• il y a 19 heures
Blandine Rinkel est l'invitée de 9h20 pour son roman "La faille" chez Stock, où elle évoque celles et ceux qui voient la famille "comme une prison potentielle ou une menace". Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-jeudi-06-fevrier-2025-2136626

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00:00Et Léa, ce matin, vous recevez une écrivaine.
00:02Oui, qui est aussi musicienne, bonjour Blandine Rinkel.
00:05Bonjour.
00:06Merci d'être avec nous ce matin.
00:07Si vous étiez un film, un personnage historique et un paysage, vous seriez qui, vous seriez
00:11quoi ? Un film d'abord ?
00:12Alors, si j'étais un film, je serais un film de Chloé Zahaut, je serais Nomade Land ou
00:16The Rider à choisir parce que c'est des films où il y a toujours des personnages
00:23faillibles qui croient en leur intuition et qui ont un grand désir d'ailleurs.
00:27Si vous étiez un personnage historique ?
00:29Je serais Anita Conti, la première océanographe française, qui est aussi une écrivaine
00:36et une photographe et qui est aventureuse et classe.
00:42Je ne sais pas si ça marche.
00:44Un paysage ?
00:45Un paysage, je serais une plage en hiver, mais une plage où on a laissé les algues,
00:53où on l'a laissé se cradifier.
00:56Où par exemple ?
00:57Dans l'ouest, je serais la plage près de laquelle j'écris souvent dans l'ouest de la France.
01:03Oui, c'est ça.
01:04L'océan qui est un lieu très important pour vous parce que vous dites que c'est un lieu
01:08où vous échappiez de votre enfermement dont on va parler.
01:11Oui, parce qu'on y voit l'horizon assez simplement.
01:14C'est-à-dire que dans les villes, l'horizon est bouché et c'est vrai que près de la
01:17mer, l'horizon se réouvre.
01:19Pourquoi pensez-vous, Blondine Henneckel, que les gens qui savent écouter sont sexys ?
01:25Je crois que c'est une vraie qualité quand même, celle d'être attentif, de pouvoir
01:31se mettre en sourdine.
01:32Je dirais même que ce serait une manière de réhabiliter la virilité.
01:34Que de dire que ça serait ça, être viril, c'est savoir écouter, savoir se taire un
01:41peu, regarder l'autre, le voir, chercher à voir l'autre.
01:45Les gens qui savent écouter sont sexys.
01:48C'est une des phrases qu'on trouve en annexe de votre nouveau livre dans la liste des 30
01:52choses notées le jour de vos 30 ans.
01:53Vous donnez aussi des conseils de lecture, des films à voir dans ce livre qui s'appelle
01:57« La faille » et qui est paru chez Stock.
01:59C'est un texte très fort, un texte qui bouscule, qui fait réfléchir longtemps après
02:03l'avoir refermé.
02:04Un texte qui questionne l'institution de la famille, le mythe familial, cette idée
02:09que la famille irait de soi.
02:11D'ailleurs, ce livre « La faille » aurait dû s'appeler « La famille », mais le
02:14problème, c'est que vous n'arrivez pas à écrire le mot famille.
02:18Quand vous l'écrivez, vous enlevez le « m ».
02:21En bandeau, on voit que vous écrivez le mot famille, mais il n'y a pas de « m ».
02:27Donc, famille sans « m », ça donne « la faille ».
02:29Oui, alors, je n'arrive pas à l'écrire si je m'appliquais vraiment.
02:32Je pourrais quand même faire ces trois petits ponts.
02:34Oui, mais vous ne les faites pas.
02:36Mais c'est vrai que spontanément, je mange le « m » et que, comme souvent, les choses
02:40très anecdotiques veulent en dire plus.
02:42Et que quand je me suis aperçue de ça, évidemment, c'était une question qui me travaillait déjà.
02:48Elle me travaillait, mais je me suis dit, tiens, je vais la travailler.
02:50Je pense que c'est ça, écrire, c'est travailler ce qui nous travaille.
02:53Et je me suis dit que j'allais écrire ce livre à partir de ce constat.
02:59Pour moi, la famille est une faille, et pour beaucoup d'autres, en fait.
03:01Et donc, c'est un livre qui s'adresse à toutes celles et ceux pour qui, oui, la famille
03:04est une faille.
03:05Toutes celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans l'idée de la famille d'abord,
03:09ou dans l'idée que la famille réconforte, que la famille est un refuge.
