• il y a 7 mois

Tous les jours de la semaine, invités et chroniqueurs sont autour du micro de Pierre de Vilno pour débattre des actualités du jour. Ce soir, il reçoivent Monseigneur Matthieu Rougé, évêque de Nanterre, pour recueillir son opinion sur le projet de loi sur la fin de vie débattu depuis aujourd'hui à l'Assemblée nationale.
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Transcription
00:00 Europe un soir
00:02 19h21, Pierre de Villeneuve
00:04 Juste avant d'accueillir Monsignor Mathieu Rouget, je reviens sur cette phrase d'Emmanuel Macron qui vous a fait réagir pendant le flash de Mahéla Seyani, Joseph Massé-Scaron, "L'extrême droite, ce vent mauvais souffle en Europe, c'est une réalité, alors réveillons-nous". Qu'est-ce que ça vous inspire ?
00:21 Qu'il y ait un réveil de l'extrême droite en Europe, c'est indéniable, personne ne le contestera, personne. Simplement, j'ai l'impression, pardonnez-moi, que ce type de discours, vent mauvais ou autre, j'ai entendu 100 fois, donc je ne sais pas.
00:36 Je suis sûr qu'il y a de bons rédacteurs, je suis sûr qu'il y a des romanciers qui sont en peine et qui peuvent servir de plume, j'en suis persuadé. Ce n'est pas un acte de candidature, je rassure tout de suite.
00:51 "Regardons autour de nous la fascination pour les régimes autoritaires, regardons autour de nous le moment illibéral que nous vivons", voilà ce que dit le chef de l'État en déplacement à Dresden en Allemagne.
01:06 - Oui, écoutez, sur le... - Ville forte de symboles d'ailleurs. - Je ne sais pas ce que signifie là le mot "illibéral" parce que... - Moi non plus. - Franchement... - Oui, vous savez, le président de la République a une pensée complexe.
01:20 - Oui, c'est vrai, il a raison, c'est comme le mot "ultralibéral", je voudrais qu'on m'explique. - Oui, il y a parfois un peu trop de sémantique dans la sémantique, je trouve. On a assez fait attendre Mathieu Rouget, bonsoir Monseigneur.
01:31 - Bonsoir Pierre-Hugo et bonsoir à tous vos auditeurs. - Merci de passer une tête, si j'ose dire, en duplex de l'évêché de Nanterre, bien sûr, où vous êtes, pour commenter ce texte sur la fin de vie qui arrive sur les tablettes des députés qui planchent depuis 16h tout à l'heure.
01:53 Un changement en commission a été opéré sur ce texte de la fin de vie, on est passé sur les maladies d'affection grave et incurable avec pronostic vital engagé à maladies, affections en phase avancée ou terminale. Ça, ça change tout, Monseigneur ?
02:13 - Ça ne change pas tout, parce que le projet de loi tel qu'il a été formulé par le gouvernement était déjà extrêmement transgressif et grave en fait pour la dignité humaine et pour la fraternité authentique.
02:26 Et dès que le président de la République avait présenté ce texte, nous avions, avec beaucoup beaucoup d'autres, exprimé de fortes objections.
02:33 La rédactrice en chef de La Croix, qui avait accueilli une interview du président de la République, avait parlé d'un dévoiement de la faleur de fraternité.
02:41 Mais c'est vrai que ce texte mauvais est devenu plus mauvais encore, plus grave encore depuis son passage en commission spéciale.
02:48 Et donc aujourd'hui, nous sommes face à un texte très transgressif et c'est très impressionnant de voir la variété des intervenants, croyants ou pas, de gauche, de droite, de tout le monde, qui expriment de très fortes réserves sur ce texte.
03:04 - Oui, je précise, de toutes les religions aussi, puisque là, en l'occurrence, on accueille un évêque catholique, mais c'est le cas aussi de certains de vos collègues d'autres cultes.
03:12 - Alors c'est le cas de l'ensemble des responsables religieux, avec des nuances, mais vraiment, les réticences sont partagées.
03:18 Mais c'est aussi le cas de personnes totalement non-croyantes. Ce n'est pas un sujet de laïcité, c'est un sujet d'humanité.
03:25 - Oui, alors c'est un sujet d'humanité. Après, il y a des écrits, des écrits religieux, et notamment dans le catholicisme, où ça fait partie des commandements "tu ne tueras point".
03:34 Est-ce que ce texte sur la fin de vie, c'est une façon, pardonnez-moi d'être cru, est-ce que c'est une façon de tuer ?
03:42 - Alors, vous voyez, la référence biblique, là vous évoquez l'Ancien Testament, qui nous est commun avec nos frères et soeurs juifs,
03:50 la référence biblique n'est pas pour nous immédiatement opératoire dans le champ politique.
03:55 Quand nous prenons la parole au nom de la dignité humaine dans l'espace politique, c'est au nom de la raison humaine, évidemment stimulée par notre foi et par notre tradition biblique,
04:04 mais au nom de la raison humaine, et d'une manière que nous pouvons partager complètement avec d'autres.
