Trop de talents sous-employés : c’est le constat que fait Each One au sujet des personnes réfugiées en France. La société les accompagne pour faire valoir leur savoir-faire auprès des employeurs et incite les entreprises à les embaucher davantage.
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00:00Générique
00:06L'invité de Smart Impact, c'était Oskubla, bonjour.
00:09Bonjour.
00:09Bienvenue, vous êtes le président d'Itch.one que vous avez créé en 2015.
00:14C'était quoi l'idée ? Quelle ambition vous aviez ?
00:16Alors en 2015, on s'est rendu compte, enfin d'un constat qu'on fait toujours aujourd'hui,
00:20c'est que la France est partagée en deux grands groupes de personnes.
00:23Quand on parle des personnes réfugiées et de nouveaux arrivants,
00:25ceux qui veulent les aider les pauvres et ceux qui n'en veulent pas, des pauvres gens.
00:29Or, moi j'ai une troisième conviction, en tout cas, ou plutôt je pense qu'il y a une troisième voix
00:35qui rassemble toutes les personnes comme nous, qui sommes convaincus que,
00:38quelle que soit leur origine, quelle que soit leur qualification de départ,
00:41quel que soit leur âge, les personnes réfugiées, les nouveaux arrivants,
00:44ils représentent un potentiel duquel la société n'a pas encore pris la mesure.
00:47Notre volonté c'est de révéler ce potentiel,
00:49et de montrer que d'un côté on peut redonner un emploi durable à des personnes
00:54qui parfois attendent jusqu'à 10 ans pour retrouver un emploi durable,
00:57et à la fois permettre à l'économie de répondre à des besoins structurels,
01:01de tensions sur les recrutements, et du coup de créer un système gagnant-gagnant.
01:05Ni dans le discours anxiogène, ni dans le discours misérabiliste,
01:09c'est ce que je comprends en fait, vous cherchez une troisième voix.
01:13Quel bilan vous faites 10 ans après ? Combien de personnes accompagnées ?
01:16Quel parcours vous avez croisé ?
01:18Alors aujourd'hui, H1, c'est plus de 4000 personnes accompagnées en emploi durable.
01:23Juste cette année, c'est près de 1000 personnes qui sont formées et accompagnées en emploi,
01:27sachant que notre rôle c'est de former de manière intensive les personnes,
01:30tant sur le plan du métier qu'ils vont exercer par la suite auprès d'entreprises partenaires
01:35qui recrutent chez H1 après nos formations,
01:38que sur le plan social, parce que notre rôle c'est aussi de lever
01:41tout ce qu'on appelle les freins périphériques à l'emploi,
01:43c'est-à-dire les problèmes de logement, de garde d'enfants,
01:46qui pourraient venir se mettre sur la route de la recherche de la stabilité
01:50dans la vie future des personnes qu'on accompagne.
01:52C'est des belles histoires, c'est des personnes qui nous disent rêver
01:57et effectivement d'évoluer au milieu des livres.
01:59Je pense à une personne qui s'appelle Bayokouba
02:01et qui a été embauchée dans un grand magasin pour s'occuper de tout l'étage des livres
02:07et qui revient nous voir et nous parle de sa passion qui est remplie.
02:10Des personnes qui arrivent parfois avec aussi des bagages plus importants
02:14et qui font leur vie dans le domaine bancaire.
02:17Donc aujourd'hui, on a une très grande diversité de personnes qu'on accompagne,
02:20c'est 6 métiers sur lesquels on accompagne dans 6 secteurs très différents,
02:23c'est 78 nationalités de personnes accompagnées
02:26et c'est des vies qui reprennent tout simplement leur cours.
02:29Oui, avec souvent, on s'est vu plusieurs fois et on avait fait une interview ensemble il y a quelques années,
02:34moi ce qui m'avait frappé, souvent on parle de talent sous-employé,
02:39il n'y a pas que ça mais il y a aussi souvent ça.
