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00:00Bonjour, je m'appelle Jean-Baptiste Julliard, je suis professeur agrégé de philosophie,
00:09colleur en classe préparatoire et je prépare une thèse à la Sorbonne sur la notion de
00:13violence légitime en démocratie.
00:15Alors il est toujours important de savoir d'où viennent les termes, de quelle langue
00:23ils viennent, quelle est l'histoire de leur acception et de leur évolution.
00:27Cependant, je conseillerais, quand on est dans une approche philosophique, d'avoir
00:30une analyse conceptuelle qui ne se limite pas à l'étymologie.
00:33Par exemple, le mot « violence » a aujourd'hui des significations qui sont assez éloignées
00:37de son origine ou de son usage médiéval ou latin.
00:40Donc il faut toujours veiller, une fois qu'on a exposé les éléments sur l'étymologie,
00:44à bien se demander si cette étymologie est suffisante pour bien penser ce dont on parle
00:48ou s'il faut la compléter par une analyse plus précise et qui tienne compte bien sûr
00:52des évolutions du terme dans son usage et dans sa définition actuelle.
00:57Ce qui est essentiel dans le travail en philosophie, c'est de commencer par distinguer les concepts.
01:03Le problème quand on traite la notion de violence, c'est qu'on est très vite confronté
01:07à une confusion et au fait que ce terme peut être utilisé pour désigner des choses extrêmement
01:12différentes.
01:13A cet égard, le philosophe Michael Fossel a parlé d'une « extension du domaine de
01:17la violence » en faisant allusion au titre du roman du Charles Black « Extension du
01:20domaine de la lutte ». Et par cette expression, il voulait dire que nous avons tendance aujourd'hui
01:25à qualifier de violence des choses qui auparavant ne l'étaient pas et que la sensibilité
01:29à la violence a tellement augmenté qu'il semble que ce terme soit devenu le seul que
01:33nous ayons en tête pour désigner des actes que nous jugeons indésirables ou mauvais.
01:43Pour bien entrer dans la réflexion sur le sujet de la violence, il est donc important
01:47de commencer par distinguer la violence de trois termes qui sont proches mais qui sont
01:51distincts.
01:52La première distinction à faire est entre la violence et la contrainte.
01:56Il faut partir de l'idée que toute contrainte n'est pas nécessairement une violence.
02:01On peut définir la contrainte comme ce qui fait obstacle à la volonté d'un individu.
02:06Par exemple, dans le domaine de l'éducation, il est normal et même sain que les enfants
02:11aient des obstacles et des contraintes pour qu'ils puissent se développer et comprendre
02:15les règles de la vie sociale.
02:17Dans le domaine esthétique, Baudelaire jugeait par exemple que la contrainte peut être féconde.
02:21La contrainte n'est bien sûr pas ici une violence, c'est le fait par exemple d'écrire
02:25sous la forme du sonnet.
02:26Une expression populaire peut justement mener à la confusion, c'est celle de se faire
02:31violence.
02:32Quand on parle de se faire violence, il n'est pas question de se mutiler ou de se détruire,
02:36il est question justement de se donner un peu d'entrain pour sortir du marasme et
02:40donc d'établir une contrainte qui soit féconde pour une vie plus dynamique.
02:45Cette notion de contrainte, elle est aussi à la base de tout ordre social.
02:49On peut dire, comme le faisait Raymond Haron, que tout ordre social implique un niveau minimal
02:53de coercition.
02:54Mais cette contrainte collective, favorable à la vie commune, n'est pas nécessairement
02:59une violence.
03:03L'autre terme qu'il est important de distinguer du terme de violence, c'est le terme de
03:07conflit.
03:08Là aussi, le conflit a rapport à la question de la volonté et le conflit désigne plutôt
03:13l'opposition des volontés.
03:15Ça peut être au niveau de groupe ou au niveau des individus.
03:17Le conflit n'est pas nécessairement violent, on peut penser au conflit d'idées, au conflit
03:22de valeurs.
03:23Plusieurs philosophes politiques, Machiavel ou Montesquieu, ont montré que pour qu'une
03:27cité soit dynamique et que la liberté soit défendue, il est important qu'il existe
03:31des conflits et que les conflits puissent prendre la forme d'affrontements verbaux.
03:34En revanche, la limite à ne pas franchir est précisément le basculement dans la violence
03:39qui, au lieu de procurer une forme de dynamique et de progrès social et collectif, aura plutôt
03:45tendance à désagréger et à détruire la vie commune.
03:48La philosophe Chantal Mouffe a repris cette question du conflit en politique en distinguant
03:53l'antagonisme et l'agonisme à partir du terme grec « combat ». Pour elle, il est
03:58normal et sain qu'en démocratie nous ayons des adversaires, des gens avec qui nous sommes
04:02dans un combat politique.
