Les bandits de Pégomas

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Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.

Dans cette histoire, on dit que le diable fit son apparition le 1er avril 1906.

Depuis cette date, dans l’arrière-pays de Cannes, 17 incendies volontaires et 3 tentatives de meurtre ont eu lieu en l’espace d’une année. La petite église de Pégomas, des granges et même la cabane des jardiniers y passent. Enfin, après de longs mois, le calme semble revenir. Les riverains, auparavant terrorisés, reprennent peu à peu confiance en leur village. Pourtant, trois ans plus tard, le 5 mai 1910, un nouvel incendie se déclare dans une ferme. Un incendie qui ressemble beaucoup aux précédents. D’ailleurs, on tire maintenant des balles de plombs à travers les persiennes et même sur le président de la Libre Pensée ! Les policiers sont désemparés. Qui sont ces bandits qui commettent tous ces actes terroristes ? Enfin, la gendarmerie locale semble avoir une piste. Les délinquants ont laissé un message à la craie sur une porte, avec une faute d’orthographe…

Pierre Bellemare raconte cette extraordinaire histoire dans cet épisode du podcast "Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare", issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.


Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10Qui se promène aujourd'hui dans l'arrière-pays de Cannes n'a aucune idée de ce qu'il pouvait
00:16être au début de notre siècle. Les villages répartis entre la mer et la montagne, Mouribaud,
00:22Moinsartout, la roquette sur Siagne, Pégomas, s'élevaient au milieu de campagnes riantes et
00:29parfumées. Sur leurs places paisibles, les larges feuilles des platanes jetaient une ombre fraîche
00:36l'été. Dans les rivières limpides comme la Siagne ou le Loup, frétillaient la truite et le gardon. Et
00:43si l'on allait jusqu'à la mer, on n'y rencontrait ni mur de béton ni automobile. Et le silence et la
00:51solitude d'une nature sauvage et somptueuse. Il y avait certainement peu d'endroits dans la
00:57vieille Europe qui ressemblaient aussi fort au paradis. Dans un petit coin de ce paradis,
01:04exactement entre Pégomas, la roquette et Moinsartout, le diable fit son apparition le dimanche 1er avril
01:111906. C'était un amateur de farce certainement, mais on ne découvrit sa présence que le lendemain.
01:27Le lundi 2 avril 1906, un incendie criminel détruit la sacristie de la petite église de Pégomas dans
01:48l'arrière pays de Cannes. L'enquête permet de découvrir très vite que le feu a été allumé la
01:53veille au soir juste après l'évêpre et que s'il s'agit d'un poisson d'avril, celui-ci est de bien
01:59mauvais goût. Mais ce n'est pas un poisson d'avril. Trois semaines plus tard, c'est une grange qui
02:05flambe toujours sur la commune de Pégomas, mais dans la campagne cette fois. Le mois suivant, c'est
02:12le tour d'une cabane de jardiniers en bordure d'un champ puis d'une remise à l'entrée du village. Dans
02:17ces trois derniers cas, il s'agit de bâtiments assez isolés, inhabités, pas surveillés du tout
02:23bien entendu, tous les incendies ont été allumés après la tombée du jour ou au milieu de la nuit.
02:28Et la série continue, plongeant la population du village et de ses alentours dans une inquiétude
02:33que rien ne semble pouvoir dissiper. Et puis, alors le 10 janvier 1907, Louis Revelli, un vieux paysan
02:43qui rentre des champs avec sa bêche sur l'épaule, essuie un coup de fusil. Il a entendu un choc mou
02:49sur le tronc d'un platane, à demi-mètre de lui, puis presque simultanément, l'explosion de la cartouche.
02:55Louis Revelli a fait les campagnes coloniales. En un clin d'œil, il se jette par terre et se tient
03:02immobile. Par chance, il est à la limite des premières maisons. Il attend plusieurs minutes
03:08sans souffler puis il se redresse lentement. Dans la nuit presque impénétrable, il se lève d'un
03:14banc et franchit en quelques secondes l'espace qui le sépare des murs accueillants. Mais les coups
03:20de feu en commencent. Entre le 2 avril 1906 et le 21 août 1907, on dénombre 17 incendies volontaires
03:28et trois tentatives de meurtre. Si l'inquiétude a déjà fait place à l'angoisse, il ne s'agit tout de
03:35même pas encore d'une obsession quotidienne. Et ceci d'autant plus que, justement, après l'incendie
03:41du 21 août, le calme semble s'installer. Un mois se passe sans incident, puis deux mois, puis trois.
