• il y a 9 mois
Dans le Débat du 7/10 : Lutte contre le trafic des stupéfiants, la politique des "places nettes". Avec Sandrine Rousseau, députée écologiste-NUPES de Paris. Et Alain Bauer, professeur de criminologie au CNAM (Conservatoire national des Arts et métiers). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-lundi-25-mars-2024-6817282

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00:00 Le débat du 7/10.
00:02 France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7/10.
00:07 Débat ce matin sur ce que Gabriel Attal appelle le « tsunami blanc » qui s'abat sur la France,
00:13 comprendre la drogue, la cocaïne, un trafic de stupéfiants qui semble être incontrôlable à Marseille
00:20 et dans d'autres villes de France.
00:22 Le gouvernement en a fait sa priorité en lançant une dizaine d'opérations placenet XXL dans le pays.
00:28 Certaines sont en cours ce matin, Gérald Darmanin promet de taper très fort.
00:34 Alors, ces opérations sont-elles suffisantes pour porter un vrai coup au trafic de drogue ?
00:39 Y a-t-il des angles morts, voire des trous dans cette stratégie ?
00:43 On pose la question à Sandrine Rousseau, députée écologiste NUP de Paris,
00:48 et à Alain Boer, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers,
00:53 auteur d'Au bout de l'enquête avec Marie Drucker, saison 2,
00:58 les plus grandes affaires criminelles passées au crible, c'est chez First Edition.
01:02 Bonjour à tous les deux, merci d'être là.
01:04 La feuille de route du nouveau préfet de police des Bouches-du-Rhône tient en trois mots, il l'a dit,
01:08 les stups, les stups et encore les stups.
01:10 À Marseille, 4000 agents des forces de l'ordre sont en train de harceler les trafiquants
01:14 dans une opération XXL qui va durer trois semaines.
01:16 Emmanuel Macron l'a défendu lui-même en allant à Marseille la semaine dernière.
01:20 Cette stratégie de harcèlement, de pilonnage des trafiquants peut-elle marcher ?
01:26 Alain Boer, pour commencer, Sandrine Rousseau vous donne la parole.
01:30 Non mais une opération policière visant à créer la disruption dans le marché de distribution des stupéfiants
01:40 traite d'un des trois problèmes du marché des stupéfiants.
01:42 Un, c'est la production, nous sommes de plus en plus autoproducteurs,
01:46 à la fois en drogue de synthèse et en cannabis, nous importons de moins en moins,
01:50 même si nous importons encore beaucoup.
01:52 Deux, c'est la distribution au sujet qui est aujourd'hui traitée,
01:56 mais la distribution est enracinée et particulièrement à Marseille,
01:59 c'est une affaire qui a 100 ans, qui a commencé avec carbone et spirito et qui n'a jamais arrêté.
02:04 Et troisièmement, il y a le consommateur.
02:06 C'est toujours pire mais ça dépend par rapport à quand.
02:09 Il se trouve que dans l'histoire de ce pays, la France a eu une régie française de l'opium,
02:13 l'État était le principal dealer de production stupéfiante dans ce pays,
02:18 je recommande le dragon au domestique de Bachmann.
02:21 Cette question n'a pas été résolue d'un point de vue pénal,
02:23 elle n'a pas été résolue d'un point de vue moral, elle a été résolue d'un point de vue médical.
02:28 À cette époque-là, le secrétaire d'État aux Finances venait d'expliquer au Parlement,
02:32 notamment au Sénat, qu'il ne fallait surtout pas arrêter le deal
02:36 parce que ça rapportait beaucoup d'argent à l'État, un peu comme le feu de la Seyta pour les cigarettes.
02:41 Et en fait, sur l'ensemble des problèmes addictifs,
02:44 on a d'abord traité le cas d'un point de vue médical, sauf pour les stupéfiants,
02:49 car en 1970, pardonnez-moi le petit rappel historique,
02:53 mais enfin on éprouve tous les deux, donc c'est une sorte de maladie congénitale.
02:56 - Allez-y, je vous écoute !
