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Face aux géants du Net, tout combat ressemble un peu à celui de David contre Goliath. Qu’à cela ne tienne, Laure Boutron-Marmion se fait la porte-parole de ceux qui reprochent aux réseaux sociaux, et surtout à TikTok, de ne pas protéger leurs utilisateurs. Première avocate à engager une action à l’encontre de l’application mobile chinoise en France (et même en Europe), elle revient au micro de Mathilde Aymami sur les enjeux d’un tel recours. Et sur l’importance du droit au quotidien. Celle qui initialement ne songeait pas à devenir avocate, mais qui n’envisagerait pas de faire autre chose aujourd’hui, se confie sur ce qu’elle entend par « porter la robe ».

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Transcription
00:00Générique
00:14Laure Boutron-Marmion, bonjour. Je suis très heureuse de vous recevoir dans l'émission Sous la robe.
00:20Vous avez une actualité forte dont on va reparler dans pas très longtemps.
00:26Est-ce que vous pouvez d'abord vous présenter ?
00:28Je suis Laure Boutron-Marmion, avocate au barreau de Paris depuis 14 ans.
00:34J'exerce principalement droit pénal et droit pénal des affaires et j'ai créé mon cabinet il y a 7 ans.
00:42On vous voit dans la presse, dans les médias en ce moment parce que vous avez décidé d'engager un recours collectif contre TikTok.
00:54Est-ce que vous pourriez nous expliquer à quelle occasion et pour quelles raisons ?
01:00La genèse de ce recours, c'est évidemment l'histoire de Marie. Les parents de Marie viennent me voir il y a 3 ans.
01:08A cette époque, j'avais beaucoup de dossiers, y compris médiatiques, en matière de harcèlement scolaire.
01:14Raison pour laquelle ils avaient frappé à la porte du cabinet puisque Marie était victime de harcèlement scolaire dans son lycée.
01:22Marie se donne la mort à la rentrée de septembre 2021. Les parents désemparés viennent me voir parce qu'ils ont les pires difficultés pour déposer plainte.
01:31Ils ont de grandes attentes pour que la lumière soit faite sur ce qui s'est passé pour Marie dans son lycée avec ses harcèleurs.
01:41On démarre l'enquête. Comme dans toute enquête pour le harcèlement scolaire, il faut aussi travailler soi-même les pièces du dossier.
01:51Il faut essayer d'apporter des choses assez convaincantes au parquet. En faisant ce travail, on se rend compte assez vite avec les parents qu'il y avait une problématique sur les réseaux sociaux.
02:02Marie, dans les derniers mois de sa vie, si je puis m'exprimer ainsi, était très clairement addict à TikTok.
02:11Et plus que ça, avait publié des vidéos extrêmement problématiques.
02:17En ce sens que c'était des vidéos qui étaient assez claires sur le fait qu'elle voulait en finir et que ces vidéos n'ont pas été censurées par la plateforme.
02:25C'est le premier constat qu'on a fait avec les parents, qui a été terrible à faire évidemment, parce que je crois que naïvement,
02:34et moi-même, alors que j'étais sur le terrain et que j'étais consciente des difficultés des réseaux depuis assez longtemps,
02:41je ne m'imaginais pas qu'il soit possible que l'outil puisse ne pas interpréter ce type de vidéo comme propre à être coupée et censurée, mais pour des bonnes raisons.
02:57Finalement, on a presque un peu confiance, dans une certaine mesure.
03:01C'est-à-dire qu'on se dit, une entreprise qui se développe commercialement, qui a pignon sur rue si je puis dire,
03:08en tout cas qui est d'une telle taille qu'elle doit des obligations à tout un chacun, à beaucoup d'institutions,
03:15qui garantit elle-même dans sa charte que l'environnement est sain pour ses utilisateurs, je me dis, ce contenu-là, il doit être censuré.
03:25Donc on fait ce constat-là, et puis finalement, petit à petit, on va sur son compte, on voit ce qu'est le Light, et alors là, c'est le musée des horreurs.
03:33Et donc on est il y a trois ans. Il y a trois ans que personne ne parlait de ça.
