• il y a 8 mois
Dr Pierre-François Pradat, neurologue coprésident du conseil scientifique de l’ARSLA

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00:00 - Docteur Pierre-François Prada avec nous, bonjour. - Bonjour.
00:03 - Vous êtes neurologue et aussi co-président du Conseil scientifique de l'Association pour la Recherche pour la SLA,
00:10 plus communément appelée la maladie de Charcot.
00:13 Est-ce que cette loi, Docteur Prada, va nous permettre de regarder la mort en face, comme le dit Emmanuel Macron ?
00:19 - Alors c'est une loi qui va quand même très loin et qui, je dirais, apporte une réponse globale, en bloc, à un problème complexe où chaque patient ait un cas particulier.
00:42 - Elle va très loin, vous dites ? Trop loin ou pas assez ?
00:46 - Alors elle va objectivement loin. Je crois, alors j'ai dans la salle d'attente, que j'ai entendu un patient qui parlait de la possibilité d'administration par un proche du produit létal,
01:03 ce qui est quelque chose d'absolument inédit et qui pose beaucoup de problèmes. Alors quand on est sur le terrain, on sait quelle est la complexité,
01:16 comment c'est difficile pour les proches d'accompagner les patients avec des sentiments souvent de culpabilité, de ne pas en faire assez.
01:27 Et les mettre face à cet acte, c'est les exposer à des conséquences psychologiques, alors qui là sont, sur le long terme, je dirais, potentiellement toute leur vie.
01:40 - La question du geste final, c'est une question centrale au cœur de cette future loi, puisqu'on rappelle que l'option retenue, c'est le suicide assisté.
01:49 Donc c'est le patient qui est en capacité de le faire, de pouvoir s'administrer la substance létale. Mais si ce n'est pas le cas, il peut demander à un proche.
01:58 Et vous évoquiez effectivement ce témoignage, j'aimerais qu'on l'écoute pour bien qu'on se rende compte de la problématique et des cas de conscience que ça pose. On va le réécouter.
02:06 - C'est même pas envisageable. Du coup, vous imaginez demander à votre femme ou votre père, votre frère, vos enfants, de faire le geste qui met fin à votre vie. C'est totalement inhumain.
02:26 - Totalement inhumain. Ça c'est Jérôme Lefauqueronier, il est atteint de la maladie de Charcot, il a 56 ans. Vous pensez vous aussi que c'est inhumain d'accomplir ce geste à un proche ?
02:36 - Oui, tout à fait. C'est quelque chose qu'on se représente avec beaucoup d'inquiétude et qui va complètement, d'ailleurs, bouleverser la relation qu'on a avec le patient et la famille.
02:54 Tout ça fait partie d'un environnement.
02:57 - Est-ce que ce geste final doit revenir aux soignants ? C'est ce que demande Jérôme qu'on a entendu.
03:02 - Oui, alors là, effectivement, c'est ce que vous avez souligné comme étant... Ce dont on parle, c'est l'exception de Tamazie, qui est effectivement un tiers médecin qui administre le produit létal.
03:23 Et ça, c'est quelque chose de complètement disruptif par rapport à ce qui vient...
03:29 - Mettez-vous votre position là-dessus, parce qu'on entend souvent les médecins qui disent "on n'est pas là pour tuer, mais pour soigner".
03:35 - Alors, ma position, elle est déjà qu'on dispose actuellement de moyens pour utiliser des drogues sédatives quand on arrive à cette phase finale de la maladie,
03:50 mais qu'il y a à l'heure actuelle un dispositif législatif et des moyens techniques médicaux qui le permettent.
03:59 Et ça, je pense qu'il faudrait revenir sur des aspects plus médicaux, alors qu'ils sont un petit peu plus complexes à expliquer.
04:09 - Mais vous, en tant que médecin, docteur Prada, ce geste, si on vous le demande, vous le faites ?
