À 8h20, à J-2 de l'ouverture du Salon de l'agriculture, table ronde avec Ulysse Thevenon, auteur de l’enquête "Le sens du bétail", Élodie Ricordel, éleveuse laitière et Thierry Caquet de l'INRAE. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-jeudi-20-fevrier-2025-3348660
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00:00Comment le système agricole tel qu'il est broie avant tout les agriculteurs, les éleveurs
00:13eux-mêmes ? Et comment l'améliorer ? On en parle ce matin, à deux jours de l'ouverture
00:17du Salon de l'Agriculture, un an après le déclenchement d'un mouvement de révolte
00:21inédit dans les exploitations, et alors qu'une loi présentée justement comme une réponse
00:25à cette colère est en passe d'être adoptée au Parlement. C'est une plongée impitoyable,
00:31en tout cas dans ce monde impitoyable, de l'élevage que vous proposez. Ulysse Tévenon,
00:35bonjour, dans un livre enquête, mais merci à vous d'être là, un livre enquête à
00:39paraître dans moins d'une semaine, « Le sens du bétail », « Vous ne mangerez plus
00:44jamais de la même façon », c'est aux éditions Flammarion. Vous avez interviewé
00:48250 témoins, dont Élodie Ricordel qui est avec nous en ligne, bonjour, vous êtes éleveuse
00:54laitière en Loire-Atlantique, c'est ça, à Avessac, près de Redon, vice-présidente
00:59d'une organisation de producteurs qui s'appelle Saint-Père, et avec nous également en studio,
01:03Thierry Kaké, bonjour, vice-président de l'INRAE, c'est l'Institut National de Recherche
01:07pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement, vous êtes en charge plus spécifiquement
01:12de l'international. Les questions, les réactions des auditeurs, comme d'habitude, au 01-45-24-7000
01:18et sur notre application mobile. Alors d'abord pour partir du constat général, Ulysse Tévenon,
01:24vous vous attendiez, en vous lançant dans cette enquête, à découvrir un système aussi
01:27violent, à rencontrer autant de souffrances ?
01:29Non, en réalité c'était encore pire que ce que j'imaginais. En fait, moi comme beaucoup
01:33de Français, ça fait des années que j'entends parler de l'élevage systématiquement en
01:37mal, voilà, ce serait une industrie polluante, cruelle pour les animaux, voire néfaste pour
01:42notre santé. Je trouvais qu'on n'entendait pas assez les premiers concernés, les agriculteurs,
01:46les éleveurs, sur ce sujet. J'en ai rencontré et j'ai été surpris de voir qu'au lieu
01:51de défendre leur filière, ils se mettaient à la dénoncer. Et ils m'ont confié qu'ils
01:58étaient devenus, en réalité, esclaves de leurs propres partenaires. Les banques, les
02:02industriels, les coopératives, qui sont censées les accompagner, les défendre, et en fait
02:06qui les piétinent.
02:07Vous écrivez, les premières victimes, ce ne sont pas nous les consommateurs, ce sont
02:10Olivier, l'éleveur qui s'alimente au resto du cœur, Daniel qui ne mange même pas ses
02:14propres lapins, Sophie et Jean-François qui dorment avec leur fille dans leur voiture.
02:19Quelle est l'histoire qui vous a le plus marquée ?