02:58 - Eh bien, en 1970, le président Nixon a imposé à la France une loi écrite avec les pieds,
03:03 qui n'arrive pas à faire le cri entre les dealers et les consommateurs,
03:07 qui ne sait pas faire autre chose qu'une réponse purement pénale,
03:10 qui est un aussi grand échec en France qu'aux États-Unis.
03:13 Et de ce point de vue-là, le fait de prendre qu'un des trois morceaux du sujet
03:16 ne résout pas le problème essentiel qui est l'addiction et la consommation.
03:20 On ne traite qu'un peu de la distribution et de manière provisionnelle.
03:24 - Sandrine Rousseau, l'exécutif veut étouffer les réseaux,
03:27 faire diminuer les stocks, les éliminer, perturber les points de distribution.
03:33 Après le préambule d'Alain Bauer, dites-nous votre position sur cette politique-là.
03:39 - C'est la même politique qui est maintenant faite depuis 50 ans sur les quartiers nord de Marseille.
03:44 C'est-à-dire qu'on fait des grosses opérations policières avec force de caméra aussi,
03:48 pour montrer combien on le fait.
03:50 Et puis on voit que depuis 50 ans, Lina a fait une rétrospective là-dessus qui est juste incroyable,
03:55 où on voit que tous les ministres de l'Intérieur arrivent avec leur force de l'ordre
03:59 et puis annoncent à la population qu'il y aura place nette,
04:03 que ça y est, c'est la fin des dealers, etc.
04:05 Et ça ne marche absolument pas, mais vraiment vraiment pas.
04:08 Donc en fait, la question sur la drogue, c'est comment on sort de la communication
04:13 pour aller vers une véritable politique de santé publique et de sécurité.
04:18 Parce que je rappelle que si notre objectif est de diminuer le trafic de drogue,
04:23 il faut aussi s'intéresser à la consommation.
04:26 Et donc il faut les deux aspects, l'offre et la demande.
04:29 Et par exemple, je n'ai pas entendu ni dans la bouche du ministre de l'Intérieur,
04:33 ni de la ministre de la Santé, ni du président de la République,
04:37 quoi que ce soit sur la question de la santé.
04:39 Il n'y a rien sur la dictologie.
04:40 Moi, j'ai été le lendemain de la visite d'Emmanuel Macron dans les quartiers nord,
04:44 dans l'hôpital des quartiers nord, où la psychiatrie,
04:48 qui est souvent le lieu dans lequel arrivent les personnes qui sont sous toxiques,
04:52 est dans une situation de désespoir terrible.
04:57 C'est-à-dire qu'il manque énormément de psychiatres.
04:59 Et puis derrière, il n'y a pas de service public de la dictologie à la hauteur des besoins.
05:04 Et il n'y a rien qui a été annoncé là-dessus.
05:06 C'est-à-dire que si on ne s'intéresse pas à la consommation,
05:09 on peut faire toutes les opérations de communication qu'on veut.
05:13 Il y a des magistrats marseillais qui disent que la ville est devenue une narcoville.
05:17 Sur un an, 50 morts, 140 blessés.
05:20 La prévention dans ce contexte-là,
05:23 est-ce qu'il n'y a pas une urgence d'abord autour du maintien de l'ordre ?
05:27 Non, mais il y a évidemment quelque chose à faire sur la lutte contre la drogue,
05:32 mais pas par des opérations de communication qui durent 24 heures.
05:37 D'ailleurs, la Une de la Provence était extrêmement juste.
05:39 En réalité, ils sont partis, nous on est toujours là.
05:42 J'ai vu qu'en Belgique, par exemple, il y avait un commissaire national des drogues
05:47 qui coordonnait à la fois les directions des ports, la police, la justice, la santé,
05:53 et qui faisait des politiques, non pas en silo,
05:57 mais qui permettait de coordonner les efforts sur des territoires.
06:00 En France, nous n'avons pas l'équivalent de ce type de commissaire national aux drogues.
06:04 Je pense que ça fait partie des choses, de même que la lutte contre les réseaux financiers,
06:09 contre les dealers, parce que là, à quoi on s'adresse quand on fait ça ?