03:12Toutes celles et ceux qui la voient comme une prison potentielle, comme une menace.
03:17Tout simplement, celles et ceux qui, tout en aimant leur foyer, s'y sentent parfois piégés.
03:20Mais oui, parce que c'est ça qui est intéressant.
03:22Vous citez ce sondage de l'IFOP qui dit que 9 personnes sur 10 considèrent la famille
03:26comme le premier des lieux de solidarité, comme un lieu d'amortisseur social.
03:30Seuls 1 sur 10 ne le considèrent pas comme ça.
03:34Vous dites, j'écris pour ces 1 sur 10.
03:36Mais en fait, vous n'écrivez pas que pour ces 1 sur 10.
03:39Ces 1 sur 10, c'est vous et d'autres personnes autour de vous, manifestement.
03:42Mais il y a aussi les 9 sur 10 que vous faites réfléchir.
03:45C'est un livre qui va toucher profondément les gens qui ne sont pas à l'aise dans leur famille,
03:49qui ne pensent pas que la famille est un refuge, qui pensent plutôt que c'est une prison.
03:52Mais c'est un texte qui fera réfléchir aussi ceux qui sont très à l'aise dans leur famille,
03:57qui aiment ça, pour qui c'est un refuge ou un pilier.
03:59Mais vous invitez, c'est pour ça que votre livre est très fort, il m'a beaucoup plu.
04:04C'est que ce n'est pas un livre d'honneur de leçon, ce n'est pas une croisade anti-famille,
04:07ce n'est pas un « famille, je vous hais ». Pas du tout.
04:09C'est un livre qui fait réfléchir sur le lien de la famille et comment on le mythifie.
04:14Et comment il peut y avoir d'autres possibilités, d'autres choses, d'autres liens que celui de la famille.
04:20En fait, c'est une ode à la liberté, votre livre.
04:22Oui, sans doute. Ce n'est pas un livre contre, par contre, c'est un livre qui est volontiers critique.
04:27Mais je pense que justement, être critique, c'est donner de l'attention aux choses paradoxalement aimées.
04:34Pour moi, dans l'amour, il y a une part de critique.
04:36Parce qu'en fait, quand on regarde profondément quelque chose, quand on y prête attention,
04:42oui, potentiellement, on l'écorche aussi, on s'autorise à ça.
04:47Et j'ai réfléchi, évidemment, à partir d'un inconfort que j'ai pu éprouver dans « La famille ».
04:57C'est un livre très personnel qui part d'une histoire compliquée que j'ai avec ma propre famille.
05:01Mais j'ai aussi réfléchi à travers des récits que me faisaient des proches,
05:08que me faisaient aussi des auteurs ou des autrices à partir de livres lus, de films vus,
05:14et de gens qui se sentent bien, qui en tous les cas, pensent à partir d'un foyer, qui sont dans leur foyer.
05:21Oui, et il y a beaucoup de références, c'est très intéressant, il y a beaucoup de références à des livres,
05:25à des films que vous avez vus ou lus et qui nous donnent envie d'ailleurs, qu'on a envie d'ouvrir ou de rouvrir.
05:30C'est votre quatrième livre, « Blondie Drinkle », les trois premiers étaient des romans,
05:33celui-là est présenté comme un récit littéraire.
05:35Effectivement, c'est un livre où vous dites « Je », J-E, où vous parlez de vous, de votre histoire, de votre famille,
05:40sans vous cacher derrière un personnage.
05:42Vous vous sentiez à 33 ans, vous avez 33 ans, et face au monde tel qu'il va,
05:48face à un Trump ou un Jade Evans qui parle des femmes qui n'ont pas d'enfants,
05:52comme des femmes à chat et qui se moquent d'elles, ou d'autres régressions en Russie ou ailleurs,
05:57vous vous sentiez le besoin ou le moment de dire « Je », de vous engager ?
06:03Oui, parce qu'on est dans un moment de crise politique, de crise démocratique, de crise démographique aussi.
06:09Et que forcément, dans les moments de crise, il y a la tendance à se replier dans la sphère familiale,
06:16parce que ce serait un refuge, ce serait un endroit où quand la sphère publique nous menace,
06:20ou qu'on a le sentiment qu'elle nous menace, la sphère familiale serait un endroit de refuge.
06:25Et je pense qu'il y a des personnes pour qui ce n'est pas le cas.
