L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 2 Mars 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
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00:00 *Musique*
00:04 Les Matins de France Culture, Jean Lemarie
00:07 L'armée française va-t-elle quitter l'Afrique ?
00:09 Emmanuel Macron vient de débuter un nouveau voyage sur le continent.
00:13 5 jours et 4 pays, le Gabon, l'Angola, le Congo et la République démocratique du Congo.
00:19 Avant de s'envoler pour le continent, le chef de l'Etat a annoncé un nouveau cap,
00:24 la fin des bases militaires françaises en Afrique, en tout cas telles qu'on les connaît aujourd'hui.
00:29 Que signifie cet objectif ? Est-il cohérent ? Sera-t-il tenu ?
00:33 La France va-t-elle s'effacer de ce continent où elle a eu longtemps de nombreuses colonies ?
00:39 La France, en tout cas, sur place, est attendue au tournant.
00:42 Je salue nos deux invités, deux journalistes et deux spécialistes de l'Afrique.
00:47 Bonjour Rémi Caraïeul.
00:48 Bonjour.
00:49 Vous venez de publier Le Mirage sahélien, La France en guerre en Afrique, Serval, Barkhane et après, c'est aux éditions La Découverte.
00:57 Bonjour Francis Kvatinde.
00:58 Bonjour.
00:59 Vous avez été, vous, rédacteur en chef du Monde Afrique.
01:02 Je précise aussi que vous enseignez à Sciences Po Paris.
01:06 La France possède toujours quatre bases permanentes sur le continent.
01:10 Si je ne me trompe pas, on a refait la liste avec l'équipe des Matins de France Culture.
01:14 Le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Gabon et puis Djibouti évidemment qui est toujours stratégique.
01:20 Est-ce la fin d'une époque Rémi Caraïeul ?
01:23 Pour l'instant non, puisque la France dispose toujours de ces quatre bases.
01:28 J'en ajouterai même une cinquième qui se trouve à Mayotte, qui est un territoire français mais qui est contesté au niveau de l'ONU par les Comores.
01:35 Et puis surtout, il y a aussi encore une très forte présence au Sahel dans des bases qui ne sont pas historiques.
01:42 Quoique, Anjamina, ça commence à devenir une base historique mais il y a encore 3 000 soldats aujourd'hui au Sahel.
01:47 Donc pour l'instant on est encore très très loin d'un retrait de l'armée française de ces anciennes colonies.
01:53 C'est toute la question du discours d'un côté et de la pratique de l'autre dont nous allons longuement parler ce matin.
01:59 Je m'arrête tout de même sur ces bases qui sont là. Depuis quand existent-elles ? Est-ce que ce sont des implantations très anciennes ?
02:07 Pour certaines oui, puisqu'il y a des pays que la France, que l'armée française n'a jamais quitté.
02:12 Je pense notamment à la base de Dakar qui est là depuis l'indépendance, qui était là même avant, durant la colonisation.
02:19 Il y a à Libreville aussi une présence française continue depuis l'indépendance donc en 1960.
02:27 Et même les bases d'Abidjan et Djibouti, c'est différent puisque l'indépendance a été acquise plus tard, en 1975.
02:33 Et là aussi il y a une base depuis l'indépendance. Donc en gros on a une présence quand même continue dans ces territoires-là.
02:39 Sans oublier d'autres bases qui ont disparu depuis mais qui ont quand même longtemps été pérennisées dans certains pays, la Centrafrique ou d'autres.
02:47 Il y a l'histoire, il y a le présent. Francisque Patinde, à quoi servent aujourd'hui ces bases militaires françaises ? Quel est leur rôle ?
02:54 Alors c'est une excellente question à laquelle je n'ai pas de réponse. Est-ce que ces bases sont-elles là pour protéger la communauté française ?
03:02 Parce que vous savez il y a des français, des binationaux dans tous ces pays. Est-ce que ces bases sont là pour protéger les chefs d'État, les dirigeants adoubés par la France ?
03:13 Est-ce qu'elles sont là pour intervenir en cas de djihadisme ? On ne sait pas exactement parce que la présence de ces bases est entourée d'une voile opaque.
03:26 Et puis c'est l'omerta là-dessus. Et on ne sait pas, on ne communique pas assez. Je vous fais remarquer que le Burkina Faso a annoncé avant hier, a demandé à la France,
03:37 l'accord de défense qui a été signé à l'indépendance, que ça devenait caduque, que le Burkina ne reconnaissait plus ces accords-là.
03:47 Je vais vous poser la question alors autrement à tous les deux. Est-ce qu'aujourd'hui ces pays ont besoin des militaires français ?
03:53 Ou est-ce que la France a besoin de ces implantations intérêts partagés, convergents ou divergents des uns et des autres ?
03:59 Émile Carayol d'abord et puis Francis ensuite.
04:01 Un peu des deux parce qu'il faut quand même rappeler une réalité. Si l'armée française compte des soldats dans ces pays, c'est parce que les dirigeants de ces pays veulent bien de cette présence-là.
04:11 Moi j'ai le souvenir à Dakar, au début des années 2010, il y avait peut-être la volonté de fermer la base de Dakar.
04:18 Et c'est Abdoulaye Wad, alors président du Sénégal, qui avait dit non mais ça serait bien quand même qu'il reste une petite présence pour des intérêts d'ordre sécurité mais aussi des intérêts d'ordre économique.
04:27 Ça fait une forme de vie économique. Et à Abidjan par exemple, on sait très bien qu'Alassane Ouattara espérait de tous ses voeux que l'armée française reste à Abidjan.
04:36 En l'occurrence, pour Ouattara, ça représentait une forme d'assurance vie dans un contexte extrêmement tendu.
04:42 Francis Patinde, vous utiliseriez la même expression, l'assurance vie, pour certains dirigeants ?
04:47 C'est une assurance vie. Ça l'a été dans le passé, ça l'est moins aujourd'hui. Parce qu'il y a moins de chefs d'État complètement ayant les yeux rivés sur l'Élysée.
