• il y a 3 jours
C'est dans le monde de l'art que nous invite Claire Chazal pour ce nouveau numéro de « Au bonheur des livres » en recevant deux écrivains, Pascale Roze et Patrick Grainville, anciens lauréats du prix Goncourt, pour leurs livres respectifs « Le roman de Mécène » Ed. Stock et « La Nef de Géricault » Ed. Julliard.
Le point commun entre ces deux ouvrages, passionnants, est en effet de se servir d'un matériau historique particulièrement riche pour livrer une réflexion qui continue d'être contemporaine sur la création, ses enjeux, ses milieux.
Pascale Roze plonge pour cela dans une époque qu'elle aime et connaît particulièrement bien : la république romaine, dont elle restitue le destin d'une figure peu connue, celle de Mécène, un ami et bienfaiteur des artistes et des poètes qui a bien sûr donné son nom à la pratique du mécénat, mais dont on ignorait les détails de la vie, qu'elle raconte avec une grande minutie.
Patrick Grainville fait de même pour Théodore Géricault et son fameux tableau, Le radeau de la Méduse : lui qui a souvent écrit sur les peintres retrouve dans ce livre, les flamboyances de style qui le caractérisent pour s'interroger sur les mystères, toujours actuels, d'une oeuvre d'art...
De l'Antiquité à aujourd'hui en passant par les débuts du XIXe siècle, c'est donc à un voyage plein de rebondissements dans le monde des artistes que nous invite Claire Chazal.
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00:00Retrouvez « Au bonheur des livres » avec le Centre National du Livre.
00:06Musique
00:24Bienvenue dans l'émission littéraire de Public Sénat.
00:26Je suis ravie de vous retrouver pour un nouveau numéro de « Au bonheur des livres ».
00:30Vous le savez, chaque semaine, nous essayons de vous donner envie de lire
00:34et de découvrir ou de mieux connaître leurs auteurs.
00:36Alors aujourd'hui, nos deux invités ont tous deux reçu le Prix Goncourt
00:41et nous parlent tous deux d'art, des artistes, dans leurs romans.
00:45Patrick Grunville, académicien, nous propose « La nef de Géricault »
00:49dans lequel, bien sûr, il va revenir non seulement sur l'histoire de ce peintre, Géricault,
00:55mais sur l'incroyable histoire du radeau de la Méduse et de cette toile qui est achevée en 1819.
01:01Et puis Pascale Rose, qui est passionnée d'Antiquité et qui publie le roman de Mécène,
01:07dans lequel nous faisons tout simplement la connaissance d'un grand personnage de l'Antiquité
01:11qui s'appelle Mécène, un personnage de la Rome antique auprès d'Octave et d'Antoine
01:15et qui va être un ami des artistes et qui va les aider et faire naître, bien sûr,
01:20ce qu'on appelle aujourd'hui le Mécène.
01:22Merci beaucoup à tous les deux d'être avec nous, ça me fait très plaisir de vous recevoir.
01:27Vos deux livres sont absolument passionnants, on apprend beaucoup de choses.
01:30Et bien sûr, je vais commencer à discuter avec Pascale Rose, mais Patrick,
01:34vous pouvez intervenir quand vous voulez mettre votre grain de sel.
01:38Mon petit grain.
01:39Votre petit grain.
01:40De folie.
01:41Et même chose pour vous, Pascale.
01:42Alors, Pascale Rose, je disais que vous aviez eu le Prix Goncourt,
01:44c'était en 1996 pour votre premier roman, « Le Chasseur Zéro ».
01:50Et voici donc un roman très fouillé, je le disais, très documenté,
01:54plein de détails tout à fait intéressants sur cette période de l'Antiquité.
01:58Nous sommes à peu près entre 40 et 30 avant Jésus-Christ dans ce roman de Mécène.
02:04Donc, vous nous racontez qui est ce Mécène.
02:07Alors, je dirais, Pascale Rose, c'est pas la première fois que vous abordez
02:10cette période-là de l'Antiquité.
02:13Il y a eu plusieurs écrits de vous, notamment « Un homme sans larmes » sur Horace.
02:18Pourquoi cette histoire vous a-t-elle intéressé ?
02:20Pourquoi cette période vous intéresse-t-elle ?
02:22C'est une période qui est fondatrice pour nous.
02:26C'est la fin de la République.
02:29C'est en même temps les heures de la République et la fin de la République.
02:32Et puis, c'est une période de grand éveil de la poésie.
02:38Virgile, on va en parler.
02:39Oui, Virgile, Horace.