04:03En revanche, la limite, là aussi pour elle, est de ne pas tomber dans la désignation
04:07d'ennemis qu'il faudrait alors abattre par la violence.
04:14En se référant à l'étymologie, on constatera que le terme de force est souvent utilisé
04:18pour définir la violence.
04:19La violence serait une force dégradée ou extrême qui aurait pour effet de détruire
04:23l'individu.
04:24On retrouve la notion de force liée à la violence dans la question de la violence de
04:30l'État.
04:31On parlera en réalité de force publique, c'est l'expression force publique qui figure
04:34par exemple à l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens.
04:38Mais cette force publique désigne en réalité la violence qui peut être exercée par la
04:42police.
04:43Il y a quelque chose qui est intéressant de faire pour bien comprendre la différence
04:47entre les deux termes, c'est d'observer les domaines dans lesquels les termes sont
04:50utilisés.
04:51Par exemple, le concept de force est fondamental dans les sciences de la nature, les physiciens
04:56étudient les forces fondamentales de l'univers comme la gravitation.
04:59En revanche, dans les sciences sociales et dans la philosophie, on verra que le terme
05:04de force n'est pas suffisamment précis pour désigner certains actes.
05:07Certes, la philosophe Simone Veil, à ne pas confondre avec Simone Veil avec un V qui est
05:12la femme politique, a elle consacré un texte important à l'Iliade, qu'elle a appelé
05:17le poème de la force.
05:18Et pour Simone Veil, la force, qui peut aussi se retrouver dans la vie sociale, consiste
05:23bois pour effet de réduire l'individu à une chose.
05:26Mais ce faisant, elle manque un aspect plus précis de la question de la violence que
05:30Freud a identifié dans une controverse avec Einstein, ou un échange épistolaire avec
05:33Einstein, qui s'intitule « Pourquoi la guerre ? ». Précisément, Einstein, lui,
05:37s'interrogeait sur le rapport entre le droit et la force.
05:39Dans la réponse qu'il lui a faite, Freud, lui, considère qu'il est préférable de
05:44parler du terme de violence, qui désigne plus précisément les rapports de destruction
05:48qui peuvent exister au sein des communautés humaines, alors que le terme de force là
05:52aussi serait un peu trop large pour désigner ce dont il est question.
05:55Alors, il est intéressant d'aller chercher dans différentes disciplines la manière
06:03dont la violence est définie et présentée.
06:05Par exemple, dans le Code pénal, l'article qui caractérise le viol évoque quatre moyens
06:14qui vont permettre de définir et de démontrer qu'il y a eu un viol, et là on constate
06:19que dans ces quatre moyens, il y a la menace, la surprise, la violence et la contrainte.
06:24Là on voit que les juristes ont besoin de produire une distinction entre violence, qui
06:29est vraiment l'acte de dégradation ou de destruction directe, et contrainte, qui peut
06:32encore une fois, comme on l'a dit, qui consiste à faire obstacle à la volonté.
06:36Alors bien sûr qu'il peut y avoir des actes qui relèvent à la fois de la contrainte
06:39et de la violence, ou une contrainte qui précède une violence.
06:42Je recommande, quand on traite un exemple, quand on invoque une référence, de bien
06:52penser, lorsqu'on mobilise des exemples sur la violence, à la question de savoir qui
06:57sont ces auteurs, de quelle forme de violence on parle, il faudra être assez précis, parce
07:00qu'il s'agit d'une violence symbolique au sens du broudeux, d'une violence physique,
07:03d'une violence morale, d'une violence sur les animaux par exemple, et de s'interroger
07:07également sur le contexte, et enfin sur la nature des victimes de la violence dont on
07:12parle, où là aussi il y aura des différences importantes à préciser.
07:14Le défaut serait de mêler des formes extrêmement diverses sans jamais préciser de quel type
07:19de violence on parle, de quel contexte, et de quel type d'auteurs de violence on discute.
07:23Il faut veiller bien sûr à garder une forme de nuance, et à ne pas tomber surtout dans
07:33des thèses caricaturales, soit en étant excessivement pessimiste et en disant que
07:37le monde n'est que de la violence et qu'il n'y a rien d'autre que la violence dans
07:40le monde, ce qui serait excessif.
07:42Et de l'autre côté, ils ne font pas non plus se payer deux mots en disant que demain
07:47nous mettrons fin à la violence, ou qu'il suffirait deux, il n'y a qu'à faut qu'on,
07:51pour mettre fin à la violence, en négligeant la complexité des situations de violence,
07:56quels que soient les sujets considérés, on verra toujours, non pas qu'il n'y a
07:59pas de vérité au bout du compte, mais qu'il y a tout de même des paramètres nombreux
08:02à prendre en compte, afin d'avoir une thèse solide et robuste sur le type de violence
08:08qu'on analyse.
