Le 15 septembre 2022 Yves Thréard recevait Boualem Sansal, écrivain algérien, auteur notamment des livres "Le Serment des barbares" et "Le Village de l'Allemand". Résident régulièrement en France il a acquis depuis la nationalité française. Lors de cet échange Boualem Sansal est critique vis-à-vis du gouvernement algérien, il ne reconnait pas sa légitimité démocratique et dont il a craint la répression des intellectuels contestataires.
Boualem Sansal a été visionnaire sur la montée de l'islamisme dont il a été question dans son oeuvre, il explique les origines historiques de l'idéologie.
Boualem Sansal explique également que l'Afrique peut-être divisée en quatre grandes zones géographiques très différentes les unes des autres par leur histoire et leurs influences qui persistent malgré la décolonisation.
Soixante ans après la vague des indépendances, l'Afrique, berceau de l'humanité, est présentée aujourd'hui comme celui de l'avenir, le continent du XXIème siècle. Pourquoi cet engouement soudain, souvent motivé par des motifs économiques ? Dans un contexte international en perpétuel mouvement, Yves Thréard s'intéresse à l'influence grandissante de l'Afrique sous tous ses aspects, en donnant à la parole à Calixthe Beyala, Oswalde Lewat, Alain Mabanckou, Boualem Sansal et Lionel Zinsou, pour des « Souvenirs et avenir d'Afrique ».
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Boualem Sansal a été visionnaire sur la montée de l'islamisme dont il a été question dans son oeuvre, il explique les origines historiques de l'idéologie.
Boualem Sansal explique également que l'Afrique peut-être divisée en quatre grandes zones géographiques très différentes les unes des autres par leur histoire et leurs influences qui persistent malgré la décolonisation.
Soixante ans après la vague des indépendances, l'Afrique, berceau de l'humanité, est présentée aujourd'hui comme celui de l'avenir, le continent du XXIème siècle. Pourquoi cet engouement soudain, souvent motivé par des motifs économiques ? Dans un contexte international en perpétuel mouvement, Yves Thréard s'intéresse à l'influence grandissante de l'Afrique sous tous ses aspects, en donnant à la parole à Calixthe Beyala, Oswalde Lewat, Alain Mabanckou, Boualem Sansal et Lionel Zinsou, pour des « Souvenirs et avenir d'Afrique ».
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00:00🎵 Musique de générique 🎵
00:26– Bon, elle me sent sale, on parle beaucoup de l'Afrique,
00:30mais en fait c'est une notion qui est un peu générale,
00:33et on a tort de dire l'Afrique, parce qu'il n'y a pas une Afrique,
00:36il y a plusieurs Afriques, il y a l'Afrique du Nord dont vous venez,
00:39il y a l'Afrique de l'Ouest, il y a l'Afrique de l'Est,
00:40il y a l'Afrique australe, elles ont toutes, ces Afriques,
00:44eh bien, une vie et une histoire différentes.
00:48– Oui, oui, écoutez, sans jeu de mots, il faudrait tirer une croix sur l'Afrique.
00:52– Oui.
00:53– Le très horizontal qui passerait au niveau du Sahel,
00:56donc de l'Atlantique à la mer Loire,
00:59et puis une verticale qui partirait, on va dire, du Sahel jusqu'à l'Afrique du Sud.
01:03– Oui.
01:03– On a quatre régions complètement différentes,
01:06le Nord qui est blanc et musulman,
01:09– Oui.
01:10– Et qui se rattache à une histoire qui n'a rien d'africain,
01:15plutôt méditerranéenne, arabe et européenne.
01:18– Oui.
01:19– Vous avez une Afrique du Sud, de l'Ouest, qui est très occidentale,
01:24très occidentalisée.
01:25– Oui, à cause de la colonisation.
01:27– À cause de la colonisation, et puis la partie orientale
01:32qui est complètement à l'opposé de l'Ouest,
01:35c'est la corde de l'Afrique, qui est plutôt sur l'Inde, sur l'Asie.
01:41– Oui.
01:41– Elle est tournée vers l'Asie, et curieusement,
01:44c'est qu'on a pensé que c'était la volonté des colonisateurs,
01:49que les choses sont faites comme ça, c'est le partage de territoire,
01:52et qu'une fois les indépendances acquises,
01:55l'Afrique allait vivre, voyager, échanger, et pas du tout.