02:41Mais en fait, ça remonte à l'enfance.
02:44Je me souviens en classe de cinquième, l'histoire de Rome.
02:47Le latin, peut-être, pour vous ?
02:48Alors, le latin, en classe, j'étais nullissime.
02:50Je dois dire que j'ai eu six aux bas de conversion.
02:52Et j'ai découvert beaucoup plus tard le latin.
02:55Parce qu'on a traduit Virgile, quand même, à ce moment-là.
02:57On a tous fait ça.
02:58Oui, oui, oui.
03:00Mais c'est plutôt Horace qui m'a ouverte à la langue latine, je dirais.
03:04Et dans des études que j'ai faites, relativement tardivement,
03:07il a fallu que je devienne déjà une dame un peu posée
03:11pour me pencher dans le latin.
03:14Et je dois dire que c'est en fait une version latine
03:17que j'ai faite à l'université, d'une satire d'Horace,
03:22où Horace se réjouit que les dieux lui aient donné un esprit petit
03:27qui ne lui permet de dire que des petites choses, et encore rarement.
03:31Et comme moi, c'est ce que je ressentais,
03:35et j'avais l'impression d'en souffrir,
03:37et tout d'un coup, le poète que je trouvais le plus sublime de l'Antiquité,
03:41trouvant que c'était une qualité, je me suis sentie rassurée.
03:44Et je l'ai lu jusqu'au bout, et je ne l'ai plus quitté.
03:47J'ai écrit un livre sur lui.
03:49Oui, alors là, nous sommes dans une période de l'Antiquité, évidemment.
03:53Je le disais, 30-40 avant Jésus-Christ,
03:55César a été assassiné, arrive Octave et Antoine.
03:58On ne peut pas dire que ce soit une période non troublée.
04:01Il y a des guerres, avant cette Pax Romana dont vous parlez.
04:04Ça est très violent, ça se situe là.
04:06Il faut bien dire que c'est une période violente.
04:08En fait, il y a presque un siècle de guerre civile, je dirais.
04:12Ça commence, on va dire, avec Pompée et César.
04:17Sans trop donner de détails, parce que c'est très compliqué.
04:20Et la République, petit à petit, va se déliter en tant que pouvoir,
04:27mais elle va rester en tant qu'institution, je dirais.
04:32Mais la réalité du pouvoir va être prise par un homme fort,
04:36qui sera Octave, qui deviendra l'empereur Auguste.
04:41C'est donc l'ami de cet empereur Auguste,
04:43enfin, ce futur empereur Auguste, qui s'appelle Mécène.
04:45C'était bien sûr, on va le dire, un ami des arts et des artistes,
04:49mais c'était autre chose auprès d'Octave.
04:51Il a été diplomate, il était son dossier.
04:54Oui, c'était un ami de l'ombre à qui Octave a donné des pouvoirs,
04:58en dehors des magistratures, justement.
05:00Celui qui aide et celui qui paye aussi.
05:03C'était un chevalier très riche.
05:05Et donc, pour faire campagne, il faut payer les légionnaires, etc.
05:10Et c'était Mécène qui payait.
05:12Donc ça, c'est très important.
05:13Et Mécène a eu aussi l'idée que la poésie pouvait chanter cette paix qui arrivait.
05:21Et donc, il a choisi ces poètes parce qu'ils avaient ce don-là
05:25de la paix qui allait arriver.
05:27Alors, on précise que ce n'est pas un sénateur, ce n'est pas un magistrat.
05:32C'est une magistrature.
05:33Il est quoi ?
05:34Il est chevalier.
05:35Il n'est pas un patricien non plus.
05:36Ce n'est pas un patricien.
05:37C'est un chevalier qui a de l'argent.
05:38Le chevalier, c'est un des ordres romains.
05:40Il y a trois ordres, les sénateurs, les chevaliers et la plèbe.
05:44Il s'occupe de commerce.
05:47Il a en plus une grande propriété.
05:48Donc, il vend de l'huile qu'il fait sur ses terres.
05:50Il vend du blé.
05:51Il vend des pétales de rose.
05:52Et il a aussi une industrie qui est de la terre cuite.
05:57Donc, il est très riche.
05:59Mais par-dessus tout, c'est un grand amoureux des arts.
06:02Il est étrusque.
06:03Donc, on dit que les étrusques avaient particulièrement un goût artistique fin et développé.
06:08On le voit dans leurs tombes qui sont si belles.
06:11Et donc, sa mère collectionnait les statuettes.
06:16Et tout petit, il s'est mis à lire et à aimer la poésie, à vouloir devenir poète.