02:21L'histoire de Sophie et Jean-François, elle m'a particulièrement bouleversé à
02:24titre personnel. C'est un couple d'éleveurs d'une trentaine d'années qui ont deux
02:29filles de 4 et 6 ans. Ils avaient un rêve simple, un rêve paysan, élever 60 vaches
02:35en plein air. Mais au premier rendez-vous bancaire, comme ça arrive très souvent,
02:40la banque leur dit « Écoutez, si vous voulez devenir éleveur, très bien, mais il faut
02:44que vous preniez un contrat avec un industriel, ok pour vos 60 vaches en plein air, mais vous
02:49allez prendre aussi en plus un bâtiment de 400 veaux en système industriel, en contrat
02:55avec un industriel néerlandais. » Sophie se méfie, mais on lui fait visiter des élevages
03:00vitrines. On lui dit que c'est simple, c'est clé en main, on te livre les animaux, l'aliment,
03:05le cahier des charges, ça te prend trois heures par jour. En réalité, elle m'a dit
03:10que la réalité lui a pété à la tronche. C'était beaucoup plus dur, beaucoup plus
03:13physique. C'était très compliqué et un jour, le couple reçoit des animaux boiteux,
03:21des animaux malades, des veaux qui ne tiennent pas debout. Ils reçoivent de la nourriture
03:25qui est d'un jaunâtre inquiétant au lieu d'être d'un blanc inquiétant et là,
03:28c'est l'hécatombe. Dans la ferme, il y a 72 veaux qui sont morts en quelques semaines,
03:33en deux mois précisément. Certains ne passent pas la nuit, certains, après avoir ingéré
03:40la nourriture, se mettent à convulser. C'était un traumatisme. Ils ont commencé à l'ouvrir et
03:44dans le monde agricole, quand vous l'ouvrez, on vous punit. Alors, ils ont été virés par l'industriel,
03:50par maltraitance animale. Et je me suis rendu compte plusieurs mois après, je les ai retrouvés
03:59près de chez moi à Rouen. Et là, j'ai découvert qu'ils dormaient dans leur voiture avec leur
04:05fille de 4 et 6 ans. C'était devenu une famille en cavale recherchée par les banques et
04:08l'administration. Ils m'ont dit, Ulysse, tu ne peux plus rien faire pour nous. Tout ce que tu peux
04:12faire, c'est raconter notre histoire pour ne pas que ça arrive à d'autres.
04:15Ces personnes perçues comme bourreaux seraient en réalité des victimes, c'est la question que vous posez
04:19dès l'introduction du livre. Elodie Ricordel, vous qui êtes éleveuse, ça correspond à ce que
04:24vous ressentez, à votre réalité ? Alors moi, je suis éleveuse de vaches latières. Alors, c'est pas
04:32une réalité aussi difficile, mais effectivement, il y a des cas particuliers, des situations
04:40dramatiques. Vous avez le sentiment, en tout cas, que derrière les débats légitimes, bien sûr, sur
04:45l'agriculture intensive, sur la protection de l'environnement, le bien-être animal, la qualité
04:51de l'alimentation, on vous oubliait trop souvent, vous les éleveurs ? C'est clair que les éleveurs,
04:57en fait, on va prendre les exemples des lois, vous en parliez tout à l'heure, des lois Egalim par
05:03exemple, on parle beaucoup des interactions qu'il y a entre les industriels et les GMS, mais on
05:11parle jamais des GMS et les grandes et moyennes surfaces. La grande distribution, c'est ça ?
05:18Voilà, c'est ça. Et on parle très peu de la relation amont qu'il y a entre l'agriculteur et son
05:24industriel, et en fait, on est bientôt rendu à Egalim 4, et il y a aujourd'hui des éleveurs qui
05:30n'ont toujours pas de contrat. Ce sont les lois qui sont censées rééquilibrer le rapport de force,
05:34ces lois Egalim, justement, au profit des agriculteurs. Voilà, et donc aujourd'hui,
05:39on a encore des éleveurs qui sont sans contrat, donc peu de visibilité, pas de prix de garantie,
05:45peu de choses sur lesquelles se baser pour aller justement obtenir des financements,
05:55pouvoir investir, moderniser, faire évoluer son exploitation.
06:01On va parler de tous ces acteurs qui, bien souvent, prennent à la gorge, c'est ce que vous racontez
06:06en tout cas dans le livre, les agriculteurs, les éleveurs, les industriels, les banques,
06:11même les coopératives, on va parler de tout ça. Simplement, Thierry Keké, vous qui travaillez sur
06:16ces questions d'agriculture intensive, de nécessaire évolution du monde agricole pour
06:21mieux protéger l'environnement, est-ce que vous diriez que ce sont justement ces contraintes
06:27qui pèsent sur les agriculteurs, qui les incitent à aller vers plus d'agriculture intensive et
06:32finalement être moins regardants sur la qualité aussi de l'alimentation qu'ils donnent à leurs
06:38animaux, à la protection de l'environnement, etc.?