01:59Tout s'est renforcé, au contraire, les dessins,
02:02dans le sens du mot dessin, posés par les pays occidentaux,
02:08sont toujours là et renforcés.
02:12La France défend ses positions en Afrique de l'Ouest et…
02:15– Toujours un précaré ?
02:16– Oui.
02:17– Appelez ça le précaré.
02:18– Les précarés, chacun.
02:21Alors, ça commence à bouger, ces dernières années,
02:24on sent, par exemple, le monde arabe qui veut récupérer le Maghreb,
02:29qui lui avait totalement échappé après les colonisations.
02:32– Alors, vous dites, par exemple, l'Afrique de l'Ouest,
02:34elle est très occidentalisée, mais en fait, l'Afrique de l'Ouest,
02:37aussi, elle a, pour religion, l'islam, majoritairement,
02:40et cet islam, il est venu d'une période où il y a une espèce
02:45de colonisation, justement, de ce qu'on a appelé, d'ailleurs,
02:49la colonisation orientale, enfin, ce sont les Arabes
02:52qui ont colonisé, d'abord, l'Afrique noire occidentale.
02:56– Oui, écoutez, c'est très différent, l'islam est arrivé
02:59en Afrique du Nord, il s'est superposé à une religion,
03:03c'est le christianisme et le judaïsme, donc il y avait déjà
03:06une structure, une base bien structurée sur les métaphysiques
03:10religieuses, etc., alors que, dans l'Afrique de l'Ouest,
03:14elle s'est plaquée sur des religions traditionnelles animistes,
03:19magiques, et donc, enfin, c'est des islams très différents.
03:25– Très différents, alors, mais il y a aussi ce phénomène
03:29qui est absolument terrible, qui s'appelle l'esclavage,
03:33et on parle beaucoup de l'esclavagisme qui a été entretenu
03:37par les Européens, avec ce commerce triangulaire,
03:40mais avant cet esclavagisme-là, il y a eu aussi ce qu'on a appelé
03:44l'esclavagisme oriental, c'est-à-dire celui qui a été…
03:47– Arabe. – Arabe, et qui a été dénoncé,
03:49d'ailleurs, par un grand écrivain qui s'appelle Jambo Wologem,
03:53dans un livre qui s'appelle Le devoir de violence,
03:57qui a fait beaucoup de bruit, d'ailleurs, à l'époque.
03:58Jambo Wologem était un Malien, il a dénoncé cet esclavagisme
04:04en disant, mais attendez, la pénétration islamiste
04:06en Afrique de l'Ouest, elle est due aux Arabes,
04:10et en fait, l'esclavagisme européen n'est qu'un épisode, là-dedans.
04:15– Oui, absolument.
04:16– Ça lui a valu beaucoup de critiques.
04:18– Eh bien, écoutez, l'islam est venu à cette idée
04:22que si on ne se convertit pas à l'islam, on est mis en esclavage.
04:28Voilà, donc on est ou tués, ou mis en esclavage.
04:32Donc, il a, en arrivant en Afrique,
04:37il a donc d'abord cherché à islamiser les gens.
04:40– Oui.
04:41– Ceux qui se sont convertis, il n'y a pas de souci,
04:44ils sont devenus musulmans,
04:46ils sont rentrés dans la machine esclavagiste eux-mêmes,
04:49mais c'est vrai que l'esclavage dans le monde arabe est énorme,
04:53je veux dire que c'est dans un rapport de 1 à 100
04:56entre ce que l'Occident a déplacé de population
05:00et ce que le monde musulman a déplacé.
05:02– Vous voulez dire qu'il y a eu plus de déplacés
05:05par le monde musulman que par le monde occidental ?
05:08– Énormément, beaucoup plus, plusieurs millions.
05:10– D'accord.
05:11– Qui a commencé très tôt, et qui continue.
05:15Ce qu'on ne sait pas, c'est que ça continue.
05:16– Ça continue où ?
05:17On parle beaucoup d'un pays comme la Mauritanie où on dit qu'il y a encore…
05:20– Mais pas seulement la Mauritanie,
05:21vous venez en Algérie, baladez-vous et vous verrez
05:26tous ces migrants qui viennent du Sud, du Sahel, mais aussi…
05:31– Et qui sont rendus à l'état d'esclavage dans les pays…
05:34– C'est un esclavage moderne, je veux dire qu'ils sont exploités
05:39dans des conditions absolument abominables.