03:48On n'ose pas trop respirer, mais la paix continue. Allons, ce n'était qu'un mauvais rêve dont personne
03:56ne connaîtra jamais les raisons, mais peu importe après tout. L'essentiel, c'est qu'on en soit
04:02sortis. Les mois qui suivent confirment les prévisions des optimistes. Un an, deux ans se
04:07passent, bientôt trois. Non. Le 5 mai 1910, un nouvel incendie se déclare dans une ferme
04:16opulente à deux kilomètres de la Roquette-sur-Siagne. Un incendie qui ressemble beaucoup au précédent.
04:21On pourrait croire à une simple coïncidence s'il n'était le prélude d'une nouvelle série
04:26d'actes criminels. Mais, demanderez-vous peut-être, il n'y a donc pas de gendarmes dans ce pays? Est-il
04:33possible qu'on laisse pendant si longtemps des inconnus terroriser toute une population?
04:37Les gendarmes, ils sont bien embarrassés. Et quand je dis embarrassés, c'est une façon modérée de
04:42parler. Les gendarmes de Pégomas sont foudrage et d'impuissance devant des bandits invisibles qui
04:46ne frappent que dans l'ombre, qui disparaissent immédiatement, que tout le monde fuit. Ils ont
04:52fait des battues, les gendarmes. Ils ont cherché des indices après chaque action criminelle. Ils
04:57ont interrogé des dizaines de gens, mais sans aucun résultat. Il n'y a pas d'indice, il n'y a pas de
05:01témoin, il n'y a même pas de suspect. Il n'y a même pas de mobile. Et c'est ce qui rend ces crimes
05:08tellement énigmatiques. On a bien observé quelques vols, mais ils sont insignifiants. On a dû écarter
05:14la malveillance ou la vengeance personnelle, car on ne connaît personne dans les alentours qui haïssent
05:19autant de gens à la fois et de gens aussi différents. On a également songé à du terrorisme, mais les
05:25victimes des bandits appartiennent à des horizons très variés. Non, réellement, on ne voit pas ce qui
05:30agite les criminels. La police cannoise est intervenue naturellement, mais elle s'est montrée aussi
05:36impuissante que la gendarmerie et même davantage, car elle ne connaît pas aussi bien les lieux et les
05:41hommes de ce petit pays. On se résigne donc, on se renferme chez soi et quand on est rentré, on évite
05:48de rester à proximité des fenêtres. Quelques lourdes balles de plomb ont traversé les Persiennes
05:53à deux ou trois reprises. On a examiné ces balles quand on les a retrouvées. Il s'agit d'objets de
05:59fabrication artisanale, probablement coulés dans un roseau et tous tirés avec le même fusil.
06:05Mais le fusil de qui ? C'est un habitant du pays, ça, on en est maintenant certain. Il connaît non
06:13seulement tous les sentiers, tous les vallons, toutes les maisons, mais les habitudes des gens
06:18à leurs horaires, à leurs lieux de passage. Alors, lequel d'entre eux ? Eh bien quelqu'un qui doit
06:25avoir un visage ouvert et souriant, que l'on a côtoyé sur les bancs de l'école, avec qui l'on joue
06:29aux boules le dimanche, qui paie sa tournée à l'heure du plastis. Mais qui ? Il est assez remarquable
06:36de constater, et je tiens à le souligner, que pendant ces longues années d'angoisse, l'opinion
06:40publique n'a jamais accusé à la légère ceux dont la tête ne lui revenait pas. Il y a toujours dans
06:45les villages celui qui se chamaille avec tout le monde et celle qui ne parle jamais à personne. Eh
06:50bien on ne les a pas désignés d'un fils comme des suspects, et c'est bien. Pourtant, il y a eu trois
06:56arrestations considérées au cours de cette interminable attente. Elles furent décidées par la
07:00police, et pour des raisons bien précises. Mais nous n'en sommes pas encore tout à fait là. Pour l'instant,
07:05le parquet de Grasse est visiblement dépassé par les fantômes criminels de Pégomasse. On se borne
07:10à compter les attentats en formant des voeux pour que l'un ou l'autre des bandits fasse une erreur,
07:14trébuche, tombe dans un piège. C'est dans cette atmosphère sinistre et démoralisante qu'ont lieu
07:21le dimanche 29 juillet 1910 les élections législatives. Vers 9 heures du soir, M. Magagnosque,
07:29président de la Libre Pensée, le maire et quelques amis, reviennent de la poste où ils sont allés
07:35prendre connaissance du télégramme officiel annonçant le résultat des élections. Lorsqu'ils
07:40arrivent près du cimetière, un coup de feu éclate dans la nuit, et M. Magagnosque tombe, la cuisse
07:47gauche fracassée. Par cette fois, on ne nous dira pas qu'il ne s'agit pas d'un crime politique.