06:27Peut-être aujourd'hui tout particulièrement, oui c'est vrai que je pense à elles,
06:33je pense à celles et ceux qui se sentent isolés quand on dit « Bon d'accord, le monde va mal, mais quand même il y a la famille ».
06:39Celles et ceux pour qui c'est au contraire synonyme vraiment de souffrance en fait.
06:43Il y a quand même beaucoup de... Il y a de la joie, il y a des lectures, il y a de l'attention, il y a des rires,
06:47il y a une sorte d'eau de la liberté dans le livre, mais il y a aussi beaucoup de souffrance.
06:50Et il y a des morts, je veux dire, c'est assez concret, c'est une question vitale.
06:53La question de comment on peut se sentir mortifié en fait dans certains groupes,
07:01comment certaines familles annihilent nos désirs et nos forces, nous asphyxient,
07:08ça peut être une question vitale et je pense que c'est important de le rappeler.
07:10Ce n'est pas juste une question comme ça philosophique.
07:13Et ça l'est pour vous et c'est pour ça que vous vous engagez.
07:15Vous partez de votre propre histoire, de cette famille où vous étiez la fille unique de deux parents.
07:19Une fille qui n'avait justement qu'une envie irrépressible, c'était de fuir,
07:23à tel point que le dimanche vous prétextiez n'importe quel prétexte pour partir, pour quitter cette famille.
07:29Où vous parlez de la mort et la mort rôde dans le livre de bout en bout,
07:34et la mort rôde dans votre famille depuis toujours.
07:37Vous le dites, vous l'expliquez.
07:40Oui, j'explique qu'avant ma naissance, mon père a perdu une première famille,
07:44enfin deux enfants, sa sœur, il y a eu une sorte de drame qui a précédé ma naissance
07:47et qui fait que je pense à leur corps défendant, au corps défendant de mes parents.
07:51C'est-à-dire que ce n'est pas tout à fait volontaire, ce n'est pas tout à fait conscient,
07:53mais quand même, le deuil de l'idée de famille planait, je dirais, dans notre foyer.
07:57Et c'est vrai que par exemple, des expressions comme
08:01« Appeler un ami un frère » ou « Appeler une amie une sœur »,
08:05moi ça me semble compliqué parce que ça relève vraiment de mon histoire.
08:07Mais c'est associé, pour moi ces mots-là, « frère » et « sœur » par exemple,
08:10sont associés à quelque chose de morbide, d'un peu mortifère.
08:14Et en fait, très tôt dans l'enfance, j'ai senti une espèce d'atmosphère comme ça,
08:19mortifère, qui planait. Et c'est vrai que sortir, la possibilité du dehors,
08:23la possibilité de sortir, même quand on ne sait pas exactement ce qu'on pourra trouver dehors,
08:26même quand le dehors est un peu inquiétant, un peu menaçant,
08:29même quand on fait des rencontres un peu, je ne sais pas, pas tout à fait rassurantes,
08:33oui, dans les rues, ça m'a toujours paru plus vitalisant, en fait,
08:36que le fait de rester arrimée chez moi.
08:38Sortir vous permet de respirer.
08:40La première scène du livre est très forte, très cinématographique.
08:43C'est vous, la narratrice, vous, qui regardez votre père à la fenêtre depuis la maison,
08:49votre père qui est dans la voiture et qui attend.
08:51Il attend, avant de rentrer chez lui, retrouver sa famille, justement,
08:55et elle l'observe, sa fille, et cette attente du père,
09:00vous écrivez derrière la vitre « je regarde mon père respirer, loin de sa famille ».
09:06Il est là, il est dans la voiture, et ça dit tout le malaise,
09:09et cristallise tout le malaise de cette famille où il n'a pas envie de rentrer.
09:13Il y a une phrase juste après où je dis « il n'y a rien de pire que de sentir,
09:16sans qu'un seul mot ne soit prononcé, que vous faites partie du problème de quelqu'un que vous aimez ».
09:20Ça, je pense qu'on est beaucoup de personnes, d'enfants,
09:22enfin, de personnes à avoir été enfant un jour,
09:25à sentir, en fait, qu'il y a quelque chose de…
09:28qu'il y a un malaise chez nos parents, qui n'est pas dit, qui est eu,
09:31que ce qui apparaît comme… qui s'est longtemps apparu comme nos royaumes dans l'enfance
09:35étaient, en fait, aussi les prisons de nos parents.
