François-Xavier Consoli est journaliste et écrivain. Il publie "Les aventuriers de la vie" aux éditions du Verbe Haut. Dans cet ouvrage, l'auteur compile 15 destins d'exception, du bandit Albert Spaggiari au roi fantasque de Patagonie Antoine de Tounens, en passant par Surcouf ou encore Jacques Balmat, premier homme à avoir réussi l'ascension du Mont Blanc. Pour TVLibertés, François-Xavier Consoli revient sur les points communs entre ces parcours de légende, et nous appelle à retrouver le goût de la vie aventureuse.
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00:00 [Générique]
00:06 Bonjour à tous, bienvenue dans ce nouveau numéro du Zoom de TV Liberté.
00:11 Aujourd'hui en compagnie de François-Xavier Consoli.
00:14 Bonjour.
00:15 Bonjour Emmitel.
00:16 Vous êtes François-Xavier, journaliste et essayiste.
00:19 Votre nouvel ouvrage "Les aventuriers de la vie"
00:22 vient de paraître aux éditions du Verbe-O.
00:25 Ce livre compile 15 destins d'exception.
00:28 Vous pourrez, chers téléspectateurs, bien entendu le retrouver sur notre boutique en ligne.
00:33 Ma première question, François-Xavier,
00:35 qu'est-ce qui vous a donné envie de brosser, comme ça, le portrait de 15 aventuriers,
00:40 le portrait sensible de 15 aventuriers ?
00:42 Et quelle définition donneriez-vous, justement, au terme d'aventurier ?
00:46 Ah, brosser le portrait d'aventurier, je pense que ça vient d'une chose assez simple,
00:51 c'est que j'ai toujours aimé ce genre de trempe,
00:54 puisque ce sont des destins, c'est d'ailleurs le sous-titre du bouquin,
00:58 des destins d'exception.
00:59 Et ce que j'ai aimé, à travers la vie de ces aventuriers,
01:03 et bien précisément, c'est le destin.
01:06 C'est le côté hors du monde, hors de la vie.
01:10 Ce que je disais récemment dans un autre média,
01:13 c'est que ces gens-là vont au-delà de la vie.
01:16 Et finalement, ils se fixent un cap, comme des marins,
01:19 et ils vont jusqu'au bout, sans se poser la moindre question.
01:22 Et je trouve, peut-être d'autant plus aujourd'hui,
01:25 qu'on est dans une époque très sécurisée, où on ne prend pas trop de risques.
01:30 Et ce sont des hommes qui prennent des risques.
01:32 Et comme le dit si bien Cizia Zicquet, qui est l'un des personnages que j'évoque,
01:37 on prend son risque quand on mène l'aventure.
01:40 Donc l'aventurier, qu'est-ce que c'est ?
01:41 Je pense que c'est celui qui prend son risque, et qui va simplement au bout.
01:45 C'est une expression macronienne aussi, prendre son risque, je crois.
01:47 Oui, alors si justement, c'est devenu quelque chose de très macronien,
01:51 c'est de l'éco-plus, comme on dit.
01:53 Il y a mensonge sur le produit quand c'est un macronien qui vous le dit.
01:55 Là, c'est autre chose. C'est un autre niveau.
01:57 – Alors justement, l'époque contemporaine, moderne,
02:00 ne signe-t-elle pas, comme vous le dites, la fin de l'aventure,
02:03 parce que les terres libres ont disparu, parce que voyager est devenu si facile ?
02:11 Est-ce qu'on ne sait pas la fin de l'ère des aventuriers aujourd'hui ?
02:15 – Oui, je suis assez d'accord.
02:17 Je serais assez pessimiste, justement.
02:21 C'est ma nature.
02:23 Mais en plus de ça, je pense que maintenant,
02:25 l'aventure, comme elle est décrite dans le livre, ce n'est plus possible.
02:30 Le monde s'est réduit, le monde maintenant est à portée d'un clic.
