Débat éco ce vendredi avec Dominique Seux x Anne-Laure Delatte. Thème de cette semaine : "Médicaments, panneaux solaires... que fait la France pour préserver la souveraineté ?"
Retrouvez tous les débats économiques de Dominique Seux et Thomas Porcher sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-economique
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00:00 Le Débat Éco avec Anne-Laure Delatte et Dominique Seux. Bonjour à tous les deux !
00:04 Bonjour !
00:05 Débat Éco cette semaine, Anne-Laure Delatte, vous êtes chercheuse au CNRS, professeure
00:09 associée à l'université Paris-Dauphine PSL. Bienvenue à vous et merci de participer
00:13 au débat. Et face à vous, Dominique Seux, cette semaine, deux événements économiques
00:18 ont fait ressurgir la question cruciale de la souveraineté, souveraineté industrielle,
00:24 souveraineté économique. Dans le domaine des médicaments d'abord, il y a le leader
00:27 français des génériques, Biogarant, qui est à vendre. Il se murmure que deux industriels
00:32 sont sur les rangs. On a également appris qu'un des derniers industriels des panneaux
00:37 photovoltaïques, Sistovi, a fermé son usine. Et pendant ce temps, à Bruxelles, les dirigeants
00:43 européens se sont réunis pour parler compétitivité. D'abord, est-ce que les deux exemples que
00:48 je viens de citer vous inquiètent, Anne-Laure Delatte ?
00:51 Oui, c'est inquiétant. Sur Biogarant par exemple, vous avez dit que c'est le champion
00:56 des génériques en France. Et c'est vrai que c'est très inquiétant de penser qu'on
01:00 peut délocaliser cette production parce qu'on peut se retrouver face à des pénuries. Et
01:05 c'est là un enjeu de souveraineté. Donc il va falloir clarifier d'abord si c'est
01:11 racheté, alors est-ce que ce sera délocalisé ? Et si c'est délocalisé, alors est-ce
01:15 qu'il y a un risque de pénurie ? La direction de Biogarant nous dit qu'elle
01:21 vend parce que les médicaments ne sont pas assez chers en France et qu'il y a trop
01:25 de charges fiscales. Ça c'est l'argument de Biogarant. Après il y a un élément qui
01:29 est intéressant, c'est que Biogarant en fait c'est une société du groupe Servier.
01:33 Servier qui est rattachée au scandale Mediator et qui a une énorme sanction qui vient d'être
01:39 condamnée en décembre et donc qui est à la recherche de liquidité parce qu'il faut
01:43 qu'ils sortent 450 millions d'euros. Et donc qu'est-ce que c'est ? Est-ce que
01:47 Servier est en train de rechercher de la liquidité en vendant une de ces sociétés ? Finalement
01:53 est-ce que c'est vraiment un enjeu de souveraineté ? Est-ce qu'il faut mobiliser de l'argent
01:56 public pour ça ? Bonne question, Biogarant est à vendre, deux
01:59 industriels sont sur les rangs de Munich, on sait qui c'est ?
02:01 Alors en fait il y a deux industriels indiens qui sont sur les rangs, il y a au total quatre
02:06 industriels qui seraient sur les rangs, deux européens, des fonds d'investissement et
02:11 deux indiens. Et la question c'est de savoir si l'État, parce que l'État va avoir
02:16 un rôle et d'ailleurs l'État a donné une indication hier. Ce qui est intéressant
02:20 dans ce sujet, Biogarant c'est 350 millions de médicaments vendus par an, donc c'est
02:25 considérable, c'est le leader du générique, donc c'est important et il fabrique en sous-traitant
02:31 mais il fabrique en France. Et on n'a pas un peu le problème de ne pas
02:34 penser au Covid et à la période où on manquait de médicaments parce qu'ils étaient produits
02:37 à l'extérieur. Donc le point intéressant lié au sujet
02:39 souveraineté c'est est-ce que les pouvoirs publics peuvent avoir un moyen de regarder
02:46 ce dossier ? Et la réponse est oui, elle a été apportée d'ailleurs par le ministre
02:48 de l'Industrie Roland Descourt hier. Il y a une procédure, ça permet de la redécouvrir
02:51 à ce moment-là, il y a une procédure qui s'appelle "investissement étranger en
02:55 France", IEF, passons pour les auditeurs que ça n'intéresse pas beaucoup dans les
02:58 détails techniques, c'est est-ce que l'État peut dire "attendez il s'agit de la santé
03:03 donc on pose des conditions" et la réponse est oui. Donc l'État a déjà indiqué
03:07 hier qu'il posera des conditions. Donc à mon avis, si ce sont les indiens qui rachètent,
03:13 ils devront prendre des engagements signés pour maintenir la fabrication en France,
03:17 ce sera, à mon avis le plus probablement, ce sera des investisseurs européens qui rachètent.