04:09 Et par exemple, Jean-Léonetti, qui se dit non-croyant, est tout à fait sur la même ligne que nous au sujet de ce projet de loi, y compris dans sa première version.
04:19 Sur la question du rapport à la mort, vous voyez, c'est que le respect inconditionnel de la vie d'autrui, il est fondateur de la vie en société.
04:29 Et de fait, ce qui est en cause dans le projet actuel, c'est la manière dont nous préservons le vivre ensemble, le choix de faire société, par le respect inconditionnel de la vie d'autrui.
04:43 J'ai été très frappé d'entendre cet après-midi une psychiatre qui s'appelle Farouja Hassani, qui fait partie de ceux qui ont signé un appel de soignants, de fédérations d'associations de soignants, dans la presse ce matin,
05:00 et qui insiste beaucoup sur l'aspect fondateur pour la société de l'interdit de donner la mort.
05:06 Interdit de donner la mort, qu'est-ce que vous répondez à tous ceux qui la souhaitent ? Tous ceux qui veulent un accompagnement par ce biais-là ?
05:13 Alors, la première chose que je crois qu'il faut dire, c'est qu'il faut d'abord prendre les sujets de manière explicite.
05:22 J'ai entendu d'ailleurs tout à l'heure le débat de tels quelques observateurs qui étaient autour de vous, et qui étaient d'origine aussi idéologique et humaine assez variée,
05:31 et qui partageaient pas mal de nos réticences, comme d'ailleurs à l'Assemblée cet après-midi, se sont prononcés contre le texte, aussi bien des députés LR qu'un député communiste par exemple.
05:42 Mais vous voyez, c'est très important, malgré tout, de prendre au sérieux le fait qu'un geste létal n'est pas un soin.
05:48 Et ça, c'est un des points de débat. Marie de Benzel, qui est une grande pionnière des soins palliatifs, proche de François Mitterrand, qui avait préfacé son premier livre, "La mort intime",
05:58 a déclaré dans "West France" il y a quelques semaines que confondre le soin et le geste létal, ce serait une perversion du concept de soin.
06:08 Je pense qu'il faut prendre cela très au sérieux.
06:10 Alors après, la première des priorités, et que nous, nous partageons intensément, c'est de venir en aide aux personnes qui, aujourd'hui, connaissent de grandes souffrances.
06:21 Soit en raison des déserts palliatifs, soit peut-être aussi en raison de certaines situations inexplicables sur lesquelles il leur aurait fallu travailler de manière précise,
06:29 et non pas entrer dans une espèce de grand projet permissif avec des conditions très larges et dont on savait qu'elles seraient élargies dès leur passage à l'Assemblée.
06:40 Donc il y a d'abord vraiment à entendre la question de la souffrance, et nous, comme chrétiens, avec beaucoup d'autres, nous sommes évidemment pour que notre société apaise mieux la souffrance de ceux qui les connaissent.
06:54 - Mais comment, Mathieu Roger ?
06:56 - Alors d'abord, en veillant à ce qu'il n'y ait plus de déserts palliatifs dans notre pays, il y a la question des départements où il n'y a pas de soins palliatifs,
07:02 y compris les départements d'outre-mer, il y a aussi aujourd'hui la relative déshérence dans laquelle se trouve pas mal de services de soins palliatifs,
07:09 et puis les soins palliatifs c'est aussi un domaine où la science et la foi se conjuguent, où il y a énormément de progrès qui ont été faits et qui peuvent être encore faits.
07:19 Parfois certains médecins s'expriment à propos de l'euthanasie avec leurs souvenirs de 30-40 ans,
07:26 mais aujourd'hui les anthalgiques progressent, l'approche interdisciplinaire des soins palliatifs permet d'avancer beaucoup,
07:33 et donc beaucoup de soignants le disent avec leur expérience et leur expertise,
07:40 beaucoup de souffrances vécues comme réfractaires aujourd'hui ne le seraient pas.
07:48 On a perdu Mathieu Rouget, c'est la magie du Report It, ce logiciel qui permet d'avoir le duplex avec Mgr Mathieu Rouget, évêque de Nanterre.
07:58 Je pense qu'il nous en a dit assez, Joseph et Sarah, le respect de l'avis d'autrui d'un côté,
08:06 j'ai l'impression qu'à l'entendre de toute façon on ne mettra jamais tout le monde d'accord.
08:11 Oui je suis assez d'accord, on ne mettra jamais tout le monde d'accord, parce que ça touche quand même à l'intime,
08:16 vous avez des pour et des contre et pas beaucoup de nuances en réalité.
08:20 Là où il a raison c'est que chez les religieux, si on peut dire, il y a un consensus.
08:24 Je cite notamment le grand rabbin de France Rahim Korsia qui a dit hier ou ce matin, je ne sais plus,
08:29 "Celui qui me soigne pourrait un jour me tuer", donc d'un point de vue religieux il y a une forme de consensus.