07:51Personne n'avait aucune raison d'attaquer M. Magagnosque qui est le meilleur des hommes,
07:55serviable, aimé de tous. C'est forcément un voyou, un mercenaire à la solde des canotins
08:00qui lui a tiré dessus. On commence à s'émouvoir dans les cercles politiques de la capitale. Le
08:06ministre de l'intérieur ne cache pas son exaspération, il faut faire quelque chose. Un célèbre policier
08:12parisien, René Méthénier, qui fut plus tard chef de la police criminelle, débarque le lendemain
08:18matin à Pégomasse. Si son action fut pour finir déterminante, elle n'eut rien de fulgurant.
08:24Longtemps encore, les bandits poursuivirent leurs sinistres activités.
08:30Les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast européen. Quand René Méthénier arrive
08:43à Pégomasse, dans l'arrière-pays canois, le 30 juillet 1910, il trouve le village et ses
08:48environs plongés dans une véritable terreur. Depuis quatre ans, des vagues d'attentats se
08:53sont succédées faisant alterner les incendies criminels, les tentatives d'assassinats. La
08:58gendarmerie et la police locale se sont montrées impuissantes. Le parquet de Grasse ne sait plus
09:02quelles mesures prendre pour arrêter les auteurs de ces actes inadmissibles et faire revenir le
09:06calme dans cette campagne riante et paisible. René Méthénier occupe des fonctions importantes à la
09:12direction de la police criminelle. Sa venue à Pégomasse a été provoquée par un attentat qui
09:17inquiète le gouvernement. La veille au soir, le dimanche 19 juillet, vers 9h, M. Magagnosque,
09:22président de la Libre Pensée, a reçu une balle de fusil dans la cuisse gauche, étant donné la
09:26personnalité de la dernière victime, on craint des répercussions politiques. Le ministère de
09:31l'Intérieur a donc délégué un de ses plus fins limiers avec des pouvoirs étendés. Mais René
09:36Méthénier est aussi embarrassé que ses prédécesseurs ne connaissent ni la topographie locale ni les
09:41gens du pays. Alors, verrou vers qui va-t-il se tourner pour commencer son enquête ? Exceptionnellement,
09:48une partie de l'opinion publique accuse cette fois un ennemi politique de M. Magagnosque,
09:54Gustave Mancardi, le fausse-couilleur. D'ailleurs, un témoin, dont la maison est proche du cimetière,
10:00affirme d'avoir vu passer sous ses fenêtres quelques instants avant le crime un foulard
10:04rouge sur la tête, un fusil à la main. Les policiers l'interrogent sans conviction. Après
10:11tout, un fausse-couilleur aux environs d'un cimetière, ce n'est pas bien suspect. Or,
10:15Gustave Mancardi se réécrit « Dimanche ? Mais j'étais pas à Pégomasse dimanche ! J'étais à
10:21Moinsartout chez Molinatti ! » Cet alibi est bien maladroit. Conseillement pris, le fausse-couilleur a menti,
10:28il a quitté Moinsartout le dimanche soir vers 7 heures et il n'y est revenu que le lundi matin.
10:33Bien mieux, on trouve chez lui le foulard rouge et le fusil, décrit par le témoin. Ces éléments
10:39suffisent à motiver son arrestation et sa comparution quelques semaines plus tard devant
10:44la cour d'assises de Grasse. Mais les charges relevées contre lui sont vraiment très minces.
10:49Témoignages insuffisants. Aussi la cour d'assises a quitté Gustave Mancardi. Et à juste titre,
10:56semble-t-il, puisque pendant sa détention préventive, d'autres attentats se produisent.
11:00Le 20 août, Marcel Geoffroy, cultivateur, reçoit une charge de chevrotine dans le dos.