06:40Je pense que le débat va au-delà de contraintes.
06:43Je pense qu'on a affaire à un monde agricole qui est divers.
06:46Pour reconnaître la diversité du monde agricole, c'est déjà faire un premier pas vers une ouverture
06:50sur des trajectoires qui peuvent être différentes selon les situations où l'on est,
06:55selon la vision qu'on a de son métier.
06:57Mais il est clair que le cadre dans lequel évolue l'agriculture, au-delà des contraintes
07:01réglementaires, on y reviendra, c'est aussi un monde qui change vite.
07:05Le changement climatique, il est là et les premiers à le constater et à le vivre
07:09dans leur activité quotidienne, ce sont les agriculteurs.
07:11Ils nous le disent, quelle que soit leur filière, filière animale, filière végétale.
07:15Quand on prend un simple exemple, 2022, une année extrêmement sèche au niveau du territoire
07:20national, l'ensemble du territoire hexagonal en alerte sécheresse.
07:23Certains villages, plus d'eau potable, plus d'herbes dans les pâtures.
07:27On a entamé les stocks de fourrage et à bout d'un moment, il n'y a plus de fourrage disponible.
07:312024, situation complètement inversée, plus de 15% en moyenne de précipitations
07:35sur le territoire national, de l'eau partout, trop d'eau, bien sûr, un excès d'eau
07:39et donc une variabilité climatique qui augmente d'une année sur l'autre, voire même au sein
07:42d'une même année.
07:43Et ça, ça rend le métier d'agriculteur de plus en plus difficile.
07:46Et donc, prendre des décisions, s'orienter vers un nouveau modèle.
07:50À une raie, nous sommes en faveur de la transition écologique et agroécologique
07:54de l'agriculture et l'élevage, il a toute sa place là-dedans.
07:56Il est central dans la transition de l'agriculture vers ces modèles plus vertueux.
08:00Ça n'est possible que si, effectivement, on redonne un peu de degrés de liberté
08:04aux agriculteurs, notamment en termes, j'irais, d'incitation ou d'aide
08:09pour aller vers un autre modèle.
08:10Et c'est peut-être là, l'un des leviers qu'il faudrait activer davantage,
08:13notamment dans le cadre de la future PAC, qu'on va commencer à discuter.
08:16La politique agricole commune au niveau européen.
08:18Justement, on va parler de ces évolutions, mais pour parler justement des façons
08:23de redonner de l'air aux agriculteurs, il faut savoir ce qui les étouffe aujourd'hui.
08:27Aujourd'hui, Ulysse Thévenon, vous dites, il y a les industriels,
08:31il y a la grande distribution, il y a les banques, même les coopératifs,
08:36je le disais tout à l'heure.
08:37Tout ça constitue un système qui a des effets pervers pour les éleveurs et les agriculteurs.
08:42Oui, tout à fait.
08:43Pour parler des coopératives agricoles, c'est ça qui est terrible.
08:47Il y a un sentiment de trahison chez certains éleveurs.
08:49Les coopératives agricoles sont créées en théorie par et pour les agriculteurs.
08:53En quelque sorte, ils sont actionnaires.
08:55Ils investissent dedans, ils sont copropriétaires.
08:57Ils doivent en retirer des bénéfices.
08:59En réalité, on a l'impression que c'est un peu un cheval de troie.
09:03Il y a énormément d'éleveurs qui se sentent piégés dans un système.
09:06Par exemple, vous parliez de Daniel, l'éleveur de lapins.
09:09Daniel, à un moment, il faisait 800 000 euros de chiffre d'affaires.
09:12Il gagnait 400 euros par mois.
09:14Comment c'est possible ?
09:15Parce que tout ce qu'il gagnait, ça partait dans sa coopérative pour acheter les lapines,
09:20pour acheter l'aliment, pour acheter les antibiotiques, l'insémination, le matériel.
09:25Et en fait, les coopératives sont devenues des multinationales pour les plus grosses,
09:30qui intégreraient le CAC 40, si elles n'avaient pas ce statut à part.
09:33C'est une trentaine de coopératives, c'est ça qui représente la grosse partie du marché ?
09:38Oui, c'est ça. Dans le monde agricole, en général, il y a un oligopole.