09:37Et c'est aussi un livre que j'écris depuis cet endroit-là d'une petite fille qui a…
09:42oui, qui a vite senti que…
09:45qui a vite senti une souffrance
09:48dont… peut-être dont mon père ne pouvait pas complètement parler,
09:51ou dont il n'était pas, je ne sais pas, complètement en mesure de parler.
09:55Je réfléchis depuis aussi cette sensation-là, et ce qu'elle a légué,
09:58évidemment, ce qu'elle m'a légué, ce dont j'ai ri, etc.
10:00Vous écrivez « Nous le pressentions, mes parents et moi. Notre famille ne tiendrait plus longtemps.
10:05J'ai traversé la majeure partie de ma jeunesse selon cette conjugaison intérieure.
10:08J'aurais essayé la famille, et puis un jour, j'en aurais fini. »
10:12Oui, et je finis en disant que j'ai traversé mon enfance au futur antérieur.
10:16C'est vrai que le futur antérieur, c'est un temps dont je me sens proche.
10:21Et donc, en fait, très intuitivement, je me suis sentie très vite proche de ça.
10:23Par exemple, chez Virginia Woolf, il y a beaucoup de futur antérieur.
10:25C'est cette idée qu'on voit le présent.
10:28Là, je peux voir ce qu'on est en train de vivre, vous et moi, dans ce studio France Inter,
10:32en me disant « Dans quelques minutes, ce sera passé ».
10:34Il y a déjà la mort qui plane quelque part.
10:37Paradoxalement, ça fait se sentir vivant.
10:39Ça fait que toutes les phrases qui sont prononcées sont fortes.
10:42Ça fait que le moindre regard tient, parce qu'en fait, tout va finir.
10:46Donc, soyons vivants maintenant.
10:47Donc, c'est une ode aussi, effectivement, à la vie et à l'intensité de la vie.
10:51Parce que la mort peut arriver à tout moment.
10:53C'est ça qu'on ressent dans votre écriture.
10:55Et dans votre façon de parler ce matin, d'ailleurs.
10:58Oui, le livre finit sur cette idée que les gens qui vivent au-dessus d'une faille sismique,
11:03j'avais lu ça dans un livre de Mathieu Larnodi,
11:05les gens qui vivent au-dessus d'une faille sismique ont intériorisé la menace,
11:08ont intériorisé l'idée qu'ils pourraient à tout moment plonger dans les entrailles de la Terre.
11:12Et que par conséquent, ils vivent en se disant que tout peut arriver.
11:16Donc, ils vivent en vibration, en fait.
11:20Ils vivent de manière vibrante.
11:21Et c'est le dernier mot du livre.
11:22D'ailleurs, c'est un livre qui est comme une bouteille à la mer adressée aux solitudes
11:27qui n'ont pas à renoncer aux histoires et qui entendent bien tout de même, malgré tout, rester vibrante.
11:32Rester vivante et continuer à vibrer et continuer à bouger.
11:35Le mouvement est très important chez vous et dans votre écriture.
11:37Il y a un décalage, de manière générale, entre la famille mystifiée et la famille réelle, le vrai vécu.
11:44C'est ce qu'explique la philosophe Sophie Galabru dans son essai « Faire famille ».
11:48On l'écoute, elle est à la Grande Librairie.
11:49Je pars plutôt d'un écart qui existe entre la famille de rêve et la famille vécue,
11:55ou la famille promise et celle qu'on vit vraiment.
11:58Et il y a un écart qui peut susciter des frustrations, des déceptions.
12:02En tout cas, moi, ça a été mon cas.
12:04Et je pense que c'est surtout lié au fait qu'on mystifie beaucoup l'idée de famille.
12:08C'est-à-dire qu'on lui demande d'assurer parfois des missions ou de remplir des idées,
12:16des images qu'elle ne peut pas remplir.
12:18C'est-à-dire, par exemple, l'idée que la famille devrait être un centre où nous sommes tous en union.
12:25Et on confond union avec uniformité.
12:27C'est-à-dire qu'on ne supporte pas que les individualités puissent exister.
12:29Et donc le commun doit prendre le pas sur tout, ce qui peut créer des frictions, des incompréhensions, des tristesses.
12:38Oui, il y a une forme de surmoi familial, je la rejoins là-dessus.
12:44Après, je crois que ce n'est pas une fatalité.
12:47En fait, il y a une forme de...
12:50Moi, je trouve que règne souvent dans les appartements, dans les maisons, une forme de fatalité d'atmosphère.