04:58 Et je voudrais juste nuancer le propos de Rémi sur le Sénégal. J'étais au Sénégal quand Abdoulaye Wad a annoncé le 4 avril, le jour de la fête de l'indépendance en 2011, c'est la fermeture de ses bases qu'il a demandé.
05:11 En même temps, il négociait pour que le loyer soit surévalué. Parce que la France payait que dalle pour la présidence de ses bases. Et donc lui, il pensait profiter de cela pour faire monter les prix de l'immobilier.
05:25 Un jeu compliqué. Le président de la République parle maintenant d'une africanisation de ses bases françaises. Qu'est-ce que ça veut dire, Francis Patinde ?
05:35 Alors, ça, c'est une excellente question. Il parle d'une baisse des effectifs français.
05:42 Aujourd'hui, il y a environ 1 600 militaires français dans les bases africaines. En tout cas, c'est les chiffres que nous avons. Vous avez les mêmes ?
05:48 Non, il y en a beaucoup plus. Dans les bases dites historiques...
05:52 Je parle des forces prépositionnées.
05:54 Oui, il y a 3 000 soldats français. Entre Libreville, Dakar, Abidjan et Djibouti, surtout, il y a 3 000 soldats français. En plus des 3 000 qui sont actuellement au Sahel.
06:02 Je vous ai interrompu. Donc, sur l'africanisation, qu'est-ce que ça signifie ?
06:05 Il parle d'une montée en puissance des militaires africains. La transformation de certaines de ses bases en centres de formation.
06:14 Ce sont des idées assez anciennes. Ça n'a rien de nouveau et qu'il a remis au goût du jour. Mais pour le moment, on ne voit pas concrètement à quoi...
06:26 La France a besoin d'être là-bas. Parce que ça permet à l'échiquier international d'exister là-bas.
06:36 Alors, je vois mal comment, dans les 4 ans à venir, on va fermer ses bases et les transformer en centres de formation.
06:42 Oui, en fait, c'est un concept assez ancien, comme le dit Francis. Parce qu'en 1997, la France, c'est alors Jospin le Premier ministre, annonce qu'elle va développer le concept de "recamp".
06:52 Qui est un concept, justement, d'africanisation et de coopération étroite entre l'armée française et les armées africaines.
06:59 Et on retrouve dans les mots de l'époque, à peu près les mêmes mots que ceux qu'a tenus Emmanuel Macron lundi lors de son...
07:06 La nouveauté n'est pas si nouvelle.
07:08 Faisons un pas de côté, revenons en France cette fois. En France, dans l'Hexagone, qui défend aujourd'hui, Rémi Carayolle, le maintien des soldats sur le continent ?
07:17 L'état-major, l'industrie de l'armement, qui aujourd'hui ?
07:21 L'état-major, c'est certain. Pour l'armée française, l'Afrique, c'est quelque chose de très important.
07:26 Et pour tout un tas de raisons. Pour une raison historique, l'Afrique a fait la gloire de l'armée de terre, notamment française.
07:33 Et les officiers sont très attachés à cette terre, de part l'histoire.
07:38 Pour des raisons d'ordre économique aussi, l'Afrique, ce sont des primes, notamment.
07:44 Ce sont des possibilités d'avancement assez importantes.
07:49 Et puis pour des raisons opérationnelles, l'Afrique, c'est un théâtre d'entraînement qui est salué, qui est estimé nécessaire par l'état-major.
07:57 On sait que Djibouti, si cette base est si importante, ce n'est pas seulement pour son plan stratégique, mais c'est aussi parce que c'est un moyen de s'entraîner dans des zones hostiles.
08:06 Et l'industrie de l'armement, qui est particulièrement puissante en France, que dit-elle de cette présence française ? Est-ce qu'elle en a besoin ?
08:14 Alors, moi, je ne suis pas un spécialiste de ces questions économiques, j'ai du mal à le signifier.
08:19 Par contre, je ne pense pas que l'industrie de l'armement ait besoin forcément de cette base.
08:23 Elle, ce qui l'intéresse le plus, c'est les opérations militaires.
08:26 On a vu avec Barkhane et Serval que ça a permis de booster, notamment, les ventes d'armes françaises à l'étranger.
08:32 C'est une forme de vitrine. Sur les bases, je serais un peu plus nuancé.
08:36 Alors avançons, si vous le voulez bien, ensemble sur cette question précise des opérations Serval et Barkhane.
08:43 C'est vrai que depuis une dizaine d'années, la présence militaire française en Afrique a eu un nouveau visage, avec la lutte contre les groupes islamistes au Sahel.
08:51 Qu'est-ce que ça a fondamentalement changé en Afrique, Francis ?
08:56 Pas grand-chose, parce qu'après Serval et Barkhane, on se rend compte que les groupes d'Yaddis n'ont jamais été aussi puissants.
09:04 Il y a toujours des morts, il y a une avancée même de ces groupes.
09:08 Le Mali, aujourd'hui, est quasiment tout le nord et tout le centre est occupé par ces groupes-là.
09:14 Le mouvement s'est étendu vers le Burkina Faso, un peu moins vers le Niger.
09:19 Mais ce qu'on note depuis ces derniers mois, c'est une descente vers les pays côtiers.
09:24 Donc la Côte d'Ivoire, le nord du Ghana, le nord du Togo, le nord du Bénin sont attaqués, sont l'objet d'attaques récurrentes.
09:34 Rémi, je vais vous poser la même question. Je rappelle que vous venez de publier ce livre intitulé "Le Mirage sahélien".
09:39 Quel bilan vous dressez-vous de ces opérations ? Et ce que ça signifie, puisque c'est notre sujet du jour, sur la présence militaire française dans la région ?
09:49 Cette opération s'est soldée par un échec. A peu près tout le monde l'admet, hormis les exécutifs et l'état-major.
09:56 Un échec à la fois politique, parce que la France n'a pas été en mesure d'accompagner les opérations militaires et d'avoir des résultats politiques, mais pas que la France.
10:04 Les États concernés en premier lieu et l'ensemble de la communauté internationale.
10:08 Mais c'est aussi un échec militaire, ce que ne reconnaît pas l'état-major.
10:11 En l'occurrence, les missions qui avaient été assignées à l'armée française n'ont pas été remplies.