06:12 On s'adresse à ceux qui font la chouffe,
06:16 c'est-à-dire les petits qui sont en bas des immeubles,
06:19 mais ce ne sont pas eux qui font venir la drogue en France.
06:21 Alors, Alain Boer, l'objectif du gouvernement, c'est de taper,
06:25 ils l'ont exprimé clairement, sur les consommateurs.
06:27 Eric Dupond-Moretti dit que derrière chaque joint, il y a du sang sur un trottoir.
06:31 Qu'est-ce que vous pensez de cette déclaration ?
06:33 Et vous répondrez ensuite, Sandrino.
06:34 Derrière chaque joint, il y a un malade qui a une addiction,
06:38 qui provoque soit par le passage en bas des tours, soit par les livraisons.
06:44 Uber Cheat, ça marche très très bien.
06:46 Et donc, il n'y a pas un sujet qui est limité.
06:49 D'ailleurs, Gérald Darmanin a demandé d'intensifier la lutte contre la cyber consommation.
06:54 Contre Uber Cheat, comme vous dites, parce qu'effectivement, en deux clics, on peut se former.
06:58 L'affirmation sécuritaire de la politique qui doit être menée contre les dealers et les importateurs,
07:04 les responsables du crime organisé, est une nécessité absolue.
07:08 Elle ne peut pas se limiter, ni en 24 heures, ni à ce seul et unique sujet.
07:14 Mais ça veut dire qu'il ne faut pas taper sur le consommateur ? Je ne comprends pas.
07:17 Mais le consommateur, il faut le soigner.
07:19 Parce que les parents qui ont des enfants délinquants, il faut les frapper aussi ?
07:24 Non, mais j'essaie de comprendre la position du gouvernement.
07:27 Je vous laisse à ce dur travail.
07:31 La position du gouvernement, aujourd'hui, elle vise à répondre à une urgence par une autre urgence
07:35 qui ne résout pas, sur le fond, ni dans le temps, le problème essentiel qui est basé sur trois sujets.
07:42 Qui produit ? Où on produit ? Comment on distribue ? Et qui consomme ?
07:47 On ne peut pas faire l'économie du traitement de chacun de ces éléments de manière coordonnée.
07:53 Et on le voit d'ailleurs, ce n'est pas seulement un problème français.
07:55 Puisque Bruxelles, aujourd'hui, a annoncé, hier dans la nuit, comme vous parliez de la Belgique,
08:00 qu'elle a atteint son plus haut niveau de règlement de compte sur les sujets du trafic de stupéfiants
08:05 à cause d'une mafia qui s'appelle la Mocro-mafia, Marocco-mafia en version francisée.
08:11 Et qui montre à quel point le crime organisé, aujourd'hui, fait qu'il y a des narco-états,
08:17 ou des narco-états en devenir, à nos frontières.
08:20 Ce problème existe autant au bord de la frontière basque et de la Catalogne que de Belgique.
08:26 Ou voir la situation extrêmement dégradée qu'ont connue les Pays-Bas,
08:30 où le Premier ministre et la famille Royale ont même été menacés par la narco-mafia locale.
08:35 Donc, il y a trois enjeux. Ils ne se situent pas au même niveau. Ils n'ont pas la même importance.
08:39 La réponse pénale ne se suffit pas. Le coût de force sécuritaire ne se suffit pas.
08:46 Et en tout cas, il ne peut pas fonctionner, si ce n'est pas dans la durée, sur le même territoire,
08:50 de manière enracinée pour saturer le territoire. Mais ça ne résout pas le problème à terme.
08:55 Sur les consommateurs, Sandrine Rousseau ?
08:57 Moi, je ne dirais pas que tous les consommateurs...
08:59 C'est le mot fort d'Éric Dupond-Moretti.
09:01 Je ne pense pas que tous les consommateurs soient des malades d'addiction.
09:07 Je pense qu'il y a aussi une consommation récréative.
09:10 Et en fait, on voit que taper sur les consommateurs, c'est ce qu'on fait depuis des années.
09:15 On est le pays qui a l'arsenal répressif quasiment parmi les plus forts au monde.
09:20 Et on est ceux qui avons aussi la plus forte consommation, notamment de cannabis.