11:05Celui-là, il ne faisait pas de politique. Les mobiles des terroristes redeviennent
11:11difficiles à établir. Le 28 août, un cabartier de la Roquette, Joseph Garnier,
11:16qui s'était endormi sur un banc devant la porte de son café, est tué à bout portant d'une balle
11:20de même fabrication que les précédentes. La même nuit, à quelques kilomètres de là,
11:24une maison flambe. Au matin, Bonnet-Bétaignier découvre, rédigé à la craie sur une porte,
11:31l'inscription suivante. « Honneur aux bandits ! Vive les bandits ! Nous reviendrons bientôt. »
11:37Une signature, maintenant. Ah, il s'agit bien d'une entreprise de démoralisation du pays. Mais
11:44par qui ? Pourquoi ? Ces questions restent toujours sans réponses. Nous trouvons maintenant la fin
11:51du mois d'août 1910. Les attentats vont durer jusqu'au mois de février 1913. Oui, oui, mais bien
11:58entendu. Pendant encore deux ans et demi, la population de Pégomas, de la Roquette, de Mouassartou,
12:05va vivre dans une terreur qui ne fera que croître. Durant cette période, on ne comptera plus les
12:11incendies, ni les coups de fusil tirés comme au hasard sur des poissons attardés ou à travers des
12:16persiennes fermées. Tout de même, je ne puis passer sous silence les noms de trois nouvelles victimes
12:22qui laisseront leur vie dans cet épouvantable jeu de massacre. 19 juillet 1911, Madame Rousset-Dallon
12:28est frappée en pleine poitrine en fermant les volets de sa chambre à la Roquette. 13 novembre
12:331912, Martin Rissot est assassiné à la Roquette et enfin, le 1er décembre 1912, Maurice Alasséna est
12:40tué à Saint-Jean. Auprès de ces horribles crimes, un nouveau type d'attentat fait bien pâle figure, il
12:47s'agit de la profanation des cimetières à la Roquette, à Mouassartou et à Saint-Jean. Les
12:55criminels laissent de temps en temps des messages, ils ont pris goût aux manifestations littéraires
12:58semble-t-il. Il s'agit toujours de proclamations à la gloire des bandits, d'observations narquoises
13:03à l'égard de la police, de menaces. Il s'agit toujours aussi de la même écriture où se retrouvent
13:09les mêmes fautes d'orthographe. Enfin, les portes des granges ne constituant plus un champ suffisant
13:15pour son besoin d'expression, l'écrivain de la bande adresse une lettre au commissaire central de
13:21CAD. On y retrouve l'essentiel des déclarations habituelles. « Mort à celui qui me touche, la police
13:29dans la merde, nous sommes plus fins que la justice, cet été ce seront les forêts qui brûleront, une
13:37maison va brûler, etc. » Les criminels viennent de commettre une erreur fondamentale. Leur force
13:44venait jusqu'ici de l'absence de lien entre leurs crimes et eux, de l'impossibilité totale de la
13:51moindre identification. Cette fois un tout petit fil vient d'arriver entre les mains de la police,
13:57une lettre. Et une lettre, c'est une arme redoutable pour qui c'est sans servir.
14:05René Métaignier, comme tous ses collègues du reste, est convaincu que les auteurs des
14:11attentats appartiennent à la population locale. Seuls des hommes du pays peuvent utiliser aussi
14:17bien la connaissance des lieux, des vallons, des chemins creux, des bois et les habitudes des
14:21villageois. Le policier décide d'examiner un spécimen de l'écriture de tous les habitants.
14:26« Tous les habitants ? Mais comment va-t-il s'y prendre, allez-vous penser ? Ils sont
14:33plusieurs centaines. » Oui, mais il y a bientôt sept ans que les bandits terrorisent des centaines
14:38de gens. Délivrer le pays d'une telle hantise mérite bien un peu de patience.
14:42« Ah, de la patience, certes, les policiers vont en avoir besoin. » Les uns après les autres,
14:49les gens du pays défilent à la mairie et rédigent sous la dictée la phrase suivante.