02:41Absolument, oui, aujourd'hui, d'ailleurs qu'on parle de peu,
02:45de personnes qui ont peu de qualifications ou de fortes qualifications,
02:49quand les personnes viennent nous voir en général,
02:51elles sont soit dans une situation extrêmement instable en termes d'emploi,
02:57soit dans un chômage de longue durée.
02:59Aujourd'hui, c'est 75% des personnes que l'on accompagne qui sont des publics dits prioritaires,
03:03c'est-à-dire très éloignés de l'emploi.
03:05Donc aujourd'hui, peu importe, je dirais, le niveau de qualification des personnes,
03:10que les personnes aient fait beaucoup d'études ou non,
03:13on voit que les personnes sont dans des situations qui sont effectivement bien inférieures
03:16à celles qu'elles pourraient espérer, soit en termes de mobilité sociale, de pouvoir d'achat.
03:22D'ailleurs, il y a un indicateur qui est très important chez nous,
03:24c'est qu'une fois que les personnes sont passées par EachOne,
03:26elles gagnent en moyenne 44% de pouvoir d'achat.
03:29Et ça nous permet aussi de montrer à nos partenaires publics qu'ils y gagnent aussi dans ce système.
03:35Mais alors, c'est quoi le modèle économique d'EachOne ?
03:38Vous avez des partenaires, des mécènes, des entreprises qui vous payent pour former ces gens,
03:43c'est quoi le modèle ?
03:44EachOne, c'est une entreprise à mission, donc on a un modèle économique et auto-financé,
03:48dans lequel la principale source de nos revenus, c'est la formation professionnelle.
03:52C'est-à-dire que d'un côté, on a des grands groupes qui s'engagent à recruter de manière annuelle plusieurs personnes.
03:59Ça peut aller de 5 à 10 personnes par petite touche,
04:03sur plusieurs classes de formation qu'on met en oeuvre dans l'année,
04:06à parfois plusieurs centaines de personnes.
04:10Et à côté, on a effectivement nos partenaires de la formation, France Travail,
04:13qui viennent à la demande de ces grands groupes, financer une partie de la formation,
04:18ce qui nous permet aujourd'hui d'avoir à la fois une démarche compétitive pour l'entreprise,
04:22qui a cotisé d'ailleurs pour ces formations,
04:24et de l'autre côté, des personnes qui rentrent en formation,
04:27pour qui la formation est gratuite,
04:30qui sont rémunérées pendant la formation, donc qui n'ont rien à payer,
04:33et qui derrière retrouvent un emploi.
04:35Pour les entreprises, c'est parfois, souvent, je ne sais pas, un moyen de combler des vides,
04:42c'est-à-dire que des secteurs qui sont confrontés à la problématique des métiers en tension,
04:46qui n'arrivent pas à recruter et qui se disent,
04:48il faut qu'on élargisse finalement le spectre de notre champ de recrutement.
04:53Absolument, et particulièrement aujourd'hui.
04:55J'ai envie de dire qu'on parle beaucoup en ce moment de la remontée du chômage.
04:59Ce qui est important, c'est de souligner que, dans le même temps,
05:03il y a encore énormément de difficultés de recrutement,
05:08que ce soit sur les métiers de la vente dans le commerce,
05:12sur les métiers de la logistique,
05:14sur les métiers de l'hôtellerie, de la restauration,
05:16sur les métiers du service à la personne,
05:18des métiers sur lesquels aujourd'hui on travaille.
05:20Et donc, ce qui est important effectivement,
05:22et c'est aussi notre conviction,
05:24c'est qu'on n'est pas en train juste d'engager des grandes entreprises
05:28dans un acte de charité.
05:31Notre rôle, c'est de répondre à leurs besoins,
05:33à leurs besoins, je dirais, de difficultés sur les recrutements,
05:37et d'avoir une réponse économique avant tout,
05:39parce que c'est en étant ancré dans l'économique
05:41qu'on peut avoir de l'ambition sur le plan social.
05:43Et ça, c'est notre conviction.
05:44Vous dites que vous leur proposez à ces entreprises
05:46un nouveau standard de l'inclusion.
05:48Qu'est-ce qu'il y a derrière ces mots-là ?