05:41Voilà, ils arrivent, ils partent dans la clandestinité,
05:43ils sont récupérés par des dénigriers
05:46qui les utilisent dans des chantiers plus ou moins officiels.
05:51– Légaux ?
05:52– Légaux, ils acceptent cela parce qu'eux,
05:56ils sont dans une perspective d'émigration vers le Nord.
05:58– D'accord.
05:59– L'Algérie est juste un passage pour se faire un peu d'argent.
06:02– Transition, oui.
06:03– Voilà, un transit.
06:04Et puis finalement, ils sont piégés là-dedans parce qu'ils sont vraiment exploités.
06:11Et le gouvernement de Tocantin réagit,
06:13parce qu'évidemment, les pays africains se plaignent de ce qui se passe,
06:19des mauvais traitements que les pays du Maghreb infligent à ces migrants.
06:24– Et malheureusement, on n'en entend absolument pas parler,
06:27enfin dans les actualités internationales,
06:29c'est pas un fléau dont on parle beaucoup.
06:32– Le problème, il est occidental,
06:33c'est que les Occidentaux ont de plus en plus peur de parler
06:36de ce qui est en dehors de leur précarité.
06:40– Oui, parce qu'ils ont peur d'être accusés de racisme ?
06:43– Absolument, ils ont peur de parler de ce qui se passe au Maroc,
06:47de ce qui se passe en Algérie, de ce qui se passe en Toulousie,
06:50parce qu'on peut, évidemment, leur opposer cela,
06:53racisme et ceci, mensonges, manipulations.
06:57Comme il n'y a pas d'enquête, on peut tout dire, et le contraire.
07:00Combien d'Africains ?
07:01Moi, je sais que dans le seul quartier où j'habite,
07:03j'en vois des dizaines et des dizaines tous les jours.
07:06– Des subsahariens, des Noirs africains ?
07:08– Voilà.
07:09– Alors justement, vous dites, les Occidentaux, ça, ils n'en parlent pas,
07:12parce qu'ils ont peur d'être accusés de racisme.
07:14Les relations entre la France et l'Algérie sont des relations,
07:17on ne peut plus compliquer, évidemment.
07:20Ce passé, il ne passe pas, ce passé.
07:23– Ce passé, je vais vous dire le fond de ma pensée,
07:27ce passé ne passera pas,
07:31ne passera pas, tant que nos pays, notamment l'Algérie,
07:37ne sont pas des États de droit démocratiques.
07:42Il faut que les Algériens puissent, les Maghrébins puissent s'exprimer librement
07:47pour que la relation à l'autre, d'une manière générale,
07:49les Français, les Allemands, les Africains, deviennent une relation normale.
07:54Parce que c'est abissant sur le dialogue, sur la discussion.
07:57On ne peut pas discuter, comment voulez-vous qu'on s'entende ?
08:00– Aussi longtemps que l'Algérie soit gouvernée par des autocrates.
08:03– On n'a pas le droit de parler,
08:05on est tenu de tenir le discours de l'ADOXA, le discours officiel,
08:11ou alors il faut vraiment un opposant qui vit à l'extérieur et qui…
08:17– Alors vous qui avez la dent très dure avec le régime algérien,
08:21avec le FLN et avec les, je dirais, les successeurs du FLN,
08:25même si certains pères de la Révolution sont encore là,
08:29comment vous avez réagi quand en 2005, par exemple,
08:33il y a eu un projet de loi en France
08:36pour reconnaître les bienfaits de la colonisation ?
08:38C'est un projet de loi qui était inspiré par la droite à l'époque,
08:42qui était au pouvoir, sous Jacques Chirac.
08:44– Oui, je me souviens.
08:45– Et ça a fait énormément de…
08:46évidemment, ça a créé une polémique terrible,
08:48parce que les bienfaits de la colonisation,
08:52bon, on sait que ça a des limites quand même.
08:55Comment vous avez réagi à ça, vous ?
08:57– Ce qui est malheureux, c'est le mot « bienfait ».
09:00– Oui, le mot était maladroit ?
09:02– Le mot est maladroit.
09:04Le mot « bienfait » renvoie peut-être à une notion quasi religieuse,
09:09donc voilà, bienfait, bienfaiteur, etc.
09:13Non, il y a une réalité historique.