08:09La liberté de l'esprit
08:13La règle fondamentale lorsqu'on passe un concours, c'est la liberté de l'esprit.
08:19Mais cette liberté de l'esprit, ce n'est pas la licence, on ne fait pas ce qu'on
08:23veut, elle suppose qu'on s'attache toujours à argumenter, à argumenter avec des références,
08:29une réflexion précise et des exemples, bien évidemment.
08:32La copie sur un tel sujet, surtout si le sujet, par exemple, porte sur la violence politique,
08:36ne doit surtout pas être transformée en tribune, en pamphlet ou en brûlot contre
08:41un système, ou au contraire, contre d'autres formes de réalité.
08:45Et ça, c'est le principal écueil sur un tel sujet, sur lequel on peut avoir des convictions
08:49personnelles bien ancrées, c'est d'arriver à distinguer ce qui va relever de convictions
08:52qui ne sont peut-être pas, au fond, bien argumentées, et ce qui va relever au contraire
08:56d'une réflexion qui s'inscrit dans le cadre d'un exercice particulier, qui n'est
09:00pas toute la vie, qui est simplement celui d'une dissertation de culture générale.
09:03On apprend souvent en cours, et cela reste vrai, qu'il faut éviter de voir les sujets
09:15à travers le prisme unique et premier de l'actualité.
09:17Toutefois, sur un sujet comme la violence, on ne peut pas passer à côté du fait que
09:22depuis plusieurs années, il semble qu'on assiste à une forme de retour de la violence
09:28politique, avec des moments de contestation importants, comme les Gilets jaunes, qui ont
09:30déjà fait l'objet de nombreuses études sociologiques, ou même philosophiques.
09:34À ce moment-là, il va falloir trouver un équilibre entre les références classiques,
09:40dans des contextes culturels et historiques très différents de ce que nous connaissons,
09:43et la manière dont les événements que nous vivons peut-être résonnent avec notre histoire,
09:47si on pense par exemple à la tradition révolutionnaire en France, et aussi ce qui paraît au contraire
09:52absolument neuf et inédit dans les formes de violence auxquelles nous assistons aujourd'hui,
09:56avec par exemple d'autres objets, comme la question de la lutte écologique et des moyens
10:00d'action pour faire avancer la cause climatique.
10:03Sur la question de la violence dans sa dimension sociale, politique et policière, je recommanderais
10:12trois films.
10:13Un classique qui est La haine de Mathieu Kassovitz, qui date de 1995, film qui a été réalisé
10:18après un fait de bavure policière, et plus récemment, le film Les Misérables, qui lui
10:23aussi s'intéresse à la manière dont les policiers interviennent en banlieue et déclenchent
10:29parfois des cycles de violence, et le film montre aussi une nuance dans la manière dont
10:33les policiers conduisent finalement ces opérations.
10:36Il y a un autre film aussi intéressant là-dessus, qui est Bacnor, qui lui s'inspire aussi d'une
10:41affaire réelle, qui donne plutôt à voir le côté de la police et la confrontation
10:45avec une criminalité parfois extrêmement forte, avec le contexte marseillais.
10:50Je recommanderais aussi un film qui a fait couler beaucoup d'encre, qui a posé la question
10:54de savoir si une oeuvre pouvait inciter la violence, qui est le Joker de Todd Phillips.
10:59Todd Phillips est intéressant parce que c'est un cinéaste qui est plutôt connu pour des
11:02comédies, et qui a souhaité faire un film un peu plus grave, sur un personnage extrêmement
11:06connu, qui est un peu une figure du mal, et d'une forme de violence gratuite.
11:10Mais dans le film de Todd Phillips, à l'inverse de la manière dont Christopher Nolan l'avait
11:14représenté dans Dark Knight, le Joker n'est pas une espèce de théoricien fou furieux
11:18du chaos, c'est quelqu'un qui souffre d'une forme de pathologie mentale, qui évolue ensuite
11:23progressivement, à la faveur de différentes formes d'humiliation et de l'aggravation
11:26de son problème, vers une violence insurrectionnelle, débridée, et il devient ensuite une espèce
11:31de figure de proue de la révolution, cela étant, Todd Phillips, lui, a totalement récusé
11:36bien sûr l'idée que le film puisse inciter à la violence, et surtout, on voit bien qu'il
11:40ne s'agit pas vraiment d'un film politique, d'une approche esthétique, morale et psychologique
11:44de la manière dont un individu, au départ, peut finir par se transformer en un être
11:49plus problématique.
11:50Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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