05:51Je dirais qu'il y a plusieurs choses.
05:53La première chose, effectivement, ça recouvre un peu cette notion
05:56d'être très pragmatique dans l'approche.
05:58C'est-à-dire que souvent, quand on parle d'inclusion,
06:00on a, et je me permets de caricaturer,
06:03l'histoire de grands groupes
06:05qui peuvent se satisfaire d'avoir recruté quelques personnes
06:09issues d'une diversité,
06:11quelle qu'elle soit,
06:13et donc on a, entre guillemets, des actions symboliques
06:16qui permettent, entre guillemets, de justifier
06:19la bonne action de la part du grand groupe.
06:21Moi, le sujet, ce n'est pas l'action symbolique.
06:23Pour moi, le sujet, c'est de dire
06:25qu'il y a des besoins d'un côté,
06:26il y a des besoins de l'autre aussi, au sein de l'économie,
06:29et il y a un grand potentiel si on arrive à faire converger les deux,
06:32à faire dialoguer les deux.
06:34Et donc, il faut le faire avec ambition,
06:36une ambition de chiffres, une ambition, effectivement,
06:38de qualité en termes d'emploi.
06:41Et cette ambition, c'est de considérer l'inclusion
06:44pas comme un sujet seulement social,
06:45mais comme un sujet social et économique,
06:47et ancrer dans le pragmatisme économique.
06:49C'est aussi ça, le standard de l'inclusion,
06:50c'est se donner les moyens d'investir
06:52quand on parle d'inclusion,
06:53et pas de faire juste un acte social.
06:55– Vous avez publié, c'était en mars 2023,
06:58un livre aux éditions de ChercheMidi,
07:00Le Grand Rapprochement, on le voit s'afficher,
07:02l'entreprise pour construire une histoire commune.
07:04Évidemment, Le Grand Rapprochement,
07:06on voit bien à quoi vous faites référence,
07:09à ce grand remplacement en théorie fumeuse,
07:13j'assume de le dire, prouvé par personne.
07:17C'est un engagement politique,
07:18quand vous choisissez un titre comme celui-là.
07:21– Au même titre que tous les engagements sont politiques.
07:24Il n'y a pas de neutralité dans notre démarche,
07:26elle n'est pas partisane.
07:27– Ça pose la question du rôle des chefs d'entreprise aussi.
07:30Ils doivent d'une certaine façon faire de la politique,
07:32au sens même noble du terme.
07:34– Absolument, ma conviction c'est qu'à partir du moment
07:35où une entreprise emploie des personnes
07:37qui sont aussi des citoyens dans leur vie,
07:39qu'elle a un impact sur la vie des personnes qu'elle emploie,
07:41sur son écosystème de partenaire,
07:44sur le territoire sur lequel elle est implantée,
07:46alors de fait, elle ne peut pas être indépendante
07:48du politique avec un grand P.
07:50Le sujet de mon livre Le Grand Rapprochement,
07:53c'est de dire justement,
07:56là où on observe parfois des idéologies qui sont en dehors du réel,
08:00l'entreprise elle a une force,
08:01c'est qu'elle ne peut pas faire abstraction du réel.
08:03Elle fonctionne avec le réel,
08:04elle fonctionne avec la réalité de ses salariés,
08:09la réalité de ses partenaires et sa réalité économique.
08:11Et ça c'est une force qui lui permet de trouver des solutions,
08:16de trouver des troisièmes voies,
08:18pour parfois rapprocher des mondes qui ne se parlent pas
08:20dans la vie de tous les jours.
08:21Alors autant je ne crois pas aux grands emplacements,
08:23autant je suis convaincu qu'on a des problèmes d'intégration,
08:26de ghettoisation et on ne peut pas les nier
08:29et elles ont des conséquences économiques.
08:32Est-ce que vous vous êtes confronté à des entreprises
08:37qui se disent, moi je ne vais pas travailler avec vous
08:41parce que c'est trop compliqué,
08:43c'est des gens qui sont trop éloignés de l'emploi,
08:44qui ont perdu l'habitude de travailler,
08:46qui rejettent le modèle français ?