02:34 On réserve un voyage sur tel ou tel site,
02:36 et puis en 5, 6, 7, 8, 12 heures, on est au bout du monde.
02:41 Bon, le voyage n'est absolument plus équivalent
02:45 à ce que ces hommes-là pouvaient faire.
02:46 Donc oui, le monde est désenchanté.
02:48 – Il y a toujours dans l'aventure une dimension de distance et de temps long,
02:52 vous diriez, où on peut être aventurier à côté de chez soi ou dans son propre pays ?
02:58 – On peut être aventurier même dans son propre pays.
03:02 D'ailleurs, il y a quelqu'un qui fait partie de la maison d'édition du Verbeux,
03:05 qui a sorti un livre sur le sujet, faire le voyage en France à vélo.
03:08 Ça aussi, c'est une aventure, bien sûr.
03:10 – Il y a un chirmeur qui nous a reçus ici il y a quelques temps.
03:12 – Donc on peut parfaitement faire ça depuis chez soi, bien sûr.
03:17 Mais je pense qu'il y a quand même une notion de distance,
03:21 une volonté de se couper un petit peu de son cocon plein de coton,
03:26 surtout aujourd'hui, où on a transformé un petit peu la maison
03:29 comme un refuge pour se préserver du monde extérieur.
03:32 Mais je pense qu'il y a quand même une notion de voyage.
03:35 Il y a une notion de distance, même de distanciation avec son quotidien.
03:42 Donc oui, par rapport à ce qu'on disait, je pense qu'effectivement,
03:44 ces hommes-là avaient une notion de l'aventure
03:48 qui passait par la distance, par la volonté d'aller découvrir autre chose.
03:51 Aujourd'hui, comme le monde nous est très familier,
03:53 comme je l'ai dit, on a un clic et on a l'obligation…
03:55 – Et grâce à eux, en partie, d'ailleurs.
03:56 – Et grâce à eux, c'est vrai, c'est vrai.
03:57 Mais c'est aussi une époque.
04:01 Alors, il ne s'agit pas de dire que c'était mieux avant,
04:03 c'est maintenant simplement différent.
04:05 On peut, je pense que si on prend le sac à dos
04:08 et qu'on décide en autostop, à vélo, ou que sais-je,
04:10 de partir à l'aventure, on peut le faire.
04:12 Mais effectivement, il faut garder, je pense, une flamme.
04:16 C'est ça qu'il faut retenir.
04:18 S'il y a une définition à donner des aventuriers,
04:20 c'est qu'ils ont le feu sacré.
04:22 Il y a quelque chose en plus.
04:23 Ce n'est pas uniquement de la démonstration sur Instagram.
04:25 C'est ça la différence.
04:26 – Votre premier portrait, François-Xavier Consoli,
04:28 est consacré à Albert Spadjari,
04:31 cerveau autoproclamé du 15e siècle, visant la Société Générale de Nice.
04:37 Pouvez-vous nous rappeler cet épisode
04:39 et nous raconter le parcours, l'histoire d'Albert Spadjari ?
04:43 – Albert Spadjari, oui, c'est une légende dans le monde de la droite,
04:47 avec un grand "D", si je puis dire.
04:49 C'est un Italo-Français ou Franco-Italien.
04:55 C'est un ancien para,
04:56 c'est quelqu'un qui a participé à la guerre d'Indochine.
05:00 On en a parlé récemment, c'était les 70 ans de Dien Bien Phu.
05:04 Et c'est un homme qui, je pense, s'est forgé en tant que militaire,
05:08 que para, dans le sens où lui-même n'avait se fixé aucune limite.
05:14 Le résultat, c'est qu'il a tenté de mener une petite vie bien rangée,
05:18 dans la photographie, du côté de Nice.
05:20 Et puis, un jour, lui est venue l'idée.
