• il y a 2 mois
Transcription
00:00Bonjour Amélie Nothomb. Bonjour Élodie Suigaud. Quand on regarde votre parcours de romancière et de
00:04vos succès, votre tableau de récompense avec notamment le grand prix du roman de l'Académie
00:08française pour stupeur et tremblement ou le prix Renaudot 2021 pour premier sang et le nombre de
00:13livres vendus, une seule expression nous vient, chapeau bas et force est de constater que ça
00:18colle parfaitement avec votre personnalité, même votre dress code. Enfin je dis ça, mais en même
00:22temps c'est pas vraiment vrai parce que sur la couverture de votre nouveau roman sorti il y a
00:27quelques jours chez Albain Michel vous avez posé votre chapeau. Vous apparaissez sang, armée d'une
00:31moue souriante, la tête posée sur le côté gauche, calée avec vos deux mains. Votre regard aussi est
00:37lumineux, il faut le dire, il semble être tourné vers l'avenir. Pourtant le titre de l'ouvrage au
00:42début interpelle, c'est l'impossible retour et après sa lecture on se rend compte qu'il est tout
00:47sauf négatif, loin sans faux. Il est nostalgique mais positif. Amélie, cet ouvrage est extrêmement
00:53personnel, il est intime, il nous en dit long sur la femme que vous êtes devenue. On a l'impression
00:57que ce roman vous a permis à vous-même de savoir davantage qui vous étiez. C'est tout à fait vrai
01:04ce que vous dites, c'est le récit de mon tout dernier voyage au Japon. C'était en mai 2023.
01:12J'ai eu l'occasion d'aller passer dix jours au Japon avec une grande amie. Je n'étais plus
01:18allée au Japon depuis onze années. Le Japon est un pays essentiel à ma vie. Ma vie a été rythmée
01:25de voyages au Japon. Ces voyages ont toujours eu une importance capitale. Bon, j'ai fini par
01:32comprendre que je ne serais pas capable de faire ma vie au Japon. Mais ce n'est pas pour ça que ce
01:36n'est pas mon pays préféré au monde. Je suis folle de ce pays, je suis amoureuse de ce pays, j'ai
01:41besoin d'y retourner régulièrement. Et en même temps, j'aime tellement ce pays que c'est impossible
01:48pour moi d'y retourner. Pourquoi ? Parce que je sais que ce ne sera pas pour toujours, parce que je sais
01:52qu'il va falloir en repartir. Voilà, c'est comme le récit d'une histoire d'amour impossible et
01:58cependant pas malheureuse du tout. Vous avez oublié à un moment donné que vous aviez appris la langue,
02:03c'est ce que vous nous révélez. C'est fort ça. J'ai une relation très spéciale avec la langue
02:07japonaise parce que j'ai eu deux langues maternelles, le français et le japonais. Puis ayant quitté le
02:12Japon à l'âge de cinq ans, j'ai totalement oublié le japonais. Du moins, j'ai cru avoir oublié le
02:18japonais parce que quand je suis retournée au Japon à l'âge de 21 ans, c'est fou ce que la langue est
02:23revenue vite. Mais maintenant, je sais que ce n'est jamais un oubli définitif, c'est un petit
02:28peu comme une marée. Quand je retourne au Japon, la marée est basse, j'ai oublié le japonais, mais
02:34de jour en jour, je sens la langue qui me revient. On sent en tout cas aujourd'hui, ce qu'on comprend,
02:40c'est que vous endossez davantage le rôle de capitaine de ce bateau pour voguer finalement
02:47vers votre vie, celle que vous décidez. Ce n'est pas un hasard si le regard est tourné vers l'avenir,
02:51j'ai l'impression. C'est vrai. Mais c'est vrai aussi que c'est la première fois que je retourne
02:54au Japon depuis que mon père est mort. Auparavant, chaque fois que j'allais au Japon, même si mon
03:00père n'y vivait plus, je me sentais assujetti à mon père qui était ce formidable connaisseur du Japon,
03:07ce chanteur de l'opéra médiéval japonais qui est le Nô. J'allais au Japon avec un surmoi
03:13paternel extraordinaire. Cette fois-ci, mon père n'est plus vivant, donc je vais au Japon,
03:20comme vous le dites très bien, en étant mon propre capitaine. En plus, j'ai charge d'âme puisque je
03:25dois guider cette grande amie, Pepe Beni. On sent que cette responsabilité tout au long de
03:31l'ouvrage d'ailleurs est très lourde pour vous. C'est une responsabilité très lourde parce que
03:34je n'ai jamais guidé quelqu'un au Japon. Et pourtant, finalement, j'y arrive très bien. Et
03:39finalement, ça se passe très bien. Vu de l'extérieur, c'est un voyage qui se passe comme sur
03:45des roulettes. Ce qui est extraordinaire dans ce voyage, c'est mes sentiments. C'est ce que j'éprouve
03:49à être confrontée une énième fois à ce pays qui est si significatif pour moi.
03:55Là, vous affrontez de façon finalement très directe le départ de votre père puisqu'on reste
04:02dans le thème du départ, le départ le plus lourd pour vous. Et ce qui vous permet d'ailleurs d'adoucir
04:07les autres, j'ai l'impression, c'est son départ. Ma foi, oui. Retourner au Japon sans mon père,
04:14qui a été un des principaux agents pour me faire apprendre le japonais parce que, bien sûr, j'ai
04:19aussi appris le japonais avec ma nounou japonaise, avec les professeurs que j'ai pu avoir par la
04:23suite. Mais mon père parlait couramment le japonais. J'avais constaté que quand lui avait
04:27prononcé devant moi un mot ou une phrase en japonais, elle était inscrite en moi pour toujours.
04:32Donc, c'est cette fois-ci que j'ai vraiment pu voir ce qu'il restait d'un héritage aussi important.
04:40Cette avancée, on la ressent. Est-ce que vous vous la ressentez, Amélie ? Que vous n'êtes plus la même
04:45personne, que vous êtes beaucoup plus forte aujourd'hui que vous ne l'avez été.
04:51Je le ressens, je le ressens, mais c'est à double tranchant parce que de savoir ce qu'il a fallu
04:55faire pour trouver cette force-là, bon, ça crée un sentiment de fierté, mais quelque part aussi ça
05:03rend fragile parce qu'on se dit, bon, il a quand même fallu tout ça. Or, l'histoire n'est pas finie.
05:08Je vais continuer à vivre, je vais continuer donc à perdre des gens puisque la vie est ainsi faite
05:14que vivre, c'est aussi perdre des gens très chers. Donc, voilà, je ne sais pas quelles sont les étapes
05:22qui m'attendent et elles me font aussi un petit peu peur quand même.
05:25Ce que souligne cet ouvrage, c'est l'importance de la contemplation aussi, de bien observer ce qui se passe.
05:30Vous êtes un peu une croqueuse de quotidien et d'émotions, de sentiments. Ce qui est important lorsqu'on
05:36contemple, vous le dites, c'est de trouver l'harmonie qui est en soi. Est-ce qu'elle est loin, cette harmonie ?
05:41Alors Amélie, où est-ce que vous commencez enfin à y accéder ?
05:45Alors, je pense que j'ai accès à cette harmonie au moins une fois par jour. C'est déjà pas mal.
05:51Bon, j'aimerais que ça dure plus que cinq minutes par jour, mais déjà cinq minutes par jour, c'est pas si mal.

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