03:22 Donc on voit bien qu'à travers cet exemple, et on va évidemment parler des panneaux solaires
03:27 aussi, on voit bien que la doctrine française et européenne, mais française en l'occurrence,
03:31 est en train de totalement changer. Les pouvoirs publics peuvent dire non, et ils ont déjà
03:36 dit non à un exemple, ils ont bloqué leur achat de Photonis il y a maintenant quelques
03:43 années qui devait être acheté par un américain, c'était sur des appareils d'optique militaire,
03:51 vous avez des choses très techniques. L'État français a dit non et ça a été racheté
03:55 par un européen et depuis ça se développe considérablement, ça a même changé de
03:59 nom. Anne Lordenat, vous acquiesciez. Alors on va passer donc à la question des panneaux
04:02 photovoltaïques, Sistovi, là en l'occurrence l'usine a fermé. Est-ce que c'est un cas
04:08 là aussi qui vous inquiète, considérant que la France n'est pas un très grand producteur
04:12 de panneaux solaires ? En fait, dans l'ensemble, ce que vient de
04:19 nous dire Dominique, c'est qu'on met tous de plus en plus de protectionnisme, on met
04:23 tous de plus en plus de protection contre la concurrence étrangère, justifiée par
04:32 des enjeux de souveraineté, de dépendance, de risque, de sécurité. Mais cette procédure
04:39 dont vous parliez Dominique, de contrôle des investissements étrangers, c'est hyper
04:43 important et on va probablement la mettre en place. Mais en fait derrière, ce qu'il
04:48 faut savoir, c'est qu'il y a énormément d'aides d'État qui sont mises au profit
04:52 de ces entreprises, dans des montants qu'on n'a jamais vus. En fait, il y a énormément
04:56 d'argent public en ce moment qui est mis, justifié par ces enjeux de sécurité. Par
05:01 exemple, en subvention publique, on vient de verser 2,9 milliards en France à deux
05:08 sociétés dont une, ST Micro. 2,9 milliards au moment où on est dans le rouge budgétaire.
05:24 Ou par exemple, pour sauver l'école en Seine-Saint-Denis, il faudrait 350 millions. Donc c'est important,
05:30 probablement, la sécurité, c'est très important qu'on se protège. Par contre, il faut être
05:35 sûr que cet argent public, il est utilisé de façon juste et efficace.
05:40 - Dominique Seux, sur la question de la délimitation de ce périmètre qui relève de la souveraineté
05:45 ou de la sécurité. - L'exemple des panneaux solaires est très
05:48 intéressant parce qu'on peut avoir deux thèses différentes. La première thèse, et ça
05:51 vaut exactement pour les voitures électriques chinoises, pour les panneaux solaires, pour
05:55 les pompes à chaleur qui viennent de Chine. Si on veut accélérer la décarbonation pour
06:02 le climat, on a intérêt à importer très vite des panneaux solaires de Chine parce
06:07 qu'ils sont moins chers et donc tous les gens qui veulent se décarboner doivent les
06:12 acheter très vite. Et donc c'est moins cher, donc c'est plus facile. Donc du point de vue
06:15 purement climatique, il vaut mieux laisser les Chinois arriver. Et ça a été la politique
06:21 européenne pendant 20 ans. Au fond, ça n'est pas de la haute valeur ajoutée, on leur fait
06:25 faire. Et évidemment, il y a revers à ça. Donc si on bascule de l'autre côté, c'est
06:30 l'enjeu industriel, c'est l'enjeu de l'emploi, c'est l'enjeu de la dépendance
06:34 des pénuries. Mais on voit bien que la conception française et européenne a complètement
06:38 changé ces derniers mois. Même au ministère de la Transition énergétique en France,
06:43 ils disent "attendez, les voitures chinoises, c'est bien, ça va baisser nos émissions,
06:47 ça va nous permettre de respecter nos engagements". Mais ce qui a changé...