06:21D'abord, il a voulu être poète.
06:23Et en fait, il a glissé de ce désir d'être poète à celui d'aider les poètes.
06:28Alors, vous racontez comment il construit cette maison magnifique.
06:31Elle est faite de mosaïques précieuses.
06:33C'est le palais, oui.
06:34Parce qu'il avait sa grande maison.
06:36Mais il avait son palais.
06:38Et ce qu'il explique bien, c'est un des moments que j'adore.
06:41Il fait une grande mosaïque.
06:44Et cette mosaïque très belle représente, comme dit Homère, la mère aux mille sourires.
06:51La mère aux mille sourires.
06:53C'est toutes les intercelles de feu.
06:56La mère aux mille sourires.
06:58Et il y a cette mère qui est représentée dans son palais.
07:00Qu'est-ce qu'il en reste de cette maison ?
07:02Il n'en reste strictement rien.
07:04Autant vous dire que je l'ai totalement inventée.
07:06On sait qu'il avait un palais, mais je l'ai totalement inventée.
07:10Et en fait, les mosaïques, normalement, elles ont toujours des motifs.
07:13Et celle-là, la particularité d'un véritable artiste, d'un novateur, c'est qu'elle est vide.
07:19Elle est presque abstraite.
07:20Elle est pleine d'eau.
07:21Oui, elle est abstraite.
07:22Elle est pleine d'eau.
07:24Et elle change de couleur selon les reflets.
07:26Selon les reflets.
07:27Selon les colonnes de marbre.
07:28Voilà.
07:29Et le soleil rentre un moment dans la pièce et il illumine tout.
07:31Celui que Mécène va surtout aider, vous l'avez dit, c'est Virgile.
07:35Celui-là, il vit à Naples.
07:37On lui confie le rôle d'écrire Lénéide, qui va être finalement le grand récit de la Fondation de Rome.
07:43Et il l'encourage à écrire.
07:46Alors en fait, Virgile a écrit trois œuvres.
07:50Mécène le connaît alors qu'il a écrit sa première œuvre, qui sont les bucoliques, des petites scènes charmantes.
07:56Et Mécène, justement, va lui commander sa première grande œuvre, qui sont les Géorgiques.
08:02Un chant à la gloire de l'agriculture, de la terre italienne.
08:06Et justement, c'est le retour de la paix.
08:09Après la guerre, la paix.
08:10C'est vraiment guerre et paix, cette époque.
08:12Guerre et paix, absolument.
08:13Et lui, c'est la paix.
08:14Et c'est quatre chants absolument magnifiques.
08:17Un sur l'agriculture, un sur l'élevage, un sur les vignes et les forêts, et un sur les abeilles.
08:24Et voilà.
08:25C'est cet homme qui vit loin du, au fond, retranché chez lui.
08:29Et il faut bien dire une chose très importante.
08:32Lui, comme Mécène, comme Horace, sont des épicuriens.
08:35Ça ne veut pas dire des gens qui n'aiment que le plaisir.
08:38Bien sûr.
08:39Mais qui ont une philosophie de vie.
08:41Et on peut dire, Pascale Rose, que ce Mécène,
08:45et on en parlera bien sûr avec les artistes dont parle Patrick Grinville,
08:49mais il n'influe pas sur le contenu.
08:51On est d'accord ?
08:52Il laisse libre les artistes.
08:53Alors, il laisse...
08:55C'est toute la question, au fond.
08:56Oui.
08:57Voilà.
08:58Le mécénat, c'est complexe.
08:59En fait, je dirais que c'est plus compliqué que ça.
09:03Mécène est habité par cette idée que la paix doit revenir,
09:07puisque vraiment, 50 ans de guerre civile,
09:10c'est dur à supporter.
09:11Le peuple romain veut cette paix.
09:15Et donc, je dirais que c'est comme si c'était un intellectuel
09:20qui voyait ce qu'il fallait et qui réussissait à aider ses poètes
09:26à les orienter dans ce sens-là.
09:29Ce n'est pas autoritaire, mais c'est quand même quelques conseils.
09:32Ce qui est très beau avec les stoïciens, les épicuriens,
09:35il y a Lucrèce dont tu parles.
09:36Oui, bien sûr.
09:37Ils sont de grands matérialistes.
09:38C'est très étonnant.
09:39Et les atomes, ce sont de grands panthéistes et matérialistes.
09:44Ils ne parlent pas vraiment de Dieu.
09:46Ce ne sont pas des gens religieux.
09:47Ou de la religion.
09:48Et ça, c'est superbe.