09:24 Donc, quand est-ce qu'on passe d'une espèce de politique du chiffre à une politique...
09:29 De quoi ? De dépénalisation ?
09:31 En tous les cas, de faire en sorte qu'on contrôle ce qui est consommé par les consommateurs.
09:39 Qu'on puisse avoir un point de contact avec ces consommateurs pour voir celles et ceux qui ont des consommations excessives.
09:46 Et qu'on puisse les faire entrer dans un processus de soins quand il y a une addiction lourde qui est atteinte à leur santé physique ou psychique.
09:54 Et en fait, tout cela n'est pas possible tant qu'on tape sur les consommateurs.
09:57 J'ai quand même une pensée aussi pour les forces de police qui font du chiffre, qui remplissent des tableaux,
10:02 qui sont dans une espèce de spirale administrative pour contenter une forme d'opinion publique.
10:08 Mais là, je voudrais qu'on réfléchisse à un autre rapport à la politique de lutte contre les drogues.
10:13 Et en allant beaucoup plus sur le trafic et sur ceux qui s'enrichissent indûment,
10:18 plutôt que sur ceux qui consomment, qui ne sont finalement que soit réclatifs, soit en difficulté.
10:25 Et dans ces cas-là, ils ont besoin d'accompagnants.
10:27 Votre position Alain Bauer sur la dépénalisation du cannabis notamment ?
10:31 J'ai toujours eu la même. Je pense qu'une politique de prohibition se traduit généralement par une baisse de la qualité,
10:38 une augmentation des prix et une baisse de la quantité disponible mécaniquement.
10:46 Nous, nous avons une politique de prohibition qui a réussi à faire exactement l'inverse.
10:49 Il n'y en a jamais eu autant, elle n'a jamais été de meilleure qualité et les prix n'ont jamais été aussi bas.
10:53 Donc elle est inefficace. Mais je ne suis pas pour transformer une crise sécuritaire en crise sanitaire.
10:59 Vous dites que ce serait une catastrophe comme en Espagne. Pourquoi ce fut une catastrophe ?
11:03 L'Oregon, qui est l'état américain qui a le plus dépénalisé tout, pas seulement le cannabis, les champignons,
11:09 est un état qui connaît une crise sanitaire majeure à cause, et ce sera probablement notre grand espace de désaccord,
11:15 mais au moins il est clairement identifié, sur les problèmes de l'addiction.
11:20 Car contrairement à ce que tout le monde raconte, il n'y a pas de drogue récréative. Ce n'est pas vrai.
11:24 Car les taux de concentration en produits, que ce soit en drogue de synthèse ou en THC pour ce qui est du cannabis,
11:30 n'ont plus rien à voir avec l'idée qu'on se faisait des années 70. On est passé de 10, 15, 20 fois.
11:36 Et quand des états comme là où j'habite en été, le Colorado, décident par référendum la dépénalisation,
11:43 ils connaissent une crise majeure, sanitaire.
11:48 Je suis pour ne pas dépénaliser de manière sèche. Je suis pour créer un outil,
11:55 qui soit par exemple une injonction thérapeutique, qui n'est pas une peine de prison ou de punition,
12:01 mais une obligation de soin pour résoudre la crise sanitaire qui existe dans tous les états qui ont dépénalisé.
12:07 L'Oregon a dépénalisé de manière complètement libérale.
12:11 C'est pas ce que l'on prône. Regardons par exemple l'exemple du Portugal.
12:17 Il y a eu une diminution des morts par overdose de manière incroyable.
12:23 Ça a été divisé par 20. Quand on dépénalise, quand on va vers une égalisation,
12:29 mais qu'on contrôle précisément la teneur en THC, quand on contrôle précisément la qualité des produits qui sont fournis,
12:36 alors on a une véritable politique de santé publique et on ne peut pas faire du tout répressif sur la drogue.
12:41 Ça ne marche pas, ça fait 50 ans qu'on essaye.
12:43 Merci à tous les deux.
12:45 Sandrine Rousseau, Alain Bauer, merci encore.
12:48 Le titre de votre livre au bout de l'enquête, saison 2, chez First Edition.

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