03:37Moi, c'était des sujets que je suivais parce que, ayant fait une partie de mes études à l'étranger, j'ai toujours eu l'œil sur l'international,
03:45et il y avait notamment cette affaire du papa Courage, le papa de Molly Russell, qui tentait de faire la lumière sur le passage à l'acte de sa fille,
03:54puisque sa fille Molly s'était suicidée après une emprise algorithmique sur Meta, et plus spécifiquement, je crois, Pinterest à l'époque.
04:02Et donc je suivais cette affaire, et tombe la décision du coroner anglais qui reconnaît la responsabilité de Meta.
04:10Ça vient parallèlement, si vous voulez, à mon instruction de l'affaire de Marie.
04:15Alors là, je me dis, il y a quelque chose à creuser.
04:19Évidemment, on était déjà vraiment en plein travail pour la reconnaissance du harcèlement de Marie,
04:26donc on avait déjà fort à faire juridiquement au cabinet dans ce dossier-là.
04:30Mais j'avais dit aux parents, voilà, on va y aller, mais on va prendre le temps,
04:34parce qu'évidemment, on ne s'attaque pas à un géant comme TikTok, comme ça, et voilà.
04:38Donc il fallait raisonner, il fallait aussi raisonner la compétence, évidemment.
04:42Ce sont des institutions qui aiment être le plus impalpable possible sur les territoires,
04:49et notamment dans l'espace économique européen.
04:52Donc voilà, il y avait beaucoup de questions qui se posaient.
04:54Et donc je dirais que c'est la genèse de tout ça, parce qu'évidemment,
04:58quand j'ai déposé ma plainte contre TikTok, il y a un peu plus d'un an maintenant,
05:03pour provocation au suicide et propagande des moyens de se donner la mort,
05:07je me suis dit, je vais médiatiser.
05:09Je me suis dit, je vais médiatiser, pas parce que j'avais besoin de donner plus de force
05:16à quelque chose dans lequel je croyais déjà juridiquement,
05:19mais parce que je me suis dit, il y a une vraie prise de conscience à avoir.
05:23C'est-à-dire que là, je suis un petit peu sortie de ma casquette d'avocat,
05:28en me disant, par contre, mon métier me permet de me rendre compte de certaines choses,
05:33et il faut aussi que la société travaille et chemine en pleine conscience.
05:39Vous aviez envie d'être un élément de pédagogie sur ces sujets ?
05:43Disons qu'en tout cas, je me suis plutôt dit, comme c'est quelque chose de très caché,
05:47très larvé, mais qui fait souffrir énormément de parents,
05:50je me suis dit, on va passer l'info, qu'on dépose plainte.
05:54Et on verra ce que ça donnera.
05:56Mais très sincèrement, quand j'ai fait ce travail de médiatisation,
05:59je ne me suis pas dit, ça va être fou, on va avoir des retombées incroyables.
06:03Et au final, c'est ce qui s'est passé.
06:05Le jour où le premier article est sorti,
06:07j'ai cru que le secrétariat du cabinet allait craquer tellement il y avait d'appels,
06:13en France, mais aussi à l'étranger.
06:15Donc j'ai senti que le sujet intéressait.
06:19Et là où après, je n'ai pas cessé cette dynamique-là,
06:24c'est qu'à la suite de ça, j'ai de nombreux parents qui m'ont écrit.
06:28Ou aussi même des jeunes majeurs qui me disaient,
06:31mais maître, il faut continuer, voilà ce que j'ai vécu.
06:34Des médecins aussi qui m'écrivaient,
06:36évidemment toujours sous la confiance du secret médical,
06:39mais en me disant, voilà, je vais vous raconter,
06:41j'ai eu une jeune fille, voilà ce qui lui est arrivé.
06:43Donc si vous voulez...
06:45Vous avez été confortée dans votre démarche.
06:47Voilà. À un moment, je me suis dit qu'il y avait quand même vraiment une dynamique à avoir,
06:51que ça faisait du bien aussi à des personnes qui avaient vécu ça,
06:55de ne pas se sentir seule.
06:57Et c'est là que les premières démarches de certaines familles
07:00ont été de me dire, mais maître,
07:02si vous faites quelque chose de plus collectif, je veux en être.
07:06Et c'est comme ça, en fait, qu'est né ce recours groupé des sept familles.
