Réindustrialisation de la France : "Si nos acheteurs publics était aussi patriotiques qu'en Allemagne, on ferait 15 milliards d'euros en plus de "made in France", assure le spécialiste Olivier Lluansi

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00:00Bonsoir à toutes et à tous, nous parlons industrie ce soir.
00:06Bonsoir Olivier de Lancy.
00:07Bonsoir.
00:08Enseignant à l'école des mines, ancien délégué au territoire d'industrie, l'an dernier,
00:12le ministère de l'économie vous confie une mission sur la réindustrialisation, vous
00:16le remettez, il n'est pas rendu public donc, vous en avez fait un livre, « Réindustrialiser
00:20le défi d'une génération », édition Les Déviations, d'abord vous savez pourquoi
00:24il n'a pas été dévoilé ce rapport ?
00:25Alors d'abord c'est un rapport qu'on a écrit un peu collectivement même si j'ai
00:29tenu la plume, j'étais entouré par une vingtaine de personnalités, des industriels,
00:33des élus locaux, régionaux, un sociologue, un philosophe, c'était une réflexion collective
00:38et puis quand on demande à des personnes un peu indépendantes, une mission indépendante,
00:42il peut arriver le fait que ce qu'on va mettre en lumière n'est pas tout à fait l'heure
00:46de plaire et c'est peut-être ce qui est arrivé, je ne pourrais pas vous le confirmer
00:50mais c'est ce que j'imagine.
00:51C'est votre intuition, vous dites promettre une industrie à 15% du PIB en 2035, c'est
00:56pas tenable en gros, il faut être plus réaliste ?
00:58Ça fait partie des aspects de réponse à votre première question, oui en effet on
01:03a promis 15% d'industries en 2035, 15% c'est la moyenne européenne, alors c'est pas
01:08un objectif qui à long terme est indécent, au contraire il faut le garder à long terme.
01:12On est à combien aujourd'hui ?
01:13Aujourd'hui on est à 10% et ce que je dis c'est qu'en 10 ans, ce que nous disons
01:16c'est qu'en 10 ans on peut rattraper peut-être la moitié du chemin, en tous les cas en
01:20étant ambitieux mais réaliste, mais on n'arrivera pas jusqu'à la moyenne européenne pour
01:24des raisons assez simples, on n'a pas assez d'électricité décarbonée, il nous faudra
01:28beaucoup de fonciers et on s'est contraints avec le principe du zéro artificialisation net,
01:32et puis il faudrait former beaucoup plus de gens que ce qu'on est capable de former
01:36aujourd'hui au métier industriel.
01:37Donc c'est quoi, c'est 12%, 13% ? Ça par contre c'est jouable ?
01:40Alors c'est exactement la conclusion à laquelle on est arrivé, sauf que 12, 13%
01:45je ne sais pas si ça parle à beaucoup de gens, donc on a essayé de l'exprimer différemment
01:49et on dit à 2035 on pourrait avoir une balance commerciale en biens équilibrés, c'est-à-dire
01:53que la France vende à l'extérieur autant de biens manufacturés qu'elle en achète,
01:58aujourd'hui on a moins 60 milliards et dans les dernières années on a oscillé, hors
02:03les périodes Covid qui étaient terribles, entre moins 60 et moins 100 milliards, ça
02:07dit quand même le niveau d'ambition qu'on fixe avec cet objectif-là.
02:10J'ai conscience que la question est vaste et qu'on n'a pas 4 heures mais on en est
02:13où là concrètement ? Est-ce qu'on a endigué la désindustrialisation ?
02:17Alors oui on a endigué la désindustrialisation à peu près à partir de 2009, mais depuis
02:222009, présidence Sarkozy, état généraux de l'industrie, on a eu le rapport Galois,
02:27les plans Montebourg, France relance, France 2030, plein d'outils politiques qui nous
02:31promettaient de faire notre réindustrialisation et le constat qu'on peut faire c'est que
02:36si on parle en points de PIB, c'est un des indicateurs, on est plat, même un peu descendant,
02:41quand on est en emploi, on a créé des emplois industriels, 20 000 par an par exemple pendant
02:46les dernières années, il aurait fallu en faire au moins le triple pour être sur une
02:50véritable trajectoire de réindustrialisation.
02:52Donc on est sur un espèce de faux plat, une décennie de stabilisation qu'il faut maintenant
02:58transformer, il faut transformer l'essai et rentrer véritablement dans une trajectoire
03:03de réindustrialisation.
03:04Et alors comment on fait ça tout en rendant cette réindustrialisation compatible avec
03:07les enjeux environnementaux par exemple ?
03:09Alors d'abord très clairement, il n'y aura pas de réindustrialisation si elle ne s'insère
03:13pas dans notre trajectoire environnementale, ça c'est une certitude, on ne réindustrialise
03:18pas pour réindustrialiser, pour planter des usines, on réindustrialise pour trois
03:22raisons, réduire notre empreinte environnementale, 50% de notre empreinte carbone est importée,
03:29pour gagner de la souveraineté, on l'a tous vu pendant le Covid, et puis pour faire de
03:32la cohésion territoriale, c'est-à-dire remettre des bons emplois, de la création
03:35de valeurs ajoutées dans les territoires, ça c'est les objectifs, les finalités d'une
03:41réindustrialisation.