06:50 - Mais quand on a la résubvention, les ventes de voitures électriques s'effondrent.
06:54 - Alors, le mot "effondrer" est peut-être un petit peu...
06:57 - Un recul de 11,5%.
07:00 - En Europe, mais ce n'est pas le cas en France.
07:02 - On peut parler de chute.
07:03 - C'est le cas en Europe, mais ce n'est pas le cas en France. En France, le marché des
07:06 voitures électriques a ralenti, mais il ne s'est pas effondré du tout. Donc il y a
07:11 un débat qui est intéressant. Ce qu'il faut voir, puisque vous parliez de Sistovi qui
07:16 est un des derniers fabricants de panneaux solaires en France, qui a effectivement été
07:22 mis en liquidation judiciaire mercredi. Pourquoi ? C'est parce que, comme les États-Unis ont
07:26 fermé, ont interdit l'importation de panneaux solaires chinois, les Chinois ont des stocks
07:31 mais considérables, qui stockent Amsterdam. Et évidemment, ils ont baissé les prix par
07:36 4 en 6 mois. Donc évidemment, personne ne peut résister.
07:39 - Anne Lordalat ?
07:40 - En fait, ce qui se passe, c'est que vous avez eu effectivement un changement de doctrine,
07:45 mais qui se passe à peu près au moment de Donald Trump dans les années 2010-2016, avec
07:50 une montée des droits de douane et donc beaucoup de protectionnisme. Et on a trois gros acteurs
07:55 dans le monde, la Chine, les États-Unis et l'Union Européenne. Or, l'Union Européenne,
08:01 si vous regardez les aides d'État, tout ce qu'on fait en faveur de la compétitivité,
08:07 on en fait autant que les Américains. Le problème, c'est qu'on le fait de façon non-coordonnée.
08:11 En fait, les Chinois agissent en bloc, les États-Unis agissent en bloc, mais nous, on
08:16 n'agit pas du tout en bloc. En fait, les Allemands et les Français sont ceux qui mettent le
08:20 plus d'aides d'État, et encore une fois, des subventions publiques, il faut faire attention
08:24 à quoi ça sert. Mais on se fait concurrence. En fait, il y a plein de secteurs qui sont
08:30 liés à la sécurité, sur lesquels on pourrait se dire « d'accord, on met tout le paquet
08:34 en Allemagne, ou on met tout le paquet en France ou ailleurs, mais à l'intérieur de l'Union
08:39 Européenne », mais on ne le fait pas. - Mais quand on parle de souveraineté, est-ce
08:41 que c'est à l'échelle d'un pays ? - Non, non, c'est vraiment à l'échelle
08:45 des 27, et le message ici, c'est qu'on a un problème de composition, pas de taille.
08:50 En fait, l'Europe est excédentaire. On n'a pas de problème de commerce international
08:55 en Europe, le problème c'est entre nous. Il faudrait revoir la composition de la production
09:01 européenne. - Dominique Seux ?
09:03 - C'est quoi le monde aujourd'hui avec les trois blocs dont je viens de parler à Anne-Laure
09:06 Delote ? C'est plus de frontières, plus de subventions. Donc c'est le grand changement,
09:12 s'il faut résumer en trois mots l'économie aujourd'hui, c'est ça. Plus de frontières,
09:15 plus de subventions. - Oui, sauf qu'on a plus de commerce international
09:19 qu'en 2015, donc en fait ça n'a pas vraiment changé cette dynamique.
