Maya Noël, directrice de France Digitale est l'invitée éco de franceinfo vendredi 5 avril 2024.
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00:00 L'invité éco, Isabelle Raymond.
00:03 Bonsoir à toutes et à tous et bonsoir à vous Maya Noël.
00:06 Vous êtes à la tête de France Digita, l'association qui regroupe des start-up très connues comme
00:11 Back Market et Brut ou encore très prometteuse comme Pascal qui est spécialisé dans l'informatique
00:17 quantique.
00:18 Hier, le ministère de l'économie annonçait le lancement d'un appel à projet de plusieurs
00:22 dizaines de millions d'euros pour développer des applications basées sur l'IA générative.
00:27 Est-ce que ça va suffire Maya Noël ?
00:29 Je trouve déjà que c'est une excellente nouvelle parce qu'effectivement je pense
00:32 que si on veut développer un usage cohérent, intelligent auprès de la plupart de la population
00:39 sur l'IA générative, il faut effectivement un financement.
00:43 Mais financer la technologie, ça ne suffit pas.
00:45 Ce qu'il faut comprendre c'est que l'intelligence artificielle appartient en fait à une filière.
00:49 Derrière l'usage qu'on en fait, quand on parle de chaque GPT, il y a en fait des matières
00:53 premières qu'on va extraire pour pouvoir construire des circuits intégrés.
00:56 Il y a ensuite toute l'infrastructure, à savoir les réseaux, les câbles sous-marins.
00:59 Et tout ça en fait, c'est ce qui capte la grosse valeur derrière l'intelligence artificielle.
01:04 Et ça, c'est pas grand-père ?
01:05 Et ça, alors il existe des acteurs européens.
01:07 D'ailleurs, c'est ce qu'on peut trouver dans une étude qu'on a publiée cette semaine
01:09 sur la chaîne de valeur de l'IA générative.
01:12 Il y a des acteurs européens qui existent à chacun des niveaux de cette chaîne de
01:16 valeur.
01:17 Néanmoins, si on regarde effectivement la partie infrastructure, elle est clairement
01:21 en position de quasi-monopole par des acteurs américains.
01:23 Et sur la partie basse, les circuits intégrés, on sait que l'acteur Nvidia aujourd'hui
01:27 a une capitalisation boursière qui dépasse tout le CAC 40 réuni.
01:30 Alors, en revenant quand même juste à la question du financement, le mois dernier,
01:35 un rapport mis à l'Élysée estimait qu'il fallait investir 5 milliards d'euros par
01:38 an pour espérer concurrencer les États-Unis et la Chine.
01:42 On parle de quelques dizaines de millions d'euros seulement en France d'argent public.
01:47 Sur la partie applicative, effectivement.
01:49 Ça semble comme très très peu.
01:50 C'est le volet investissement.
01:51 L'investissement ne suffit pas.
01:53 Ce qu'il faut aussi, c'est une véritable volonté politique de développer toute la
01:57 filière.
01:58 Et vous pensez qu'elle existe cette volonté ?
01:59 Je pense qu'elle est en cours.
02:00 En tout cas, c'est nous, c'est ce qu'on essaye de pousser.
02:02 On a sorti un manifeste européen à destination de tous les décideurs publics.
02:05 On a rencontré toutes les tests de liste.
02:07 On rencontre les députés.
02:08 On rencontre les commissaires.
02:09 Juste avant les élections européennes.
02:11 Juste avant, qui vont être un moment, je pense, ultra stratégique pour la politique
02:15 en faveur de l'innovation.
02:16 Donc, il faut cette volonté-là.
02:17 Et oui, je pense que l'investissement ne suffit pas.
02:20 Ce dont ont besoin nos start-up, nos entreprises, ce sont des commandes.
02:23 Des commandes publiques et des commandes privées.
02:25 Et donc, ça passe notamment par une préférence européenne.
02:28 Vous défendez l'idée d'un « Buy European Tech Act ».
02:32 En gros, favoriser les achats technologiques européens, que ce soit les acteurs publics
02:38 ou les acteurs privés.
02:39 Tout à fait.
02:40 Parce que ce qu'on voit dans les faits, c'est que les Américains vont favoriser
02:43 l'achat de produits américains.
02:45 Il n'en va de même pour les Asiatiques.
02:46 Et si les Européens n'achètent pas européens, personne ne fera notre place.
02:50 En même temps, on voit que Mistral, start-up dont j'ai reçu le patron ici à votre place,
02:55 a été obligé de nouer un partenariat avec Microsoft.
02:57 Ça montre bien qu'on est dépendant des Américains.
03:00 C'est ce que je dis, il y a une situation de dépendance.
03:02 Maintenant, il n'est pas trop tard pour en sortir.
03:03 Même quand Mistral noue un partenariat avec Microsoft ?
03:07 Le partenariat de Mistral est un partenariat commercial non exclusif.
03:10 Donc, il se sert de Microsoft pour pouvoir se déployer à plus grande échelle.
03:14 C'est malin de le faire et c'est plutôt un bon signe de savoir que des gros acteurs
03:18 américains sont d'accord.
03:19 Mais ça veut dire que c'est indispensable aussi Maya Noël ?
03:21 Aujourd'hui, c'est indispensable.
03:22 Il faut justement pouvoir sortir de cette dépendance et de créer notre autonomie stratégique.