09:16Bon, la France est venue, s'est installée en Algérie,
09:19et elle a fait, il faut faire un bilan, il y a l'actif et le passif.
09:23Le passif, évidemment, est très lourd,
09:26la colonisation s'est faite par des moyens essentiellement militaires,
09:30par la suite, elle s'est poursuivie en utilisant d'autres méthodes,
09:34l'éducation, voilà.
09:37– La colonisation Jules Ferry, je dirais ?
09:38– Oui, voilà.
09:39– On apporte la civilisation ?
09:40– Oui, un peu, inspirée par les Saint-Simoniens,
09:43tout ça, il faut considérer les colonisés comme étant des partenaires, etc.
09:49– Oui, oui.
09:50– Et donc…
09:52– Paulian III était sur ce mode-là.
09:54– Oui, et sur ce plan-là, il y a eu réellement un progrès énorme.
09:57– Ah oui ?
09:58– Je pourrais presque reprendre un peu l'expression de Macron
10:01qui parlait de ruissellement.
10:03– Oui, en parlant de la France, là, pour le coup.
10:05– Voilà, donc la France a beaucoup investi, elle a investi pour elle,
10:08évidemment, c'est son nouveau territoire,
10:11donc elle investissait chez elle, pour les siens,
10:14mais par ruissellement, les autochtones, notamment les citadins,
10:18ont en profité.
10:19– D'accord.
10:20– Moi, je fais partie de ceux qui ont profité de ça,
10:23j'ai été à l'école, j'ai été au lycée,
10:25mes parents étaient…
10:27ma mère était infirmière à l'hôpital Mustapha d'Alger,
10:31mon grand-père était chef de gare.
10:33– Tout ça, c'est grâce à la colonisation qu'ils ont…
10:36– C'est la conséquence, c'est pas grâce, c'est le ruissellement.
10:41– Le ruissellement, d'accord.
10:42– Les gens ont profité.
10:43– Et néanmoins ?
10:44– Or, avant ceux qui ont été perdus dans ce mouvement,
10:48ce sont les campagnards qui étaient isolés dans leur campagne,
10:53la civilisation n'est pas encore arrivée jusque-là.
10:56– Et à qui on a peut-être pris leur terre aussi, non ?
10:58– Aussi, oui.
10:59– D'accord.
11:00– Il y a eu des spoliations énormes, bien sûr,
11:03qui ont donc été abandonnés, donc ils sont sortis de l'histoire,
11:07bloqués, voilà, comme ça, dans un espace-temps.
11:13Et ils ont été d'ailleurs les premiers à rejoindre
11:15les mouvements révolutionnaires.
11:16– Ce qui est venu principalement des zones rurales.
11:19– Les citadins ont rejoint beaucoup plus tard,
11:20contraint et forcé, je dirais.
11:22– Donc ce passé passe mal, et d'ailleurs les présidents,
11:25quand ils vont en Algérie, en visite officielle ou en visite d'État,
11:30c'est jamais très simple, c'est toujours compliqué.
11:32On l'a vu encore récemment avec Emmanuel Macron,
11:36qui a eu du mal à fixer son agenda parce que, eh bien,
11:41le pouvoir voyait d'un mauvais œil ce qu'il pouvait faire ici ou là.
11:44On va regarder deux ou trois extraits, vous allez voir, de tout ça.
11:49– La liesse est impressionnante, dépassant parfois les services d'ordre.
11:52Jacques Chirac est ici le président d'une France
11:55enviée pour son niveau économique,
11:57d'une France où de nombreux Algériens voudraient vivre,
12:00même s'ils aiment d'abord leur pays.
12:03– Nous avons un passé commun, il est complexe, douloureux,
12:09et il a pu parfois, comme empêcher, de regarder l'avenir.
12:16Alors voilà, Jacques Chirac, on se souvient, c'était en 2003,
12:19on demande des visas et Macron, finalement, c'est la même chose,
12:25on lui a demandé des visas aussi.
12:26– C'est la même chose.
12:27– Il y a eu le Irak pourtant, il y a eu ce mouvement
12:30qui est né en 2019, populaire, plutôt bon enfant d'ailleurs,
12:38pour se révolter contre le régime,
12:41il y a eu une espèce de dégagisme qui a été réclamé,
12:44puis finalement, il y a eu la crise sanitaire
12:46et tout ça, ça a été enterré, ça n'a jamais marché,
12:50et le régime est toujours là, je dirais,
12:53l'état profond algérien est toujours là.
