D Martin Ferrari, IT François Gemenne (GIEC) . Comment passer de l’alerte à l’action

  • il y a 6 mois
François Gémenne, membre du GIEC gp 2, chercheur à l'université de liège, prof à science po
Lors de la table ronde des assises du journalisme animée par Dominique Martin Ferrari
Transcript
00:00 Bonjour à toutes et à tous, pardon de ne pas pouvoir être là avec vous, mais je suis heureux
00:06 d'enregistrer ce petit message vidéo pour toucher à quelques-unes des questions autour des rapports
00:12 du GIEC, essayer de voir ensemble comment il est possible de les améliorer un peu. Mon sentiment,
00:18 en tant qu'auteur principal pour le deuxième groupe du GIEC, c'est qu'il est possible de
00:24 mieux faire et que vu, au vu de toute l'expertise qui est rassemblée dans cette organisation et au
00:30 vu aussi de la situation qui est la nôtre pour le moment, je pense que nous avons une
00:37 responsabilité collective, un devoir collectif de voir comment il est possible d'améliorer la
00:43 communication de la science non seulement vers le grand public mais aussi vers les décideurs. Mon
00:50 sentiment est que le stade de l'alerte est un peu dépassé pour le moment et que quelque part,
00:57 à force de donner l'alerte sans cesse, on a l'impression que ces alertes finissent par
01:02 remplacer l'action. Et donc je pense qu'au moment où nous concluons le sixième rapport d'évaluation
01:09 du GIEC, je pense qu'on ne peut pas faire l'économie d'une réflexion fondamentale sur la
01:15 manière dont la science peut informer l'action autrement, sinon il y a le risque effectivement
01:20 que ces alertes ne finissent pas remplacer l'action. On est vraiment dans une période où on alerte
01:26 sans cesse sur les risques associés au changement climatique et ces alertes provoquent des déclarations
01:33 et des promesses des gouvernements mais il faut bien reconnaître qu'elles ne permettent pas à
01:38 provoquer l'action des gouvernements ni non plus le vote des populations. Mais malgré tout,
01:46 nous décidons consciemment de ne pas agir et ce n'est pas simplement la responsabilité des
01:51 gouvernements, cela tient aussi au mandat qu'ils reçoivent de leurs électeurs. Alors pour aborder
01:58 peut-être plus directement les questions que m'a adressé Dominique Martin-Ferrari, le GIEC
02:04 est organisé en trois groupes. Le premier groupe se tracasse de la science du climat elle-même,
02:11 le deuxième groupe auquel j'appartiens se tracasse de la question des impacts, de la
02:17 vulnérabilité des populations et des possibilités d'adaptation à ces impacts et le troisième groupe
02:23 se tracasse des solutions, des moyens de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Mais je
02:29 me dis que maintenant dans la situation où on est, je ne suis pas sûr qu'il faille encore conserver
02:34 ce type de sectorisation, d'abord parce que les enjeux qui sont couverts dans les trois groupes
02:42 sont évidemment intimement liés les uns aux autres avec parfois le risque soit de se répéter,
02:47 soit de dire des choses légèrement contradictoires d'un groupe à l'autre, mais aussi plus
02:53 fondamentalement parce que c'est difficile d'alerter sur l'état de la situation sans donner aussi les
02:59 clés de solutions sinon à provoquer une sorte d'état de sidération et le sentiment qu'il n'y a
03:04 rien à faire. Et donc j'ai le sentiment qu'il faudrait aujourd'hui à la fois publier les
03:12 rapports des trois groupes en même temps et surtout sans doute les fusionner de manière à ce que les
03:17 sciences dites dures ne soient pas à nouveau si séparées des sciences sociales, ça ça me paraît
03:23 être un enjeu véritablement important. Et aussi en termes de communication pour quelque part éviter
03:32 de donner l'impression qu'il n'y a pas de solution. Je pense aussi qu'il faut pouvoir faire évoluer
03:37 considérablement la table des matières de ces rapports. On a l'impression qu'on reste beaucoup
03:47 dans les chemins, dans les sillons qui sont tracés par les rapports précédents et que chaque rapport
03:53 au fond sert surtout à réduire l'incertitude quant au sujet qui était abordé dans les rapports
04:00 précédents. Mais on se retrouve aujourd'hui avec toute une série de sujets essentiels dans le
04:05 traitement du changement climatique qui ne sont que marginalement abordés dans les rapports du GIEC.
04:10 Je pense par exemple aux questions de migration et de déplacement qui sont évidemment centrales
04:14 dans notre approche du changement climatique. Je pense aux questions de paix et de sécurité.
04:20 Voilà des questions qui sont évidemment plus sensibles pour les gouvernements, que beaucoup
04:25 de gouvernements considèrent comme étant en dehors de l'expertise du GIEC, que beaucoup de
04:30 gouvernements considèrent comme étant des questions politiques avec lesquelles la science n'aurait
04:35 rien à voir. Et donc des questions qui ne se retrouvent pas traitées, en tout cas pas traitées
04:41 de front, notamment dans la table des matières du rapport qui doit être validée par les gouvernements.