09:49Puis les géorgiques, il y a les champs.
09:51On étudiait ça au lycée de Titire et de Molibé.
09:54Alors nous, on était mauvais esprit.
09:55On riait sur les bergers Titire et Molibé
09:58qui s'envoyaient des mélopées dans les champs.
10:00Vous vous souvenez de ça ?
10:02C'est les bucoliques.
10:03C'est les bucoliques.
10:06Alors il faut préciser que ce mécène qui meurt à 64 ans,
10:09entouré de ses amis d'ailleurs,
10:11c'est assez âgé bien sûr pour l'époque,
10:14et il précise, et c'est vous qui dites, c'est très joli cette expression,
10:18il donnait des ordres non doux.
10:22Alors, les ordres non doux, oui.
10:25C'est en fait le fondement de la question du mécénat.
10:32Les ordres non doux, c'est Virgile qui lui dit
10:35qu'il lui donne les ordres non doux justement pour écrire les géorgiques.
10:40Mais c'est toute une conversation sur les ordres non doux.
10:44On va y revenir parce que ce problème du mécénat
10:47est un problème aussi actuel évidemment.
10:49C'est une question qui se pose à toutes les institutions culturelles.
10:52On le voit avec le Louvre ou l'Opéra, et bien sûr à tous les artistes.
10:56Alors là, on va faire un grand bond dans le temps avec Patrick Grinville.
10:59Je précise que vous êtes académicien depuis 2018.
11:02Patrick, vous avez pris Goncourt 20 ans avant Pascal en 1976.
11:08Oui, vous aviez 29 ans.
11:10Les gens voyant.
11:12Aujourd'hui, vous nous proposez La Nef de Géricault aux éditions du Seuil.
11:18Très beau livre aussi et très fourmillant de détails, passionnant.
11:22Alors, je précise que vous êtes depuis très longtemps intéressé par les peintres.
11:26Il y a bien eu, je crois, 6 ou 7 romans
11:29que vous avez consacrés à des artistes.
11:32L'Atelier du peintre, Falaise Defoux, Les yeux de Milo, etc.
11:35C'est votre nourriture, la peinture, on peut dire ça.
11:38Oui, parce que l'écriture, c'est abstrait.
11:41Il faut travailler avec des sons qui sont abstraits,
11:44des mots qui sont abstraits.
11:46La peinture, nous, les écrivains, c'est l'illusion qu'il y a de la matière,
11:49que c'est expressif immédiatement.
11:52D'abord, c'est universel, un tableau.
11:54Un livre, il faut le traduire.
11:56Puis j'aime bien les ateliers d'écrivains.
11:58C'est un mystère, quand même.
12:00C'est un peintre qui naît en 1791 et qui mort en 1824,
12:03donc très jeune, mais on va y revenir.
12:05Vous nous racontez son parcours absolument passionnant.
12:08Si je peux me permettre, Patrick,
12:10vous passez d'abord par aussi sa formation,
12:14son intérêt pour les chevaux, pour l'observation,
12:18parce qu'en France, qui le caractérise ?
12:20Ça, c'est très beau.
12:22Les chevaux libres du corseau.
12:24Quand il va en Italie, il voit les chevaux.
12:26Il voit beaucoup de la multitude,
12:28enfin, beaucoup de chevaux,
12:30comme il y aura beaucoup de corps,
12:32d'un tableau très occupé et très architecturé.
12:35Oui, et très documenté, déjà.
12:37Oui, mais à Rouen, quand il était gosse,
12:39il allait voir le Marc-Charles Ferrand.
12:41Il était toujours fasciné par les chevaux.
12:43C'est encore une culture du cheval.
12:45Mais il a peint le cheval de Tamerlan,
12:47le cheval de Napoléon, aussi connu de Versailles.
12:50Il a fait des chevaux extraordinaires
12:52qui sont au Louvre et très violents.
12:54Pas des morceaux académiques.
12:56Quand on les regarde de très près,
12:58c'est très audacieux.
13:00On peut dire que c'est pas académique, comme peinture.
13:03Non, c'est compliqué, parce qu'à la fois,
13:05il a gardé des choses académiques,
13:07il va se libérer de cette pression académique,
13:09tout en gardant une architecture.
13:11La façon dont il s'en libère,
13:13c'est qu'à 26 ans, il revient de Rome,
13:15où il est écrasé par le jugement dernier.
13:18Mais écrasé, et d'ailleurs,
13:20c'est une sorte de jugement dernier.
13:22Le radeau de la Méduse, il y a les damnés,
13:24puis il y a les sauvés.