10:15 Elle n'a pas été capable, et pour tout un tas de raisons qui seraient très longues d'expliquer, mais elle n'a pas été capable d'endiguer l'avancée des groupes djihadistes.
10:23 Là où, à mon sens, elle a, dans certaines zones, réussi à limiter la casse, à déranger les groupes djihadistes dans leur volonté de développement.
10:34 Mais elle a aussi eu un côté, un aspect négatif, c'est-à-dire qu'elle a empêché cette présence militaire et ce prisme militaire.
10:42 Elle a empêché de chercher des solutions alternatives à celles de la force pour en finir avec ce conflit extrêmement meurtrier.
10:50 Depuis plusieurs années, au Mali, mais dans d'autres pays, des gens avancent l'idée qu'il faut commencer à discuter avec certains de ces chefs djihadistes, de ces groupes.
11:00 Et la France, pendant longtemps, s'y est opposée pour la simple raison que ces soldats se battaient contre ces groupes.
11:06 - Francis Patinde, faites-vous la même analyse ?
11:08 - Absolument. La France a quand même réussi à faire éliminer quelques chefs djihadistes qui ont été liquidés, neutralisés, pour utiliser le terme.
11:18 Et ça, c'est une bonne chose. Mais la France s'est toujours opposée à des négociations directes entre les Maliens et les chefs djihadistes.
11:27 Alors que certains de ces chefs sont des Maliens. Tous ne sont pas des étrangers. Il y a quelques étrangers, mais la plupart sont des Maliens.
11:34 Donc, à un moment donné, il va falloir discuter avec eux.
11:38 - Emmanuel Macron vient donc de prononcer ce discours sur la présence militaire française, je l'évoquais.
11:43 Mais avant ce discours, il y en a eu un autre, très marquant. C'était au début du premier mandat d'Emmanuel Macron, en 2017.
11:50 Discours à l'université de Ouagadougou. Et l'annonce, là encore, d'une rupture avec ses prédécesseurs. On en écoute un extrait, on en parle après.
11:59 - Alors, on m'a dit, ici, c'est un amphithéâtre marxiste et panafricain. Donc, je me suis dit, c'est l'endroit où je dois aller pour m'exprimer.
12:10 (Applaudissements)
12:14 Parce que je ne vais pas venir ici vous dire que nous allons faire un grand discours pour ouvrir une nouvelle page de la relation entre la France et l'Afrique.
12:27 Ou, je ne suis pas venu ici vous dire quelle est la politique africaine de la France, comme d'aucuns le prétendent.
12:34 Parce qu'il n'y a plus de politique africaine de la France.
12:37 (Applaudissements)
12:42 Il y a une politique que nous pouvons conduire. Il y a des amis, il y a des gens avec qui on est d'accord, d'autres non.
12:47 Mais il y a surtout un continent que nous devons regarder en face.
12:53 Alors, il n'est jamais aisé, compte tenu de notre histoire partagée, pour un président français de venir parler comme cela de l'Afrique.
13:02 Et je n'aurai pas la prétention ici d'exprimer la complexité et la diversité d'un continent de 54 pays.
13:09 Le président français à Ouagadougou en novembre 2017.
13:13 Je vous voyais sourire, Francis Patinde. Que reste-t-il de ce discours plus de 5 ans après ?
13:19 Pas grand chose. S'il a éprouvé le besoin de refaire un autre discours lundi dernier, ça veut dire que le discours d'Ouagadougou est quasiment oublié.
13:28 Parce que les promesses n'ont pas été tenues. Il y a eu des promesses beaucoup plus démocratisées.
13:33 La France devait être beaucoup plus regardante par rapport à la gouvernance.
13:38 Elle ne l'est pas ?
13:39 Elle ne l'est pas. Depuis 5-6 ans, elle n'a jamais été.
13:43 Les dinosaures sont toujours là. Il y a eu des susceptions dynastiques.
13:49 Vous voyez, au Tchad...
13:50 Qui sont les dinosaures ?
13:51 Les dinosaures, c'est Bongo au Gabon.
13:54 C'est la Vélistation au Gabon.
13:55 C'est la Vélistation au Congo. Donc ces dinosaures sont toujours là.
13:59 Et pire, le président français est allé à N'Djaména, au Tchad, au moment de la succession.
14:06 Parce que le président Idriss Déby a été tué au front et son fils s'est accaparé du pouvoir.
14:11 Et il a éprouvé le besoin d'aller là-bas pour l'électronisation du fils.
14:18 Ça, ça a beaucoup choqué l'opinion en Afrique.
14:20 Rémi Carayel ?
14:21 Oui, le gros souci avec Emmanuel Macron, c'est que parfois il peut dire des choses qui peuvent être séduisantes,
14:26 mais dans les faits, ça ne se retrouve pas.
14:28 Moi, je prendrais un exemple.
14:29 Qu'est-ce qu'il a dit lundi dans son discours ?
14:31 Il a dit que la France, et lui donc, préfère les institutions solides à des hommes providentiels.
14:38 Or, que voit-on ?
14:40 Effectivement, il va adouber Mahama Idriss Déby, alors que celui-ci vient de faire un coup d'État après la mort de son père au Tchad en 2021.
14:47 Et où se rend-il aujourd'hui ?
14:49 Il se rend au Gabon de la famille Bongo, puisqu'elle est au pouvoir depuis 55 ans.
14:55 Il se rend au Congo, Brazaville, de Denis Sasoun Guesso, qui est au pouvoir depuis 38 ans.
15:00 Et l'été dernier, il s'est rendu au Cameroun de Paul Biya, 90 ans, et au pouvoir depuis 40 ans.
15:06 En fait, le discours de Ouagadougou, où il prétendait s'adresser à la jeunesse,
15:11 et où depuis 6 ans, il prétend s'adresser à la jeunesse et à ce qu'il appelle la société civile, une société civile qu'il choisit.
15:17 Dans les faits, que retrouve-t-on ?
15:20 Finalement, il se retourne vers les présidents emblématiques de ce que l'on appelle le précaré français ou de la France-Afrique.
15:27 Pourquoi ?
15:28 Le principe de réalité, j'imagine.