09:42On ne peut pas faire jouer à la concurrence.
09:45Il y a des gros acteurs.
09:46Elles ont des filiales.
09:47Par exemple, je décortique le montage financier de coopératives comme COPER, le géant du port,
09:53ou SODIAL, le géant du lait.
09:55On se rend compte qu'ils ont des filiales à l'étranger, parfois jusqu'en Asie,
09:59qui font parfois des bénéfices, qui restent bloqués dans une zone grise
10:03et qui ne remontent pas aux agriculteurs.
10:04J'ai même un ancien directeur de coopérative qui m'a expliqué, document à l'appui,
10:09comment sa coopérative avait planqué un tiers du capital social
10:13sur le compte d'un adhérent mort dans l'après-guerre.
10:16C'était une façon de planquer l'argent pour ne pas que ça revienne aux adhérents.
10:20Donc, on peut comprendre ce sentiment de trahison de la part des agriculteurs.
10:23Elodie Ricordel, justement, pour avoir votre témoignage de terrain.
10:27Encore une fois, on parlait des coopératives.
10:29Mais entre les industriels qui fixent les prix, la grande distribution qui fixe les règles,
10:36les banques qui obligent beaucoup d'agriculteurs à vivre à crédit,
10:39vous avez le sentiment d'être prise en étau au quotidien.
10:42Même si, encore une fois, pour vous, ça ne va plutôt pas trop mal.
10:45Mais racontez-nous.
10:46Il y a un élément assez important à mettre en avant.
10:52C'est le rapport de force qui est totalement déséquilibré
10:55entre les producteurs et les industriels.
10:58Aujourd'hui, on parlait des lois égalies.
11:02Il y a beaucoup de producteurs qui n'ont toujours pas de contrat.
11:05Les lois ne sont pas appliquées.
11:08Elles ne sont pas contrôlées.
11:11Là où il y a un élément qui devrait faire sens,
11:15c'est de penser à la structuration des producteurs,
11:20à leur regroupement pour qu'ils soient plus forts
11:23et qu'ils puissent faire face à de grands groupes,
11:28les grands groupes industriels.
11:30C'est important de pouvoir renforcer le poids des producteurs.
11:34Les assistances regroupées doivent être structurées.
11:37Vous êtes vice-présidente d'une organisation de producteurs.
11:39Je dis aux auditeurs de France Inter qui nous écoutent ce matin,
11:43vous connaissez peut-être le visage d'Élodie Ricordel
11:46en achetant votre brique de lait au supermarché,
11:49puisque le visage d'Élodie est sur certaines de ses briques,
11:51sur une marque qui proclame vendre au juste prix pour les producteurs.
11:58Ça vous aide vraiment ?
12:00Oui, parce que le message est vrai.
12:04C'est vrai que le retour aux producteurs est mieux disant
12:09que sur le reste des produits.
12:11Il n'empêche qu'aujourd'hui, ça concerne 30% de notre volume
12:14et qu'il reste les 70% autres.
12:17Pendant plus de trois ans,
12:22on a eu une relation un peu compliquée avec notre industriel
12:26et une complexité à faire appliquer Egalim.
12:30C'est là que la force de notre collectif a réussi à faire avancer les choses
12:39et à faire appliquer la loi Egalim.
12:42Mais il faut savoir que l'isolement des éleveurs
12:47est le plus gros frein au développement des agriculteurs.
12:52Quand on est dans le collectif, en tant qu'OP,
12:56on peut faire face à notre industriel, lui dire non,
12:59et le faire reconsidérer ses propos.
13:05Vous êtes plus fort évidemment à plusieurs,
13:07parce que vous dites, Ulysse Téjenon,
13:08sous-payer les éleveurs est devenu tellement banal
13:10que les rémunérer au juste prix est désormais un argument de vente.
13:14Oui, c'est assez terrible.
13:15Je me suis intéressé dans ce sous-chapitre à ces marques éthiques.
13:19Vous les avez tous vues en faisant vos courses,
13:21des produits avec des agriculteurs qui ont des mines radieuses sur les emballages.
13:26Je me suis intéressé à la brique de LODIS,
13:28comme ça que je l'ai rencontré.