13:26Il revient de Rome, il apprend le fait d'hiver,
13:28parce qu'il y a eu des livres qui sont sortis.
13:30Donc, on est en 1816 ?
13:32Le fait d'hiver, en 16.
13:34Et lui, il apprend ça en 1817-18.
13:38Il parle le récit.
13:40Il lit les deux récits, les deux témoins.
13:43Il faut préciser qu'il y a eu énormément,
13:46bien sûr, il y a eu 147 survivants,
13:49147 personnes sur le radeau.
13:51Et 15 survivants.
13:53Et ça, c'est raconté, si vous voulez, par des témoins.
13:56Il s'affiche sur les témoins.
13:58Coréard, le géographe, et puis Savigny,
14:00qui était sur le radeau.
14:02Parce que lui, il fait une enquête minutieuse.
14:04Il va les faire venir dans son atelier.
14:06Il veut que les deux témoins lui parlent.
14:08Il en reste...
14:09Bon, il y a une quinzaine de survivants.
14:11Certains vont mourir tout de suite à l'hôpital.
14:13Oui, il y en a plusieurs qui meurent à l'hôpital.
14:15Et les survivants, qui sont quand même les officiers,
14:18il faut le dire,
14:20il les fait venir dans son atelier.
14:22Il fait venir le charpentier du radeau.
14:25Il va les écouter.
14:27Et il décide quand même de peindre ça.
14:29Il a 26 ans.
14:30Il a fait quelques chevaux.
14:32Il décide de peindre un tableau de 7 mètres sur 5 mètres.
14:35Pourquoi cette chose-ci ?
14:37C'est un Paris invraisemblable.
14:39Si sombre, si dramatique, si...
14:41Si vous voulez, il y avait des tableaux dramatiques à l'époque,
14:44mais c'était des grandes batailles officielles.
14:46Ou bien c'était des grandes scènes mythologiques,
14:48ou bien c'était des scènes religieuses.
14:51Et là, il va accorder un sujet macabre et profane.
14:54Complètement.
14:56Il va accorder des dimensions énormes,
14:58ce qui va créer un peu un scandale.
15:00Oui, parce qu'il y a une polémique au départ.
15:02Oui, il y a une polémique.
15:04Il y a des gens qui ont dit, un critique a dit,
15:06c'est un tableau fait pour les vautours.
15:08Comme il y a des corps et tout ça.
15:10Et pour les corps, il va à la morgue regarder...
15:13C'est hallucinant.
15:15C'est quelqu'un qui observe.
15:17C'est bien le personnage inouï.
15:20Il va bicep.
15:22Il vole pas la tête, mais la marchande.
15:24Il ramène la tête.
15:26La tête va rester dans l'atelier.
15:28Ca va créer des incidents que je raconte.
15:30Il va falloir la cacher, la mettre au sommet du toit.
15:32Et alors, il est avec un pauvre assistant jamard,
15:35qui est là, qui subit les caprices de son maître,
15:38parce qu'il veut...
15:40Il veut pas du tout peindre une tête comme ça.
15:42Mais il veut tout voir.
15:44Il veut tout comprendre, tout en s'accréditer.
15:46Il y aura des mutineries terrifiantes.
15:48Il va faire des esquisses, des mutineries.
15:50Il va y avoir des scènes de cannibalisme.
15:52Au bout de 3 jours.
15:54Ils se sont pas retenus longtemps, les êtres humains.
15:56C'est un miroir de l'humanité.
15:58Aussitôt, il y a 2 camps.
16:00Il y a 2 camps, comme dans la vie.
16:02Maintenant, il y en a 3.
16:04Aussitôt, il y a 2 camps, comme dans la vie.
16:06Et ils vont s'entretuer.
16:08Pour survivre, aussi.
16:10Il y a une petite terrasse sur le radeau.
16:12Et les privilégiés, les chefs,
16:14vont se réfugier sur la terrasse
16:16et tous ceux qui sont au bord avec les tempêtes
16:18vont mourir.
16:20Et alors, si vous voulez,
16:22c'est une peinture de l'humanité
16:24effrayante
16:26et, hélas, très juste.
16:28Mais il le peint très jeune.
16:30C'est ça qui était assez étonnant.
16:32Vous l'aimez, ce tableau ?
16:34C'est un des plus beaux du Louvre.
16:36Il est étonnant.
16:38Il est très impressionnant.
16:40Ce que je trouve extraordinaire,
16:42c'est que c'est un tableau
16:44qui ne nous regarde pas.