07:10Et c'est comme ça que j'ai créé le collectif Algos Victima au mois de mars dernier,
07:15parce que ça m'a permis d'avoir un groupe de travail,
07:17puisqu'il y a d'autres familles, au-delà des familles de TikTok,
07:20des familles victimes de méta ou d'autres de Discord,
07:23et en tout cas de toutes ces plateformes-là,
07:26avec lesquelles on travaille, on a déjà été entendus
07:30par certains parlementaires, sénateurs, etc.
07:34Donc on essaie de travailler.
07:36On a l'impression que les recours collectifs,
07:38c'est quelque chose lié au système judiciaire américain.
07:42On n'a pas l'impression de voir ça beaucoup en France.
07:46Qu'est-ce qu'on peut faire aujourd'hui,
07:50quand on envisage une action collective ?
07:52Vous avez tout à fait raison, parce que de toute façon,
07:54d'abord, ce n'est pas trop l'ADN de la vieille Europe, si je puis dire.
07:59Et surtout, on n'a pas véritablement ça qui nous est offert.
08:03On a une classe action à la française,
08:05mais qui est tout à fait spécifique,
08:07qui est en matière environnementale,
08:09ou sinon sur certains sujets très spécifiques de santé publique.
08:13Et surtout, ce doit être à l'initiative
08:17de certains types d'associations agréées,
08:20reconnues d'utilité publique, etc.
08:23Ce que j'ai fait, c'est ce qu'on appellerait un recours groupé,
08:26c'est-à-dire plusieurs familles qui, en même temps,
08:29dénoncent la même chose, racontent la vie, évidemment, de leurs enfants,
08:32dont certains, je le rappelle, ne sont plus là,
08:34et ont définitivement décidé d'en finir.
08:37Et donc, disons que ça a quelques colorations
08:42d'une classe action américaine,
08:45mais avec tous les préceptes de la procédure civile française.
08:50Dans le cadre de ce recours,
08:53j'ai compris que vous souhaitiez remettre en cause
08:57la qualification de simple hébergeur de TikTok.
09:05C'est quand même quelque chose qui semble établi en droit aujourd'hui,
09:08ou en tout cas, ça ne semble pas forcément simple
09:11de tenir ça en justice.
09:14Comment est-ce que vous avez décidé de vous lancer ?
09:19Est-ce qu'il n'y a pas quelque chose qui va un peu au-delà
09:22du rôle de l'avocat ?
09:25Parce qu'on n'a pas l'impression que le droit est complètement de votre côté.
09:28Je n'ai pas l'ambition, véritablement,
09:31de remettre en cause le statut d'hébergeur.
09:34C'est-à-dire que ce que je dis, c'est que je pense, évidemment,
09:37que la posture de la Défense va essayer de ramener l'action à ça.
09:41Moi, ce n'est pas mon débat aujourd'hui.
09:44Evidemment que ce qui nourrit tout ça,
09:49et pourquoi on en est là aujourd'hui dans cette situation aussi terrible,
09:53c'est parce que, justement, depuis 30 ans,
09:56ces entreprises-là se réfugient derrière ce statut-là.
09:59Mais moi, je ne me suis pas embarrassée de ces questions-là.
10:02Je me suis dit, sur le sol français,
10:05il y a un tel, une telle, une telle qui souffrent.
10:08La loi leur permet, par nos principes essentiels de responsabilité,
10:13d'agir en justice devant le juge compétent, le juge français,
10:18pour soumettre leurs doléances et être réparé de leurs dommages corporels,
10:23vous voyez, physiques.
10:25Évidemment que la Défense va essayer, en écran de fumée,
10:28en tout cas, je ne suis pas dans leur tête,
10:30mais je pense qu'ils vont essayer de nous rattraper en disant
10:33« Attendez, mais ce contenu, en plus, ce n'est pas le nôtre,
10:36nous, on ne fait que le faire circuler, etc. »
10:38Très bien, mais là, aujourd'hui, ce qu'il faut travailler,
10:41c'est ce contenu-là.
10:43Vous en faites un outil, vous en faites un produit,
10:46parce que non seulement vous le faites circuler sur la plateforme,
10:49mais vous le proposez, voire vous l'imposez,
10:52pour ce qui concerne TikTok, avec le fil pour toi,
10:55où l'utilisateur est confronté à des images
10:58qu'il n'a pas choisi de voir.