15:31 Il y a des enjeux économiques qui sont importants, et Emmanuel Macron doit bien quelque part se plier à ces enjeux.
15:38 L'Angola et le Congo-Brazaville, deux des pays où il se rend, sont des pays pétroliers,
15:43 qui occupent une place très importante, notamment pour la firme française Total.
15:48 Tout comme le Gabon, d'ailleurs.
15:50 Le problème, c'est que ces chefs d'État ont une longueur d'avance sur Macron.
15:57 Ils connaissent bien la politique française, ils connaissent bien les membres de l'État-major,
16:02 ils connaissent ceux qui, depuis 1960, ont fait la politique africaine.
16:06 Donc, ils ont une connaissance de la politique globale, et pas seulement africaine, que Macron.
16:11 Mais vous avez entendu, dans ce discours de Ouagadougou, Emmanuel Macron disait
16:15 "La France n'a plus de politique africaine".
16:17 La France a toujours... La France, sans l'Afrique, c'est comme un véhicule sans carburant.
16:24 La France a besoin de l'Afrique pour exister.
16:27 Au plan diplomatique, à l'Assemblée Générale des Nations Unies,
16:31 la France a besoin de l'Afrique pour exister économiquement.
16:34 Il ne faut pas se voiler la face.
16:36 La France a besoin du pétrole, a besoin de l'uranium africain.
16:39 - Rémi Caraïe ? - Imagine-t-on Emmanuel Macron faire un discours sur l'Amérique du Sud
16:45 et disant "La France n'a pas de politique sur l'Amérique du Sud".
16:49 Non ! Il n'y a que sur l'Afrique que ce genre de discours existe.
16:52 C'est bien la preuve qu'il y a encore une politique africaine de la France.
16:55 - Merci à tous les deux. On va continuer à parler de ce lien, toujours très particulier,
17:00 à travers le prisme militaire, mais pas uniquement, parce qu'évidemment,
17:03 quand on parle de l'armée, on parle de bien d'autres choses aussi.
17:07 On vous retrouve tous les deux, Francisque Patinde et Rémi Caraïe, dans une vingtaine de minutes.
17:12 On va essayer de jeter les bases de ce que pourrait être la future relation, si elle change.
17:18 Si elle change, je nuance et je précise tout de suite.
17:22 Merci à tous les deux de vous rester avec nous.
17:24 Il est 8h sur France Culture.
17:26 7h-9h.
17:28 Les Matins de France Culture. Jean Lemarie.
17:33 - Partir ou rester ? Depuis ce matin, nous essayons de comprendre, de cerner,
17:38 les attermoiements de la France sur le continent africain.
17:42 Je vous rappelle qu'Emmanuel Macron est en visite au Gabon.
17:45 Le chef de l'État ira ensuite en Angola, au Congo et en République démocratique du Congo.
17:50 Il est arrivé en annonçant la fin des bases militaires françaises, en tout cas, telles qu'on les connaît.
17:57 Nous sommes toujours avec nos deux invités en studio.
18:00 Francis Patinde, ancien rédacteur en chef du Monde Afrique, enseignant à Sciences Po.
18:05 Et Rémi Carayol, qui vient de publier "Le mirage sahélien. La France en guerre en Afrique" aux éditions La Découverte.
18:12 La France dit qu'elle va être moins visible.
18:16 Visible, c'est le mot employé par Emmanuel Macron dans son discours au début de la semaine.
18:20 Il évoque donc un effacement.
18:22 Mais ceux sur le terrain qu'on voit de plus en plus, ce sont d'autres étrangers.
18:27 Je pense évidemment aux Chinois dans le domaine économique.
18:30 Et puis dans le domaine militaire, on en a énormément parlé ces derniers mois.
18:34 Ce sont les Russes et notamment les Russes de Wagner.
18:37 Cette milice présente notamment au Mali.
18:40 Qu'est-ce que ça pèse, ça Rémi Carayol, dans le contexte et l'annonce d'Emmanuel Macron ?
18:45 Ça pèse énormément dans le sens où on a une arrivée de mercenaires,
18:53 dont le groupe Wagner est intimement lié au pouvoir de Moscou.
18:59 Il faut instruire ça dans le jeu géopolitique mondial et dans le jeu d'influence des nations en compétition.
19:08 Moi, je serais tout de même plus réservé quant à cette annonce de moindre visibilité.
19:15 Puisque dans le même discours, en l'espace de moins d'une minute,
19:18 Emmanuel Macron a annoncé que les soldats seraient moins visibles.
19:21 Mais il a annoncé qu'il fallait être plus visible dans le domaine de la communication.
19:26 Il n'y a même pas une minute entre les deux termes.
19:28 Il y a quand même une espèce de contradiction qui se pose.
19:32 Moins visible ou plus visible ?
19:34 Quelle communication ?
19:36 Ce qu'on appelle à Paris depuis quelque temps la guerre informationnelle.
19:41 C'est-à-dire que Paris estime, à juste titre, être la cible d'une guerre de propagande
19:47 menée notamment par Moscou dans ce qu'on appelle le précaré français.
19:52 Emmanuel Macron refuse ce terme, mais c'est quand même une réalité.
19:55 Donc, il y a cette guerre informationnelle qui se pose.
19:58 Et la France a décidé de contre-attaquer.
20:00 Autant au début, ils ont été assez rétifs à contre-attaquer.
20:04 Maintenant, ils ont clairement décidé de contre-attaquer.
20:06 Mais se pose une question centrale.
20:09 Pourquoi être moins visible militairement alors qu'on sait qu'il y aura toujours une présence,
20:13 mais être plus visible dans la communication alors que l'on sait qu'aujourd'hui,
20:16 s'il y a notamment un rejet de la part d'une partie des populations africaines,
20:20 c'est parce qu'on estime justement qu'il y a eu une trop forte présence de l'ancienne puissance coloniale.
20:25 Là, il y a une contradiction, à mon avis, qu'il faudra à un moment donné résoudre.
20:29 - Francis X. Patinde, est-ce que vous voyez une forme de paradoxe ?
20:32 - Il manie le paradoxe.