16:46Il est tourné vers le bateau
16:48qui, au loin, va les sauver.
16:50Et donc, on voit le dos,
16:52ce magnifique dos
16:54du haïtien
16:56sur lequel jouent les lumières.
17:00Et ce qui est fascinant,
17:02c'est qu'au Louvre, juste à côté,
17:04il y a la liberté guidant le peuple
17:06qui est construite de la même façon,
17:08mais dans l'autre sens.
17:10De la croix.
17:12Il pose, d'ailleurs.
17:14Il est basculé, comme ça,
17:16avec son dos.
17:18De la croix était là, posée.
17:20Et le haïtien est formidable.
17:22C'est une idée de Géricault.
17:24Dans les livres
17:26qui racontent le fait divers,
17:28les témoins ne parlent jamais de ce haïtien.
17:30C'est un choix qu'il fait.
17:32Au départ, il était mousquetaire du roi,
17:34mais il a évolué, comme tous les gens de l'époque,
17:36vers des idées républicaines.
17:38C'est un haïtien qui déploie son drapeau.
17:40C'est le symbole de la liberté,
17:42de la délivrance.
17:44C'est un haïtien.
17:46C'est une invention de Géricault.
17:48Il faut préciser que ce bateau
17:50allait vers le Sénégal.
17:52La Méduse allait vers le Sénégal.
17:54On reprenait le Sénégal aux Anglais.
17:56Il a échoué à cause d'un...
17:58A cause du capitaine.
18:00La capitaine monarchiste
18:02qui a été absolument...
18:04Il a fait la chose la pire qui soit.
18:06Un capitaine, normalement,
18:08il part sur la chaloupe
18:10en tirant le radeau.
18:12Il coupe le radeau.
18:14Ils ont été abandonnés.
18:16C'est inimaginable.
18:18Je suis fille d'officier de marée.
18:20Je peux vous assurer.
18:22Heureusement.
18:24Vous savez que Louis XVIII,
18:26quand il voit le tableau,
18:28il aurait dit, je crois que c'est vrai,
18:30à Géricault,
18:32ce tableau pour vous n'est pas un naufrage.
18:34Il avait de l'esprit, lui, XVIII.
18:36Mais alors,
18:38quand ce tableau est-il réhabilité ?
18:40Je crois qu'il va à Londres pour le présenter.
18:42Oui, à Londres, ça se passe bien,
18:44mais le Louvre ne l'achète pas.
18:46Le directeur de Louvre
18:48supplie le pouvoir d'acheter le tableau.
18:50Il y a des lettres du directeur du Louvre.
18:52C'est pas le Louvre qui est responsable.
18:54C'est son meilleur ami qui va le veiller
18:56de Dredorcy, un peintre moyen,
18:58qui va acheter le tableau.
19:00Après la mort de Géricault,
19:02c'est un gars,
19:04c'est un peu l'histoire,
19:06pas de Van Gogh,
19:08parce qu'il était plus connu,
19:10mais c'est l'histoire
19:12d'un malentendu
19:14et d'un type qui est mort de la solitude.
19:16Que de recherches,
19:18vous avez fait l'un et l'autre ?
19:20C'est-à-dire qu'en fait,
19:22on a fait des recherches,
19:24c'est indispensable,
19:26mais la recherche ne suffit pas.
19:28Il faut l'écriture,
19:30mais on est aussi beaucoup obligés
19:32de porter la chose et de l'inventer
19:34à travers le personnage.
19:36Le fond du personnage,
19:38le fond de mes scènes,
19:40je l'ai inventé.
19:42Je lui prête des choses
19:44qui sont les miennes.
19:46J'essaye...
19:48Je parle un peu de moi aussi,
19:50de l'Antiquité, dans le livre.
19:52Tout ce qu'on sent
19:54de l'Antiquité,
19:56dans la campagne française,
19:58c'est très simple.
20:00J'essaie de parler de ça.
20:02De ma campagne,
20:04des vestiges qui sont...
20:06Vous estimez qu'on en trouve en France ?
20:08Énormément.
20:10On a moins conscience que de les trouver
20:12à Rome ou ailleurs.
20:14Mais en fait,
20:16l'époque romaine,
20:18elle est partout.
20:20Elle est dans la langue,
20:22dans les territoires.
20:24Moi, je voudrais, par exemple,
20:26dans le livre, j'espère
20:28que tous les gens,
20:30quand ils prendront leur bol de céréales le matin,
20:32penseront que ça vient de Cérès,
20:34la déesse de l'agriculture.
20:36On ne sait pas.
20:38Ils buvaient du lait d'amande.