11:00Cette fameuse bulle dont on parle souvent ?
11:02L'algorithme décide, exactement.
11:03C'est ce qu'on appelle les bulles de filtre
11:05ou les terriers de lapin, si vous préférez,
11:07et qui met aujourd'hui, d'ailleurs,
11:09et multi-impact dans notre société.
11:11C'est-à-dire que c'est tout autant sur les idées religieuses,
11:15les questions de masculinité.
11:17Oui, c'est une transformation sociétale.
11:20Exactement.
11:21C'est une multi-impact qui est profonde,
11:24parce qu'on va nourrir l'utilisateur d'un contenu,
11:29alors pire que ça, dont il s'intéresse,
11:32mais aussi, parfois, qu'il n'a pas forcément demandé,
11:35mais que l'algorithme conçoit
11:37comme pouvant l'intéresser eu égard à son profil.
11:40C'est la raison pour laquelle on en est dans une situation
11:42à ce point ubuesque qu'aujourd'hui,
11:45plus jeune est votre âge sur les réseaux,
11:47plus terrible est le contenu que vous pouvez voir.
11:50C'est-à-dire que quand vous ouvrez un TikTok,
11:52que vous avez 25 ans ou que vous avez 30 ans,
11:54vous n'avez pas le même contenu
11:56que quand vous avez 12 ans ou que vous avez 15 ans.
11:59Je ne sais pas si vous avez déjà fait l'expérience,
12:02mais il m'arrive dans le métro de regarder,
12:05parce que tout le monde est sur son téléphone,
12:07donc je jette un œil,
12:09et j'ai souvent été très étonnée,
12:11parce que j'ai sur Instagram, par exemple,
12:14et je pensais que mon Instagram ressemblait un petit peu,
12:18mais au moins un petit peu à celui des autres.
12:21C'est une expérience assez intéressante,
12:23parce que vraiment, c'est presque pas le même produit, finalement.
12:27Non, non, exactement.
12:29C'est ce pourquoi beaucoup se battent aujourd'hui
12:32pour essayer de déprofiler justement la rythmique, la dynamique.
12:37Sauf que le problème aujourd'hui,
12:39c'est qu'il faut avoir une conscience financière des choses,
12:44c'est qu'une entreprise de réseaux sociaux,
12:47elle ne gagne de l'argent, si vous voulez,
12:50que si l'utilisateur est tenu en haleine.
12:52Ça, c'est factuel, c'est la base.
12:54Si son outil n'est pas addictif, il met la clé sous la porte,
12:58parce que la base, c'est l'utilisateur doit rester
13:02un temps de plus en plus long sur la plateforme.
13:06Donc, qu'est-ce qu'elles se sont dit ?
13:08Il faut du coup que l'algorithme le nourrisse et le tienne en haleine,
13:11et donc qu'il reste.
13:13Donc, il est bien évident que déprofiler,
13:15déjà, ce sera un utilisateur qui va moins y aller,
13:18puisqu'une fois qu'il aura vu les 2-3 contenus
13:21qui sera intéressants pour lui,
13:23il en partira et il ira faire autre chose.
13:25Donc voilà, il y a beaucoup de clés.
13:28Mais aujourd'hui, ce qu'il faut retenir,
13:30c'est que mon action juridique,
13:32elle n'est pas plus que, si vous voulez,
13:34ce que le droit français peut offrir à un justiciable
13:37qui souffre d'une situation,
13:39une situation sur une faute
13:42qui commet directement un dommage dans sa vie personnelle.
13:46Et aujourd'hui, moi, j'ai des parents qui,
13:49soit ne dorment pas la nuit
13:51parce qu'ils ont peur que leur enfant y passe,
13:54très clairement, et que cette fois-ci,
13:56cette énième tentative de suicide
13:58soit finalement irréversible,
14:00ou d'autres qui ont un deuil impossible
14:02et sournois à faire aussi,
14:04parce que nous sommes une génération de parents
14:07totalement ignorants de ces choses-là,
14:10et pas de façon malveillante ou voulue,
14:13mais parce que nous n'avons pas vécu ce bain digital
14:17que les générations d'adolescents aujourd'hui vivent.