12:57– La France officielle n'a jamais traité qu'avec le pouvoir,
13:00c'est un pouvoir de fait, il est là, peut-être qu'un certain…
13:03– Tiens, on voit une photo de l'Irak,
13:05c'est des photos, des démonstrations de rue
13:07qui avaient lieu tous les vendredis.
13:09– Oui, tous les vendredis, oui, voilà, la France a fait le choix,
13:13la France officielle a fait le choix de traiter avec l'Algérie officielle,
13:17le pouvoir de fait, c'est une dictature militaro-policière
13:20qui, comme l'a dit Macron, vit sur la rente historique,
13:26nous sommes les libérateurs, nous avons libéré le pays,
13:29le pays nous appartient, nous sommes légitimes,
13:31et voilà, c'est avec nous qu'il faut discuter,
13:32nous représentons le peuple.
13:34– Donc vous dites que la France a eu tort de continuer
13:37à parler avec le régime alors que la population se révoltait ?
13:40– Absolument.
13:42– Qu'est-ce qu'elle aurait dû faire, la France, à ce moment-là ?
13:44– C'est à eux d'inventer la voie,
13:47les problèmes, évidemment, sont toujours très complexes,
13:50voilà, il faut chercher, essayer de travailler avec le pouvoir,
13:58bien sûr, parce que c'est un pouvoir de fait, il est là,
14:01c'est avec lui qu'on traite les grandes questions.
14:02– Alors vous dites un pouvoir de fait, mais c'est un pouvoir légal quand même ?
14:05– Pas du tout, ni légal, ni légitime.
14:08– D'accord, il n'y a jamais eu une élection
14:10qui était des élections transparentes.
14:12– Et il ne se maintient que par une répression quotidienne féroce,
14:16de plus en plus en ce moment, de plus en plus.
14:18– Et donc Macron a eu tort d'aller là-bas ?
14:21– Moi je pense que oui, je dirais pas qu'il a tort,
14:25il est mal conseillé et mal préparé.
14:27– Mal préparé.
14:28– Il faut du temps, il faut préparer le terrain à différents niveaux,
14:33il aurait dû tenter de rencontrer la société civile,
14:36ce qu'il n'a pas fait.
14:37– Il n'a pas fait.
14:39– Et donc vous remettez un petit peu en question aussi
14:41les conclusions de la commission Stora.
14:43Donc la commission Stora, c'est une commission qui a été installée
14:45à la demande d'Emmanuel Macron par Benjamin Stora,
14:49qui est un grand historien, qui est lui-même natif d'Algérie,
14:52c'est un juif d'Algérie, il a créé cette commission
14:56et que cette commission est chargée justement de trouver les moyens
14:59d'apaiser les relations entre la France et l'Algérie,
15:02l'ouverture des archives, autant de choses comme ça.
15:07– Ces conclusions, vous estimez qu'elles sont bonnes ou au contraire ?
15:11– C'est pas ça qui a été convenu, Macron a été roulé dans la farine,
15:16il était question au départ que les deux gouvernements
15:21désignent chacun sa commission,
15:24donc commission française présidée par Benjamin Stora,
15:29qui s'est mis au travail et qui un mois après ou deux mois après
15:33a rendu son rapport, il vaut ce qu'il vaut.
15:35– Il n'y a pas eu l'équivalent en Algérie.
15:36– En Algérie, le président a désigné, mais pas officiellement,
15:41un certain monsieur Chéhi, qui est directeur des archives nationales
15:47et conseiller du président en matière d'histoire et d'archives,
15:52il n'a réuni aucune commission et n'a pas produit une demi-ligne.
16:00Normalement, en France, ils auraient dû arrêter,
16:03ils n'auraient pas dû commencer le travail
16:05avant que la partie algérienne ne commence elle-même.
16:08C'est un travail à deux, il ne s'est fait que d'un côté.
16:12– Oui, c'est unilatéral cette affaire.
16:15– Unilatéral, et donc du coup, c'est pas contradictoire,
16:18donc on ne peut rien dire du rapport de Benjamin Stora,
16:22il faudrait le comparer à quoi ?
