J.-P. Simier (Bdi) : « Raisonner dès maintenant l’agrandissement des fermes »

  • il y a 2 mois
Filière laitière

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00:00Bonjour et bienvenue à tous sur webagri.fr. On va parler des difficultés du secteur laitier avec Jean-Paul Simier. Bonjour. Bonjour. Vous êtes directeur agriculture et agroalimentaire à Bretagne Développement Innovation.
00:18Alors, comment vous analysez les difficultés du secteur laitier en 2015 ? Peut-être revenir rapidement sur l'évolution de la trajectoire économique du secteur depuis 2 ans.
00:33Donc, il faut quand même rappeler qu'en 2014, on a eu une année exceptionnelle en termes de prix, notamment quasiment inégalée depuis très longtemps.
00:43Des prix qui ont atteint en moyenne en France 360 euros la tonne et malgré une augmentation assez forte de la production laitière en France d'environ 1 million de litres de lait.
00:54Donc, c'était quand même une conjoncture très favorable. Et c'était une conjoncture aussi favorable en Europe, une augmentation aussi de la production en Europe, ainsi que dans le reste du monde, dans les grands bassins de production que sont les Etats-Unis et surtout l'Océanie.
01:10Alors, c'était une conjoncture qui était portée par 2 facteurs essentiels, d'une part la demande laitière mondiale qui est en fort accroissement, notamment en provenance d'Asie et en particulier de la Chine.
01:22La Chine s'est bien connue à multiplier par 5, voire plus ses importations depuis 5 ans de poudre de lait infantile. Et donc, ça a provoqué une formidable croissance de la demande pour tous les grands exportateurs mondiaux.
01:35Alors, le plus emblématique de cela, c'est la construction de l'usine de Sinoutra en Bretagne, au plein milieu de la Bretagne, à Carré. C'est le plus gros investissement industriel de la Bretagne depuis 25 ans.
01:46150 millions d'euros investis en plein milieu de la Bretagne pour faire de la poudre de lait pour expédier en Chine pour les enfants chinois. Et l'autre élément de croissance, ça a été la perspective de sortie des quotas en Europe qui a incité les producteurs, mais aussi les industriels à investir pour accroître leur production.
02:04Et pourtant, retournement du marché en 2015. Alors voilà, les arbres ne montent pas jusqu'au ciel. Évidemment, le marché s'est retourné en 2015. Alors, on savait que le marché allait se retourner.
02:15On pensait pas qu'il allait se retourner peut-être aussi tôt, aussi vite, aussi brutalement. Il s'est retourné. Pourquoi ? Pour les mêmes raisons que celles que j'évoquais précédemment.
02:26Les Chinois, pour des raisons internes de fortes baisses de leur croissance économique en 2015, ont nettement réduit leurs achats de poudre. Moins 58% sur la poudre de lait entier, moins 38% sur la poudre de lait crémé, moins 30% sur le beurre.
02:44Alors, comme ils étaient les principaux acheteurs, évidemment, ça achetait un froid sur le marché. On a vu des prix ainsi des poudres et du beurre sur le marché international quasiment divisés, pas de moitié, mais presque, en l'espace de quelques mois.
02:59Ça a eu des conséquences sur les prix très vite. Ça, c'est le premier élément. Le deuxième élément, c'est que la production continue d'accroître en Europe notamment, y compris en France, mais plus en Allemagne qu'en France, plus aux Pays-Bas qu'en Allemagne, plus en Irlande.
03:14Je rappelle que depuis le début de l'année, l'Irlande, c'est encore 13% d'augmentation de production, alors qu'en France, on est à 2 ou 3% seulement. Les Pays-Bas, c'est 9%. Et puis la production en Europe a accru, c'est vrai, encore cette année, mais elle a encore plus augmenté aux Etats-Unis et en Océanie.
03:33Donc tout ça fait que pression à la baisse sur les prix du lait, et moins 20% sur le prix du lait en France, qui est environ de 305 euros aujourd'hui. Mais il est en dessous des 300 euros aujourd'hui en Belgique, aux Pays-Bas ou ailleurs. Donc une forte baisse des prix.
03:49La fin des quotas et la réaction qui s'en est suivie des grands pays producteurs, elle était prévisible quand même ?
03:57Oui, tout à fait. Moi, je fais partie de ceux qui ont participé à des travaux il y a très longtemps, il y a une dizaine d'années, quand on a fait la fameuse réforme laitière du découplage en 2003, qui a engagé le secteur laitier européen dans la sortie des quotas et le découplage et la baisse des prix de soutien.
04:13A l'époque, on disait attention, danger. Si on fait cela, on risque de créer beaucoup plus d'instabilité sur les marchés. Ce qui se produit aujourd'hui, on appelle ça la volatilité. On a trouvé un nouveau terme. La volatilité, c'est tout simplement une alternance de prix bas et de prix haut de façon violente, imprévisible, que maintenant vont connaître les producteurs.
04:34C'est-à-dire qu'on passe d'une période où, pendant 30 ans, sous le régime des quotas, les prix étaient quasiment fixes, si je puis dire. Or, ils variaient au cours de l'année en fonction de la saison. Mais d'une année à l'autre, ils étaient relativement stables. Donc, dans une situation où les prix sont beaucoup plus volatiles.
04:48Mais finalement, vous me disiez en préparant cette émission qu'on n'est pas dans une crise en tant que telle, mais plutôt dans le creux de la vague de ce contexte de volatilité.