14:54« J'ignore tout des bandits. » « Je n'ai jamais crié « Vive les bandits de Pégomas ». »
15:01J'espère que vous remarquerez au passage l'astuce de la police. Si l'on avait demandé aux habitants
15:08du village de recopier un fragment de la lettre, cela les aurait mis d'une manière indirecte en
15:12position d'accusés. Il est probable que leur inconscient aurait réagi pour se protéger contre
15:17cette accusation voilée. Au contraire, la phrase proposée par la police les considère implicitement
15:23comme des innocents, ce qui ne l'empêche pas de contenir la formule habituelle des criminels « Vive
15:29les bandits de Pégomas ». C'est dans cette formule que réside une partie du piège, car à trois
15:35reprises, y compris dans la lettre, le rédacteur a d'abord écrit « Vive » au singulier et puis
15:42il a corrigé en ajoutant « NT », en surcharge. Les villageois puis les fermiers des alentours
15:51défilent les uns après les autres. Cela prend plusieurs semaines, même plusieurs mois. Ce
15:57moment, on dirait que les bandits s'inquiètent de ce travail de fourmis lent et patient. Le 14
16:02février a lieu le dernier attentat. C'est un gendarme, cette fois Michel Casse, qui est blessé
16:08sur la route de la Roquette à Pégomas et puis plus rien. Plus rien jusqu'au 10 juin 1913. Le
16:1910 juin, soit cinq mois après le début de l'enquête graphologique, un jeune homme de 26 ans se
16:25présente. Il s'appelle Pierre Chiapal. Il est domicilié au Hameau de la Bourme et il effectue son
16:35petit pain somme comme les autres. Un seul coup d'œil suffit aux deux inspecteurs, L'Huillier et
16:40Gabrielli, pour reconnaître l'écriture de la lettre adressée au commissaire Canoy. Et le piège
16:45orthographique a fonctionné. Le mot vive a été surchargé d'un N et d'un T. Le cœur des policiers
16:53saute dans leur poitrine. Tiendrait-on enfin l'un des bandits de Pégomas ? Mais on le tient. On les
17:05tient même tous à la fois. Pierre Chiapal n'a pas de complice. En sept ans, il a commis tout seul
17:1342 incendies, 4 profanations de cimetières, 3 vols, 16 tentatives de meurtre et 4 homicides volontaires.
17:22C'est un jeune homme au visage borné, au regard éteint. Son arrestation plonge tout le village
17:29dans la stupéfaction. Qui aurait pensé que c'est cet être fallot, presque demeuré, qui terrorisait
17:37tout le pays depuis tant d'années ? Pourtant, le fait est là. Il avoue mollement. On retrouve dans
17:46sa chambre le maigre produit de quelques rapines, mais surtout le fusil. Un fusil gras transformé
17:53calibre 16, des balles fabriquées à la maison, des douilles identiques à celles que l'on avait
17:57recueillies après chaque crime. Assez peu évolué sur le plan mental, Chiapal est également un être
18:05sans caractère. Au cours de la reconstitution de ses principaux forfaits, il tremble, il n'ouvre
18:11à peine la bouche, il est affolé à l'idée que les spectateurs puissent le molester, lui faire
18:15un mauvais parti. Il ne se détend que lorsqu'il se retrouve dans la voiture cellulaire. C'est
18:23probablement cette absence de caractère qui a fait de Pierre Chiapal un assassin. Ce garçon,
18:27qui avait peur de tout et de tous, a essayé de se fabriquer une illusion de puissance par la
18:33terreur criminelle dans l'ombre et dans l'incognito. En voyant la panique se répandre autour de lui,
18:38en observant les mouvements inefficaces des forces de police, en contemplant l'immense
18:43agitation provoquée non seulement dans l'arrière béhicanois, mais dans toute la France par ses
18:47coups de fusil, il se persuadait aisément de son importance, il se grisait de sa force,
18:51il prenait une cruelle revanche sur sa petite et médiocre existence. Les jurés de la cour d'assises
18:58des Alpes-Maritimes n'eurent pas de mal à admettre ce point de vue. Le 10 février 1914,
19:04Pierre Chiapal était reconnu coupable avec une responsabilité légèrement atténuée et condamné
19:10aux travaux forcés à perpétuité. Oui, il ne resta pas longtemps au bagne. Un être aussi
19:16fallot, aussi timoré que lui, ne pouvait guère résister à ce régime à peine humain. Il mourut
19:22peu de temps après son arrivée à Cayenne. Le cauchemar était terminé. Mais les vieux
19:30habitants de Pegomas s'en souviennent encore. Si vous les rencontrez l'été prochain, ils vous
19:36raconteront l'histoire à leur manière, une histoire un peu obscurcie bien sûr et peut-être
19:41rejolivée par la grâce du temps passé.
19:52Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives
20:09d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio. Réalisation et composition musicale Julien
20:15Tarot. Production Lisa Soster. Patrimoine sonore Sylvaine Denis, Laetitia Casanova,
20:22Antoine Reclus. Remerciements à Roselyne Belmar. Les récits extraordinaires sont disponibles sur
20:29le site et l'appli Europe 1. Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement
20:35sur votre plateforme d'écoute préférée.