16:24Si on avait un rapport Chéhi, on dit, voilà où les points de vue se rapprochent
16:30et voilà où il s'écarte, et on aurait fait peut-être
16:33une troisième commission pour, précisément, ces points de divergence.
16:38Ça ne s'est pas fait, il n'y a pas eu une seule déclaration,
16:41pas une réunion de la partie algérienne.
16:44Voilà, la partie française a été roulée dans la farine,
16:47Macron se retrouve avec un rapport, que faire ?
16:50S'il ne fait rien, il va déplaire à Algiers,
16:52alors voilà, Benjamin Stora propose ceci et cela, vous ne faites rien.
16:57– Donc en fait, la politique et le discours des Algériens,
17:00c'est toujours plus loin, dans la repentance,
17:02et dans la réparation, la manipulation.
17:06– C'est la manipulation, vous savez, le pouvoir algérien
17:09est issu d'une révolution, c'est encore,
17:11il fonctionne sur le paradigme de la révolution, tout est caché.
17:15Vous savez, moi, c'est à la mort de Boumediene
17:17que j'ai appris que M. Boumediene ne s'appelait pas Boumediene,
17:20c'était un nom de guerre, que le patron des services secrets,
17:24M. Kazimirba, ce n'était pas son vrai nom, c'était un nom de guerre,
17:28il y a beaucoup de gens qui vivent.
17:29– Vous vous foutez dans le camouflage.
17:31– C'est la culture de la révolution, ils sont battus dans la clandestinité,
17:35c'est une armée très puissante, des services secrets très puissants,
17:38et donc voilà, et c'est resté.
17:42Et c'était tellement bénéfique, alors je prends le mot bienfait,
17:47c'était tellement bénéfique pour le pouvoir qu'il a gardé la chose,
17:51on ne sait pas qui décide en Algérie,
17:52on ne sait pas qui se réunit avec qui, qui représente qui,
17:55qui représente quoi et pourquoi,
17:57et vous dominos à longueur de journée.
18:00– Je voudrais qu'on revienne sur, il y a l'Algérie, en Afrique,
18:05souvent l'Afrique, elle n'a pas très bonne presse de par le monde,
18:10parce que pour des raisons multiples et variées,
18:13et pourtant elle a beaucoup d'atouts,
18:14elle a une richesse de sous-sol, elle a une population jeune,
18:18néanmoins bon, elle souffre de multiples maux, ici ou là,
18:24la famine, le réchauffement climatique,
18:27et puis alors il y a un de vos chevaux de bataille, c'est l'islamisme.
18:32En 1999, vous sortez un livre,
18:36Le serment des barbares, qui va faire beaucoup de bruit quand même,
18:39et c'est là où vous alertez, d'une certaine façon,
18:41vous alertez un peu l'Occident avec ce livre,
18:45sur les ravages que ça peut faire.
18:48– Oui absolument, c'était pourtant très visible,
18:54l'islam est une entité qui a sa propre vie,
18:57l'islam est un processus historique qui avance,
19:02avec ou sans nous, il avance,
19:05donc le monde musulman a vécu le démantèlement de l'Empire Ottoman
19:10comme une humiliation suprême,
19:12c'est-à-dire que l'islam était en train de mourir,
19:14il perdait ce qui était son essence même, le calife,
19:18c'est-à-dire le représentant de Dieu et du prophète sur terre,
19:22alors les Occidentaux ont fait une erreur colossale,
19:24c'est d'enlever le calife, il fallait le garder,
19:27même comme ça, attaché à sa chaise, il fallait le garder,
19:30un symbole, et à cette époque est née cette humiliation,
19:37a créé un mot qui a fait florès dans l'ensemble du monde musulman,
19:44c'est le mot Nahda, qui veut dire renaissance,
19:47il faut absolument se battre pour remettre l'islam sur ses rails,
19:51donc il y a un problème religieux,
19:53et les religieux se sont mis à travailler,
19:55comment remettre l'islam dans sa...
19:59Une espèce de revanche ?
20:01Oui.
20:02Après coup, prophétique, donc reprenant le chemin qui est le sien.
20:06Et de l'islam, on est passé à l'islamisme, après ?
20:08C'est la même chose,
20:10l'islamisme est un mot inventé en France
20:13pour ne pas froisser les musulmans.
20:18C'est un mot qui n'existe pas dans le monde musulman,
20:20moi, j'ai jamais entendu le mot islamisme en Algérie.
