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00:00Bonjour, je m'appelle Jean-Baptiste Julliard, je suis professeur agrégé de philosophie,
00:09colleur en classe préparatoire, et je prépare une thèse à la Sorbonne sur la notion de
00:12violence légitime en démocratie.
00:14Pour appréhender la violence, on peut partir de la notion de victime, dans la mesure où
00:23la violence est ce qui fait des victimes.
00:25Une victime est un être qui a subi une atteinte profonde à son intégrité physique ou morale.
00:29Il peut laisser des traces, des séquelles, sous forme de traumatisme, aussi d'ordre
00:33psychologique.
00:34René Gérard, philosophe et anthropologue, disait que notre époque se caractérise par
00:38ce qu'il appelait le « souci des victimes » que, selon lui, s'enracine dans le christianisme
00:42même si notre monde est aujourd'hui laïcisé.
00:43Notre époque est de plus en plus sensible à différentes formes d'oppression et discrimination,
00:48et cherche à lutter contre des violences extrêmement diverses.
00:51Il faut reconnaître que dans l'histoire, certaines violences ne sont d'abord pas
00:58apparues comme telles.
00:59Aujourd'hui, on parle beaucoup, et c'est heureux, des violences dans le cadre familial,
01:03des violences éducatives, ou bien des violences sexistes et sexuelles.
01:06Il faut se rappeler que, dans le droit y compris en France, pendant un temps, le crime passionnel
01:12lorsque le mari le commettait contre sa femme prise dans le lit conjugal avec son amant
01:17donnait lieu à une forme d'irresponsabilité pénale, ce qui nous semblerait absolument
01:20invraisemblable aujourd'hui, puisque toute violence, quelle qu'elle soit, doit être
01:24condamnée pour ce qu'elle est, sans qu'il puisse y avoir des excuses selon le statut
01:27social qu'on occupe.
01:28La violence peut toucher tout le monde, mais on constate aussi qu'elle touche différemment
01:36les individus selon la catégorie à laquelle ils appartiennent.
01:39On aura donc des violences différentes selon l'appartenance de sexe ou de genre, selon
01:43l'appartenance bien évidemment sociale, on sera plus ou moins exposé à des formes
01:46de violence ou de discrimination.
01:48C'est intéressant aussi de revenir sur la question du statut d'esclave et de la
01:58question coloniale, où là on a observé que cette violence qui a pu se perpétuer
02:02pendant des siècles était renforcée par des discours racistes qui la justifiaient.
02:07Dans son texte fameux intitulé « Discours sur le colonialisme », Aimé Césaire montre
02:12que finalement la civilisation européenne, dont il chérit les grandes œuvres par ailleurs,
02:17n'a pas été à la hauteur de ses principes, et qu'elle a plutôt servi à construire
02:20des statuts différenciés, qui en fin de compte ont déshumanisé une partie de l'humanité.
02:25Et c'est pour cela qu'il a forgé la notion de négritude pour réinvestir l'histoire,
02:30ce n'est pas une notion qui est biologique, et montrer à quel point celle-ci s'est
02:33associée pour les peuples africains à celle d'une domination inique, qu'il s'agit
02:37maintenant de corriger.
02:38On trouve déjà cela sous la plume de Voltaire dans son célèbre texte « Candide », lorsque
02:43Candide croise un esclave qui lui explique sa condition en la présentant comme naturelle,
02:48puisqu'on observe là aussi que parfois la domination est naturalisée, c'est-à-dire
02:52que les personnes opprimées vont considérer que les choses sont normales et qu'il est
02:56impossible de changer leur statut, et que finalement, soit elles subissent une violence
02:59qu'elles ont presque méritée, soit elles subissent quelque chose qui n'est même
03:02plus de la violence, puisque si elles subissaient de la violence, il faudrait alors que quelqu'un
03:06s'emploie à les corriger.
03:07C'est fort heureusement ce qui est tout de même arrivé avec les luttes auxquelles
03:11ont pris part de nombreux intellectuels, y compris lorsqu'ils faisaient partie des
03:13classes plus favorisées, en faveur donc de l'abolition de l'esclavage.
03:17On peut aussi s'intéresser aux différentes formes de violences qui ne sont pas immédiatement
03:25perceptibles.
03:26L'une des notions les plus célèbres sur la violence est celle de violences symboliques,
03:30qu'on doit au sociologue Pierre Bourdieu.
03:32Pourquoi est-ce que Bourdieu a voulu parler de violences symboliques ? Parce qu'il a
03:36constaté que la violence n'était pas uniquement un rapport physique, ce n'était pas forcément
03:40le coup porté, ce n'est pas forcément non plus un rapport moral, mais que c'était
03:43un rapport qui passait par des symboles, notamment culturels.
03:46Dans un texte intitulé « Méditation pascalienne », Bourdieu présente ainsi la violence symbolique,
03:55en disant « Quelle est cette coercition, qui ne s'institue que par l'intermédiaire
03:59de l'adhésion que le dominé ne peut manquer d'accorder au dominant, lorsqu'il ne dispose,
04:04pour le penser et pour se penser, ou mieux pour penser sa relation avec lui, que d'instrument
04:10de connaissance qu'il a en commun avec lui, et qui, n'étant que la forme incorporée
04:15de la structure de la relation de domination, font apparaître cette relation comme naturelle.
04:20» La langue de Bourdieu n'est pas toujours
04:22simple à comprendre.
04:23Le plus important ici, c'est lorsque Bourdieu parle de la forme incorporée de la structure
04:28sociale.
