Témoignage 07 octobre : Doron Journo, a perdu sa fille Karin lors du festival Nova

  • il y a 12 heures

Vendredi, samedi et dimanche dans Europe 1 Soir Week-end, Pascale de La Tour du Pin reçoit un invité au cœur de l'actualité politique.
Retrouvez "L'interview politique d'Europe 1 Soir week-end" sur : http://www.europe1.fr/emissions/linterview-politique-deurope-1-soir-week-end

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00:00Non.
00:01Europe 1 Soir Week-end, 19h21, Pascal Delatour-Dupin.
00:0520h12 sur Europe 1, merci d'être avec nous.
00:09À la veille du 7 octobre, un an après les atrocités commises par le Hamas, nous avons
00:14choisi de donner la parole aux proches des victimes.
00:17J'ai échangé cette semaine avec Doron Journeau, qui est le père de Karine Journeau, qui a
00:23été tuée par le Hamas au festival Nova.
00:27Sa fille avait 24 ans.
00:29Elle était partie danser avec des amis.
00:32Son père l'a cherchée pendant des jours, jusqu'à ce qu'on lui annonce sa mort et
00:37ma première question était de savoir comment il allait un an après, comment allait sa
00:43famille.
00:44Depuis le 7 octobre 1923, c'est la même chose, c'est pas la même chose, c'est très
00:52dur, très difficile pour nous, parce que je croyais qu'on allait un an, mais c'est
01:05très très difficile.
01:06Aujourd'hui, c'est la fête Rocha-Chanal, je dis comme ça, ma femme, elle est maintenant
01:14dans la chambre, elle n'a pas fait de manger, elle ne veut pas sortir de la maison, elle
01:19ne veut pas faire la fête, toujours elle pleure, ma femme, seulement, elle va travailler,
01:28après qu'elle retourne de la travail, elle reste à la maison, elle ne fait pas rien.
01:32Moi, toujours, j'achète le manger dehors, ma femme, moi, c'est pas la même chose, c'est
01:42très difficile.
01:43Toujours, je crois que Karine, elle va rentrer, elle est partie en vacances, elle va retourner,
01:50c'est très très difficile.
01:52Il y a un an que Karine, elle est morte, et c'est la même chose, la même chose.
01:59La même douleur, Doron Journaud.
02:01Est-ce que pour les auditeurs d'Europe 1, vous pouvez nous dire de quoi vous vous souvenez ?
02:06Un jour que je n'avais jamais oublié, parce que moi, je ne savais pas qu'il y avait beaucoup
02:12de terroristes, Karine a parlé avec moi, elle m'a dit qu'il y a des bombes, elle va monter
02:20dans la voiture, elle va venir à la maison, et moi, j'ai dit ok, elle va venir Karine
02:25à la maison.
02:26Pourquoi je n'avais jamais oublié ? Parce que je croyais qu'elle allait à la maison,
02:33et moi, j'ai fait la vaisselle, on a bu un café, moi et ma femme, on sait qu'elle va
02:40retourner à la maison, et à cause de ça, moi, toujours, je pleure, parce que je croyais
02:47que Karine, elle va, et moi, j'ai resté comme une bête, comme ça, dans la salon,
02:53ça, c'est un jour que je n'avais jamais oublié.
02:55Karine, elle est morte, elle n'est pas morte, ils ont brûlé Karine, elle n'est pas mourue
03:03comme ça, elle a brûlé les terroristes, les Hamas, mais jamais je n'avais oublié
03:10parce que je croyais qu'elle allait retourner à la maison.
03:14Doron Journouk, est-ce que vous pouvez nous dire comment vous avez appris la mort de Karine ?
03:21Moi, quelqu'un m'a envoyé une photo, une vidéo de Karine, elle s'assoit à côté
03:29de l'ambulance, et ma femme, elle a dit, OK, si elle est dans l'ambulance, peut-être
03:35qu'elle a pris un coup, ou qu'elle n'est pas bien, on va partir à l'hôpital, on est
03:45partis à l'hôpital Bardilaye, on est partis à l'hôpital ADH Keylong, et après, on
03:54a cherché beaucoup Karine, on a crié là-bas, on a crié, Karine, Karine, je croyais qu'elle
03:59allait là-bas, et après, on n'a pas trouvé Karine, on est partis à l'hôpital de Bersheva,
04:05Soroka, on a crié là-bas, OK, on a cherché beaucoup de temps dans l'hôpital, on n'a
04:13pas trouvé Karine, on est retournés à la maison.
04:16Moi, je croyais que Karine allait être kidnappée, et après 11 jours, l'armée, ils sont venus
04:23chez nous, et ils ont dit qu'ils ont trouvé Karine, et Karine, elle est morte.
