Anne Fulda reçoit Pierre-Louis Lensel pour son livre «Éloge des moches» dans #HDLivres
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00:00Bienvenue à l'heure des livres, Pierre-Louis Lancel. Vous êtes journaliste, vous êtes historien, vous avez déjà publié quelques livres, dont un livre sur le duc de Maine, le fils préféré de Louis XIV.
00:11Et là, vous venez de publier Éloge des Moches, un livre qui est paru chez Perrin, un livre qui aborde un sujet original, parfois presque tabou, celui de la laideur.
00:20C'est intéressant, à une époque où on tend effectivement à imposer une forme de beauté standardisée et uniformisée.
00:28Et c'est un livre qui démontre que la laideur peut être dépassée et emmenée créer des destins étonnants, ce que vous prouvez à travers onze portraits.
00:37Le nez de Cléopâtre, s'il était plus court, toute la face de la Terre aurait changé. Cette célèbre pensée de Blaise Pascal est la première phrase de votre livre.
00:47Vous dites, vous écrivez, c'est une manière de constater que les détails, y compris physiques, pèsent sur l'histoire de l'humanité.
00:54C'est ce constat qui vous a incité à vous intéresser aux moches ?
00:59Oui, oui, c'est une des raisons. En fait, il y a deux raisons principales. La première, c'est ça, c'est qu'en étudiant, moi je travaille beaucoup pour la radio, j'écris beaucoup des récits pour la radio.
01:08Et ça m'a amené à m'intéresser à énormément de personnalités différentes. Et quasiment à chaque fois, je constate à quel point le physique a une énorme importance dans les itinéraires.
01:18Et c'est en ça que la pensée de Pascal est évidemment vérifiable. Et au-delà de ça, il y a cette espèce de déni que vous évoquiez aussi, qui me surprend toujours.
01:28C'est-à-dire qu'on a tendance à dire même que la laideur n'existe pas.
01:32Moi, j'ai voulu prendre le contre-pied de ça et dire bien sûr que la laideur existe et bien sûr qu'elle a une importance dans la société et dans les itinéraires.
01:40D'ailleurs, cette manière de nier d'une certaine façon la laideur, d'ailleurs vous dites, ça fait partie des travers, de dire tout le monde est beau, la beauté de l'âme, etc.
01:48C'est peut-être aussi lié à notre époque, parce que quand on voit les citations que vous faites à propos de certains personnages où vous dressez le portrait il y a quelques années, des siècles,
01:58on ne faisait pas tellement de manière pour décrire la laideur.
02:03En tout cas, on en parlait beaucoup plus librement.
02:05C'est ça, oui.
02:06Mais aussi parce que la laideur, on avait moins de prise sur elle.
02:09Quand on arrive à une époque où on peut faire énormément de choses pour s'améliorer physiquement, ça favorise le développement du tabou.
02:19En même temps, on a tous la publicité, les réseaux sociaux qui mettent en avant des formes de beauté pas très intéressantes, très uniformisées.
02:27Face à ça, je crois qu'il y a une réponse, c'est de s'intéresser à la laideur.
02:31Et il est temps.
02:32Ce qui est intéressant, c'est qu'à lire les portraits que vous dressez, de Danton à Sainte-Beuve, de Madame Palatine à Klaus Nomi, en passant par Jeanne de France ou Mickey Rouenet,
02:40on se rend compte que le savoir composé avec la laideur, ça offre une forme de liberté, celle de se forger son destin.
02:48Mais comme toutes nos faiblesses, je crois que toutes nos faiblesses regorgent de force.
02:52Et là aussi, il y a une espèce de lettre d'amour que j'ai voulu envoyer à l'humanité ou à ce qu'on peut appeler la grâce.
02:58C'est-à-dire que vraiment, il ne faut pas s'arrêter à ces drames.
03:02Il ne faut surtout pas faire de ces drames des tragédies.
03:04Il faut en faire un marche-pied vers autre chose.
03:07Et les 11 personnages dont j'ai parlé sont l'exemple de ça.
03:10Qu'ils soient bons, qu'ils soient mauvais, ce n'est pas si important.
03:13Ce qui compte, c'est qu'avec cet énorme défaut qui était évident, que chacun voyait au premier regard,
03:19parce que c'est quand même aussi l'un des privilèges de la laideur d'être vu au premier regard.
03:23Malgré cela, ils ont dépassé tout cela et chacun, avec des stratégies très différentes,
03:28ont réussi à faire quelque chose de leur laideur.
03:31Parmi ces portraits, il y a celui du critique Sainte-Beuve qui a réussi à séduire Adèle Hugo, l'épouse du grand Victor Hugo.
03:39Pourtant, a priori, quand il arrive, il n'est pas favorisé par son physique.
03:44Vous citez des lignes d'Alfred de Vigny qui le décrit comme un petit homme assez laid, figure commune, dos plus que rond,
03:50qui parle en faisant des grimaces obséquieuses et révérentieuses comme une vieille femme.
03:54Et pourtant, il parvient à séduire Adèle Hugo.
03:58Et pourtant, j'ajouterais même, il parvient à séduire Adèle Hugo aussi parce qu'il est moche.
04:03C'est-à-dire que Victor Hugo, lui, ne se méfie pas de l'amitié qui naît entre sa femme et Sainte-Beuve
04:09parce qu'il n'a pas vraiment grand-chose à craindre de lui, du moins, le croit-il.
04:14Et en même temps, ça permet à Sainte-Beuve de créer cette proximité avec cette femme
04:19et de la séduire en la mettant sur un piédestal.
04:23Il est rare que les beaux mettent quelqu'un sur un piédestal.
04:27C'est assez fréquent pour les moches.
04:29Alors, dernière question dans votre galerie portrait.
04:31Il y a aussi des femmes, comme la salade de Madame Palatine, mais il y a aussi Jeanne de France,
04:35dans un chapitre La mariée était trop laid, décrite comme moulte difforme de sa personne
04:40et qui transcende le rejet dont elle est l'objet par sa droiture et sa bonté.
04:45Est-ce que c'est plus difficile la laideur qu'en tant qu'une femme, quand même ?
04:48C'est sans doute plus difficile et ça l'était sans doute encore plus à une époque
04:53où, pour une femme, réussir dans la société dépendait soit de la naissance,
04:58et ça c'était un critère indépassable, soit de sa capacité de séduire.
05:03Et là, évidemment, si on n'avait ni l'un ni l'autre, ça devenait très compliqué.
05:07Mais vous parlez de Jeanne de France, et bien, elle a réussi à devenir une sainte.
05:12Elle a réussi à dépasser complètement, à rendre tous ses critères complètement insignifiants
05:17parce qu'elle était supérieure au sens moral.
05:21Alors, ça ne parle pas beaucoup à notre époque, peut-être,
05:23mais ça reste impressionnant d'un point de vue historique.
05:26En tout cas, je vous conseille vraiment de lire ce livre, c'est très intéressant.
05:29Ça s'appelle Éloge des moches, ça pourrait s'appeler Éloge du dépassement aussi.
05:33C'est paru chez Perrin. Merci beaucoup, Pierre-Louis Lancel.
05:36Merci à vous.