04:14 - Alors, ça c'est une question très intime, à laquelle je répondrais que non, c'est pas un acte qui pour moi correspond à ma mission de soin en général,
04:29 telle qu'on nous l'a définie dans nos études médicales, pour lesquelles en fait on s'engage dès le départ,
04:36 et ça ne correspond pas non plus à notre philosophie du soin, qui est celle de l'accompagnement jusqu'au bout de la maladie.
04:47 - Alors, on va continuer de réagir, de faire réagir sur ce sujet, parce qu'il y a beaucoup d'appels au standard,
04:52 donc on va prendre les auditeurs qui nous appellent au 01 42 30 10 10.
04:56 - Et oui, quel est votre avis sur cette fin de vie ? Faut-il faire avancer la loi ?
05:01 Trouvez-vous que la France est en retard sur le sujet ? Faut-il abréger les souffrances ou au contraire tout miser sur les soins palliatifs ?
05:07 Gérard est avec nous à Levallois-Perret. Bonjour Gérard.
05:10 - Oui, bonjour à tous, bonjour docteur.
05:13 - Pour vous, c'est un sujet très délicat, épineux, vous êtes assez partagé sur la question.
05:17 - Oui, je suis très divisé, pour ne pas dire dubitatif, quoi, on va dire.
05:22 Évidemment, c'est un débat qui divise, pour autant, je serais d'accord, moi je suis de confession catholique.
05:31 - Mais vous avez vu des gens souffrir, c'est ce que vous avez dit à Alexandra, vous avez vu des gens souffrir,
05:39 et cesser les souffrances, vous le comprenez ?
05:42 - Je le comprends, je le conçois, on va dire, à arriver à un certain niveau.
05:47 Maintenant, je vais prendre des exemples tout bêtes, je vais voir mon frère pratiquement toutes les semaines,
05:52 même si son état de santé est relativement faible, et il est en EHPAD, il est en fin de vie aussi,
06:00 bon il a des métastases qui montent au cerveau, je peux vous dire, je reprendrai la phrase de Malraux,
06:06 "la vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie", quoi, et à chaque fois que je vais le voir,
06:10 il me dit merci, même s'il n'arrive pratiquement pas du tout à parler,
06:14 il me dit merci, et il me dit, ben voilà, je compte sur toi.
06:18 Vous voyez, il y a une sorte de désespoir qui s'installe, alors après c'est un choix très dur,
06:23 moi j'ai dit aussi, bon même si ça n'a aucune comparaison, j'ai dû faire euthanasie de mon chien,
06:28 et j'ai assisté jusqu'au bout, et je peux vous dire que même si c'est un chien, les images sont encore là, quoi.
06:34 Vous voyez, ça reste à l'intérieur de moi, et bon, ben, je me dis, est-ce que j'aurais...
06:39 Bon évidemment que c'était la solution, le vétérinaire m'a dit, c'est une sage décision,
06:44 et je pense que c'est une sage décision aussi qui relève pour les humains, quand on arrive à un certain temps.
06:49 Mais non, pour autant, est-ce que moi j'aurais le courage de le faire ? Je pense pas.
06:53 Merci Gérard d'avoir réagi ce matin, et on peut comprendre la comparaison quand on connaît l'amour pour les animaux.
06:59 01, 42, 30, 10, 10, on prend Fabienne également ce matin au Clé-sous-bois,
07:03 on vous donne la parole au sujet de la fin de vie. Bonjour Fabienne.
07:06 Oui, bonjour. Oui, c'est très délicat effectivement. Moi, mon amie, voilà, elle est décédée en un an.
07:13 C'était catastrophique, c'est abominable cette maladie.
07:16 Donc elle communiquait sur la fin avec ses paupières, et elle a été entourée par ses deux filles,
07:22 qui jusqu'au bout, ils l'ont emmenée à l'hôpital les trois derniers jours,
07:27 jusqu'au bout, elle avait eu sa tête, mais elle ne communiquait que par les paupières avec ses deux filles.