14:20Donc se dire, ah mais oui,
14:22quand je fais accepter mon fils ou ma fille
14:25un réseau social,
14:27eh bien c'est ma foi tout à fait ludique et saine,
14:29mais non, il faut aussi se dire qu'il y a une part de danger
14:32et il faut en être conscient.
14:34Est-ce qu'il y a un principe de droit
14:36auquel vous tenez particulièrement
14:38et sur lequel vous aimeriez revenir ?
14:41Si on veut faire le pont avec ce que je travaille,
14:44j'aimerais dire, parce que
14:46il faut être clair, quand on est avocat,
14:48on est attaché à toutes les libertés fondamentales.
14:50Il n'y en a pas une plus qu'une autre justement.
14:52C'est un combat de liberté
14:54en fonction de ce qui se passe.
14:56C'est une à privilégier par rapport à une autre.
14:58Alors moi j'aimerais dire en tout cas que
15:00pour ce que je travaille là et les questions
15:02que vous venez de me poser,
15:03je voudrais reparler du droit à la vie
15:05qui est dans la Déclaration universelle des droits de l'homme,
15:08le droit à la vie et à la sûreté et à l'intégrité de son corps,
15:11qui aujourd'hui, du fait de la liberté d'expression
15:15qui est mise en avant justement
15:17et un peu trop par ces entreprises de réseaux sociaux,
15:19eh bien on oublie malheureusement
15:21que des adolescents et des utilisateurs mineurs
15:25très clairement mettent fin à leur jour.
15:27Vous avez derrière vous votre robe.
15:31Qu'est-ce qu'elle représente pour vous cette robe ?
15:37Alors je vous aurais dit dans les premiers temps
15:40de ma prestation de serment,
15:42une carapace, une bonne carapace.
15:47Aujourd'hui je dirais plutôt une armure.
15:52Une robe d'avocat, ça symbolise beaucoup de choses
15:55pour l'avocat qui la porte.
16:01Il se sent légitimé, en tout cas dans sa parole
16:04quand il a la robe.
16:06Il se sent puissant de ce qu'il défend.
16:10Et donc la robe d'avocat, c'est tout ça.
16:12Et puis c'est aussi la charge morale qu'il y a derrière.
16:16On exerce une profession séculaire
16:18et la beauté de notre profession aussi,
16:20c'est l'héritage que nos pères ont pu nous en donner.
16:24Et on aime cette robe aussi pour ça,
16:26pour l'histoire qu'elle représente.
16:28Et on est nous-mêmes d'ailleurs,
16:30enfin j'aime à le dire,
16:32est-ce que c'est la passionnée d'histoire qui parle,
16:34mais on est aussi un peu marqueur d'histoire
16:36parce qu'on marque l'histoire individuelle des gens.
16:39Est-ce que vous êtes devenue avocate pour ça,
16:41pour changer les choses ?
16:43Est-ce qu'il y avait un peu ça au fond ?
16:45Je pense qu'il y avait un peu de ça.
16:47Il faut savoir que moi au début,
16:49je ne voulais pas être avocate.
16:51Mais beaucoup plus par esprit de contradiction,
16:53mon père étant avocat,
16:55toute ma jeunesse était tout sauf avocat
16:58pour ne pas être comme papa.
17:00Non pas parce que je n'étais pas absolument admirative
17:03de ce qu'il faisait,
17:05et d'ailleurs il m'a tout à fait véhiculé
17:08et je voyais l'admiration dans les yeux de ses clients.
17:11C'est vrai que c'était quelque chose
17:13qui me fascinait énormément,
17:15mais plus comme une jeune
17:17qui a envie de faire ses preuves
17:19et de ne pas être la fille de son père.
17:21Et du coup qu'est-ce qui vous était passé par la tête
17:23à ce moment-là ?
17:25Vous aviez pensé à autre chose ?
17:27Exactement.
17:29Au début, je n'avais pas d'idée préconçue.
17:31J'avais surtout un grand sens de la justice.
17:34Très tôt dans mon enfance,
17:36dès qu'il y avait quelque chose
17:38qui se passait à l'école,
17:40je voulais résoudre le conflit.