20:34 Parce qu'on est absent, présent, on est moins de militaires,
20:38 mais les hommes d'affaires doivent être beaucoup plus présents,
20:42 doivent être agressifs au sens anglo-saxon,
20:46 - Commercials.
20:47 - Au sens commercial, être là-bas, mouiller leurs vestes et tout ça.
20:51 Et les chefs d'entreprise eux-mêmes doivent aller sur ce continent
20:54 et ne pas laisser de second couteau y aller, y compris dans le voyage présidentiel.
20:59 - Ça, c'est ce qu'a demandé, effectivement, explicitement, le chef de l'État.
21:02 Il exhorte les entreprises françaises à agir autrement
21:05 et finalement à ne pas faire comme si leur situation en Afrique était une évidence, un acquis.
21:10 - Parce qu'il prend acte du changement, il prend acte également du désamour.
21:15 Ce désamour est croissant.
21:17 Ce désamour entre l'Afrique et la France, ça ne tient pas à Wagner.
21:21 Wagner, c'est de la date récente.
21:23 Et c'est longtemps.
21:25 Pour nous qui voyageons en Afrique depuis des décennies, on sentait ça venir.
21:31 - De quand le datez-vous, Francis ?
21:33 - Moi, il y a au moins 20 ans, un peu après les conférences nationales de 1990.
21:38 Et quand Chirac a quand même dit que l'Afrique n'est pas mûre pour la démocratie.
21:42 Et quand M. Sarkozy, plus tard, dira à Dakar que l'Afrique n'a pas assez pris le train de l'histoire.
21:48 Que les Africains sont les infatiques assis sous les cocotiers à attendre que l'histoire se fasse.
21:53 Donc tout ça, ça a contribué à envenimer les choses.
21:57 - Rémi, est-ce que vous avez le même sentiment et les mêmes bascules ?
22:03 Les discours, notamment, que Francis Patindez évoquait à l'instant.
22:07 Ça a compté, ça ?
22:09 - Oui, bien sûr. Alors, ces discours illustrent, à mon sens, un phénomène beaucoup plus profond.
22:13 Et qui renvoie à la décolonisation des anciennes possessions françaises sur le continent.
22:19 Une décolonisation qui a été "factice", ou en tout cas, qui n'a pas été complètement accomplie.
22:25 Et ça, ça ressort aujourd'hui.
22:27 C'est-à-dire que ce qu'on a appelé la France-Afrique, ce qu'on appelle toujours parfois la France-Afrique.
22:32 Ce lien, parfois d'ordre incestueux, j'allais dire, entre les élites françaises et certaines des élites des pays africains.
22:45 Aujourd'hui, ça ne passe plus, notamment auprès de la jeunesse africaine.
22:49 Jeunesse qui est très importante et qui est de plus en plus connectée.
22:52 Qui est de plus en plus informée par le biais des réseaux sociaux.
22:55 Et qui n'accepte plus ce que l'on pouvait accepter de manière plus ou moins passive il y a 20 ou 30 ans.
23:01 Je reviens tout de même au poids réel qui est sans doute difficile à évaluer.
23:06 De ces puissances importantes qui continuent à essayer de se développer en Afrique.
23:11 La Chine, évidemment. La Russie, évidemment.
23:14 Savez-vous aujourd'hui évaluer leur poids réel sur le plan militaire, sur le plan politique, sur le plan géostratégique ?
23:23 Francis Patindey.
23:24 Alors, le premier adversaire de la France, si je puis dire adversaire avec beaucoup de guillemets...
23:27 Mais vous dites adversaire quand même.
23:29 L'adversaire, quand même, de la France, c'est la Chine.
23:32 Et d'ailleurs le président ne s'est pas tardé, il n'a pratiquement rien dit sur la Chine.
23:36 Parce que c'est le premier partenaire des pays africains aujourd'hui, commercial, le plan commercial.
23:42 Et ce qu'on ignore, c'est que la Chine est également en dixième position pour les troupes,
23:49 pour sa contribution en troupes pour les opérations de maintien de la paix des Nations Unies.
23:54 Et que c'est le premier contributeur financier de ces opérations de maintien de la paix.
23:58 Au point que le Pékin cherche à prendre la tête du département de maintien de la paix des Nations Unies à New York.
24:05 La Chine est le premier contributeur ?
24:07 La Chine est le premier contributeur en argent et dixième contributeur pour ce qui concerne les troupes.
24:14 Au point qu'actuellement, vous savez que le département, l'important département de maintien de la paix des Nations Unies
24:20 est occupé depuis plusieurs années par des diplomates français.
24:23 Mais la Chine l'origine se pose là.
24:25 Que cherche-t-elle la Chine au-delà des intérêts économiques qu'on a souvent vus ?
24:30 On se souvient des grands chantiers, parfois des chantiers pharaoniques menés par des Chinois sur le continent africain.
24:37 Quel est son but ? C'est du soft power ? C'est plus que ça ? Qu'est-ce que c'est ?
24:41 Au-delà de ça, la Chine veut le commerce, elle veut les terres agricoles, parce que la Chine a besoin de nourrir sa population.
24:48 La Chine investit, mais pas seulement dans l'équipement, les BTP, mais également dans l'avenir, dans la jeunesse.
24:56 Par exemple, la Chine aujourd'hui offre des bourses aux jeunes, aux écoliers africains.
25:01 La Chine invite pour des séjours, des longs séjours, des journalistes africains à Pékin.
25:06 Dans quel pays en particulier ? Plutôt dans l'espace anglophone, dans l'espace francophone, là où sont les anciennes colonies ?
25:12 L'Ethiopie, la Zambie, l'Angola, ça c'est trois des pays où la Chine investit massivement.
25:20 D'ailleurs ces trois pays sont largement endettés, parce qu'il y a beaucoup de pays africains qui sont endettés par rapport à Pékin.
25:28 Et là, la question économique, évidemment, à nouveau, est fondamentale.
25:32 Et quant à la Russie, Rémi Carayol, est-ce que le champ d'intervention de la Russie est le même, encore une fois, au-delà des mercenaires de Wagner et de leur lien, évidemment, avec le Kremlin ?