05:23 – C'était irrésistible, il avait du mal à rester…
05:26 – Oui, il a essayé, lui-même le disait, il a essayé de se ranger,
05:30 il a essayé de rester droit, parce que ce qu'il faisait aussi
05:32 quand il était en Indochine n'était pas forcément clair,
05:34 il a fait de la prison, donc bon,
05:35 ce n'est pas un jeune perdrot qui a décidé de se lancer un beau matin
05:39 dans le braquage du siècle.
05:41 Mais en tout cas, un jour, il a une idée,
05:42 c'est de braquer la Société Générale de Nice.
05:45 Et il va le faire en passant par les égouts.
05:47 Et avec une équipe de personnages en couleur comme lui,
05:51 et bien qu'est-ce qu'il fait ? Il décide de creuser,
05:53 il creuse, il creuse, il creuse.
05:54 Et puis, ils arrivent dans la salle des coffres,
05:56 qui vont dévaliser pendant tout un week-end,
05:58 un week-end en plus de 14 juillet,
05:59 ce qui fait qu'ils auront largement le temps pour braquer tous les coffres.
06:02 – Oui, d'ailleurs, à la fin, c'est lui qui dit
06:04 "je m'en vais prendre une douche" et il arrête,
06:05 il aurait pu continuer, mais des jours en plus.
06:08 – Voilà, il y a un côté très gentleman cambrioleur,
06:10 il décide de braquer une bonne partie des coffres,
06:13 et en plein milieu, il dit "bon, écoutez, moi je suis fatigué,
06:16 je vais prendre une douche, je reviens, je vais manger un morceau"
06:19 et il sait ça, c'est un gentleman, c'est un côté gentleman cambrioleur.
06:22 Et puis, il aura évidemment cette fameuse idée du "sans arme, ni haine, ni violence"
06:27 – Il signe, donc dans la salle des coffres.
06:28 – Il signe dans la salle des coffres,
06:30 en faisant finalement un immense bras d'honneur à toute la marée chaussée.
06:34 Et c'est ça que je trouve fabuleux, c'est qu'après il s'en va,
06:37 il décide de parcourir le monde, forcément, il est plein aux as,
06:40 et il va jusqu'au bout en faisant venir des médias,
06:45 des gens qui vont l'interviewer, etc.,
06:46 en se déguisant, en se grimant avec des perruques, etc.
06:49 Il va jusqu'au bout, se moquer de la police en disant
06:51 "ben, vous voyez, je suis au bout du monde, j'ai réussi le casse du siècle,
06:54 c'est moi le meilleur" et finalement, c'est très drôle.
06:57 Il y a un côté très punk dans ce genre de personnage,
07:00 et Spadjeri, c'est un bon exemple.
07:01 Effectivement, c'est un aventurier,
07:04 c'est quelqu'un qui a été au bout de son projet,
07:06 il a gagné, il a réussi, il aurait pu perdre, finir en prison,
07:08 il a été au bout, il a gagné, et puis finalement,
07:11 même s'il mourra un petit peu dans l'oubli,
07:13 c'est pas grave, il a quand même été au bout, et c'est ça qui compte.
07:16 – En tout cas, vous le rappelez à notre mémoire.
07:18 Alors justement, est-ce qu'à l'instar d'Albert Spadjeri,
07:21 on peut considérer que l'aventure est forcément synonyme,
07:24 dans une certaine mesure en tout cas, de transgression ?
07:28 – Oui, honnêtement, je pense que oui.
07:31 Je pense que oui, puisque c'est une…
07:33 d'ailleurs oui, les personnages en question montrent bien,
07:35 c'est qu'à chaque fois, on a affaire à des hommes
07:39 qui transgressent pas forcément l'autorité,
07:43 mais qui transgressent certaines règles,
07:46 qui est celle qui consiste à dire,
07:48 "ça par exemple, c'est impossible, eux vont le faire".