03:42Après comment on fait ? C'est un autre aspect qu'on a mis en avant dans cette mission
03:46et qui décale un petit peu le discours qu'on a entendu auparavant, on dit que les nouvelles
03:51filières, les startups, les gigafactories, c'est nécessaire, c'est comme ça qu'on
03:56passera à la nouvelle génération, mais ça ne représente qu'un tiers de notre potentiel
04:00de réindustrialisation.
04:01Les filières de rupture c'est quelque chose, mais attention, n'oubliez pas ce qui existe
04:05déjà.
04:06Et voilà, exactement.
04:07Et les deux autres tiers c'est en fait les projets des PMI, des ETI qui sont ancrés
04:10dans nos territoires, s'ils arrivaient à faire tous les projets qu'ils ont dans
04:13leur carton, on ferait les deux tiers du chemin.
04:16Et eux, si on continue à la métaphore, on les a un peu oubliés au bord du chemin,
04:21on les a beaucoup moins aidés, on l'a fait pendant France Relance, mais depuis on a focalisé
04:26la communication sur les startups, les gigafactories et les ressources publiques, beaucoup, beaucoup
04:31sur ces filières essentielles pour l'avenir, mais ce n'est pas elles qui feront toute
04:35notre réindustration, elles ne suffiront pas.
04:37On parle beaucoup du Made in France, mais est-ce que concrètement, dans les faits,
04:40les politiques publiques, la commande publique suivent ?
04:42Alors, le Made in France, c'est essentiel, on ne produit pas pour produire, on ne produit
04:45pas pour se faire plaisir à produire, on produit pour vendre, donc un produit fait
04:49en France, il faut qu'il trouve son achat, il faut qu'il trouve l'acheteur.
04:52Et le constat qu'on a fait, c'est que notre commande publique était moins patriotique
04:57que nous, consommateurs français, c'est-à-dire que quand l'État achète des biens, il en
05:01achète en proportion moins de Made in France que vous et moi lorsqu'on va dans un magasin
05:06et qu'on achète un objet, un équipement, ce qui est quand même un peu paradoxal.
05:10Et ce qu'on a mis en lumière, c'est que si nos acheteurs publics, notre commande publique
05:15était aussi patriotique que l'est celle de l'Allemagne, on ferait 15 milliards d'euros
05:20en plus de Made in France.
05:21Ce chiffre de 15 milliards d'euros, ça fait beaucoup, c'est juste un quart de notre déficit
05:26commercial.
05:27Avec ce levier-là, on réduirait de un quart notre déficit commercial qu'on propose de
05:32ramener à zéro en 2035.
05:34On voit bien que ce levier est à la hauteur de l'enjeu et qu'il n'est pas pleinement
05:38utilisé.
05:39Il y a un dossier très urgent sur la table du nouveau gouvernement, c'est celui du budget.
05:42Se pose, face à l'état des finances publiques, la question de hausse d'impôts, notamment
05:47pour les grandes entreprises.
05:48Vous, quel est votre regard sur cette question-là ?
05:50À partir du moment où on dit que notre réindustrialisation est une priorité parce
05:54que c'est même une nécessité pour le financement de notre système social, pour notre projet
05:59de société, et il faut bien prendre en compte le contexte actuel, je dirais assez simplement
06:04n'en rajoutez pas à ce que déjà payent les entreprises industrielles.
06:09On a un problème de compétitivité fiscale par rapport à l'Allemagne et à l'Italie.
06:14Donc n'ayez pas la main lourde dessus parce qu'on va enrayer tous les efforts qu'on a
06:18fait depuis une décennie si on va dans cette direction-là.
06:21Ce nouveau gouvernement a un ministre délégué chargé de l'industrie, Marc Ferracci.
06:25Est-ce que vous avez un message à lui lancer ?
06:27J'en ai deux et je vous les ai déjà un peu présentés.
06:30Le premier, c'est qu'avoir un objectif politique, c'est essentiel parce que c'est
06:34un moteur pour l'ensemble de la nation et donc reprendre cet objectif qu'on a proposé,
06:39il peut être amendé, mais nous redonner un objectif ambitieux mais réaliste parce
06:44que des objectifs où on dit on va aller sur Mars quand on n'est pas capable d'alunir,
06:48à un moment donné c'est déceptif, donc recaler notre objectif collectif.
06:52Et puis le deuxième point, c'est rééquilibrer nos efforts pour favoriser le développement
06:57du tissu industriel existant, garder et développer ce qu'on a avant de réinventer quelque chose
07:03qu'on n'a pas encore.
07:04Il faut le faire, il faut essayer, mais appuyons-nous déjà sur nos atouts.
07:08Merci beaucoup Olivier Luance, vous êtes enseignant à l'école d'Émile, je rappelle
07:11le titre de cet ouvrage dont on parlait pendant cette interview, « Réindustrialiser le
07:16défi d'une génération ». Vous étiez l'invité Echo de France Info.
07:19Merci beaucoup.

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