25:43 La Russie, dans sa stratégie récente, parce qu'il faut savoir qu'il y a quand même une longue histoire entre l'Afrique et ce qu'on appelait à l'époque l'URSS au moment de la guerre froide,
25:51 il y a eu un retrait quelque part de la Russie après l'effondrement de l'Union soviétique, mais la Russie depuis quelques années revient.
25:58 Et c'est clair qu'elle cible plusieurs pays, puisque notamment la Libye, le Soudan sont des pays qui ne sont pas dans la sphère d'influence française, pas directement.
26:07 Mais par contre, depuis quelques années, on voit qu'elle cible très clairement des pays qui relèvent, entre guillemets, de la sphère d'influence française.
26:15 La Centrafrique, évidemment, ça a été quelque part le premier pays du carré français où elle a mis les pieds.
26:20 Le Mali, c'est particulièrement spectaculaire, puisque non seulement les hommes de Wallner ont quelque part pris la place de l'opération Barkhane,
26:28 mais on voit aussi qu'au niveau de l'ONU, le récent vote concernant la condamnation de l'agression russe en Ukraine, on voit que le Mali a voté contre cette fois-ci.
26:39 Donc on voit qu'il y a un effet direct de cette nouvelle coopération.
26:43 Et on sait que la Russie lorgne d'autres pays, notamment le Burkina Faso, même si à l'heure actuelle, rien ne démontre que les autorités burkinabées n'ont accepté la présence, notamment, des mercenaires du groupe Wallner.
26:55 S'agissant de la Chine, Francis Patinde insistait sur l'argument économique, l'intérêt économique chinois. Et alors, l'intérêt russe, quel est-il d'abord ?
27:03 J'aurais tendance à penser, à dire qu'il est plutôt géopolitique, géostratégique, c'est-à-dire qu'on est dans une guerre d'influence, on a besoin d'influence, notamment au niveau de l'ONU.
27:11 La Russie n'a pas, en termes d'intérêt économique, ils sont quand même bien moindres.
27:15 Alors ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de présence de groupe économique russe en Afrique.
27:20 Mais ce n'est pas la même histoire et ce n'est pas la même ampleur.
27:22 Mais c'est clairement pas la même ampleur, la même priorité non plus pour Moscou.
27:24 Bon, vous avez prononcé le fameux mot "France-Afrique". Vous êtes, je crois, le premier, ce matin, autour de cette table, à l'avoir employé.
27:29 Est-ce que la France-Afrique est peu à peu remplacée par une Russ-Afrique ou une Chine-Afrique ?
27:36 Françis Patinde ?
27:37 Moi, je ne crois pas du tout pour la Russie.
27:38 Ou est-ce qu'on a besoin de mots comme ça pour se rassurer, simplifier ?
27:42 Oui, non, pour la Russie, non, pas du tout. Ils n'en sont pas là. Rémi vient de l'expliquer.
27:46 Ils font, par exemple, des manœuvres avec les Sud-Africains, des manœuvres militaires.
27:54 Mais ils n'ont pas de présence commerciale, en fait, en tout cas pas visible. Ils ne sont pas conquérants.
28:01 Ils assurent, ils sont dans le milieu de la sécurité. Ils essayent d'avoir des relations avec les anciens pays qu'ils avaient aidés, comme l'Afrique du Sud.
28:10 Il ne faut pas oublier que l'Union Soviétique était capitale pour la libération de beaucoup de pays africains.
28:16 Des pays comme l'Afrique du Sud, la Namibie, le Mozambique, la Guinée-Bissau. Donc, ils ont été présents.
28:23 Donc, on leur est redevable un peu de ça, sur un plan historique, même si je fais remarquer qu'il y avait des icrénés aussi.
28:30 C'était l'Union Soviétique. Donc, c'était tout ce monde qui aidait l'Afrique. Ce n'était pas que la Russie.
28:35 Si je vous suis bien, la donne tout de même, et la donne géopolitique, est clairement en train de changer sur le continent.
28:43 Vous nous dites aussi que la France commence à comprendre que les choses ont changé.
28:47 Est-ce que, face à ceux que vous avez appelés, Francis Patinde, des adversaires, tout à l'heure, ou en tout cas des rivaux sur le continent dans différents domaines,
28:54 est-ce que la France, aujourd'hui, a une stratégie claire, quand vous entendez le chef de l'État et avec la compréhension que vous avez des événements, Rémi Carayolle et Francis Patinde, là-dessus ?
29:04 On a du mal à cerner la stratégie de la France. De fait, Emmanuel Macron dit lui-même qu'il n'y a pas de politique africaine.
29:11 Alors, est-ce qu'il y en a une ? Est-ce qu'il n'y en a pas une ? Elle est assez difficilement encernable. Moi, je crois que la France a énormément de mal à se...
29:19 La première des choses à faire, en fait, si l'on veut retrouver une forme d'influence sur le continent africain, c'est d'analyser ce qui a été mal fait depuis les indépendances.
29:30 Et c'est le gros déficit, en France, dans le débat public et au niveau des autorités.
29:35 C'est une incapacité à se remettre en question, à voir les choses qu'on n'aurait pas dû faire.
29:40 Et moi, je prends la question, par exemple, de la présence militaire. On sait qu'aujourd'hui, c'est un vecteur de mécontentement puissant.
29:49 C'est un carburant très puissant pour susciter une forme de révolte contre ce qu'on appelle le sentiment anti-français.
29:57 Moi, ce n'est pas un terme que je privilégie, contre la politique française en Afrique.
30:01 Peut-être que le moment serait idéal pour questionner cette présence militaire française, qui est remarquable, dans le sens qu'elle est extraordinaire.
30:09 - Est-ce que ce n'est pas tout de même ce que le chef de l'État fait en ce moment, malgré les ambiguïtés que vous avez pointées ?
30:14 - Dans le discours, il le fait, mais dans les actes, il ne le fait pas. Les bases, aucune n'est fermée.
30:19 La présence au Sahel, alors que l'échelle de Barkhane est consommée, elle est toujours là.
30:24 On a 3 000 soldats qui sont là. On ne sait pas dans quel cadre, d'ailleurs, ils sont là.