12:55C'est-à-dire qu'on se dit « la famille, c'est comme ça, ah oui, mais tu verras plus tard »
12:58ou « tu es insatisfait, oui, mais quand même, ça va, contente-toi de ça ».
13:03Ou il y a des moments où ça va.
13:04Vous dites d'ailleurs, vous avez posé la question à votre mère, pourquoi vous avez mis du temps à quitter mon père.
13:09Parce qu'il y avait des moments où ça allait.
13:12Oui, c'est aussi ça.
13:13Oui, bien sûr, mais...
13:14Le carcan ou l'atmosphère ou l'emprisonnement, ce n'est pas insupportable 24h sur 24, il y a des moments de respiration.
13:21Mais globalement, c'est temps.
13:22Non, ce serait plus simple.
13:23Oui, évidemment.
13:24Oui, mais il y a cette forme de fatalisme d'atmosphère, mais qui n'est pas une fatalité.
13:29C'est-à-dire que je crois au langage, je crois quand même à la possibilité de faire confiance aux personnes avec qui on vit.
13:38Je crois que parfois, on peut formuler des choses qui nous paraissaient informulables
13:42et que ce serait peut-être mieux entendu que ce qu'on croyait.
13:44Parfois, on s'empêche soi-même, voire on s'intoxique soi-même, on se mortifie soi-même.
13:50Parce qu'on se dit, ça ne pourra jamais, tel désir, telle phrase, ne pourra jamais être entendu.
13:56Et je crois à la possibilité d'essayer de formuler.
13:59Et bien sûr, quand c'est vraiment impossible, je crois qu'il faut rompre.
14:01Enfin, qu'on devrait supporter que certains rompent.
14:06Qu'il ne faut pas chercher à moraliser certains qui n'ont eu d'autre choix que de rompre.
14:10Ça existe aussi.
14:11Vous, vous avez rompu.
14:13Par la force des choses, oui.
14:16Là où vous êtes forte, où le livre est fort, c'est que vous évitez les clichés.
14:19C'est-à-dire que ce n'est pas « j'étouffe dans ma famille, mais heureusement, il y a l'amitié qui me permet de respirer ».
14:24Vous dites l'amitié aussi peut-être une zone asphyxiante.
14:29En fait, tous les groupes où il y a des normes à respecter, vous étouffent.
14:33Peut l'être.
14:34Oui, je pense que l'amitié n'est pas exemple de logique de bannissement, de logique de pouvoir.
14:40En fait, tous les groupes peuvent être potentiellement asphyxiants,
14:45mais ils peuvent aussi potentiellement supporter les remises en question.
14:49En fait, c'est ça la question.
14:50Est-ce qu'on supporte la remise en question ?
14:53Est-ce qu'il y a une dose d'autodérision ?
14:56Est-ce qu'on supporte la critique ?
14:57J'adore l'amitié dans ce qu'elle a de plus féroce.
15:01Je dirais qu'avec mes amis, mes vrais amis, ce qui est beau, c'est qu'on peut se dire ce qui est indicible,
15:07ce qui est potentiellement heurtant.
15:08Et précisément, ils peuvent me le signaler parce qu'on est amis.
15:12Et je pense que la famille pourrait offrir la même chose et doit l'offrir.
15:16Il y a forcément des familles qui supportent ça, les remises en question,
15:19qui supportent la critique et qui peuvent entendre aussi la souffrance de l'un des leurs.
15:23Parce qu'il y a deux logiques quand même dans la famille.
15:26Il y a l'idée d'exclure celui qui nomme la souffrance, quelqu'un qui souffre.
15:29On l'exclut, comme ça la souffrance n'existe pas, croit-on.
15:33Mais il y a aussi évidemment la possibilité de l'écouter, de l'entendre, mais ce n'est pas facile.
15:38Il y a aussi des pages très belles sur l'amour,
15:40puisque la possibilité du « nous », la possibilité du lien.
15:44Et sur les amitiés furtives, les amitiés qui durent une nuit.
15:47C'est très beau ce que vous écrivez sur les amitiés passagères ou la rencontre passagère.
15:54Et moi, j'ai beaucoup aimé.
15:56Il y a aussi, je passe vite parce qu'on va terminer, il y a aussi l'amour.
16:00Vous, vous parlez de votre compagnon, donc je me permets d'en parler.
16:03Et vous dites très vite, on s'est mis d'accord, on ne fera pas famille.
16:10Oui, ce n'est pas un mot, en tous les cas, qui nous tient liés.