13:30Je me suis aussi intéressé à une barquette d'entrecôte de race bovine
13:34d'un autre distributeur qui est réputé être le meilleur deal du marché.
13:39Écoutez bien les termes du contrat du meilleur deal du marché qui existe en France.
13:43Même le prix de ce contrat, c'est 86% du coût de production officiel.
13:50C'est-à-dire que le meilleur contrat qui existe en France sur la viande rouge,
13:54il ne couvre même pas les coûts de production.
13:56C'est quand même dingue.
13:57Thierry Kaké, que vous inspirent ce que vous entendez, ces témoignages ?
14:02Je dirais que malheureusement, ce n'est pas une découverte.
14:04Je pense que c'est bien de le rappeler.
14:05Et je pense que les lois Egalim n'ont pas atteint leur objectif.
14:08Je pense que c'est ce qu'on peut dire.
14:10Et j'irais un cran plus loin en disant que finalement,
14:12cette meilleure répartition de la valeur, c'est l'affaire de tous.
14:14C'est l'affaire des producteurs sur qui on fait porter beaucoup le poids
14:18de la transition, de l'adaptation au changement climatique,
14:20de la lutte contre les gaz à effet de serre.
14:22Et puis, le système économique derrière n'est pas forcément aligné.
14:24La chaîne de valeur doit évoluer.
14:25Donc, le rapport avec les transformateurs, les coopérateurs,
14:29et puis après les distributeurs.
14:30Et puis, je dirais qu'en bout de chaîne, il y a quand même tout un chacun
14:33autour de ce studio et ailleurs.
14:35La responsabilité du consommateur, l'engagement du consommateur
14:38vers une alimentation plus saine, plus équilibrée,
14:41et des produits de qualité, peut-être un peu plus cher,
14:43mais sans rentrer dans des grands détails de nutrition.
14:47Globalement, on mange un petit peu trop, peut-être.
14:49On pourrait manger un peu moins, un peu mieux.
14:51Et mieux rémunérer, ça c'est clair, le travail des producteurs
14:54qui prennent la charge maximale dans l'investissement
14:57pour la transition de l'agriculture.
14:58Jacques nous appelle au standard de France Inter.
15:01Bonjour Jacques, vous nous appelez d'Arras, je crois.
15:03Oui, bonjour France Inter.
15:05Merci de prendre ma question.
15:07Donc, je vous explique mon interrogation.
15:12Mon neveu est producteur de lait.
15:14En deux ans de temps, le prix du lait qu'il vend à l'usine Laetière
15:19a augmenté de 4 centimes.
15:21Usine qui a un monopole de collecte.
15:23Le litre de lait que moi j'achète en supermarché
15:27a augmenté de 50% et donc de 40 centimes.
15:32Donc, la question que je me pose, c'est qui se gave ?
15:35Et puis, entre les politiques et la FNSEA,
15:38il faudrait arrêter le bal des faux culs.
15:40Merci Jacques.
15:42Peut-être qu'Élodie Ricordel peut répondre,
15:46qui est elle-même éleveuse laitière.
15:50Qui se gave pour reprendre la question de Jacques ?
15:53Alors, effectivement, le prix du lait a augmenté auprès des éleveurs.
16:00Mais dans le même temps, les charges ont largement augmenté.
16:04Ce qui fait qu'aujourd'hui, du point de vue des éleveurs,
16:08la trésorerie s'est peut-être un peu améliorée,
16:11mais elle ne fait pas face à tous les enjeux qu'on a parlé tout à l'heure.
16:15Et puis, il faut savoir qu'en tant qu'éleveur laitier,
16:18on parlait de la contractualisation, mais qui n'a pas toujours lieu.
16:22Il faut savoir qu'un éleveur laitier ne décide pas de son prix du lait.
16:27C'est parfois des décisions unilatérales.
16:31On parlait du rapport de force, on est pleinement dedans.
16:34Sur la partie facture, c'est pareil.
16:37Un éleveur laitier, c'est lui pourtant qui vend son lait,
16:40ce n'est pas lui qui fait sa facture.
16:42Il y a plein d'éléments comme ça.