04:31Dès qu'elle est arrivée, ils ont trouvé seulement trois dents.
04:35Ça doit être terrible pour un père, Doron Journeau, c'est épouvantable, c'est épouvantable
04:45pour le père que vous êtes, pour votre femme, pour votre famille, j'imagine que ça a été
04:51un moment terrible pour vous, et que vous avez dû être envahi d'un chagrin extrême
04:57et d'une colère certainement extrême, Doron Journeau.
05:00Oui, c'est très très difficile, oui.
05:03Doron Journeau, est-ce que vous avez peur aujourd'hui ?
05:05Oui, oui, j'ai peur maintenant, même hier, tu as vu, il y a sept personnes qui sont mortes
05:14à Yafo, moi je perds maintenant, oui, c'est pas comme avant.
05:20Merci en tout cas, merci beaucoup Doron Journeau d'avoir été avec nous sur Europe 1, merci
05:27beaucoup pour votre témoignage, merci beaucoup.
05:31Il est 20h17, Rachel Binas, journaliste à Marianne et auteur de l'ouvrage Victime Française
05:37du Hamas, leur histoire, notre silence, aux éditions du Serre, sorti ce mercredi 2 octobre.
05:44De l'Observatoire.
05:45De l'Observatoire, d'accord, de l'Observatoire, pardon, excusez-moi.
05:49En plus, c'est écrit dessus, donc voilà, merci d'être avec nous dans ce studio, votre
05:55livre est sorti mercredi, et on voulait vous entendre, Rachel Binas, d'abord, pour les
06:01auditeurs d'Europe 1, vous connaissez ce papa qui vient de témoigner de l'enfer, il n'y
06:07a pas de mots pour décrire ce qu'il a vécu, il n'y a pas de mots, Rachel Binas, il est
06:12extrêmement courageux, sa famille aussi aujourd'hui.
06:14C'est un homme extrêmement fort, en effet, que j'ai pu rencontrer chez lui.
06:17Lui, sa fille aînée, Métave, et puis son épouse également, ils m'ont reçu chez
06:24eux, dans cet appartement joli, moderne, et en effet, c'est une famille dévastée qui
06:32vit de manière différente la souffrance, parce qu'on ne la vit pas forcément de la
06:35même manière, et qui, comme il le dit très bien, a attendu avant de savoir si sa fille
06:39était ou pas en vie.
06:40Il a la pudeur de le dire, de ne pas le dire, mais on retrouvera trois dents de sa fille.
06:47Il faut savoir que certains corps étaient dans de tels états qu'Israël a dû avoir
06:53recours à des archéologues pour pouvoir identifier les restes, et c'est un homme extrêmement
06:58fort qui lutte, qui se bat, comme vous n'avez pas aidé pour faire vivre la mémoire de
07:03Karine.
07:04Métave aussi, la sœur, elle m'en a toujours parlé, comme une épicurienne, Karine, qui
07:09aimait beaucoup s'amuser, voyager, profiter de la vie très curieuse des autres, qui pratiquait
07:15un humour noir extrêmement puissant, et c'est ça qu'ils veulent qu'on retienne d'elle,
07:23sachant que cette famille a des liens forts avec la France, contrairement à ce qu'on
07:28pourrait penser.
07:29Alors, Doron, sa première langue, sa langue maternelle, était le français, même si
07:32aujourd'hui l'hébreu tend à dominer, et puis me racontait que sa propre mère, qui
07:36avait donc immigré en Israël, avait gardé ce rituel chaque semaine en Israël, elle
07:42allait se procurer le nouveau détective, le journal, c'était une fan de cette revue.
07:47Alors, Rachel Binas, vous avez souhaité donner la parole aux victimes françaises,
07:52du Hamas à leur famille, lors de ces attaques du 7 octobre.
07:56Vous avez ces mots, des victimes françaises, invisibilisées et gommées de nos débats
08:03politiques, comme de la vie politique française.
08:06Comment vous expliquez, et vous n'avez pas tort, il y a 43 victimes françaises, 43 français
08:13qui ont été tués le 7 octobre, il y a encore deux otages, et on n'en parle jamais.
08:19Mais pourquoi ? Est-ce que vous avez une explication, un début d'explication, Rachel Binas ?
08:23Plusieurs pistes de réflexion, chacun se fera son idée.