16:13Je pense qu'on a besoin d'autres mots.
16:14En fait, je pense qu'on n'a pas...
16:16Toutes les relations qui comptent n'ont pas à être liées au champ lexical de la famille.
16:21Parce qu'il y a un peu cette tendance, dès qu'une relation est forte,
16:23à soudain changer de champ lexical et à mettre le champ lexical de la famille.
16:27C'est très beau, bien sûr, des familles où se passent des choses, où il y a une forme d'intensité.
16:31Mais je crois qu'il y a des amours qui méritent d'autres noms.
16:33Il y a des amitiés qui méritent d'autres noms.
16:35Et personnellement, par exemple, j'aime bien le terme de meute,
16:37parce que j'habite aussi avec un chien.
16:40Il me semble convenir à la forme de ce que vous êtes.
16:43À la relation, oui.
16:45Une meute.
16:46Une meute, c'est bien.
16:48L'écriture vous a sauvées, vous a permis de respirer.
16:50L'océan vous a permis de respirer.
16:52Et puis la musique, parce que je l'ai dit au début, vous faites de la musique
16:56avec votre groupe que vous avez fondé il y a dix ans, Catastrophes.
16:59Vous écrivez les paroles, vous chantez, vous dansez,
17:01juste pour qu'on écoute, maintenant ou jamais.
17:07J'ai dansé, et j'ai dansé, encore, en souriant.
17:21Pourquoi ça s'appelle Catastrophes, le groupe ?
17:25Ah, ça, si je pouvais donner une réponse simple.
17:29Sans doute parce que j'ai ce sens de la catastrophe en moi depuis très tôt
17:33et que je le partage avec ceux qui sont très proches de moi.
17:37C'est-à-dire ce sens de la crise, du fait que quand ça tremble,
17:40que quand on est en crise, que quand une catastrophe est là,
17:44une catastrophe au sens intime, c'est que quelque chose advient.
17:48Et qu'il faut être aussi attentif à cette chose qui advient,
17:51à cette chose possible, bizarrement, quand tout tremble.
17:54Quand tout tremble et que tout pourrait être en l'air
17:56et on ne sait pas comment ça va retomber.
17:57On termine par les impromptus.
17:59Vous répondez très rapidement.
18:00Maëva ou Blandine ?
18:01Bah, Blandine.
18:03Parce que Maëva, c'est votre autre prénom.
18:05C'est mon autre prénom.
18:06C'est le prénom choisi par votre père et vous avez changé.
18:08Vous avez pris le deuxième.
18:09Oui, j'ai changé.
18:09Parfois, je regrette d'avoir changé.
18:11Je change d'avis, mais quand même Blandine.
18:14Simone de Beauvoir ou Virginie Despentes ?
18:16Despentes.
18:17Marguerite Duras ou Virginia Woolf ?
18:20Woolf, mais j'aime Duras.
18:22Votre bulldog s'appelle vraiment Jean Poire ?
18:25Il s'appelle vraiment Jean Poire et je n'ai pas d'explication à donner.
18:27Vous disiez à Libération qu'à votre arrivée à Paris à 18 ans,
18:30vous vous sentiez violentée par les Parisiens.
18:32Ça va mieux ?
18:34Malheureusement, ça va mieux.
18:35Mais je suis attentive quand même à des violences qui viennent assez aisément.
18:41En tous les cas, je fais attention quand il y a des personnes pour qui les codes parisiens
18:44ne sont pas évidents.
18:45J'essaie vraiment de les aider.
18:47Votre quartier préféré à Paris ?
18:49Oh, le 18ème.
18:51Vous votez ?
18:52Oui, je vote.
18:53Liberté, égalité, fraternité, vous choisissez quoi ?
18:57Égalité.
18:58Et Dieu dans tout ça ?
19:00Et Dieu, ça se passe bien.
19:02Très bien.
19:03Le livre s'appelle « La faille », c'est chez Stock.
19:06Et c'est Ilina Boryoussev de Service Culture qui en avait parlé il y a quelques jours.
19:11C'est en l'entendant que j'ai eu envie de vous inviter.
19:13Elle dit que ce livre est magnifique et très généreux.
19:15Elle cite une multitude de films et de livres pour illustrer sa réflexion.
19:21Et c'est comme si une amie te conseillait des films à voir et des livres à lire
19:23avec un regard hyper intéressant.
19:25Je ne dis pas mieux.
19:26Merci et belle journée.
19:27Merci beaucoup.

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