20:23On parle de bons musulmans et de mauvais musulmans.
20:25Vous, vous dénoncez tout cela, et vous en avez écrit,
20:28vous avez une oeuvre qui est extrêmement riche,
20:32très intéressante, passionnante,
20:34et vous continuez à vivre en Algérie.
20:37Vous n'avez pas peur, pour vous ?
20:39Euh...
20:41Écoutez, j'ai eu peur au temps des GIA.
20:46Donc pendant la guerre civile algérienne,
20:48on va dire entre 1990 et 2001.
20:52Le FIS, d'abord, il y a la période du FIS,
20:55c'est-à-dire, on va dire 85 par-là
20:59jusqu'à 90, 92, 93 par-là,
21:05les islamistes ont cherché à s'attirer
21:08les bonnes grâces des élites.
21:11Parce qu'ils ont dit, on va arriver au pouvoir,
21:12et on a besoin de ces gens-là.
21:14Nous étions pour eux des coopérants techniques.
21:16Et puis, le FIS s'est passé, arrivent les GIA.
21:19Les GIA, c'est simple, c'est très brutal.
21:22Qui n'est pas avec nous est contre nous.
21:24Voilà.
21:25Si vous manifestez que vous êtes contre eux,
21:28vous devenez un ennemi.
21:30Voilà, c'est comme ça que...
21:32Là, j'ai eu peur, parce qu'ils ont créé
21:34une section spéciale qui s'appelait le FIDA,
21:37le Front islamique de Chez Poguay,
21:39chargé spécifiquement d'assassiner
21:42les journalistes, les intellectuels.
21:44Voilà, et ils en ont tué.
21:45Et maintenant ?
21:46Et puis, changement de...
21:47Et puis, ensuite, les GIA ont été...
21:49Dissous ?
21:50Voilà, ratiboisés, c'était fini.
21:53Les islamistes, maintenant, sont dans une...
21:56Sur la même longueur d'onde que les islamistes en France.
22:01C'est-à-dire, la gifle propre dans les banlieues,
22:04on s'installe, on travaille avec les autorités...
22:08C'est de l'entrisme.
22:09C'est de l'entrisme, et tout le reste est caché.
22:12Je voudrais quand même dire,
22:14parce que vous êtes assez sombre dans le constat que vous faites,
22:18mais vous êtes aussi assez optimiste pour l'avenir,
22:21et vous gardez, en tous les cas, espoir,
22:23parce que vous avez écrit, en 2021, un livre
22:27qui s'appelle
22:28Lettre d'amitié, de respect et de mise en garde
22:30aux peuples et aux nations de la Terre.
22:32C'est un manifeste qui est assez intéressant,
22:35parce que vous dites, unissons-nous,
22:37puis ça ira beaucoup mieux.
22:38Vous êtes quand même un...
22:41Vous gardez espoir, quoi.
22:43D'abord, ce...
22:46Ce livre fait suite à un livre.
22:49C'était Poste restante, Alger,
22:51Lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes.
22:53Il y a dix ans, alors.
22:55Je m'adresse à mes compatriotes en disant...
22:58Vous passez votre temps, on passe notre temps à nous plaindre.
23:01Mais agissons.
23:03Si on ne fait rien, on n'a pas le droit de se plaindre.
23:06Ça veut dire qu'on l'accepte,
23:08et il vaut mieux accepter pour de bon.
23:10Peut-être même rallier le pouvoir.
23:13Mais si on se plaint, se battre est un devoir.
23:16D'accord.
23:17Si on ne se bat pas, on se la ferme.
23:19D'accord.
23:21Et...
23:22J'avais titré cette lettre, Poste restante.
23:25Vous savez qu'elle n'arriverait pas à ses destinataires.
23:28Ce livre était interdit.
23:30Et puis, après, je me suis dit...
23:32Il y a une évolution dans le monde.
23:33Il n'y a plus de problèmes particuliers,
23:36il n'y a plus que des problèmes généraux.
23:38Mon problème, c'est le vôtre, et le vôtre, c'est le bien.
23:41Donc, il faut traiter ça...
23:43À l'échelle universelle.
23:44Voilà. À l'échelle universelle.
23:46Et vous êtes universaliste.
23:48Je le suis.
23:49Donc, je m'adresse un peu
23:51à ce qui, officiellement, représente l'universalisme,
23:55c'est l'ONU.