08:26Alors, bien sûr, on me dira qu'il y a la proximité géographique, plus un événement
08:31a lieu loin, on arrive forcément à développer une espèce d'empathie, mais j'ai comparé
08:38un petit peu, je me suis souvenu, souvenez-vous d'Ingrid Bettencourt, Georges Malbruneau,
08:44Christian Chennault, c'était des otages, et bien sûr, tant mieux, la France les a
08:48soutenus, on voyait leurs photos tous les jours en ouverture du 20h, la France mobilisait
08:52le compteur.
08:53Et là, on n'en entend pas, mais pourquoi ?
08:56Alors qu'il s'agit peut-être de l'attentat parmi les plus meurtriers, après celui de
09:01Nice, je pense qu'il y a un malaise parce que déjà, ils ont fait le choix d'Israël
09:06et parce qu'ils sont de confession juive, et que pour certaines personnes, pas toutes
09:09bien sûr, mais dans certains milieux politiques, culturels, universitaires, ça dérange parce
09:16que ça vient briser un récit qu'on avait jusque-là, selon lequel, quelque part, Israël
09:21ne serait qu'un État dominateur, génocidaire, colonisateur, et à ce titre, il ne pouvait
09:27pas être victime.
09:28Alors j'entends ce que vous dites, très bien, mais Israël c'est une chose, pardon
09:31mais c'était français.
09:32Mais ils étaient français, donc là vous me répondez Israël, moi je vous dis, c'était
09:36des français, de confession juive peut-être, mais des français ! Israël n'a rien à
09:42voir dans cette histoire, pourquoi il y a cette espèce d'amalgame ?
09:45Mais on vous dit de toute façon, ils ont fait le choix d'Israël et donc à partir
09:48de là, ils ne sont plus français, c'est ça ?
09:50Exactement.
09:51Alors même qu'on l'a dit, une crise est en cours franco-colombienne, le côté franco
09:56demeurait, persistait, était mis en avant, là on a eu beaucoup plus de mal et on a préféré
10:01peut-être les reléguer aux marches, peut-être aussi qu'on n'a pas voulu à un moment
10:06interrompre le temps politique, géopolitique, des conflits, des convictions, pour un temps
10:12d'empathie.
10:13C'est quelque chose qu'on n'a pas réussi à faire, ou en tout cas très peu, entre
10:15le 7 et le 8, mais ensuite on n'a pas réussi à leur donner une place.
10:19On expliquait qu'on ne pouvait pas mettre un drapeau israélien, par exemple, sur les
10:23frontons des mairies, mais il y a eu des drapeaux ukrainiens, des drapeaux arméniens parfois,
10:26et on ne voyait pas les mêmes personnes, les mêmes élus s'élever.
10:30Donc tout ça est le fruit d'un malaise, et c'est ce que j'ai voulu questionner, pourquoi
10:33le 7 octobre est aussi un événement français ?
10:35Pourquoi le 7 octobre est aussi un événement français ? On le prouve en rappelant le nombre
10:40de victimes françaises de ces attaques terroristes, à propos des deux derniers otages, Oad Ya'alomi
10:49et Ofer Calderon.
10:51Est-ce qu'on a des nouvelles ? Est-ce que vous avez pu entrer en contact avec leur famille,
10:56que sait-on ?
10:57Alors, 49 et 53 ans, deux pères de famille qui vivaient à Nîros, le fameux kiboutz
11:02à la frontière de Gaza, je m'y suis rendue, vous voyez Gaza, le kiboutz habité surtout
11:08par des gens de gauche, on va dire, persuadés de pouvoir vivre bon voisin avec justement
11:16les palestiniens.
11:17Certains venaient travailler au kiboutz, certains palestiniens, certains gazaouis, certains
11:22étaient conduits même à l'hôpital en Israël, donc il y avait des rapports assez
11:27forts, des relations en tout cas qu'ils essayaient de nouer.
11:30Il faut savoir qu'avant que le Hamas arrive au pouvoir, on a du mal à s'en rendre compte
11:34mais certains d'entre eux, des habitants de ces kiboutz allaient en vacances, en sorties,
11:39à Gaza.
11:40On allait à la plage, une image qui nous paraît à la fois extrêmement lontaine et en fait
11:44quelque part c'était hier à l'échelle de l'histoire, ces deux pères de famille, leurs
11:48enfants ont été libérés mais eux demeurent otages à Gaza, on n'a aucun signe de vie,
11:56sachant que le fait que ce soit des hommes et qu'ils aient 49 et 53 ans rend les espoirs
12:03non pas vains mais extrêmement ténues, extrêmement minces parce que le Hamas n'a pas pour l'habitude
12:09de laisser en vie des hommes.