04:47 Et là je pense que notre tendance quelque part à vouloir sans cesse améliorer la précision et
04:55 l'exactitude des résultats, à vouloir réduire l'imprécision, nous amène à répéter beaucoup
05:00 de choses d'un rapport à l'autre et à l'inverse à laisser sur le côté des sujets qui par contre
05:07 sont très importants mais qui sont parfois considérés comme trop sensibles par les
05:11 gouvernements. Il me semble qu'on aurait intérêt par exemple à produire des rapports plus courts
05:16 et plus lisibles mais qui soient publiés à intervalles plus réguliers, plus courts et surtout
05:22 des rapports qui portent véritablement sur des sujets clés qui sont au coeur de la discussion
05:31 et qui parfois génèrent des controverses dans le débat public. Et donc plutôt que de traiter tous
05:36 les sujets liés au changement climatique dans un rapport, il me semble que des rapports thématiques
05:41 sur des sujets spécifiques auraient davantage d'impact dans les débats publics et pourraient
05:45 davantage guider à l'action. L'autre sujet que Dominique me demande d'aborder c'est comment
05:56 est-ce qu'on peut quelque part toucher l'émotion des gens, comment est-ce qu'on peut quelque part
06:02 déclencher des réactions du public ? Et c'est certain que la science est souvent un peu froide
06:09 que les auteurs du GIEC sont rétifs à l'usage de toute formule un peu émotionnelle dans les
06:17 rapports et donc ça donne un côté un peu clinique et parfois très conservateur aux rapports. Je pense
06:23 que c'est inévitable mais je pense que ça tient aussi aux angles qui sont choisis pour les rapports.
06:30 Les rapports du GIEC décrivent somme toute le monde dans lequel nous ne voudrions pas vivre,
06:36 un monde ravagé par les impacts du changement climatique, un monde qui agit comme une sorte
06:44 de repoussoir, comme une sorte d'épouvantaille. Nous avons une idée assez claire du monde dans
06:49 lequel nous ne voudrions pas vivre, par contre nous n'avons pas encore véritablement d'idée
06:53 quant au monde dans lequel nous souhaiterions vivre et ça à mon avis c'est un défi d'importance.
07:00 Et je me dis que potentiellement les rapports du GIEC devraient peut-être adopter l'angle inverse
07:07 et servir aussi à décrire les contours d'un monde qui serait aspirationnel, c'est à dire qui
07:12 répondrait aux aspirations du plus grand nombre et qui tracerait quelque part un peu le chemin pour
07:19 y arriver. Le GIEC nous dit là où nous ne devrions pas aller, l'enjeu c'est plutôt de savoir où nous
07:26 devrions aller maintenant me semble-t-il. Finalement quel pont construire entre les
07:36 questions de climat et de biodiversité ? On sent bien que ce sont des enjeux qui sont profondément
07:43 connectés l'un à l'autre. Le climat a longtemps complètement éclipsé les enjeux de biodiversité,
07:49 dans le discours politique et médiatique, or on voit bien non seulement que la biodiversité
07:54 prend de plus en plus d'importance et je pense que quelque part la pandémie de coronavirus a été un
08:01 chemin de Damas pour beaucoup en ce qui concerne les questions de biodiversité, mais il me semble
08:08 aussi qu'il y ait une responsabilité de montrer comment ces enjeux sont connectés. Climat mais
08:16 aussi biodiversité ou d'autres types de pollution. Ces enjeux sont tous rassemblés dans le concept
08:21 d'anthropocène. Il y a deux ans on a publié avec Aleksandr Hrnkovic et l'atelier de cartographie
08:27 de Sciences Po un atlas de l'anthropocène précisément parce que nous trouvions que
08:31 ces données, ces enjeux étaient trop éparpillés dans le débat public et que le public avait besoin
08:37 d'un outil qui rassemble l'ensemble des données et qui permet de voir comment elles sont connectées
08:42 et donc qui permettent aussi d'identifier les leviers pour agir sur ces données. Je
08:47 vais tendance à dire que ce type d'exercice me paraît extrêmement pertinent et donc il serait
08:53 utile aussi quelque part que le GIEC déborde de sa sphère du climat et je pense que ça va tout à
09:00 fait dans le sens des rapports thématiques et de l'idée de ces rapports thématiques que j'avais
09:05 exprimé tout à l'heure. L'enjeu sera bien effectivement de parler aux citoyens d'un
09:12 futur désirable, ça impliquera je pense qu'on lui donne des clés de solution, qu'on montre comment
09:18 les différents enjeux sont reliés les uns aux autres et à quoi pourrait ressembler le monde
09:24 auquel il aspirait, sinon je crains qu'il y ait de plus en plus une réaction de rejet ou de
09:31 désespérance face à l'ampleur de la catastrophe annoncée. Voilà, merci beaucoup de m'avoir
09:37 écouté, je vous souhaite d'excellentes assises et m'excuse à nouveau de ne pas pouvoir être avec
09:41 vous aujourd'hui.

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