07:34 Et le problème, c'est qu'elle eut été incapable, même si elle en avait envie,
07:41 de saisir un verre pour avaler quelque chose, ou de recevoir une piqûre toute seule, quoi,
07:49 d'offre de fer, la piqûre toute seule. Et ces trois jours à l'hôpital, elle s'est éteinte une nuit, et voilà, quoi.
07:58 Donc je pense qu'il y a quelque chose qui a été fait, sûrement, ou peut-être que c'est sa belle-morte,
08:04 mais je pense que c'est très, très douloureux, et il faut faire très attention,
08:10 quand on va légiférer sur cette fin de vie, très attention, parce que c'est pas...
08:16 Voilà, quoi. Donc il faut absolument qu'on avance dans cette maladie, c'est absolument abominable.
08:22 Moi, je l'ai connue, elle était une femme explosive, en un an balayée par ça, ça a été...
08:30 Et elle a commencé chez moi, d'ailleurs, à trouver des trous. Je lui disais "mais c'est bizarre, pourquoi tu tombes comme ça ?"
08:36 Mais il faut absolument trouver vraiment de quoi arrêter cette maladie, je sais pas, mais c'est effarant, effarant.
08:44 Voilà ce que je voulais dire. C'est pas facile.
08:47 - Oui, mais on peut comprendre, effectivement, votre témoignage ce matin. Fabienne, 0142 3010, si vous continuez à réagir,
08:53 on va prendre Tania dans un instant, elle est à Melun.
08:56 - Oui, et j'aimerais faire réagir le Dr Prada, qui est avec nous sur cette question, on l'entend,
09:01 ça relève du cas par cas, c'est une question très sensible pour les patients, pour les proches, pour les médecins.
09:07 Il y a une condition, il y a une condition quand même dans cette loi, à laquelle vous vous opposez,
09:15 c'est cette question du court ou moyen terme. Il faut que le patient soit condamné à court ou moyen terme.
09:22 Déjà, est-ce qu'on peut définir le moyen terme ? Et est-ce que c'est quelque chose que...
09:28 Pourquoi vous vous y opposez, à cette condition ?
09:31 - Vous l'avez dit déjà, parce qu'on ne peut pas le définir, ce qu'est le moyen terme.
09:37 Alors, dans ce pré-projet, je dirais qu'on évacue un peu ce questionnement en disant que c'est à l'appréciation du médecin.
09:48 D'ailleurs, ce qui donne un pouvoir au médecin assez énorme, inédit.
09:54 C'est-à-dire que sur la base probabiliste, parce qu'on n'est pas capable de prédire l'évolution de la maladie,
10:04 de prendre une décision irréversible, une décision de vie ou de mort.
10:12 - Ça veut dire qu'il faudrait balayer ce critère de court ou moyen terme, et juste de parler de maladie incurable dans cette loi ?
10:20 - Alors, je crois que justement, l'incurabilité, c'est aussi une notion qui médicalement pose question.
10:30 Si on est sur du long terme, si on est sur des délais de plusieurs années,
10:37 c'est des délais pendant lesquels il peut y avoir des avancées de recherche et des avancées thérapeutiques.
10:45 Donc ça, c'est aussi quelque chose qu'il ne faut pas occulter derrière le terme.
10:50 - Avec des patients qui peuvent changer d'avis ?
10:52 - Oui, alors là, vous soulignez effectivement un point essentiel, qui est la fluctuation des demandes.
10:59 Ça, c'est vraiment quelque chose qu'on voit tous les jours.
11:03 Des avis qui peuvent changer d'un jour à l'autre, d'une semaine à l'autre.
11:08 - La fin de vie, on en parle ensemble ce matin, et votre avis, on l'attend au 01 42 30 10 10.
11:12 Tania est à Melun, bonjour.
11:14 - Alors, je suis, c'est très dur de dire ça, mais je suis pour cette loi.
11:22 Personnellement, j'ai assisté, j'ai eu le problème de ma maman qui est morte en 1997.