09:22 - Les Chinois et les Américains ont changé d'état d'esprit, est-ce que les Européens
09:25 changent d'état d'esprit ? Les Européens, c'est la libre circulation entre nous, et
09:31 c'est ouvert non pas à tout vent, mais priorité aux consommateurs. Mais en fait, à un moment,
09:36 la priorité aux consommateurs, elle finit par détruire des emplois. Donc on doit changer
09:40 d'état d'esprit. L'exemple flagrant sur les insuffisances du marché unique, c'est
09:46 les télécoms. Aux Etats-Unis et en Chine, le nombre d'opérateurs télécoms compte
09:51 sur les doigts d'une main, donc ils sont très puissants, donc ils peuvent faire ce
09:54 qu'ils veulent. En Europe, un opérateur télécom, c'est pour 5 millions de personnes.
09:58 En Chine, c'est pour 400 millions. Donc évidemment, on n'a pas du tout la même façon de faire.
10:03 - On est forcément perdant. - On profite très privilégié le consommateur
10:06 au détriment du producteur. - On profite assez peu du marché que représente
10:10 l'Union Européenne, en effet, il vaut mieux se coordonner. Mais maintenant, il y a un
10:15 paradoxe qu'il faut absolument souligner, c'est que si on veut réindustrialiser, si
10:20 on veut rapatrier la production en Europe, alors ça va coûter plus cher aux consommateurs.
10:26 En fait, le commerce international a réduit les prix et donc on a payé moins cher plein
10:32 de choses. Ça, ça peut assez mal se passer, parce que si vous avez un problème de prix,
10:36 alors vous avez un problème de pouvoir d'achat et il peut y avoir un problème de soutien
10:39 populaire à ça. Donc il faut absolument attacher un message, probablement lié à l'écologie,
10:45 pour qu'il y ait une acceptabilité de cette réindustrialisation.
10:49 - Encore une question, oui, Dominique. - Je suis d'accord. La question qui se pose
10:53 à nous, c'est est-ce que 30 ans de baisse des prix grâce aux prix chinois, aux importations
10:57 chinoises, est-ce qu'on doit accepter, tous en tant que consommateurs, mais on a vu tous
11:01 les débats sur l'inflation 24h/24 pendant deux ans, donc je ne suis pas sûr que le
11:04 consommateur est prêt à ça. - On découvre en lisant le Financial Times
11:08 que LVMH, pour la première fois, participe davantage aux exportations françaises que
11:14 tout le secteur agricole français. Qu'est-ce que ça vous inspire, Anne-Laure Delatte ? Ça
11:18 participe de la souveraineté, de la puissance française ?
11:21 - Non, c'est vraiment une caractéristique française. C'est hyper intéressant, c'est
11:24 une caractéristique française. En fait, on est des champions grâce aux multinationales
11:28 françaises. Et ça, c'est vraiment pas du tout le cas en Allemagne, pas le cas en Italie.
11:32 Nous, on a quelques énormes multinationales. Le problème, c'est qu'en fait, elles ont
11:36 énormément délocalisé. Et le déficit commercial français, il est lié aux délocalisations
11:41 des multinationales françaises. Donc on peut être très fiers de nous, mais si on veut
11:44 réindustrialiser, et pas à tout prix, parce que l'emploi industriel, c'est pas le graal
11:49 non plus, il faut réfléchir à l'action des multinationales et à savoir comment elles
11:54 peuvent rapatrier ici certains... - Le mot de la fin, Dominique.
11:57 - Oui, j'ai un désaccord factuel, parce que le luxe, d'une manière générale, et LVMH
12:02 en particulier, c'est plutôt des emplois locaux avec des façonniers, des marques,
12:07 presque de l'artisanat, pas seulement. Et donc ça se passe énormément en Europe et
12:11 en France. Donc je ne suis pas du tout d'accord avec vous sur ce que sont les multinationales
12:15 dans ces cas-là. - Ce sera le thème d'un prochain débat. En
12:17 tout cas, la question est passionnante. Merci Dominique Seux, merci Anne-Laure Delatte.
12:20 Je rappelle que vous êtes professeure associée à l'Université Paris de Fine PSL et auteure
12:24 de « L'État droit dans le mur, rebâtir l'action publique » qui est parue chez Fayard l'an