16:47De notre côté, en tant qu'éleveur, on connaît tous les coûts de production,
16:50on en entend beaucoup parler.
16:52On peut lire dans la vie des agriculteurs comme dans un livre ouvert.
16:57Par contre, de l'autre côté, côté industriel ou côté GMS,
17:02très peu d'infos.
17:04GMS, la grande distribution, encore une fois,
17:06le rapport de force entre les agriculteurs, les industriels
17:10et la grande distribution est censé être rééquilibré par ces lois EGalim.
17:13Vous nous dites que ce n'est pas encore ça.
17:15Il y a une autre loi qui est en passe d'être adoptée au Parlement,
17:19censée répondre, je le disais, au mouvement de colère des agriculteurs
17:22déclenché il y a un an.
17:24Cette loi, elle facilite les transmissions, notamment,
17:26puisque un agriculteur sur deux va partir à la retraite d'ici à 2030.
17:30Elle érige aussi l'agriculture au rang d'intérêt général majeur.
17:34Et puis, elle revient sur de nombreuses normes environnementales.
17:38Ça laisserait à penser que le bien-être des agriculteurs, des éleveurs
17:42et le respect de l'environnement seraient incompatibles.
17:45Qu'est-ce que vous en pensiez, Thierry Caquet ?
17:48Je pense que l'enjeu majeur de ce qui se passe en ce moment,
17:51alors en France, vous parlez de la loi, effectivement,
17:53qui sera vraisemblablement adoptée cet après-midi au Sénat.
17:55Mais vous avez peut-être vu hier sortir la vision
17:58de la Commission européenne sur l'agriculture et l'alimentation
18:00pour l'Europe en 2040.
18:02Vraiment, l'enjeu majeur pour nous, en tout cas,
18:04il est d'accompagner cette nouvelle génération d'agriculteurs,
18:07vous l'avez dit, la moitié d'entre eux vont partir dans les 10 ans,
18:10de leur offrir des perspectives.
18:11Et ce qu'on a discuté depuis ce matin, ce n'est pas attrayant.
18:14Pour s'engager dans cette carrière-là, il faut vraiment être très motivé.
18:17Donc, notre responsabilité en tant qu'établissement de recherche,
18:19nous, c'est de travailler sur des solutions
18:21pour faciliter la vie des agriculteurs,
18:23pour faciliter l'adaptation à ce monde qui change,
18:25que j'évoquais du climat qui change,
18:26et de leur donner des clés pour pouvoir s'installer
18:29de manière, on va dire, un peu plus sécurisée.
18:32Ça va aussi sur le modèle économique des exploitations.
18:34Et nous, notre engagement, c'est d'appuyer notamment la formation
18:36des phytosagriculteurs, des conseillers agricoles,
18:38et de travailler avec tous les acteurs, tous les partenaires,
18:40pour faire en sorte que les choses avancent.
18:42Mais, effectivement, il faut que ça soit accompagné
18:44par l'ensemble de la chaîne de valeur.
18:45Et, une fois de plus, ne pas porter tout le poids
18:47sur les seuls producteurs.
18:48Ulysse Thévenon, vous, au terme de votre enquête,
18:50est-ce que vous êtes arrivé à une conclusion
18:52qui vous donnerait une idée d'un modèle agricole ?
18:56Alors, évidemment, Thierry Caquet le disait,
18:58il n'y a pas une agriculture, il y a des agriculteurs,
19:00il y a des agriculteurs, des éleveurs.
19:01Mais un modèle qui serait plus vertueux,
19:03à la fois pour nous consommateurs,
19:05et pour eux qui y produisent.
19:06Il faut être honnête, je serais prétentieux
19:08d'apporter des solutions de miracle à des problèmes
19:10qui existent depuis des décennies.
19:11Moi, j'ai rencontré tous les types d'éleveurs,
19:13du petit paysan bio à l'éleveur industriel.
19:17J'ai pénétré dans une des plus grandes porcheries de France.
19:19Je n'ai pas trouvé un modèle qui soit...
19:22Ce serait malhonnête de dire qu'il y a un modèle
19:24qui est mieux que les autres.