23:56Mais l'ONU, c'est un...
23:58Vraiment, ce machin est vraiment...
24:01Ça sert à rien.
24:02Avant de se quitter,
24:03je voudrais que vous me répondiez à un petit questionnaire.
24:06Quelle est votre musique préférée en Afrique ?
24:09Là, j'ai découvert...
24:10Comme moi, je suis un fan de Kateb Yassine,
24:13et je suis un fan de son fils,
24:15Amazir Kateb,
24:17qui est un chanteur.
24:20Et il chante le Gnawa.
24:22On entend un peu de Gnawa, oui.
24:25Le Gnawa, c'est une musique...
24:27Il y a un festival, d'ailleurs, tous les ans.
24:29Et c'est à Ouira, je crois.
24:31Alors, c'est à la fois religieux, politique...
24:35C'est un truc très compliqué.
24:37Il y a du religieux.
24:39Un peu de vaudou, aussi.
24:41Oui, absolument.
24:43Et c'est une...
24:44Et là, dans ce mouvement Gnawa,
24:47il est en train d'innover.
24:48Il a introduit une instrumentation moderne.
24:53Oui.
24:54Mais il met un peu...
24:57Il ne fait pas que de la politique.
24:59Il fait un peu de l'incitation à la révolte.
25:01D'accord.
25:02C'est un peu...
25:03Je pense que bientôt, il va remplacer
25:05ce que le raï a été il y a 20 ans.
25:08D'accord.
25:09C'est une musique revendicative.
25:10Une revendication, comme ça, clandestine,
25:12pour échapper à la police.
25:14Et donc, le Gnawa a cette particularité.
25:17Il a cette particularité.
25:19Si je vous demande une ville,
25:20quelle est la ville en Afrique que vous préférez ?
25:22Euh...
25:24Marrakech, mais pas pour son côté comme ça.
25:27Bling bling ?
25:28Pas du tout.
25:29C'est qu'on ne s'intéresse pas assez à cette région
25:33qui est absolument d'une richesse historique.
25:37C'est considérable.
25:39Au pied de l'Atlas, alors ?
25:40Oui, au pied de l'Atlas.
25:41C'est là que sont nées les deux dynasties islamiques
25:46les plus...
25:47Qui nous inspirent jusqu'à aujourd'hui,
25:50qui ont inspiré...
25:51C'est Daesh, voilà.
25:52C'est à Marrakech qu'est née la dynastie Al-Mohad.
25:59Oui.
26:00C'est Daesh, puissance 10.
26:02Cette empire s'est constituée,
26:06qui a gouverné tout le Maghreb et toute l'Espagne.
26:09Mais vous, qui êtes foncièrement vis-à-vis de l'islam,
26:12qui avez beaucoup de prévention ?
26:14Il faut étudier ces choses-là.
26:16Ah, d'accord.
26:17Parce que là, on a vu ce que...
26:20L'islam, en tant que religion,
26:22je dirais, il est...
26:24Je dirais pas qu'il est inoffensif, mais bon...
26:28La politique, en tant que politique,
26:31on peut pas dire qu'elle est inoffensive,
26:34mais mettez-les ensemble,
26:35et c'est du plutonium 80...
26:37Plutonium, d'accord.
26:38Avec ça, on fait de la bombe.
26:40C'est ce qui s'est passé.
26:42Un écrivain ?
26:43J'ai découvert, à cette époque-là,
26:47je venais de sortir mon premier livre,
26:49et j'ai fait plusieurs tournées avec lui,
26:51j'ai découvert un homme absolument extraordinaire,
26:53c'est Ahmadou Kourouma.
26:55Ahmadou Kourouma.
26:56Alain n'est pas obligé ?
26:58Voilà.
26:59Il m'a appris qu'il avait été réfugié politique en Algérie.
27:02Oui.
27:03Et qu'il connaissait l'Algérie.
27:06Alors que lui était d'origine guinéenne
27:08et né en Côte d'Ivoire.
27:10Voilà.
27:11C'est un très grand écrivain qui est aujourd'hui décédé.
27:14Il a une connaissance de l'Afrique absolument prodigieuse,
27:19et c'est très fin, quoi.
27:21C'est dommage qu'on ait pas assez profité de lui.
27:25Merci, Boalem Sansal. Merci beaucoup.
27:27Merci beaucoup.