07:52 S'il y a des auditeurs qui nous regardent
07:55 et qui viennent par exemple de Chamonix, de Haute-Savoie, de Savoie, ou que sais-je,
08:01 Jacques Balma que j'évoque… – C'est un portrait du livre.
08:03 – Voilà, c'est un portrait, c'est un personnage
08:04 que j'ai découvert à l'occasion de l'écriture,
08:07 que vraiment, j'ai adoré cet homme,
08:11 qui est un petit gars du peuple, un petit paysan,
08:15 qui vit à Chamonix, et qui, on est à la fin du 18ème siècle,
08:22 comprend qu'il y a quelque chose avec ce mont Blanc,
08:25 cette espèce de mont énorme auprès duquel il a grandi.
08:29 Et on se passionne de plus en plus, la Bonne Société se passionne de plus en plus
08:33 pour l'alpinisme, et il se lance à l'aventure,
08:35 il se lance à l'escalade, dans l'escalade du Mont Blanc.
08:39 Il ne va pas y arriver, c'est un défi.
08:41 Et en plus, c'est un défi très très dangereux,
08:43 c'est-à-dire qu'il y a énormément de guides,
08:45 il y a énormément de gens du coin qui ont essayé,
08:47 certains sont revenus, d'autres n'en sont jamais revenus,
08:49 et lui va y aller en se disant "ah oui, en plus, il y a une petite récompense,
08:53 je suis un paysan, si je peux y aller, j'y vais, et puis on verra bien".
08:56 Et lui, avec Ferdinand de Saussure qui lui est un scientifique,
09:00 et qui lui a le côté science, donc lui il veut y aller non pas parce qu'il y a un défi,
09:03 mais surtout parce qu'il y a des choses scientifiques à apprendre.
09:06 Et bien lui, ensemble, les deux compères vont aller là-haut,
09:11 et Balma va redescendre, d'ailleurs Ferdinand de Saussure
09:13 qui va devenir aveugle momentanément à cause du soleil.
09:15 Il ne faut pas se remettre dans le contexte,
09:17 il n'y a pas de mousquetons, il n'y a pas de matériel,
09:20 il n'y a pas de sponsoring, il n'y a pas de lunettes de soleil, il n'y a rien.
09:23 On y va avec un bâton et la connaissance du terrain, point barre.
09:28 C'est ça aussi l'aventure, on en revient à ce qu'on disait sur le risque.
09:30 C'est risqué, tant pis, on y va, on verra bien si on y restera,
09:35 et puis si on en revient, on aura gagné, on aura réussi.
09:38 Balma c'est un bon exemple, c'est quelqu'un qui a transgressé quelque chose
09:41 qu'on considérait comme quasiment impossible.
09:43 Le Mont-Blanc était considéré comme maudit, il ne fallait pas y aller.
09:47 Finalement, il a réussi.
09:49 Le drame, c'est que si je reviens sur votre question sur la possibilité de le faire aujourd'hui,
09:56 oui aujourd'hui, c'est très simple de parcourir le Mont-Blanc.
09:59 C'est l'affaire d'un week-end, on prend une réservation, on prend un guide ou deux,
10:03 et puis on y va en couple à 5-6 entre copains, et c'est très bien, c'est fabuleux.
10:09 Mais il n'empêche qu'il y a un côté plus, peut-être oui commercial,
10:14 et puis surtout, on va dire, plus… on est presque dans le produit manufacturé,
10:19 on est dans quelque chose…
10:20 - D'extériorisation d'une expérience.
10:22 - Voilà, et c'est quelque chose qui me déplaît un peu.
10:25 On n'est plus dans une espèce de quête, il y a quelque chose de religieux,
10:30 je dirais même, chez ces hommes-là, qui je pense est le plus important.
10:39 Je parlais de feu sacré, c'est ça ?
10:41 Le feu sacré, c'est… quelque part, ils ont une foi, et ils vont au bout.