04:29Que veux-tu dire par là ? Bourdieu a aussi théorisé la notion d'habitus, qui est
04:33une conduite sociale, héritée, acquise et pas innée, qui va bien sûr être différente
04:38selon le milieu dans lequel on a grandi.
04:39Et ce que montre Bourdieu, c'est que notre corps, de manière presque inconsciente, finit
04:44par adopter, ou ne pas adopter certains gestes, ou notre langage certains mots, lorsque nous
04:49sommes dans certains lieux, et c'est à ce moment-là que surgit ce que Bourdieu appelle
04:52une violence symbolique.
04:53Par exemple, être la risée d'une table bourgeoise, où on ne sait pas par quel couvert
04:58commencer selon le plat qu'on a, pourrait être une forme de violence symbolique, qui
05:02ne serait même pas de l'ordre de la conscience, mais simplement d'une émotion de honte
05:06en l'occurrence, ressentie avec l'idée d'une domination intériorisée, parce qu'on
05:11comprendrait alors que nous serions le seul à ne pas comprendre ou à ne pas connaître
05:15les règles de bon usage en société.
05:16On peut discuter ici le sens du terme de violence.
05:24Bourdieu, par ailleurs, en reprenant Weber, a soutenu que l'État détenait non seulement
05:28le monopole de la violence physique, mais aussi le monopole de la violence symbolique,
05:34pour s'inscrire aussi dans cette longue tradition weberienne.
05:35Donc, on peut discuter ici le terme de violence, dans la mesure où on a vu que la violence
05:40allait plutôt vers la destruction.
05:41Ici, ce que Bourdieu suggère, c'est qu'il y a une forme de rabaissement, d'humiliation,
05:46de restriction des possibles, mais certains auteurs, notamment Raymond Aron, ont critiqué
05:50l'usage du terme de violence, en disant qu'il était nécessaire dans toute société
05:53qu'il y ait des contraintes sociales différenciées, et qu'on pouvait lutter, évidemment, pour
05:58que les individus nés dans des milieux sociaux défavorisés puissent s'élever et ne plus
06:02être soumis aux contraintes qui étaient les leurs à leur naissance.
06:05Cependant, Bourdieu, lui aussi, avait un projet d'émancipation, et dans sa critique de
06:11l'institution scolaire, où il voyait de la reproduction sociale, qui était là aussi
06:14une forme de violence symbolique, avec des objets culturels qui étaient plutôt ceux
06:17d'une certaine classe sociale, qui permettaient à ces enfants d'accéder aux meilleures
06:21formations et ensuite de reproduire sans cesse la domination sociale qu'ils exerçaient,
06:28Bourdieu, lui aussi, a pensé qu'en apprenant à mieux connaître les choses et les modes
06:31de fonctionnement parfois diffus, on pourrait à terme diminuer, voire supprimer, justement
06:36ces formes de violence qu'il appelait symboliques.
06:38Traditionnellement, on pense que les victimes de la violence ont pour première caractéristique
06:48d'être des êtres humains, des personnes.
06:50Pourtant, aujourd'hui, on prend de plus en plus en considération, et c'est heureux,
06:55les animaux.
06:56Dans le code civil français, l'animal est désormais considéré comme un être doué
06:59de sensibilité, même s'il n'a pas des droits en tant que tel.
07:02Il y a tout un courant qu'on appelle animaliste, ou parfois plus précisément antispéciste,
07:07qui conteste la hiérarchie morale entre les espèces, qui cherche à montrer à quel point
07:11les animaux font aussi partie des catégories opprimées de notre histoire.
07:14Le philosophe australien Peter Singer a écrit un livre majeur, qui s'intitule La Libération
07:20Animale, paru dans les années 70, dans lequel il commence par montrer, contrairement à
07:24ce qu'a pu croire une certaine tradition philosophique qui le résume parfois un peu
07:28rapidement, que les animaux souffrent, et, comme il le dit à la suite d'autres auteurs
07:32précédents qu'il avait dit quelques siècles auparavant mais qui n'avaient pas été entendus,
07:35si les animaux souffrent, cela veut dire qu'il faut considérer la violence que nous exerçons
07:39à leur égard, et qu'il n'est pas normal que des êtres sensibles éprouvent une souffrance
07:43lorsqu'ils sont innocents.
07:44Peter Singer, lui, appelle à un changement des modes de vie, par exemple à passer au
07:48végétarisme.
07:49Toutefois, il veut le faire en essayant de convaincre, sans utiliser des moyens justement
07:53violents, et en voulant montrer que, puisque les animaux sont des êtres sensibles, ils
07:57ont aussi droit à une forme de considération.
07:59Et le livre La Libération Animale est à la fois un livre de philosophie et un livre
08:03de militant, qui veut par exemple montrer à quel point il n'est pas nécessaire aujourd'hui
08:07de faire des tests sur les animaux dans l'industrie cosmétique, où l'exemple qu'il prend à
08:11l'époque est aussi les tests dans le cadre de l'industrie aérospatiale.
08:14Aujourd'hui, on peut considérer que la focale est portée sur un ensemble de catégories
08:24qui ont été auparavant peu visibles ou invisibilisées, et donc il importe aujourd'hui
08:29de voir à quel point certaines pratiques ou certaines normes peuvent entraîner des
08:33formes de violence ou des restrictions d'existence que l'État doit prendre en considération.
08:37Alors on arrive à la conclusion suivante, finalement, si l'État détient le monopole
08:41de la violence physique légitime, c'est dans la mesure où, précisément, il a pour rôle
08:45de lutter contre toutes les formes de violence, autant qu'il est possible, qui existent
08:49dans la société.
08:54❤️ par SousTitreur.com

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