20:40Ça m'a amusé, ça.
20:42Ils boivent du lait d'amande
20:44pour séduire, ils s'enduisent le corps de Myre.
20:46On va s'enduire le corps de Myre.
20:48Je ne sais pas ce que ça sent,
20:50mais ils s'endusaient le corps de Myre pour séduire.
20:52Il faut incarner les personnages.
20:54C'est ce qu'on aime dans vos livres.
20:56Géricault, ce qui est inouï,
20:58c'est qu'il était possédé par Lorano.
21:00Après, il a fait une magistrale dépression.
21:02Pendant un an, il s'enferme.
21:04Il se rase les cheveux.
21:06La concierge lui apporte à manger.
21:08Et il est possédé,
21:10hanté, des têtes qu'il va ramener.
21:12Tout ça, c'est important.
21:14Il faut être possédé par son sujet.
21:16Si on n'est pas possédé par le sujet,
21:18on n'a pas de direction.
21:20On n'est pas porté.
21:22Et quitte à, comme disait Pascal,
21:24inventer un peu.
21:26Ce n'est presque pas une invention.
21:28On le voit, son palais, sa mosaïque.
21:30C'est pour ça que j'avais le roman de Messènes.
21:32Ce n'est pas une biographie historique.
21:34Forcément,
21:36je lui ai donné une chair
21:38qui m'est propre
21:40et qui est propre aussi à mon époque.
21:42Quelqu'un du XXe siècle
21:44n'aurait pas fait le même Messènes
21:46ni quelqu'un du XIXe.
21:48J'en suis convaincue.
21:50Parce qu'on lui passe l'air du temps.
21:52Le passé est toujours un passé reconstitué.
21:54Pourquoi vous dites qu'aujourd'hui,
21:56ce ne serait pas la même chose
21:58que la fin du XXe siècle ?
22:00Je ne sais pas.
22:02L'attention que nous avons maintenant
22:04à la nature, la fragilité
22:06que nous sentons dans la nature
22:08qui est menacée
22:10par l'activité humaine,
22:12il me semble
22:14que j'y suis très sensible.
22:16Dans le livre, je lui donne une grande place.
22:18Peut-être que si j'avais vécu
22:20pendant les Trente Glorieuses,
22:22je n'aurais pas écrit ça.
22:24Vous, Patrick,
22:26est-ce que cette peinture,
22:28est-ce qu'on doit transmettre
22:30aux plus jeunes générations
22:32l'amour de ces peintres,
22:34de cette histoire-là ?
22:36C'est peut-être plus facile
22:38que l'amour de la littérature.
22:40Ils passent par les mangas,
22:42beaucoup par l'image.
22:44La peinture, c'est possible.
22:46Ils ont toujours une réaction.
22:48Quand c'est une peinture un peu difficile
22:50ou trop abstraite,
22:52difficile à démêler ou conceptuelle,
22:54ils ne vont pas forcément suivre.
22:56J'irai con, ce serait très facile.
22:58J'ai amené mes élèves toute ma vie
23:00au musée d'Orsay,
23:02au Louvre.
23:04Quand j'allais voir Giacometti,
23:06certains élèves riaient.
23:08Les personnages étaient tous maigres.
23:10Ils rigolaient.
23:12C'est pas une maigreur.
23:14Vous avez remarqué que cet art
23:16revient sans doute à un peu de figure.
23:18Je ne sais pas si j'ai le droit de dire ça.
23:20Il y a un petit retour à la figuration.
23:22Ouf !
23:24Au Beaux-Arts, il était interdit
23:26de peindre.
23:28Au Beaux-Arts, à une époque.
23:30La peinture revient.
23:32La peinture figurative.
23:34Bonnard a dit en 1935
23:36que la peinture, c'est mort.
23:38C'est fini, la peinture.
23:40En 1935, il y avait Picasso.
23:42C'est un prodigieux génie
23:44d'inventeur de formes.
23:46C'est pas un peintre au sens de Bonnard,
23:48dans l'épaisseur de la peinture.
23:50Mais c'est un génie.
23:52La peinture revient.
23:54On peint. J'ai un ami qui peint.
23:56Je dirais
23:58qu'en littérature,
24:00on sent peut-être aussi
24:02quelque chose de similaire.
24:04Il y a un retour, après les expériences
24:06du nouveau roman,
24:08à la nécessité du récit.
24:10Du récit avec, je dirais,
24:12un début, un milieu et une fin.
24:14Ce qui, autrefois, était un peu banni.
24:16Ça a duré assez peu de temps,
24:18le nouveau roman.