10:45 Aujourd'hui, je ne suis pas bien sûr que les aventuriers d'Instagram
10:48 aient une quelconque foi en quelque chose, si ce n'est en leur image.
10:52 - François-Xavier Consoli, si Jacques Balmain a fait la fierté des Savoyards,
10:56 fait toujours la fierté des Savoyards d'ailleurs,
10:59 un autre aventurier fait la fierté, lui, de Dunkerque, de la belle ville de Dunkerque,
11:04 il s'agit du corsaire Jean Barre, à propos duquel Louis XIV écrivait
11:08 de tous les officiers qui ont mérité d'être anoblis,
11:11 il n'en trouva pas un qui s'en soit rendu plus digne que son cher et bien-aimé Jean Barre.
11:16 Pourquoi ?
11:17 - Jean Barre, encore un, encore un fou furieux, encore un personnage rocambolesque,
11:25 le terreur des Anglais, c'était vraiment le corsaire préféré,
11:28 presque le oui, pas vraiment un militaire, mais en tout cas le corsaire préféré de Louis XIV,
11:32 et lui, il va mener, en fait, dans la Manche, la mer du Nord, etc.,
11:36 il va mener des guerres de rapines,
11:38 et il va, en fait, ça va être la terreur de toute la flotte commerciale anglaise.
11:43 Et oui, Jean Barre, c'est une fierté de Dunkerque, c'est un homme qui,
11:47 il y a une anecdote, je ne vais pas trop en dire, parce que c'est dommage de déflorer,
11:51 mais il y a une anecdote quand même assez drôle, c'est que Jean Barre
11:54 est un homme qui, alors qu'il s'est fait capturer par les Anglais,
11:57 alors qu'il est en prison en Angleterre, va réussir à s'évader avec un camarade,
12:02 et en montant sur une petite barque, une petite embarcation de fortune,
12:07 va réussir à revenir. Voilà, c'est ça l'aventure.
12:10 L'aventure, ce sont des hommes qui vont au bout, qui prennent des risques,
12:14 à qui on dit "mais de toute façon c'est impossible, c'est l'armada anglaise,
12:16 ils sont imbattables, etc.", et c'est vrai, la perfide Albion est bien connue
12:21 pour être très très forte sur les mers, mais il n'empêche que,
12:24 on a des terreurs en France qui ont été le cauchemar de certains,
12:29 et Jean Barre en fait partie, et lui c'est un personnage,
12:32 je peux comprendre qui est sa statue à Dunkerque,
12:36 il faudrait plus de statues pour ce genre de personnage.
12:38 Alors ne vous inquiétez pas François-Xavier, nous n'allons pas déflorer vos 15 portraits,
12:42 nous laissons soin aux téléspectateurs de les découvrir,
12:46 cependant je voudrais enfin revenir sur Antoine de Tounens,
12:49 le roi, le roi fantasque de Patagonie, comment un avoué du périgord
12:55 a-t-il pu fonder le royaume d'Arocanie et de Patagonie,
13:00 dont certains se réclament toujours d'ailleurs ?
13:03 Ah oui, alors ça, je fais une petite dédicace au livre,
13:07 elle est adressée à deux personnages, Jean Mabir,
13:11 parce que c'est lui qui a écrit, pas le seul,
13:14 mais en tout cas c'est lui qui me l'a fait découvrir,
13:16 c'est lui qui a écrit "Le baron fou" à propos du baron Ingern,
13:18 donc évidemment un personnage dont je parle dans le livre,
13:21 et bien sûr Jean Raspail, et Jean Raspail lui est un descendant chevaleresque,
13:27 si je puis dire, d'Antoine de Tounens, Antoine de Tounens, c'est pas pareil,
13:31 un petit avoué, un petit homme de droit, un petit homme des livres,
13:36 un petit homme de l'étude, un petit homme des bureaux,
13:39 et puis cet homme-là va devenir roi,
13:42 va devenir roi d'un terrain très éloigné de la France,
13:46 qui est la Patagonie, en Amérique du Sud,
13:49 va rencontrer les indiens mapouches,
13:51 tout simplement parce qu'un jour il ouvre un livre de géographie,
13:54 et dans ce livre, "Ah, mais quel est ce coin, Patagonie ?"