17:42C'était mon idée fixe.
17:44Et puis j'étais extrêmement sensible aux inégalités.
17:49Je me rappelle que je pouvais pleurer
17:52parfois toute une journée
17:54après avoir vu un SDF à la rue
17:56et essayer d'interroger mes parents
17:58comment il avait pu en arriver là,
18:00qu'est-ce qui s'était passé dans sa vie.
18:02J'avais une vraie curiosité des gens
18:04et je suis une amoureuse du lien social.
18:06Je me nourris de mes rencontres.
18:09Alors évidemment qu'un jour,
18:11l'avocature s'est un peu imposée à moi.
18:13Au début, je me destinais,
18:15quand je suis partie dans le droit,
18:17j'adorais cette dynamique,
18:19je me destinais plus à l'agrégation de droit.
18:23J'ai commencé une thèse d'ailleurs.
18:26Une vraie passion pour la matière.
18:28Oui, une vraie passion pour le droit.
18:30Pour rédiger ma thèse,
18:32je suis partie chez les avocats au conseil.
18:34Avocat au conseil d'état et à la cour de cassation.
18:36J'y ai fait quelques années.
18:38Et c'est là que je suis tombée dans le bain en vrai.
18:41Un bain certainement que j'avais déjà depuis l'enfance,
18:44mais que je refusais de voir.
18:47Et aujourd'hui, de toute façon,
18:49je ne pourrais pas faire autre chose qu'avocat.
18:51Parce que ce que je trouve formidable
18:54dans ce métier,
18:56c'est qu'il fait la synthèse en tout cas
18:58de ce que j'aime,
19:00c'est-à-dire se nourrir de cette rencontre.
19:06C'est une rencontre avec le client, c'est une rencontre.
19:09Quel qu'il soit et que ce soit,
19:12pourquoi il vient vous voir.
19:14Qu'il soit dirigeant, qu'il soit mineur, majeur.
19:18Et puis, c'est la synthèse entre ça
19:21et puis aussi, bien sûr,
19:23mon amour des problématiques juridiques,
19:26de l'avancée qu'on peut faire du droit
19:30avec un grand D.
19:32Est-ce que vous diriez que vous êtes une avocate engagée ?
19:36Oui.
19:38Oui, je suis engagée.
19:40Pas militante, mais engagée.
19:42Parce que je trouve que le travail de l'avocat,
19:44ce n'est pas tout à fait la même chose
19:46que le travail du militant associatif
19:48ou du militant politique d'ailleurs.
19:50Je trouve qu'on peut évidemment s'entraider,
19:54mais par contre, oui, je pense que je peux dire que je suis engagée.
19:57D'abord, je suis engagée,
19:59quel que soit le dossier que je peux porter
20:02et le client qui vient pour me faire confiance.
20:05Et puis, de manière un petit peu plus générale,
20:07sur cette question évidemment du numérique,
20:10de la souveraineté numérique,
20:12je suis aussi pleinement engagée dans ce sujet-là.
20:16On parle beaucoup de Chet Jipiti
20:18ces dernières années et de l'intelligence artificielle,
20:21ce type de travail et des algorithmes.
20:25Vous en êtes où dans vos rapports avec ces outils-là ?
20:31Vous les utilisez ? Vous ne les utilisez pas ?
20:34Je crois qu'il ne faut pas avoir peur du progrès.
20:37Simplement, il faut l'éduquer et il faut l'appréhender.
20:42De la même manière que quand je travaille avec mes familles
20:45ou quand je porte ce recours,
20:47je ne suis pas contre les réseaux sociaux,
20:49mais pour la régulation de ces réseaux sociaux,
20:52c'est un petit peu la même chose pour les autres outils.
20:54C'est-à-dire qu'aujourd'hui, je crois évidemment
20:56que notre profession doit prendre en compte ces sujets-là,
20:59doit prendre en compte la place de l'intelligence artificielle.
21:02Je pense qu'elle peut tout à fait aider.
21:05Mais par contre, évidemment, il faut l'appréhender,
21:09il faut même, j'ai envie de vous dire, la dompter.