08:48Je vous fais la liste de tous les a priori,
08:50parfois concrets, parfois réels,
08:52parfois fantasmés, qui existent.
08:55Aujourd'hui on est confronté à des entreprises
08:57qui sont en général volontaires dans la démarche.
08:59Elles voient dans l'idée le gain pragmatique,
09:02elles n'ont besoin de personne,
09:04elles voient qu'il y a des personnes motivées,
09:05elles se disent, oui, moi aussi je veux en être.
09:07Après, quand on rentre dans les discussions opérationnelles,
09:10sans que ce soit avoué,
09:11on sent toujours qu'il y a des préjugés,
09:13des préjugés qui sont ancrés,
09:15peu importe la conviction de la personne,
09:17sur est-ce que les personnes réfugiées ont le droit de travailler ?
09:20Oui, elles ont le droit de travailler,
09:22on explique effectivement qu'on accompagne des personnes
09:23qui ont le titre de séjour.
09:25Est-ce que dans mes équipes ça va fonctionner ?
09:28Alors, en général, oui ça fonctionne,
09:30et on accompagne aussi les équipes,
09:31puisque nous on forme les personnes,
09:33qu'on accompagne nos participants à des sujets
09:36de savoir-être, de soft skills,
09:37de découverte des codes du travail,
09:39mais aussi les équipes qui accueillent.
09:41Le sujet c'est de dire...
09:42Est-ce que si les musulmans,
09:43je mets les pieds dans le plat,
09:44est-ce que s'il est musulman,
09:45il va vouloir faire la prière à l'usine ?
09:47Le cas du fait religieux à l'entreprise,
09:50c'est un cas auquel on est parfois confronté.
09:52Ce qu'on voit dans tous les cas,
09:54et ce qu'il faut retenir,
09:55c'est qu'il n'y a pas de barrière qu'on ne puisse pas lever,
09:58la seule barrière elle est mentale,
10:00et notre travail c'est de montrer
10:02qu'à chaque préjugé,
10:03on peut avoir une réponse,
10:04du temps qu'on ne traite pas le sujet avec tabou,
10:07qu'on parle les choses frontalement,
10:09et qu'on se donne les moyens d'investir
10:12dans le sujet de l'accueil et de l'intégration,
10:14qui est en général un impensé depuis des années.
10:16Et notre échec,
10:17il est juste dû à notre absence de volonté
10:20d'être actif pour notre avenir.
10:22On est plutôt dans une posture de subir aujourd'hui.
10:24Avec une dernière question,
10:25qui justement nous projette dans l'avenir,
10:27avec le réchauffement climatique,
10:29les migrations liées au réchauffement climatique
10:33font que ces questions qu'on se pose
10:36et auxquelles vous commencez à proposer des réponses,
10:39elles vont être exponentielles.
10:40C'est-à-dire que les portes de l'Europe
10:43ne vont pas rester fermées de toute façon.
10:44Absolument.
10:45On est encore aujourd'hui dans la croyance
10:47qu'il pourrait y avoir un monde
10:48dans lequel on pourrait faire sans migration.
10:49Ce monde, il faut se le dire,
10:51il n'existe pas, ce n'est pas réaliste.
10:53Donc la seule question qui est face à nous,
10:55c'est est-ce qu'on veut faire avec
10:56ou est-ce qu'on veut faire malgré ?
10:58Est-ce qu'on veut choisir notre avenir
10:59et en tirer le meilleur
11:00ou est-ce qu'on veut le subir ?
11:01On a choisi en tout cas de se donner les moyens,
11:03de réveiller le potentiel des personnes qui sont là,
11:05de réveiller le potentiel d'une intégration
11:07qui est possible et qu'on voit aujourd'hui au quotidien
11:09quand on s'en donne les moyens.
11:10Merci beaucoup Théos Cubla.
11:12Bon vent à Ichwan.
11:14Et à bientôt sur Bismarck's World Change.
11:16On passe tout de suite à notre débat,
11:17l'avenir du tourisme en montagne.