30:28 Donc, en fait, pour l'instant, il y a le discours, mais dans les actes, il n'y a rien de concret.
30:32 Il y a deux sujets sur lesquels la France doit discuter, ou en fait, les dirigeants français doivent aborder avec les Africains.
30:41 C'est deux sujets. Le premier sujet, c'est la question des bases.
30:44 Ces bases permanentes, 63 ans après les indépendances, à quoi ça sert ?
30:49 Il faut en parler publiquement, en France, mais également en Afrique.
30:52 Deuxième sujet... - Pardon, je vous interromps juste un instant.
30:55 En parler avec qui ? En parler avec la population dont parle Rémi ?
30:59 Ou en parler avec les dirigeants, parce que vous nous expliquez en même temps, tous les deux,
31:02 que certains dirigeants tiennent à garder des militaires français comme appui, non pas à leur pays, mais à leur propre pouvoir, et parfois à leur pouvoir personnel.
31:10 - Alors, il y a une duplicité chez certains dirigeants.
31:13 Quand vous les voyez en privé ou en cas de jeu, ils vous disent tout à fait autre chose.
31:18 Mais il faut en discuter avec les opinions publiques, avec ceux qui font l'opinion en Afrique.
31:22 La société civile, les syndicats, il faut en discuter.
31:25 Et le deuxième sujet que Macron évite d'aborder, c'est la question monétaire.
31:31 Le franc CFA. Honnêtement, l'opinion publique en Afrique n'en veut plus.
31:37 Et vous savez, une monnaie ne peut pas vivre, ne peut pas prospérer, s'il n'y a pas une adhésion populaire.
31:43 Donc, les gens ne veulent plus de base, mais ils ne veulent pas non plus du franc CFA, même ripolliné, même avec un lifting.
31:54 Et j'ajouterais à cela le fait aussi qu'il faut arrêter de prendre les Africains de haut.
32:00 Il en a parlé, il a parlé de modestie et tout, mais la France doit passer du statut de celui qui dicte
32:06 au statut, à la posture de la personne qui écoute.
32:10 Et ça, c'est important en Afrique.
32:12 - Diriez-vous qu'encore aujourd'hui, les dirigeants français, les uns après les autres, sont dans cette posture ?
32:17 - Ils sont dans cette posture. Je vais vous donner un petit exemple.
32:20 Vous n'y pensez, on pense France-Afrique au niveau global.
32:24 Mais je vais vous dire, pour les entraîneurs des équipes nationales de foot d'Afrique,
32:29 beaucoup d'ambassadeurs appellent le président de la République, même quand la concurrence est entre un entraîneur français et un entraîneur allemand.
32:37 Mais ils obligent, ils poussent, ils font pression pour que ce soit l'entraîneur français qui soit pris.
32:43 Je le tiens de plusieurs ambassadeurs et de plusieurs chefs d'État.
32:46 - Il y a deux ans, Emmanuel Macron avait confié une mission à l'historien camerounais Achille Mbembe.
32:52 Il lui avait demandé de tracer des pistes pour l'avenir.
32:55 Et l'intellectuel à l'époque parlait de « différent à apurer ».
32:59 Vous avez employé encore d'autres mots, mais l'idée est là tout de même.
33:03 C'est ce que vous nous disiez à l'instant.
33:06 Mais alors, par quel bout on le prend encore une fois ?
33:09 Parce que le constat, j'ai l'impression aussi en vous écoutant, qu'il est quand même assez largement partagé aujourd'hui.
33:14 Par où commencer Rémi Carayel ?
33:16 - Alors, je n'ai pas la réponse à cette question.
33:19 Effectivement, ce n'est pas simple.
33:21 Mais à mon sens, il y a quelque chose qui n'a jamais été fait.
33:25 Et qui peut-être devrait être fait à un moment donné.
33:28 C'est une rupture, pas une rupture totale.
33:30 Mais il y a un moment donné où il faut quelque part rompre pour repartir sur des bases saines.
33:36 Quand les bases ne sont plus saines.
33:39 Et c'est ce que ne veulent pas faire les dirigeants français.
33:42 Et certains dirigeants africains aussi.
33:45 Mais ce n'est pas simple, quand on est président français, effectivement, de rompre.
33:49 C'est-à-dire de s'aliéner son pouvoir d'influence au niveau mondial.
33:53 Encore une fois, on en revient à quelque chose.
33:55 Il y a les intérêts économiques qui sont importants, les intérêts militaires.
33:58 Mais il y a l'intérêt géostratégique de l'influence.
34:00 - Puis il y a la question de la sécurité.
34:02 Vous connaissez très bien le Sahel, le djihadisme, la menace terroriste.
34:06 Ou la crainte du terrorisme aussi sur le sol français.
34:09 Ça compte dans le raisonnement ou pas encore ?
34:11 - Ça compte dans le raisonnement des autorités françaises.
34:13 Et pour le coup, j'en parle dans mon livre.
34:15 C'est un raisonnement qui est quelque peu, non pas farfelu, mais...
34:20 C'est une construction artificielle dans le sens où les groupes djihadistes sahéliens
34:24 n'ont jamais, à aucun moment donné, posé d'actes d'agression sur le territoire français.
34:30 Ça a été avancé à un moment donné par les autorités françaises
34:32 quand ils voyaient que l'opération Barkhane commençait à perdre un peu sa bonne image.
34:36 Mais le lien, il est vraiment très ténu.
34:38 Il est fait par les dirigeants français.
34:39 De même qu'ils font le lien avec les questions migratoires aussi.
34:43 Mais en fait, dans le domaine de la recherche, ce lien n'est clairement pas établi.
34:48 À mon sens, c'est une dérive, pas seulement française, mais européenne
34:52 de concevoir le Sahel uniquement comme une frontière sud de l'Europe.
34:56 Il faudrait peut-être là aussi revoir ce mode de pensée-là.
35:00 - Vous posez la question de l'immigration, des migrations.
35:05 Là aussi, Francis, y a-t-il un point à travailler, à explorer, à retravailler
35:10 à la fois de la part des dirigeants français et de la part des dirigeants africains
35:14 qui sont leurs interlocuteurs ?