13:58 Il y va, il prend des risques, il a quasiment rien,
14:02 il a deux, trois petits "sponsors" mais c'est rien du tout,
14:07 et puis avec trois bouts de ficelle, il arrive à créer cette espèce de royaume,
14:11 un royaume évidemment qui est reconnu par personne, qui n'existe pas officiellement,
14:16 et une fois encore, là on est dans le chevaleresque, le feu, le feu sacré,
14:20 il va créer quelque chose, et aujourd'hui on a des gens qui sont les "descendants",
14:24 les héritiers de ce roi patagonien d'Arakan.
14:27 - Où se situe, c'est vrai quand on lit votre portrait d'Antoine de Tounan,
14:30 si on peut se poser la question, où se situe la limite,
14:33 la frontière entre le caractère aventurier et la folie ?
14:38 Est-ce qu'on l'a présenté comme fou ?
14:40 - Oui, bien sûr, c'est ce qu'il a traîné comme boulet toute sa vie,
14:43 c'est qu'il était fou, mais je pense qu'ils sont tous fous.
14:47 Il faut être fou, si on n'a pas ce petit truc, on dirait un pétocasque, si je puis dire.
14:54 Mais ces gens-là, oui, sont câblés différemment du commun des mortels,
14:59 c'est-à-dire qu'aller au bout de quelque chose qu'on considère comme impossible,
15:04 ça s'appelle le panache.
15:07 Jeanne d'Arc quelque part aussi, était considéré comme folle,
15:11 bon, le résultat est là, c'est qu'elle a réussi à libérer la France de l'angoisse.
15:16 Ces hommes-là sont un peu comme ça, même si le but est différent,
15:18 même si forcément la foi est différente, mais ce n'est pas grave,
15:21 c'est-à-dire que ces hommes-là ont foi en leur projet, leur mission,
15:26 peut-être que le mot est un peu abusif, mais en tout cas,
15:30 ce sont des hommes qui ont la foi et ils ont cette folie d'aller au bout.
15:34 Parce que si justement ils n'étaient pas fous, s'ils étaient prudents,
15:37 jamais ils ne se seraient permis de faire ça,
15:39 jamais ils n'auraient remis en cause l'autorité, remis en cause
15:42 peut-être même les lois de la gravité, ou que sais-je, on parlait de Balma ou d'autres.
15:46 Oui, un gars comme Toonens par exemple, pour s'aventurer là-dedans,
15:51 sans un rond, sans la moindre, comment dirais-je,
15:56 sans personne derrière pour lui donner véritablement confiance dans "vas-y, tu vas y arriver",
16:00 eh bien il va le faire quand même.
16:02 Alors certes, l'issue sera tragique, mais ce n'est pas grave.
16:05 - Il meurt d'épuisement après différents allers-retours.
16:09 - Oui, bien sûr.
16:11 - Jean Aspaille est-il selon vous le dernier des grands écrivains, aventuriers ?
16:16 Et pourquoi ce lien si étroit entre la littérature et l'aventure ?
16:22 Ce que vous dédiez ce livre à Jean Aspaille,
16:25 et qu'effectivement il était sujet d'une certaine façon d'Antoine de Toonens
16:28 puisqu'il se revendiquait comme consul général de Patagonie.
16:31 - Oui, effectivement, je vais aller très vite, je vais vous raconter une anecdote.
16:36 C'était un après-midi, c'était les week-ends de la courtoisie, je crois.
16:45 Ça évoquera des choses à vos auditeurs.
16:49 Et je me retrouve sur un banc en train de fumer une cigarette,
16:54 et un monsieur accompagné d'une dame s'approche de moi
16:57 et on me demande un petit peu de circuler du banc.