19:25En revanche, pour revenir sur la loi,
19:27tant qu'on ne se concentre pas sur la question du revenu,
19:30on ne commence pas à parler sérieusement.
19:33On peut claquer des doigts et rendre les transmissions
19:36aussi simples que faire une croix en bas d'une feuille.
19:39Si c'est juste pour envoyer plus vite dans le mur
19:41des jeunes éleveurs, je rappelle qu'il y a
19:43au moins un suicide dans le monde agricole par jour
19:46et plus de six tentatives de suicides par jour.
19:49C'est quand même alarmant.
19:50Ce n'est pas à cause des normes environnementales,
19:52c'est à cause du manque de revenus
19:54et de la vie qu'on offre à ceux qui nous nourrissent.
19:57C'est inacceptable.
19:58Élodie Ricordel, cette loi, est-ce qu'elle va dans le bon sens ?
20:02Est-ce qu'il faut effectivement s'attaquer
20:04au problème principal qui est celui du revenu ?
20:07Sur les lois, il ne faut pas dire que ce n'est pas le sujet,
20:11mais c'est juste que des lois, on en a eu beaucoup
20:13et que pour l'instant, de ce que j'en sais,
20:16elles ne sont pas facilement applicables ou pas appliquées.
20:19Pour moi, l'élément principal, c'est vraiment
20:23que les producteurs puissent se structurer
20:25et vraiment être à la manœuvre,
20:29c'est-à-dire vraiment être impliqués
20:31dans les décisions qui les concernent.
20:33Je suis aujourd'hui éleveuse,
20:36je suis la nouvelle génération d'éleveurs
20:39et je n'ai pas envie de subir.
20:42J'ai envie d'agir, j'ai envie de décider
20:45de mon prix du lait, au moins d'être dans les négociations.
20:48Il est hors de question de subir
20:51parce qu'on subit déjà des éléments,
20:53vous l'avez dit, tout ce qui est aléa climatique
20:56ou le vivant, parce qu'on travaille avec du vivant
20:59et on n'a pas la maîtrise dessus,
21:01personne n'a la maîtrise là-dessus.
21:03Par contre, c'est quotidiennement qu'on vit avec
21:06et aujourd'hui, quand j'entends qu'il faut simplement
21:09couvrir le coût de production,
21:11pour moi, ce n'est pas suffisant.
21:13Ça ne fait pas face aux enjeux de l'agriculture
21:15parce que l'enjeu de l'agriculture,
21:17c'est qu'il faut pouvoir investir pour moderniser,
21:19embaucher, faire face aux demandes sociétales
21:22et puis s'adapter aux changements climatiques.
21:24Ce n'est pas en couvrant simplement
21:27le coût de production qu'on va y arriver.
21:29En tout cas, je retiens de ce que vous disiez
21:31Thierry Kaké de l'INRA et qu'un nouveau modèle
21:33est possible malgré tout.
21:35Plus vertueux, plus respectueux du bien-être animal,
21:37de la qualité alimentaire.
21:39Et de la qualité de vie des éleveurs eux-mêmes.
21:41Je pense qu'il n'y aura pas l'un sans l'autre.
21:43On ne peut pas gagner sur un coin
21:45sans aller sur l'autre côté.
21:47C'est vraiment un équilibre qu'il faut trouver.
21:49C'est très compliqué mais on y travaille collectivement.
21:52C'est pour ça qu'on voulait faire ce grand entretien ce matin.
21:54Que la qualité de vie, le bien-être
21:56des agriculteurs, des éleveurs eux-mêmes,
21:58était essentielle pour nous,
22:00en bout de chaîne, les consommateurs.
22:02Merci beaucoup.
22:04Je rappelle le titre de cette enquête
22:06qui paraît chez Flammarion.
22:08Le sens du bétail, vous ne mangerez plus jamais
22:10de la même façon, ça va sortir dans moins d'une semaine.
22:12Elodie Ricordel, merci beaucoup.
22:14Vous êtes vice-présidente de l'organisation de producteurs
22:16Saint-Père et éleveuses laitières en Loire-Atlantique.
22:18Thierry Kaké, vice-président
22:21de recherche pour l'agriculture, l'alimentation
22:23et l'environnement.