Moinet, "Comment gagner", édition Nouveau Monde,
00:21 donc ouvrage sous la direction de Christian Arbulot, de vous-même et d'Arnaud de Morny.
00:26 C'est passionnant parce qu'on découvre un monde, voilà, c'est des histoires de
00:32 gendarmes et de voleurs, c'est des histoires, enfin c'est extrêmement vivant et intéressant.
00:38 Et j'ai envie de vous poser la question Nicolas Moinet, est-ce que la première étape,
00:42 c'est pas de sortir du déni ? C'est-à-dire de nier l'existence d'une guerre économique ?
00:47 Oui, c'est ce qu'on a vécu depuis plus de 30 ans, depuis en fait la fin de la guerre froide
00:54 où un certain nombre d'auteurs ont dit "attention nous sommes dans une guerre économique",
00:58 notamment Christian Arbulot qui a été un des pionniers dans le domaine, mais on a eu un déni.
01:05 Alors pourquoi un déni ? D'abord parce que la guerre économique c'est pas une bonne nouvelle.
01:08 On nous explique pendant des décennies, des siècles plutôt, en fait à partir des
01:14 révolutions industrielles anglaises où le discours néolibéral se structure, après des siècles en
01:20 fait où l'économie s'est faite par accaparement de richesses, par l'esclavage etc. Tout d'un coup
01:27 ça devient un monde de bisounours où les lois du marché remplacent en fait les intérêts de
01:32 puissance. On y a cru plus ou moins, mais ça a été un écran de fumée qui a été jeté. En fait
01:38 on a caché dans la lumière et on a tous été bercés à cette histoire-là. Sauf qu'à partir de la
01:44 chute du mur de Berlin, donc la fin de la guerre froide, et la volonté des États-Unis d'être
01:48 une hyperpuissance, la seule hyperpuissance, on se rend compte que ça fonctionne pas tout à fait
01:52 comme ça en fait dans la réalité. Et donc il va falloir expliquer, c'est un peu comme l'allégorie
01:59 de la caverne de Platon, c'est vous expliquer aux personnes que ce qu'ils voient c'est juste en fait
02:03 les ombres des marionnettes mais c'est pas la réalité. Et ça se passe pas très bien en général.
02:07 C'est ce qui s'est passé pendant 30 ans. Mais ce temps est heureusement révolu à part quelques
02:13 spécimens. Et dans l'ouvrage justement "Guerre économique, comment gagner ?" on a fait un sondage,
02:20 on a réalisé un sondage auprès des conseillers du commerce extérieur français. Existe-t-il une
02:25 guerre économique ? Donc les réponses qui ont été données à peu près 200 conseillers du commerce
02:29 extérieur qui ont répondu, c'est 99% oui. Il y en a un qui a dit non. On va savoir qui il est d'ailleurs.
02:36 Il y en a un qui a dit non, il a le droit. Et alors dans les 99%, une majorité oui, la guerre
02:44 économique et la France perd. Je rappelle que ce sont des chefs d'entreprise qui sont à l'étranger.
02:48 Vous avez des choses intéressantes, par exemple dans quelle partie du monde les entreprises
02:53 françaises s'implantent-elles le mieux ? 83% l'Europe. Et alors le reste du monde, c'est 10%
02:59 l'Amérique du Nord, 3% l'Asie centrale, 3% l'Afrique. Ça veut dire qu'on n'est pas tout à
03:04 fait outillé d'après les conseillers du commerce extérieur français pour finalement attaquer ces
03:09 marchés-là. Ça veut dire qu'on ne réussit pas du tout, mais ça veut dire qu'il y a une marge de
03:13 progression qui est importante. Est-ce que les pouvoirs publics français aident les entreprises
03:16 à l'étranger ? 60% disent pas suffisamment. C'est quand même important. La bonne nouvelle,
03:23 c'est est-ce que les entreprises françaises à l'étranger pensent que l'intelligence économique
03:27 est importante ? Là, on est à presque 80%. Et clairement pas assez non plus de vision offensive
03:35 en fait de ces nouveaux marchés. Voilà donc le déni, c'est terminé. Maintenant, une fois qu'on a
03:41 passé la phase de déni, il faut savoir de quoi on parle parce que la guerre économique, c'est
03:45 que c'est quelque chose qui en fait n'est pas si évident que ça. La guerre économique, c'est pas
03:52 une perversion d'un système qui fonctionnerait bien. La guerre économique, c'est sa structure en
03:59 fait. Les rapports entre puissances et on pourrait la définir, je reprends la définition de Christian
04:04 Hablo, comme une confrontation entre parties pour capter, contrôler des ressources et accroître sa
04:09 puissance par l'économie. Qu'on faire le nombre d'entreprises de pépites françaises rachetées
04:16 par les Etats-Unis, qu'on faire les nouvelles routes de la soie avec les logiques effectivement
04:20 d'investissement pour s'accaparer des infrastructures de la part de la Chine. C'est
04:26 toujours les mêmes logiques. Alors s'enverser, c'est toujours un peu l'accusation qu'on porte
04:32 contre l'intelligence économique, la théorie du complot. Quand même, on n'est pas dans un monde
04:36 de biseaux-nours. Non, je crois que le mot clé, c'est lucidité. Et vous savez, la lucidité,
04:41 c'est la blessure la plus proche du soleil. René Char. Tout à fait. Merci Nicolas Moinet. Merci.
04:46 Merci.
04:47 [Musique]