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Sur scène au théâtre Antoine avec sa pièce "Inconnu à cette adresse", Jean-Pierre Darroussin est l'invité de Thomas Sotto et Amandine Bégot.
Regardez L'invité de 9h40 avec Amandine Bégot du 25 octobre 2024.

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Transcription
00:00L'invité du 9-10.
00:02Et l'invité ce matin c'est Jean-Pierre Daroussin, bonjour.
00:05Bonjour.
00:05Et bienvenue sur RTL, on est ravis de vous accueillir.
00:08Vous êtes à l'affiche d'Inconnu à cette adresse au Théâtre Antoine,
00:10c'est jusqu'au 29 décembre que vous jouez avec Stéphane Guillon.
00:14Et c'est du mercredi au dimanche au Théâtre Antoine.
00:16Inconnu à cette adresse, Jean-Pierre Daroussin, c'est une correspondance entre deux vieux amis,
00:20un juif américain installé à San Francisco, vous,
00:23et un allemand installé à Munich, c'est Stéphane Guillon,
00:26à l'heure de la montée du nazisme, on est dans les années 1932-1934.
00:30Pouvez-vous nous raconter un peu le paysage de cette pièce ?
00:33Oui, ce sont deux amis qui ont monté une galerie d'art assez prospère à San Francisco.
00:41Et devant cette réussite, il y en a un des deux qui a décidé d'aller retourner en Allemagne,
00:52c'est un allemand, originaire de la Bavière, de Munich,
00:56il a dû retourner là-bas et de s'installer, il a quand même gagné beaucoup d'argent,
01:01donc il devient un notable de Munich.
01:06Mais avec son affaire qui continue à prospérer là-bas à San Francisco,
01:11qui est tenue par son ami, qui est d'origine austricienne,
01:14mais qui est un américain juif qui entretient cette affaire d'art contemporain, on va dire,
01:23et de vente de tableaux.
01:26Et évidemment, lui, l'allemand, au bout d'un moment,
01:31pour exister dans ce contexte et dans sa nouvelle notoriété,
01:37et dans le fait de devenir un notable,
01:40eh bien, il adhère au parti, au national-socialisme,
01:45avec la montée d'Hitler, et évidemment...
01:48Il est gagné par l'air du temps.
01:50Il est gagné par l'air du temps, surtout par l'antisémitisme qui commence à sévir et qui commence à faire ses exactions.
01:58Et cette correspondance et cette amitié...
02:04Moi, je joue le rôle de Max, qui est le juif qui reste à San Francisco.
02:10Il voit son ami dérivé être pris dans cette secte,
02:16coupé de son monde et de sa pensée en ayant l'impression de devenir un homme nouveau.
02:25Sa pensée est conquise à l'idée de...
02:29Voilà, à cet élan, on va construire un nouveau monde.
02:33Cette pièce, vous l'aviez jouée déjà.
02:35Moi, j'ai déjà joué il y a dix ans.
02:36Mais dans l'autre rôle...
02:37Oui, moi, je jouais effectivement le nazi.
02:41C'est un classique tiré du livre de Cressman Taylor, cette pièce,
02:46qui est un livre qui date de 1938.
02:48Est-ce que vous diriez que ce livre et cette pièce, que vous jouez donc au Théâtre Antoine à Paris,
02:53sont d'actualité dans une France qui connaît, on le voit, on en parle tous les jours,
02:56une montée inquiétante de l'antisémitisme ?
02:58Est-ce qu'elle résonne avec 2024 ?
03:00Ça résonne toujours parce que c'est ce que je raconte,
03:05c'est comment des gens qui arrivent à une espèce de position sociale
03:10ont envie de continuer cette domination.
03:16À tout prix ?
03:17À tout prix.
03:18Et en tous les cas, il y a quelque chose qui se construit dans le monde
03:25qui est qu'il faut absolument toujours avoir des idées dominantes.
03:32Il faut que nos idées dominent sur les autres.
03:35Et que ce soit d'ailleurs même dans les croyances ou les choses comme ça,
03:38mais évidemment, dans les religions aussi, on a envie de dominer.
03:41Et on voit bien que ça crée à chaque fois des catastrophes,
03:45et ça crée aussi des écarts d'humanité.
03:47Les gens ne se comprennent plus, les gens ne s'écoutent plus,
03:51ne se regardent plus, n'ont plus des émotions ensemble,
03:55et même ils se rejettent, il y a des ressentiments qui se créent,
03:58et ça finit évidemment dans tous les sens.
04:01C'est une graine qui est extrêmement nuisible.
04:05C'est nuisible.
04:07Et là on ne sait plus de quelle période vous nous parlez.
04:09Mais on ne sait pas de quelle période on parle, bien sûr.
04:11Ça fait réfléchir aussi sur l'amitié, sur la trahison, sur le pardon également.
04:15Quelles sont pour vous, à titre personnel, les limites du pardon ?
04:20Oh, moi je n'en ai pas beaucoup de limites au pardon.
04:23J'accepte assez la monstruosité.
04:28Et vous pouvez la comprendre ?
04:30Ben justement, moi j'étais très marqué par la lecture de
04:38L'Homme sans qualité de Robert Musil quand j'étais jeune.
04:41Et c'est un livre qui pose cette question-là justement,
04:47comment est-ce qu'on peut être au fil du temps,
04:52comment est-ce qu'on peut accepter de s'effacer,
04:55et donc justement d'arriver à doser entre la domination nécessaire
05:01et l'effacement nécessaire, à l'intérieur même d'un individu.
05:06C'est une pièce qu'il faut faire étudier aux collégiens, aux lycéens ?
05:10Ça l'est, c'est le cas d'ailleurs.