24:20C'était une période.
24:22Et ça a apporté aussi quelque chose.
24:24Oui, bien sûr.
24:26C'était passionnant à lire, bien évidemment.
24:28Mais là, c'est comme...
24:30Il y a des mouvements de bascule.
24:32On sent un retour vers
24:34la chair de la narration,
24:36du personnage.
24:38Sans parler de l'écriture,
24:40il y a beaucoup de sensualité dans vos livres.
24:42C'est à vous d'en juger.
24:44Oui, j'aime bien.
24:46J'aime bien rendre les sensations, les perceptions.
24:48C'est un défi.
24:50C'est un pari de rendre tout ça.
24:52Bien sûr. C'est ce qu'on retrouve
24:54d'ailleurs chez Maisen.
24:56Il a une âme.
24:58Il aime. Il est amoureux. Il a sa femme.
25:00Il a des sentiments.
25:02Une femme qui le trompe avec Octave,
25:04avec l'Empereur.
25:06Je laisse le doute planer.
25:08Effectivement, il y a
25:10un problème de femme dans les livres.
25:12C'est ce qui donne cette chair.
25:14Cette femme, c'est une femme
25:16qui est un peu à côté de ce qui se fait.
25:18Parce que pour les Romaines...
25:20Elle est libre, très indépendante.
25:22Les Romaines n'ont théoriquement pas le droit
25:24de se produire sur scène.
25:26C'est très mal vu.
25:28Et là,
25:30elle se bat auprès de Maisen
25:32pour qu'il l'autorise
25:34à dire ses poésies.
25:36Il ne s'agit pas de jouer du théâtre,
25:38mais de dire, dans ce qu'on appelle
25:40des récitationnesses, pour le public romain,
25:42la poésie telle qu'elle s'écrit
25:44en ce moment.
25:46C'est un peu un art mondain,
25:48aussi, d'inviter chez soi
25:50les poètes
25:52pour qu'ils parlent.
25:54Elle insiste
25:56pour que ce soit elle qui monte sur scène.
25:58Et ça, c'est un drame, c'est un scandale.
26:00Ça ne se fait pas.
26:02D'ailleurs, ça a duré très longtemps.
26:04Vous savez que Molière n'a pas été
26:06enterré religieusement.
26:08C'est très mal vu.
26:10Il n'y a que Carla Bruni qui a pu chanter
26:12alors que son mari était président.
26:14Il faut toujours ramener à l'actualité.
26:16Nous allions changer de période.
26:18Il faut toujours ramener à la réalité.
26:20Je vous propose de continuer de parler d'art
26:22avec nos coups de cœur.
26:24Ce livre de Stéphane Audegui
26:26s'appelle L'avenir au seuil.
26:28C'est un récit d'anticipation
26:30qui se joue au compte.
26:32C'est la couverture du livre.
26:34Sans frapper d'une étrange malédiction.
26:36Et puis, parce que nous parlons de Bob Dylan en ce moment
26:38parce qu'il y a un film qui sort sur sa vie,
26:40sa vie, lui, jeune,
26:42eh bien, voici
26:44le livre d'Yves Bigot
26:46sur le prix Nobel de littérature
26:48parce qu'il l'a eu, ce Bob Dylan
26:50qui s'est sous-titré Modern Times.
26:52Pour parler d'un autre artiste
26:54dont on fête cette année
26:56le centenaire de la naissance,
26:58puisque aujourd'hui nous parlons d'art.
27:00Et c'est à Laurent Bell qu'on doit ce livre.
27:02C'est quelqu'un qu'il a beaucoup côtoyé
27:04puisqu'il a été directeur de l'ERCAM.
27:06Il a fondé la Philharmonie, je parle de Laurent Bell,
27:08et qui connaissait très bien ce compositeur
27:10et grand chef d'orchestre,
27:12l'un des plus grands artistes du XXe siècle.
27:14Merci beaucoup à tous les deux d'être venus nous voir.
27:16Merci infiniment.
27:18C'est passionnant, ces deux livres sont absolument passionnants.
27:20Deux époques différentes, bien sûr.
27:22Le roman de mécène, c'est Pascal Rose.
27:24La nef de Géricault,
27:26c'est Patrick.
27:28Merci infiniment de nous avoir parlé d'art et de culture.
27:30On se retrouve très vite
27:32pour un nouveau numéro de Bonheur des livres.
27:34Et bien sûr, vous pouvez revoir cette émission
27:36en replay sur la plateforme de Public Sénat,
27:38publicsenat.fr. A très vite.
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