17:00 Je m'exécute, le monsieur était âgé, il avait une canne.
17:03 Et la dame me dit "C'est monsieur Aspaille".
17:08 "Ah bon ?" "Ah oui, je ne l'avais pas reconnu, je ne faisais pas attention."
17:11 Et je me tourne vers lui "Ah d'accord, donc le camp des Saints, tout ça ?"
17:14 "Oui, oui, oui."
17:16 Et je ne sais pas pourquoi, vraiment en quelques minutes,
17:21 on en est arrivé à parler d'Antoine de Toonens et du baron Von Gernstenberg.
17:27 Et là, il y a eu quelque chose.
17:30 Effectivement, j'ai vu, c'est du domaine de l'inéfable,
17:34 ça peut paraître ridicule, mais j'ai vu dans ce regard
17:37 quelque chose qui relève effectivement de l'aventure.
17:40 Quelqu'un qui était là, mais qui en même temps, on sentait,
17:43 il y avait une espèce de noblesse dans la façon d'aborder les sujets,
17:46 dans la façon de voir la vie, dans la perspective de l'existence,
17:49 qui fait que ces hommes-là sont un peu ailleurs.
17:52 Je reviens à ce que j'ai dit, ce sont des fous.
17:54 Et oui, ce bon vieux Jeannot en faisait partie.
17:59 Il était de cette trempe-là.
18:01 C'est pour ça que je lui décaisse le livre.
18:03 Et je peux tout à fait comprendre la filiation entre ce noble roi de Perrette
18:09 qui était Toonens et quelqu'un comme Jean Raspail,
18:11 qui effectivement était une sorte de dernier grand chevalier de l'aventure.
18:15 Mais il y a quelque chose, effectivement, à lier, à mon avis,
18:20 même si c'est le cas de certains, mais pas tous,
18:24 je pense qu'il y a un rapport, effectivement,
18:27 c'est ce dont on parlait récemment avec François Bousquet,
18:30 il y a un rapport entre l'aventure et la littérature.
18:33 Quelque chose qui fait que, quand justement,
18:36 on est porté vers la noblesse, vers les grands destins,
18:40 la destinée, avec un grand D, on a envie d'écrire,
18:44 on a envie de raconter, on a envie de laisser une trace,
18:49 mais de conter une histoire.
18:51 Parce que, non, conter une histoire, c'est comme un conte, justement.
18:56 Et si précisément l'aventure aujourd'hui est compliquée,
19:00 c'est précisément parce que le monde est assez désenchanté, je crois.
19:05 – Est-ce que ce n'est pas aussi parce qu'on se sent un peu tous embourgeoisés,
19:08 c'est-à-dire que même en étant des opposants politiques, par exemple,
19:12 finalement on vit tous à peu près confortablement,
19:15 est-ce que l'embourgeoisement n'est pas l'ennemi mortel de la littérature
19:19 et ça vaut particulièrement pour le récit d'aventure ?
19:22 – Oui.
19:24 Oui, il y a l'embourgeoisement,
19:26 il y a l'ineffable progrès de la machine-outil,
19:32 du confort matériel, du conformisme intellectuel aussi,
19:37 et je pense, c'est un mot qu'on n'a pas dit jusqu'à présent,
19:41 mais c'est un mot auquel je tiens, je pense aussi qu'il y a un enlaidissement
19:46 généralisé du monde.
19:48 Il suffit de sortir des studios, on est honnête,
19:52 si on est un peu honnête, on sort des studios, c'est pas beau, c'est laid.
19:56 Et le monde est laid, il suffit de regarder Paris aujourd'hui, c'est laid.
19:59 Il suffit d'aller dans les grandes métropoles, les mégalopolis du monde,
20:02 dans l'ensemble, c'est pas beau.
20:04 Et justement, c'est un mot auquel je tiens, c'est la beauté.