11:28 Suite à la maladie d'Alzheimer, et dernièrement une amie qui est morte à Fontainebleau,
11:36 à l'hôpital de Fontainebleau, dans Sénémarme, qui a été dans le soin palliatif.
11:40 D'ailleurs, je dois dire chapeau aux gens qui s'occupent des soins palliatifs, au personnel.
11:45 Faut avoir la foi, parce que moi, je ne pourrais pas le faire.
11:48 Donc, je pense que malheureusement, il faut qu'on arrive vers cette loi.
11:52 Sans compter que quand les gens sont hospitalisés, alors c'est très dur ce que je vais dire,
11:56 mais c'est quand même un véritable business.
11:59 Moi, quand je vois des gens dans certains EHPAD, ça me fait mal au cœur.
12:03 Voilà. Tout le monde n'a pas les moyens de mettre des gens en EHPAD.
12:06 C'est quand même très, très cher.
12:08 Donc, il faudrait qu'on revoie quand même pas mal de choses à la base.
12:11 - Oui, alors on est sur la fin de vie et effectivement sur l'accueil des personnes seniors
12:15 et sur deux sujets bien différents ce matin.
12:18 Merci Tania à Melun.
12:20 Philippe est avec nous à nos gens sur Marne, 0142 30 10 10.
12:23 On va lui présenter lui-assis à la situation de fin de vie avec votre maman.
12:26 Philippe, c'est ça. Bonjour.
12:27 - Oui, bonjour.
12:29 Oui, écoutez, j'ai été devant la situation avec ma mère qui est décédée il y a quelques années en EHPAD.
12:36 Et elle avait 103 ans, donc elle avait quand même bien vécu, on va dire comme ça.
12:42 Je ne peux pas imaginer une seconde que nous ayons eu mes deux frères ou moi à lui faire,
12:50 à injecter le geste final.
12:53 Elle était elle-même incapable de le faire, bien évidemment.
12:56 Donc, il fallait avoir recours à une tierce personne.
12:59 Je crois qu'il faut être devant la situation pour se rendre compte de ce que c'est.
13:04 Même si elle avait certainement perdu beaucoup de ses facultés, ça restait un être vivant.
13:12 Ça restait pour nous une lueur d'espoir, même si la bougie était éteinte.
13:18 Il faut être dans la situation pour s'en rendre compte.
13:21 - Mais vous n'auriez pas pu le faire, c'est ce que vous dites ce matin, Philippe.
13:24 - En ce sens-là, même les gens qui sont pour, le jour où ils auront une seringue en main
13:30 et qu'on leur dira "ben voilà, allez-y", je voudrais bien voir comment ça se passera.
13:35 - Merci Philippe pour votre témoignage ce matin à nos gens sur Marne.
13:38 Merci à tous pour vos appels.
13:40 Sujet qui fait énormément réagir ce matin.
13:42 - Évidemment, le débat va continuer.
13:44 On va nous préoccuper encore un bon moment avant l'arrivée à l'Assemblée en mai.
13:48 Juste pour terminer, Dr Prada, est-ce que c'est ouvrir la boîte de Pandore, cette loi sur la fin de vie ?
13:53 Est-ce que le risque c'est qu'on ait de plus en plus de demandes d'aide à mourir
13:56 plutôt que d'aller vers les soins paléatifs ?
13:58 - Alors, c'est plus qu'un risque.
14:01 Je crois que c'est une pente inévitable.
14:05 La preuve en est que dans tous les pays où ce type de loi a été autorisé,
14:12 les dérives, on les observe.
14:16 Donc je pense qu'il faut être un peu naïf
14:20 pour penser que la loi va rester telle qu'elle est actuellement
14:26 et se protéger derrière ces restrictions.
14:30 Puisque les preuves de la réalité montrent que ce n'est pas opérant.
14:35 - Merci beaucoup Dr Prada d'avoir apporté votre point de vue ce matin sur ce débat
14:40 qui va continuer de faire réagir.
14:42 Merci beaucoup à tous aussi d'avoir appelé.
14:44 France Bleu Paris, 8h30.

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