21:13Et puis, il y a une chose que l'intelligence artificielle
21:16ne remplacera jamais, c'est justement ce lien,
21:18ce dont je vous parlais tout à l'heure.
21:20Le lien qu'on va créer avec le client et donc l'humain.
21:24L'avocat, c'est quelqu'un de profondément humain.
21:27En tout cas, s'il veut être bon dans son métier,
21:29il faut qu'il soit doté de cette humanité
21:32qui va lui permettre, sans juger,
21:34de comprendre ce qui s'est passé,
21:36quelle que soit la problématique qu'on lui pose.
21:39Qu'est-ce que vous trouvez le plus difficile dans votre métier ?
21:43Je dirais qu'il faut être régulier, résilient.
21:52Et qu'évidemment, dans un monde où maintenant,
21:56c'est tout, tout de suite, dans un monde de l'immédiateté,
21:59c'est parfois difficile.
22:02Surtout si, en plus, on ne peut pas être forcément
22:04d'une nature très patiente, ce qui est un peu mon cas.
22:06Le métier d'avocat, au contraire, les dossiers,
22:10ça prend du temps.
22:12Il faut d'abord rencontrer, évidemment, le client,
22:15le comprendre, comprendre ce qui s'est passé,
22:17les pièces du dossier, analyser, réanalyser.
22:20Et en fait, on découvre le dossier.
22:21D'ailleurs, même jusqu'à la veille de la plaidoirie,
22:23on redécouvre le dossier.
22:25Moi, j'aime toujours dire qu'une bonne plaide,
22:27c'est une plaide qui vous fait découvrir des choses
22:29quand vous la travaillez, la veille ou l'avant-veille
22:31de l'audience, que vous découvrez encore d'autres axes.
22:34Vous vous souvenez de votre première plaidoirie ?
22:36Oui.
22:38Vous avez gardé quels souvenirs ?
22:40J'étais absolument morte de stress.
22:44À un point tel que j'avais appris par cœur
22:47mes deux premières phrases pour vraiment me dire
22:50« comme ça, je vais pouvoir relâcher la pression ».
22:53C'était un petit peu ma béquille.
22:56Et effectivement, j'avais très, très peur.
22:59Vous avez des petits tics ou un gris-gris,
23:02quelque chose qui vous rassure avant une audience ?
23:06De manière générale, je suis assez gris-gris
23:08quand on va dans mon bureau.
23:10J'ai tout un tas de choses, des cadeaux aussi
23:13de mes clients, des choses que j'ai rapportées
23:15d'endroits de France, de palais, etc.
23:19Mais disons que j'ai au moins un tic
23:23dans mon sac de plaidoirie.
23:25Il y a toujours un fluo, un stylo bic et un crayon de papier.
23:30Je ne saurais vous expliquer pourquoi,
23:32mais si je ne les ai pas, ça peut être panique à bord
23:34le jour de l'audience.
23:35J'ai fait une bonne plaidoirie pour vous ?
23:40Une bonne plaidoirie, c'est une plaidoirie
23:42qui s'adaptera aussi à l'audience,
23:44à ce qui a pu se passer.
23:48C'est la capacité à comprendre la dynamique.
23:53Il faut une vraie capacité d'observation
23:56avant de prendre la parole.
23:58Bien souvent, on a préparé des notes de plaidoirie
24:00qu'on ne va peut-être pratiquement pas plaider
24:02parce qu'il se sera passé quelque chose
24:04pendant la journée d'audience
24:06dont il faudra absolument parler.
24:08Vous disiez en début d'entretien
24:10que vous aviez décidé pour ce dossier-là
24:13d'avoir une présence médiatique.
24:16Est-ce que vous pensez que c'est indispensable
24:18aujourd'hui pour un avocat,
24:20la présence dans les médias, voire les réseaux sociaux,
24:22à l'ombre du paradoxe ?
24:24Et dans quelles conditions vous vous dites
24:26je m'en sers ou je ne m'en sers pas ?
24:29Il faut savoir doser.
24:31A titre personnel, par exemple,
24:33je ne suis pas férue de réseaux sociaux.
24:35Je n'en ai pas moi-même
24:37par quelques points professionnels.
24:39Ce n'est pas votre truc.
24:41Ce n'est vraiment pas mon truc,
24:43mais ça pourrait.