20:08 Ces hommes-là, sans d'ailleurs se revendiquer,
20:11 être des chevaliers de la beauté ou des ambassadeurs de la beauté,
20:15 il y a quelque chose de beau chez ces hommes-là.
20:18 Ils sont beaux. Pas physiquement, mais c'est pas le problème.
20:21 Ils sont beaux parce que précisément, quelque part,
20:24 ils réinstaurent un peu de beauté.
20:26 Et pour beaucoup, je pense que ce sont aussi des hommes
20:30 qui laissent des traces de beauté dans un monde
20:34 qui, progressivement, est de plus en plus laid.
20:37 Et oui, c'est une chose à laquelle je tiens, c'est la beauté.
20:42 Et ces hommes-là, en plus de la folie, ont une très grande part de beauté en eux.
20:48 Paradoxalement, est-ce que vous ne percevez pas,
20:50 dans la dissolution un peu tout azimuth du monde moderne,
20:54 des nouvelles occasions d'aventure, parce que les règles sont bouleversées,
20:59 parce que l'ordre international change ?
21:02 Est-ce que c'est pas une chance pour l'aventure ?
21:06 Alors, c'est possible.
21:08 Si, effectivement, on arrive à la fin d'un cycle,
21:12 on ne sait pas le sujet ici, mais si on arrive à la fin d'un cycle,
21:15 à la fin d'un monde, à la fin d'une grande phase de progrès généralisé, matériel, etc.,
21:21 je pense qu'il sera possible éventuellement,
21:25 demain, dans un avenir proche, que sais-je,
21:28 il sera éventuellement possible de se lancer dans des aventures
21:31 qui, intellectuelles, qui, je sais pas, pas forcément physiques,
21:37 mais en tout cas, qui fait qu'on retrouve un petit peu cette part de beauté et de folie.
21:42 Oui, oui, c'est vrai, je n'aurais pas de recommandations à faire,
21:47 honnêtement, je n'ai pas la réponse, mais je pense,
21:52 en tout cas, la seule chose pour laquelle je pourrais mettre mon billet,
21:56 c'est que oui, si on a un petit peu de foi,
21:59 si on est porté par la foi, par le feu sacré,
22:02 si on est porté par la beauté, si on est porté par ce pétocasque dont je parlais,
22:07 on peut retrouver cette part de sacré qu'il y a dans le monde.
22:15 Vous voyez ce que je veux dire ?
22:17 Ça peut paraître un peu obscur, mais je pense que ça, c'est possible.
22:20 Mais bon, ça me paraît très compliqué,
22:24 dès lors où aujourd'hui, on est plus, effectivement,
22:26 dans une sorte de performance qu'autre chose.
22:29 Et ces hommes-là ne sont pas des athlètes,
22:34 ils ne sont pas là pour réaliser une performance,
22:36 ils ne font pas une "course", ils sont plutôt là parce qu'ils réalisent leur destin.
22:43 Et ça, c'est déjà pas mal.
22:45 Je pense que c'est très compliqué aujourd'hui pour un homme,
22:49 même pour un jeune homme de 25, 30, 35 ans, même au-delà,
22:53 de réussir à accomplir son destin.
22:55 C'est très difficile de trouver son destin,
22:57 c'est très difficile d'être bien dans ses pompes sur toutes ces questions-là.
23:00 Et si on arrive à accomplir ça, chapeau !
23:04 Merci beaucoup, François-Xavier Consoli.
23:06 Je rappelle le titre de votre très bel ouvrage,
23:08 paru aux éditions du Verbe O, "Les aventuriers de la vie, 15 destins d'exception",
23:14 un ouvrage disponible sur notre site internet tvl.fr.
23:18 Merci de nous avoir suivis.
23:20 N'hésitez pas à partager, à commenter cette vidéo.
23:23 À très bientôt sur TV Libertés.
23:25 Merci Rémi.
23:26 [Générique]