35:16 - Vous savez, si vous prenez les nationalités des gens qui traversent le Sahara
35:21 et la Méditerranée, en provenance d'Afrique, il y a un pays qui arrive en tête.
35:25 C'est l'Erythrée. C'est le seul pays africain où il n'y a jamais eu d'élection
35:30 depuis l'indépendance. Il n'y a jamais eu.
35:32 C'est le même président, il est là, pas d'élection.
35:35 Vous voyez, il y a aussi, dans certains cas, pour certains migrants,
35:38 il y a des migrants économiques, ça c'est vrai.
35:40 Mais il y a des migrations parce qu'il y a des dictatures en Afrique.
35:45 Il faut le reconnaître.
35:46 Et souvent, les pays occidentaux, la France, mais l'Europe,
35:50 s'accommodent avec cette situation-là.
35:52 Il n'y a même pas la moindre petite dénonciation de cette situation.
35:56 Il y a ça. Mais c'est vrai que plus on étouffera l'Afrique,
36:01 plus les Africains n'auront pas une maîtrise sur leur économie,
36:05 plus les gens viendront en Europe.
36:08 Aujourd'hui, Emmanuel Macron participe à un sommet sur la forêt au Gabon
36:14 et les autorités françaises présentent la défense de l'environnement
36:18 comme un axe commun, un combat majeur qu'Africains et Européens
36:22 et notamment Français pourraient mener ensemble.
36:25 Est-ce que l'écologie peut être un vrai ciment d'une nouvelle relation
36:29 au-delà de la question cruciale, notamment militaire,
36:31 qu'on a évoquée longuement ce matin ?
36:33 Je vais vous décevoir.
36:35 Mais l'écologie, ou l'environnement, ou les problèmes,
36:39 ce sont des constructions occidentales.
36:42 Ce n'est pas une cause populaire en Afrique.
36:46 C'est-à-dire que les gens prennent conscience quand il y a des inondations,
36:49 quand il y a la sécheresse, des choses concrètes comme ça.
36:53 Mais ce n'est pas encore une cause populaire.
36:55 Et vous aurez noté comme moi que la France, qui demande à beaucoup d'Africains
36:59 de parler français, qui a créé une agence qui s'appelle
37:03 l'Organisation Internationale de la Francophonie,
37:06 le nom, la dénomination du sommet dont vous parlez à Libreville
37:10 est déclinée en anglais.
37:12 The One Forest Summit.
37:14 C'est vrai.
37:16 Il y a un élément qui me semble quand même très important.
37:19 Le Gabon, qui est le pays hôte de ce sommet,
37:22 a basé sa stratégie de communication à l'international
37:27 sur cette soi-disant politique écologique.
37:30 Mais c'est une forme de greenwashing d'ordre public.
37:32 Plutôt que sur le pétrole.
37:33 Parce que le Gabon dépend encore à 80% de ses exportations du pétrole
37:37 et le pays qui, proportionnellement à sa population,
37:42 est celui qui pratique le plus la technique du torchage.
37:45 Le torchage, c'est une technique extrêmement polluante
37:47 qui consiste à brûler les gaz qui sont issus de l'extraction du pétrole.
37:51 Je vous invite à lire un article qui a été publié sur le site Afrique 21 il y a quelques mois
37:58 qui démontre que le Gabon pratique cette politique du torchage
38:03 qui entre en contradiction totale avec la défense de l'environnement.
38:06 Donc on est dans une forme de greenwashing.
38:09 Et quelque part, la visite de Macron au Gabon,
38:12 au prétexte de ce sommet, pose une question
38:16 qui est posée par les Gabonais en l'occurrence.
38:18 Est-ce que, quelque part, ce n'est pas un soutien politique à Ali Bongo
38:22 qui, il faut quand même le préciser, va certainement se représenter à l'élection présidentielle
38:27 qui aura lieu dans quelques mois ?
38:28 Les Gabonais estiment que c'est le cas.
38:30 Je n'ai pas la réponse à cette question
38:32 mais beaucoup de Gabonais pensent que c'est plus de cet ordre que se relève cette visite.
38:36 - Francis Patinde, oui.
38:37 - Oui, parce que M. Bongo vient de passer 14 ans.
38:41 Parce que le mandat du 7 ans, renouvelable, il va...
38:44 C'est renouvelable à l'infini.
38:46 Et il va certainement solliciter un troisième mandat dans quelques mois
38:51 puisque l'élection est peut-être septembre-octobre.
38:53 Et on peut considérer que la présence d'Emmanuel Macron est un coup de pouce politique à ce monsieur.
39:00 - Et donc on revient à...
39:02 - Et c'est perçu par la population ainsi, en tout cas.
39:04 - A des habitudes et à des traditions plutôt anciennes, si je vous suis bien entendu.
39:08 - En tout cas, dans la perception des choses.
39:09 Ce n'est pas forcément la volonté d'Emmanuel Macron
39:11 mais la perception, c'est celle-ci, de la part de beaucoup d'Africains.
39:14 - Merci à tous les deux.
39:16 C'était très clair et très intéressant de vous entendre articuler ces différents domaines.
39:20 C'est ce que je retiens aussi en vous écoutant.
39:22 C'est à quel point, en partant de la question militaire,
39:25 la question notamment des bases françaises,
39:27 on voit les plans et les arrière-plans qui se succèdent dans cette relation complexe, toujours,
39:33 entre la France et ses partenaires africains.
39:37 Merci à tous les deux.
39:38 Francis Patinde, ancien rédacteur en chef du Monde d'Afrique,
39:41 enseignant à Sciences Po Paris.
39:44 Merci à vous également Rémi Carayol.
39:46 Je rappelle le titre de votre livre.
39:48 Le mirage sahélien, la France en guerre en Afrique.
39:51 Serval, Barkhane et après, point d'interrogation aux éditions.
39:55 La découverte, on peut retrouver vos analyses et cet entretien sur l'appli Radio France
40:00 et sur franceculture.fr.
40:02 Dans un instant, un nouveau point sur l'actualité.
40:05 [Musique]
40:07 France Culture
40:09 L'esprit d'ouverture