12:13Vous avez aussi dans cet ouvrage rencontré évidemment des proches des victimes, les
12:20familles, vous faites une suite de portraits d'hommes, de femmes, morts ou rescapés de
12:25ce festival notamment Nova le 7 octobre dernier, qu'est-ce qui ressort de tous ces témoignages
12:30peut-être pour les partager avec les auditeurs d'Europe 1, qu'est-ce que vous disent les
12:35familles ? Evidemment elles ne s'en relèveront pas, quand on perd un enfant dans des circonstances
12:40pareilles, un enfant ou un frère, un cousin, que sais-je encore, c'est terrible.
12:46J'aime à croire, c'est un excès d'optimisme de ma part, mais qu'elles arriveront à se
12:51relever parce que peut-être que ce n'est pas de l'espoir mais c'est de l'espérance
12:55à un moment.
12:56Il faut garder l'espérance, c'est important, vous avez raison Rachel Dimas.
12:58Oui, c'est très important pour certaines dans leur pratique du judaïsme ritualisé
13:02où la vie doit continuer envers et contre tout, ce qui revient et qui m'a peut-être
13:07surprise pour tout vous dire, par exemple certaines ont dû partir de France pour fuir
13:12l'antisémitisme.
13:13C'est le cas de Céline dont les parents vivaient à Villeurbanne, antisémitisme très
13:19fort au collège, ils ont fui et c'est en Israël qu'elle perdra la vie.
13:23C'est aussi le cas des grands-parents de Hadass et Galit qui ont fui la France sous
13:33pétain.
13:34Mais tous ont gardé, même lorsque ces histoires sont celles-ci, d'autres c'est pour des
13:39raisons religieuses, leur rattachement à la France demeure très fort et ils ne nourrissent
13:43aucune colère, aucune rancune à l'égard de ce pays qu'ils aiment profondément et
13:47ils ont à cœur de transmettre vraiment cette histoire-là, cette histoire française.
13:51Ensuite, je les ai trouvés, vous vous en doutez bien, dans un désarroi extrêmement
13:57fort, quelque part c'est le 8 octobre, on n'est qu'au lendemain mais on sent que
14:01tant que tous les otages ou les corps ne seront pas revenus, le temps est fixé.
14:05J'ai voulu fixer aussi leur mémoire quelque part et ces souvenirs-là mais eux peinent
14:11justement à passer ce cap du deuil pour entamer celui de la reconstruction parce que c'est
14:16un pays entier qui est en deuil.
14:17Vous croyez au retour des otages ? Il y a 100 otages qui sont toujours aux mains du
14:22Hamas.
14:23On a appris ce soir et je rappelle cette information que nous vous donnions sur Europe 1, confirmation
14:28donc de l'armée israélienne, la branche armée du Hamas a été détruite par Israël.
14:33Peut-on croire un retour des otages ?
14:37Si vous posez la question à la journaliste, je vous dirais que ça va être très compliqué
14:44et qu'il y a certainement de nombreuses dépouilles et que même les dépouilles sont
14:49un objet.
14:50Certaines dépouilles ont été transportées d'Israël vers Gaza parce qu'ils savent
14:56que ça a une valeur.
14:57Si vous parlez à la femme que je suis, je dirais qu'il faut rentrer dans l'espérance
15:03et qu'il faut rester jusqu'au bout optimiste au moins pour ces familles-là et parce que
15:08peut-être que des miracles existent aussi.
15:10Mais c'est extrêmement compliqué.
15:12Parce qu'il faut comprendre que ce n'est pas simplement des hommes affiliés directement
15:21des membres du Hamas.
15:22Il y a aussi des Gazaouis sympathisants qui ont prêté leur aide, qui ont retenu certains
15:29otages dans leurs propres maisons.
15:31Un instite, par exemple, retenait un des enfants otage chez lui, des femmes témoignent des
15:37viols qu'elles ont subis.
15:38Ça pouvait être par des Gazaouis qui n'étaient pas directement membres du Hamas.
15:42Et puis ensuite, là où je pense que le Hamas ne ment pas, c'est qu'il a perdu une partie
15:46des otages.
15:47Parce qu'il y a d'autres factions, il y a d'autres groupes armés qui s'en saisissent
15:50parce que c'est une monnaie d'échange, parce que ça a une valeur.
15:52Rachel Middard, vous allez rester avec nous.
15:55Votre livre est passionnant.
15:57Je voudrais aussi qu'on parle un peu de la France, de l'avenir de la communauté juive
16:01de France.
16:02On va en parler avec vous.
16:03On s'interroge, on se pose beaucoup de questions face à l'explosion des actes antisémites.
16:08Vous restez avec nous.
16:09Nathan Devers va nous rejoindre dans ce studio avec Gabriel Cluzel sur Europe 1.
16:15Il est 20h28.

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