Quand vous entendez un prénom vous projetez sans doute, inconsciemment, des caractéristiques (de sexe, classe sociale, âge). Indicateur, mais partiel, jamais fixe ou univoque, le prénom peut provoquer des polémiques, des moqueries, des malaises. Laélia Véron en décrypte les multiples significations.
Retrouvez toutes les chroniques linguistes de Laélia Veron dans « Le grand dimanche soir » sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-linguiste-de-laelia-veron
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AmusantTranscription
00:00 Et on alterne les moments d'humour et de culture et surtout on mélange les deux
00:03 Place à la langue, la linguistique, la phonétique, la stylistique
00:08 et un peu la politique toujours avec Laélia Veyron
00:11 (Applaudissements)
00:16 Alors aujourd'hui je voulais vous parler des prénoms et de leur signification
00:20 Il y a des prénoms qui ont un sens lexical immédiat
00:22 On a de beaux exemples dans cette équipe avec par exemple Constance
00:25 qui en a joué pour le nom de son spectacle "Inconstance"
00:28 On a aussi Djamil qui vient du mot "beauté" en arabe
00:31 Djamil c'est le beau gosse même si le schlag ça compense
00:34 Et on a aussi Guédret
00:36 Est-ce que vous savez ce que veut dire Guédret en lituanien ?
00:38 Ah non !
00:38 Et bien Guédret va nous dire ?
00:40 Eh bien tout simplement, en toute modestie, une éclaircie
00:43 Voilà !
00:45 Voilà, bel exemple lexical
00:47 Mais on a donc ces prénoms qui ont un sens immédiat
00:50 Mais aussi même quand ce n'est pas le cas le prénom va toujours signifier quelque chose
00:54 Par exemple si vous lisez sur un CV le prénom Alienor
00:56 et puis sur un autre CV Kimberley
00:58 Ne me dites pas que vous projetez la même image
01:01 Vous avez sans doute imaginé des personnes de classes sociales différentes
01:04 Hein Emric qui parle de prénoms de pauvres dans ses chroniques ?
01:06 Ça s'appelle de la sociologie spontanée ça !
01:08 Oh la la ! Bah je le savais !
01:12 De même si je vous dis d'un côté Jean-Michel et de l'autre Kevin
01:15 vous allez sans doute projeter des âges différents
01:17 Parce que les prénoms sont, comme le dit Baptiste Coulemans
01:20 qui est spécialiste de la question
01:21 Je vous conseille son livre "Sociologie des prénoms"
01:23 Je crois qu'il est devant toi Emric d'ailleurs
01:25 aux éditions La Découverte
01:27 Les prénoms sont un indicateur mais partiel
01:30 jamais fixe, jamais univoque
01:31 d'où les polémiques sur les significations des prénoms
01:34 Il y en a tout le temps
01:35 Il y a eu Zemmour et plus généralement l'extrême droite
01:37 sur ce que serait un prénom français ou pas français
01:40 Il y a toujours des moqueries sociales genre "haha un prénom de casseuse"
01:43 Il y a même quelquefois conflits entre les parents et la justice
01:46 qui peut interdire un prénom si elle l'estime contraire à l'intérêt de l'enfant
01:50 Par exemple la justice a interdit pour des jumeaux
01:53 les prénoms "Fish and Chips" ou encore "Babor et Tribor"
01:56 Donc désolé Emric, je ne suis pas sûre que tu puisses appeler ton gosse Raclette
01:59 Quelquefois ces jugements font d'ailleurs polémique
02:03 Par exemple "Fange", prénom breton avec un "t"
02:05 Vous savez le "t" c'est la petite vague sur une voyelle
02:07 a été interdit
02:08 Et de même "Titeuf" sous prétexte que ce serait un prénom ridicule
02:11 donc contraire à l'intérêt de l'enfant
02:13 Mais est-ce que c'est vraiment ridicule ?
02:15 Ou est-ce que c'est juste une question de goût située socialement ?
02:17 Et pourquoi "Titeuf" serait plus ridicule qu'Adalbert par exemple ?
02:20 Bref, cette ambiguïté entre contrôle de l'Etat et liberté des parents
02:24 c'est révélateur d'une évolution générale
02:27 Parce que pour résumer grossièrement
02:28 pendant longtemps on a choisi le prénom comme dit Coulmont
02:30 comme manifestation d'une intégration dans une communauté
02:33 qu'elle soit religieuse, régionale, familiale, politique
02:36 Et maintenant on voit de plus en plus le prénom au contraire comme un marqueur
02:39 d'individualité et de goût
02:41 Et ce déplacement de la communauté à l'individualité
02:43 ça se voit quand vous comparez le premier prénom
02:46 par rapport au deuxième ou au troisième
02:47 Souvent le premier prénom est choisi parce qu'on l'a trouvé joli
02:51 et le deuxième et le troisième ce sont les prénoms des grands-parents
02:54 des parrains, des marraines, on rend hommage à la lignée
02:57 Donc finalement ce qui est paradoxal avec le prénom
02:59 c'est qu'il est censé dire quelque chose d'intime
03:02 Il est censé représenter votre identité toute votre vie
03:05 alors que c'est quelqu'un d'autre qui l'a choisi
03:07 D'où des stratégies pour reprendre le contrôle sur son prénom
03:10 On peut soit carrément le changer
03:11 soit préférer un diminutif ou un prénom proche
03:13 comme le philosophe Jacques Derrida de son vrai prénom "Jacqui"
03:16 On a encore Guédré, l'anarchiste des graphèmes
03:19 qui a choisi de changer un peu l'orthographe
03:21 en mettant une majuscule au milieu de son prénom
03:23 pour que ce soit distribué, c'est ça Guédré ?
03:25 Non, futur !
03:27 Et enfin pour finir on a la pratique des pseudonymes
03:30 je n'ai pas le temps de développer
03:31 mais sachez que c'est une pratique très répandue dans les milieux
03:34 où le nom est un outil de singularisation et de valorisation important
03:37 par exemple chez les prostituées, les traders, les mafieux, les artistes
03:40 y compris les humoristes
03:41 La Elia Veyron, merci !
03:43 Ça sera l'objet d'une prochaine chronique alors, tout simplement. Pourquoi pas ?