05:11Est-ce qu'ils viennent vous voir ?
05:13Qu'est-ce qu'ils vous disent ?
05:14Souvent ils sont déconnectés, ils n'ont plus le sens de l'histoire,
05:16ils ne savent plus rien, et on noircit peut-être un peu le tableau.
05:18Quelle est la teneur des échanges que vous avez avec eux ?
05:22D'abord, évidemment, eux ils font tout à fait le parallèle avec l'époque présente.
05:28Donc ça leur parle.
05:30Ils sont surpris que le texte ait été écrit en 1938.
05:35Ils sont surpris de comprendre que dès 1938,
05:38il y avait des gens aux Etats-Unis qui connaissaient l'existence des camps de concentration,
05:43parce que le texte même a été écrit en 1937, puisqu'il est sorti en 1938.
05:48Et donc ça surprend, ça surprend beaucoup les jeunes qui voient ça,
05:55mais ça surprend aussi même les vieux.
05:58Et il n'y a pas que les jeunes qui sont surpris de comprendre
06:03tout le processus de contamination de la pensée d'un individu à cette époque-là.
06:12C'est justement vécu en direct.
06:14Les personnages ne se disent pas « Ah là là, c'est terrible, ils sont horribles ».
06:21On ne sait pas ce qui s'est écrit, alors qu'on ne sait pas l'horreur qui va encore s'agrandir derrière.
06:26Surtout que nous, spectateurs, on le sait.
06:27Nous, spectateurs, on le sait, mais à l'époque, les personnages ne le savaient pas.
06:31Ségolène Royal, quand vous entendez Jean-Pierre Darrousse,
06:34quand vous lisez ce texte que vous voyez, cette pièce,
06:38quand vous regardez l'époque d'aujourd'hui, qu'est-ce que vous vous dites ?
06:42Je me dis qu'il y a un point commun que soulignez merveilleusement Anna Arane,
06:47c'est la banalité du mal.
06:49La banalité du mal.
06:50Ce n'est pas des gens extraordinaires qui sont abominables,
06:54c'est des gens terriblement ordinaires.
06:56On le voit dans les viols de Mazan, on le voit dans tous ces faits divers atroces,
07:00et on le voit dans le nazisme.
07:03C'est ça qu'il faut combattre.
07:05Et les gens qui se laissent entraîner.
07:07Le débat sur le pardon est très intéressant.
07:10J'ai longtemps réfléchi à ce sujet-là, j'ai changé d'avis.
07:13Avant je disais, j'ai pardonné mais je n'ai pas oublié.
07:18Et en fait, non.
07:19Il ne faut pas tout pardonner.
07:21Il ne faut pas mélanger le pardon avec le ressentiment.
07:24Il ne faut pas avoir de ressentiment, sinon vous continuez à porter le poids
07:28de ceux qui vous ont fait du mal.
07:30En revanche, si vous pardonnez tout, vous ne pouvez pas vous reconstruire.
07:33Et on peut tout pardonner ?
07:34Non, justement, il ne faut pas tout pardonner.
07:36Il ne faut pas tout pardonner.
07:38Des parents qui abusent d'un enfant, non, on ne pardonne pas.
07:41Des crimes abominables, on ne pardonne pas.
07:43Même des choses qui vous paraissent plus anodines, mais des trahisons, non,
07:46vous ne pardonnez pas.
07:47Les trahisons de ceux à qui vous avez fait confiance.
07:50Vous vous en souvenez, vous dites non,
07:53cette agression que j'ai subie, non, je ne la pardonne pas,
07:57mais je n'ai plus de ressentiment.
07:59On ne peut pas tout pardonner.
08:00Tant pis pour ceux qui ont trahi.
08:02C'est à eux de porter le poids de la charge du regret.
08:05Ce n'est pas à celui ou à celle qui a subi l'agression.
08:08Vous voyez, c'est très différent.
08:09Je suis d'accord.
08:10Jean-Pierre Darroussin.
08:11On ne peut pas tout pardonner, mais est-ce qu'on peut tout comprendre ?
08:12Je voudrais faire écouter quelques notes d'une chanson de Jean-Jacques Goldman
08:15qui s'appelle « Né en 17 » à Leidenstadt.
08:16Et si j'étais né en 17 à Leidenstadt
08:22Sous les ruines d'un champ de bataille
08:27Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens
08:32Si j'avais été Allemand ?
08:34Qu'est-ce que ça vous inspire ?
08:38Ça m'inspire qu'effectivement, il faut rester assez humble avec l'histoire
08:43et avec comment on vit dans une époque.
08:48Chaque époque a son courant.
08:53C'est très difficile de pouvoir rester un petit peu sur la rive
08:58et regarder son époque couler
09:00et de se dire « je n'en suis pas ».
09:03C'est dur d'avoir des certitudes.
09:05C'est dur d'avoir des certitudes.
09:07C'est dur de ne pas participer à son époque d'une certaine façon.
09:12C'est votre époque qui décide un petit peu de ce que vous pensez.
09:15Parce qu'il y a des inventions, parce qu'il y a des techniques,
09:18parce qu'il y a des choses.
09:19Et on est entraîné, là évidemment la guerre 14
09:24elle a créé du ressentiment du côté des Allemands
09:30parce qu'ils ont eu des difficultés de vie
09:35qui a certainement fait monter à l'intérieur même
09:39cet esprit de reconquête, de vengeance.
09:43Et à chaque fois qu'il y a ces reconquêtes, ces vengeances,
09:46tout ça, ça finit par vouloir créer une domination
09:52sur les autres et sur les territoires.
09:54C'est une pièce absolument formidable qui s'appelle « L'Inconnu ».
09:57On passe une très bonne soirée.

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