24:45Les médias,
24:47c'est abonnécient, évidemment.
24:49C'est juste que, évidemment,
24:51quand on est dans un sujet
24:53à enjeux aussi internationaux,
24:56il faut pouvoir faire parler
24:58de ce qui se passe.
25:00C'est la raison pour laquelle je l'ai choisi.
25:02Il faut pouvoir faire parler, mais pour quelles raisons ?
25:04Pour quelles raisons ?
25:06Parce que ça peut aider la dynamique globale.
25:08Aujourd'hui,
25:10mes confrères outre-Atlantique
25:12qui vont entamer
25:14les premiers procès cette année,
25:16pourront se nourrir
25:18aussi
25:20de mon recours,
25:22de la même manière que moi je me suis nourrie
25:24de l'affaire Molly Russell.
25:26Il faut, dans la mesure où il s'agit
25:28d'un enjeu globalisé,
25:30les Français,
25:32les jeunes Français et ceux
25:34des familles qui portent
25:36le recours, ne sont pas
25:38les seuls, ne sont pas une exception.
25:40Vous voyez,
25:42les Espagnols vivent la même chose,
25:44les Italiens, etc.
25:46Vous pensez que cette bataille se gagnera
25:48à l'international ou pas du tout ?
25:50Est-ce que si
25:52vous obteniez une victoire
25:54dans votre affaire en France,
25:56est-ce que vous pensez que ça suffit
25:58ou est-ce que vous pensez qu'aujourd'hui,
26:00face à une entreprise multinationale...
26:02À mon sens, il y a deux choses.
26:04Il y a le combat judiciaire,
26:06mon combat,
26:08en France, et il y a la bataille
26:10des consciences, la bataille de l'opinion,
26:12si je puis dire.
26:14Pour renverser la vapeur de 10,
26:1615 ans de non-dit
26:18et de préacquis,
26:20eh bien là, les médias sont intéressants.
26:22Il est bien évident que
26:24ce n'est pas parce que j'ai 10,
26:2615 ou 100 coupures presse
26:28que les juges vont beaucoup plus
26:30prendre au sérieux mon recours.
26:32Simplement, ils auront peut-être plus conscience
26:34qu'ils sont,
26:36on va dire, dans un maillage
26:38plus global et que
26:40leur parole pourra aussi porter
26:42outre frontière.
26:44Il ne faut pas confondre les deux.
26:46La médiatisation n'a jamais,
26:48si vous voulez, été
26:50va-tout. Non, c'est le travail de l'avocat,
26:52c'est le travail des pièces
26:54et c'est ce que vous apportez à la justice.
26:56Les juges ne vont pas dire
26:58je m'incline, il y a 100 articles,
27:00bon, je vais
27:02déclarer responsable TikTok.
27:04Non, ce n'est pas comme ça que ça se passe.
27:06On va
27:08aller vers la fin de cet entretien,
27:10vers des questions courtes, réponses courtes.
27:12Du coup,
27:14plutôt conservatisme ou modernité ?
27:16Modernité,
27:18mais avec un brin de conservatisme.
27:20Quel est le dernier
27:22film que vous avez vu ?
27:24Ah, le dernier
27:26que j'ai vu,
27:28je pense que c'est Vayana
27:30avec mes enfants.
27:32Mais si vous voulez parler
27:34de mon film préféré...
27:36Oui, vous pouvez me donner votre film préféré.
27:38Moi, je suis une grande férue du cinéma
27:40de Pagnol, Fernandelle,
27:42Rému et Consort, mais la couleur des
27:44sentiments, je dirais, très clairement.
27:46J'aime bien
27:48Je termine ces entretiens par
27:50la question suivante. Est-ce qu'il y a un message
27:52que vous souhaitiez passer
27:54à un de vos confrères, consœurs ?
27:56Oui, j'ai un message
27:58pour un confrère
28:00cher à mon cœur, et je lui dirais
28:02j'espère que tu es fière de moi.
28:04Oui,
28:06on imagine un peu de qui vous parlez.
28:08Je vous remercie infiniment
28:10et je vous souhaite
28:12de la réussite
28:14dans votre parcours judiciaire
28:16et dans vos combats.

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