03:27 Ça passera par des financements, mais aussi par des commandes et une volonté politique.
03:30 Avec l'IA Act, l'Europe est le premier continent à réguler l'intelligence artificielle,
03:36 notamment générative.
03:37 Le commissaire européen Thierry Breton dit qu'on oblige ainsi les acteurs de l'IA,
03:41 notamment américains, à se conformer à nos règles.
03:43 Est-ce que vous êtes d'accord ?
03:44 Je suis d'accord que la philosophie de l'IA Act est très bonne.
03:48 Ce que veut ce texte, c'est faire en sorte que l'usage qui est fait de l'intelligence
03:51 artificielle soit un usage qui respecte la société, qui respecte l'environnement.
03:55 Voilà, on pose le cadre.
03:56 Néanmoins, il y a la loi du marché.
03:58 Et si en fait, les seuls acteurs qui se développent sont des acteurs étrangers qui décident
04:02 de ne pas respecter nos règles, ça ne fonctionnera pas.
04:04 Donc, je pense que l'IA Act est très défensif, mais néanmoins pose le cadre et je pense
04:09 qu'on peut en être fiers.
04:10 Mais ça impose quelques contraintes économiques à nos acteurs et si on s'impose des contraintes
04:15 avant d'être offensif dans le déploiement de nos entreprises, ça peut nous mettre un
04:19 peu en retard.
04:20 Et ça, ça vous inquiète ?
04:21 Nous, ça nous inquiète.
04:22 On a beaucoup collaboré sur le texte.
04:25 On a créé beaucoup d'amendements pour que justement le cadre ne soit pas trop contraignant
04:28 pour les petites start-up, les petites structures qu'on présente.
04:31 Mais je pense tout de même qu'il va dans le bon sens.
04:33 Parce que ce que dit Thierry Breton, c'est qu'on donne le lard.
04:35 En gros, on est le premier marché au monde devant les Américains, devant les Chinois.
04:40 On a une puissance réglementaire et c'est très bien.
04:42 Ça pose le cadre.
04:43 Mais si on ne fait que réguler et qu'on n'innove pas derrière, ça ne sert à rien.
04:47 Alors, aujourd'hui, les start-up, est-ce qu'elles peuvent se financer, se développer
04:50 à travers des levées de fonds et même sans marché des capitaux au niveau européen ?
04:54 Est-ce que l'écosystème, il existe et est-ce qu'il est fort aujourd'hui ?
04:57 Je pense qu'on a différentes nations, notamment la France, qui prouvent qu'elles sont capables
05:01 d'innover et il y a des beaux écosystèmes qui émergent.
05:03 Mais le marché seul de la France, c'est 60 millions d'habitants.
05:06 L'Europe, c'est 450 millions.
05:08 Les Etats-Unis, c'est 300 millions.
05:10 Il faut qu'on joue au niveau européen et le marché unique européen aujourd'hui
05:13 n'existe pas véritablement.
05:14 Il faut qu'on arrive à jouer plus collectif.
05:16 Et si vous aviez un message, un passé au candidat, aux élections européennes qui
05:21 arrivent au début juin ?
05:22 Soyons offensifs et n'ayons pas peur d'innover.
05:25 D'accord.
05:26 Et donc, ça passe à travers ?
05:27 Notamment, cette commande publique et privée qui doit être absolument fléchée envers
05:30 des acteurs européens pour faire en sorte que nos champions, qui existent déjà,
05:34 Donc ça, ça veut dire quoi ?
05:35 Qu'il faut des critères préférentiels ?
05:36 Des quotas, par exemple, en disant que si vous commandez en tant qu'acheteur public
05:40 ou privé, vous devez réserver une poche à des acteurs technologiques européens.
05:44 Mais ça, ça n'existe pas aujourd'hui ?
05:45 Aujourd'hui, ça n'existe pas.
05:46 Et vous êtes allé voir les différents candidats, les différentes listes pour leur
05:50 faire ces propositions ? Est-ce que vous avez senti que ça bougeait, que ça pouvait
05:54 faire partie des propositions ?
05:55 On sent que ça prend, qu'il y a un intérêt.
05:57 Aujourd'hui, il n'y a pas de préférence européenne parce que c'est difficile en
06:00 tant qu'entreprise de se sentir européenne.
06:02 L'écosystème, le réseau européen n'existe pas encore véritablement au niveau
06:06 du pays.
06:07 Aujourd'hui, il y a une concurrence nationale entre les pays.
06:09 Mais on sent que les choses sont en train d'évoluer.
06:11 Après, c'est vrai que les règles de l'OMC font qu'il est très compliqué d'impliquer
06:14 ce genre de critères.
06:15 Mais quand on y regarde de près, comme je vous le disais, si les Américains ne respectent
06:18 pas ces règles, pourquoi est-ce que nous, on irait jusque là ?
06:21 Donc, je ne dis pas qu'il faut faire du protectionnisme.
06:24 Je dis juste qu'il faut sensibiliser les acheteurs publics comme privés au fait qu'il
06:27 existe des alternatives technologiques françaises et européennes.
06:30 Merci beaucoup, Maya Noël, directrice générale de France Digital.
06:33 Vous étiez l'invité éco de France Info ce soir.
06:36 Merci.