04:57Oui. Alors, j'allais dire, les économistes se trompent souvent. Et c'est plus facile, peut-être, de prévoir à moyen long terme ce qui va se passer qu'à court terme. Le court terme, à mon avis, personne ne sait ce qui va se passer dans les mois qui viennent.
05:08Parce qu'en agriculture, il y a des événements qui sont totalement imprévisibles. Le climat, les maladies animales. Je ne cite que ces deux-là, mais il y en a beaucoup d'autres. Et donc, c'est très difficile toujours de faire des prévisions à court terme.
05:19En revanche, à moyen long terme. Et là, moi, je suis sur cette optique-là. La demande laitière mondiale est là. Elle est durable. Tous les analystes sont d'accord là-dessus, autant au niveau français qu'au niveau international.
05:33Il y a une croissance supérieure du commerce même à la production. Nous avons surtout finalement peu d'endroits, peu de pôles exportateurs dans le monde. L'Océanie d'abord, l'Europe ensuite, les États-Unis, l'Argentine et le Canada. Et dans ces 5 pôles, il y a finalement un potentiel qui peut en plus être réduit demain parce que nous avons une variable qui va impacter toute l'agriculture dans les 10 ou 20 prochaines années.
06:02C'est le réchauffement climatique. Et tant aux États-Unis qu'en Océanie, vous avez sans doute des incertitudes assez fortes sur la capacité de production. Ce n'est pas le cas en Europe. Ce n'est pas le cas au Canada. Je pense qu'on a un potentiel intéressant.
06:16Concrètement et en quelques mots, pour les producteurs français, c'est quoi la réponse ou les réponses à apporter à ces difficultés ou à ce creux de vagues de la volatilité ?
06:29Il y a plusieurs niveaux de réponse. Il y a effectivement une discussion qui existe. On voit bien au niveau politique sur la... Est-ce qu'on peut réguler ou pas, réinventer les quotas ou une nouvelle forme de maîtrise, remonter les systèmes de soutien, notamment l'intervention ?
06:41C'est le débat que le ministre actuellement de l'Agriculture avec ses collègues européens. Donc ça, c'est toute la régulation européenne du marché. Premier niveau. Le deuxième niveau, c'est l'organisation de la filière, la contractualisation, les marchés à terme, la livraison à prix différé,
06:56les contrats dans le système du paquet laid, les OP, les organisations de producteurs, etc. Donc toute cette organisation de la production entre le producteur et l'acheteur, son transformateur ou son distributeur, pour sécuriser un peu, donner un peu de la visibilité au producteur.
07:12Troisième niveau, c'est aussi une gestion de l'exploitation peut-être plus contracyclique, c'est-à-dire que, autrement dit, pour parler plus simplement des bonnes années et faire des réserves pour préparer les années moins favorables.
07:26Ça s'appelle gérer différemment cette trésorerie. Peut-être aussi faire des efforts sur les coûts de production, en particulier les charges alimentaires, qui ont beaucoup augmenté quand même, parce qu'on parle de prix.
07:37Mais il faudrait aussi parler des charges. Et donc là, il y a aussi encore beaucoup de travail à faire. Et puis enfin, sans doute aussi une organisation de la filière. Encore demain, travailler plus sur la qualité des produits.
07:48Et puis, en tout dernier lieu, je pense que l'exploitation à laitière de demain, celle de 2030, 2030, c'est dans 15 ans pour les jeunes, donc c'est demain, ne sera pas peut-être la même qu'aujourd'hui.
08:01Nous avons aujourd'hui 70 000 producteurs de lait en France pour 24 millions de litres de lait. La moitié ont plus de 50 ans. Donc vraisemblablement, on va aller vers un agrandissement. Il faut le raisonner, il faut le maîtriser.
08:14Et donc, effectivement, il faut réfléchir demain à une exploitation laitière sans doute plus grande, avec du travail peut-être en groupe, voire de l'externalisation de certaines tâches.
08:24Donc il faut réfléchir aussi à une nouvelle forme d'exploitation laitière. Il faudra lever certains tabous, certaines contraintes sociétales pour cela. Oui, mais ce n'est pas la ferme des 1000 vaches.
08:33Aujourd'hui, il y a 50 vaches par exploitation moyenne en France. Si on double, c'est 100 vaches. Si on triple, c'est 150 vaches. Donc ça reste relativement raisonnable, surtout si on se compare à d'autres bassins de production.
08:43Et à mon avis, de toute façon, je répète, compte tenu de la démographie agricole, un éleveur sur deux à plus de 50 ans, de toute façon, vu le taux de remplacement qui est 1 sur 2 à peine, on ira forcément vers un agrandissement.
08:54Et je pense qu'il faut mieux raisonner cet agrandissement pour rester sur une agriculture familiale de très petites entreprises que peut-être de risquer demain de voir des firmes venir de l'extérieur, des capitaux extérieurs investir parce qu'il n'y aura plus assez d'agriculteurs pour produire du lait.
09:07Parce que moi, je pense qu'on va avoir besoin de produire du lait parce qu'il y a une demande laitière mondiale. Donc si ce n'est plus l'agriculture traditionnelle qui le fait, ce sera une autre forme d'agriculture beaucoup plus industrielle, beaucoup plus capitalistique.
09:19Et ça, effectivement, les gens n'en veulent pas. Pas plus les agriculteurs que nos concitoyens.
09:23Jean-Paul Simier, merci beaucoup.
09:24Merci.
09:25Et je vous invite à retrouver d'autres analyses sur la filière laitière sur webagri.fr.

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