08:35 Chez les autres ça dépend de notre histoire personnelle, ça dépend de notre âge aussi,
08:39 mais on voit quand même qu'il y a un changement de paradigme entre ce qui était proposé au début et ce qui est proposé maintenant.
08:46 Et ça c'est indéniable, il y a une évolution où l'aide à mourir, même moi ça me pose un problème,
08:51 je préférais qu'on cherche une aide à vivre par exemple, je préférais qu'on dise une euthanasie,
08:56 c'est-à-dire qu'on a une volonté de ne pas nommer les choses pour ne pas heurter les âmes sensibles
09:00 et faire passer les choses plus facilement, moi ça me pose un problème.
09:03 Alors qu'en réalité la loi a même changé d'état d'esprit, au début on voulait créer un délit d'incitation,
09:08 un délit d'incitation à l'aide active à mourir, aujourd'hui on veut créer un délit d'entrave.
09:15 Donc on voit vraiment un changement d'état d'esprit qui est tout à fait notable,
09:19 et ça c'est outre la sémantique des termes qu'on peut discuter, l'interprétation.
09:24 Et je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il y aura des dérives comme en Belgique
09:28 où on voit des jeunes femmes, des jeunes hommes de 25-30 ans demander une euthanasie pour une dépression.
09:35 Eh bien en 5 jours on a fait sauter tous les verrous.
09:38 C'est le fait d'ouvrir la porte, comme on dit, Mathieu Rouget, on vous a retrouvé, vous vouliez dire un dernier mot.
09:43 Oui, mais écoutez, ce que vient de dire votre interlocutrice me semble très très bien vu.
09:48 Je crois que ce qui a été évoqué sur le délit d'entrave est très important.
09:52 Ce délit a été introduit avec l'approbation d'ailleurs du gouvernement en commission,
09:56 et en fait, d'une manière ou d'une autre, parce qu'il n'y a pas de problème sur l'entrave,
10:01 il ne s'agit pas d'entraver qui que ce soit, mais ce délit d'entrave, tel qu'il est formulé,
10:05 remettra en cause presque la liberté de discussion sur le sujet.
10:08 Et je trouve ce qui est important, c'est qu'on puisse avoir un débat vraiment libre sur le sujet.
10:12 D'ailleurs la séance à l'Assemblée a été digne cet après-midi,
10:15 et puis je suis heureux de voir que bien sûr, une radio comme la vôtre, on peut avoir ce débat libre.
10:20 Personne n'a une réponse absolue sur le sujet, et comme cela vient de l'être dit,
10:27 chacun est marqué par des situations de souffrance, et là-dessus il ne s'agit pas de s'enfermer
10:32 dans des formules à l'emporte-pièce, mais de chercher comment à l'intérieur du respect
10:37 de la dignité de tous, et des plus fragiles en particulier,
10:40 un chemin de service et d'accompagnement des personnes en difficulté peut mieux se trouver dans notre société.
10:47 Il y a un bel enjeu de fraternité sur lequel ça vaut la peine de se réunir.
10:52 - Merci Monseigneur Rouget d'être revenu clouter justement ce sujet.
10:57 Joseph MacEscaron, vous vouliez rajouter quelque chose ?
11:02 - Alors je ne vais pas parler de mon expérience, parce que je l'ai déjà fait avec expérience personnelle,
11:07 d'accompagnement d'une personne, ma mère en l'occurrence,
11:10 et c'était dans les années où évidemment le soin palliatif était réduit à presque rien.
11:16 Je voudrais juste dire que beaucoup de médecins enfreignent aujourd'hui la loi
11:22 en accélérant la fin de vie et en provoquant la mort.
11:27 J'ai lu le débat avec Michel Houellebecq dans le JDD,
11:35 et il disait à un moment donné, oui en effet, il constatait ce fait en disant "mais vive l'hypocrisie".
11:42 Et j'ai réfléchi beaucoup, évidemment le mot "hypocrisie" choque,
11:46 il provoque comme souvent les écrits de Michel Houellebecq,
11:48 mais je crois que ce qu'il veut dire c'est "vive la zone grise".
11:51 Et moi je crois à cette zone grise, je l'ai vécue, je l'ai rencontrée,
11:56 et cette zone grise est absolument importante.
11:59 Sarah faisait allusion à la Belgique, à la Belgique il n'y a plus de zone grise.
12:02 Il n'y a plus de zone grise et pourtant il y a toujours la transgression de la loi.
12:06 C'est-à-dire qu'il y a plus de la moitié, il y a la moitié au moins, des euthanasies qui ne sont pas déclarées.
12:12 Donc ça, cet élément est un élément important.
12:16 Donc moi je crois beaucoup à la zone grise,
12:18 et la zone grise c'est en effet ce qui permet de garder cette part d'intimité
12:23 qui est absolument essentielle ontologiquement et humainement.

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