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La reporter dit sa vérité sur le régulateur de l’audiovisuel dans un livre « Une journaliste ne devrait pas dire ça ? »

Du Tchad à l’Irak en passant par l’Afghanistan et la Libye, Mémona Hintermann a couvert de très nombreux conflits depuis plus de 30 ans. Longtemps visage de France 3, la grande reporter a ensuite siégé au CSA de 2013 à 2019. Une expérience qu’elle raconte dans son 7e livre « Une journaliste ne devrait pas dire ça ? » aux éditions Hugo Doc. Et elle est très critique vis-à-vis du régulateur de l’audiovisuel aujourd’hui rebaptisé Arcom, « Cette machine pose problème », dit-elle sur franceinfo. Illustration avec la convocation en 2018 de Mathieu Gallet, alors PDG de Radio France, en vue de sa révocation après une condamnation en 1ere instance pour favoritisme lorsqu’il était à la tête de l’INA. « Une décision prise dans un climat épouvantable car il y avait des pressions. Il ne faut plus que ça se reproduise et c’est pour cela que je témoigne. Tant pis s’il m’arrive des ennuis. L’éviction de MG pèse tjs sur ma conscience », confie Mémona Hintermann, invitée médias de Célyne Baÿt-Darcourt

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Transcription
00:00 Bonjour Céline Vidal-Coultre, votre invitée média et grand reporter, elle est même une
00:04 pionnière dans ce domaine.
00:06 Peu de femmes allaient sur les zones de conflit quand elle a démarré.
00:08 Visage de France 3 pendant plus de 30 ans, ensuite elle intègre le CSA, aujourd'hui
00:13 rebaptisée l'ARCOM.
00:14 Elle publie un livre autobiographique.
00:16 Une journaliste ne devrait pas dire ça aux éditions EgoDoc.
00:19 Bonjour Mémona Interman.
00:20 Bonjour Céline Vidal-Coultre.
00:22 Avec un poids d'interrogation.
00:23 Exactement.
00:24 C'est votre septième livre.
00:27 Pourquoi avez-vous voulu l'écrire ?
00:29 On a un peu l'impression d'un testament journalistique que vous voulez boucler une boucle.
00:33 Vous ne vous trompez pas du tout.
00:35 Parce que je me suis sentie beaucoup plus légère le jour où j'ai tenu ce livre entre
00:38 les mains.
00:39 Et c'est absolument vrai.
00:40 Je ne sais pas si un jour j'écrirai des livres sur les chats et les chiens, puisque
00:44 j'ai un enfant et un fils qui est vétérinaire.
00:45 Mais je pense que je voulais dire un certain nombre de choses.
00:50 Alors vous racontez votre enfance, très pauvre, à l'île de la Réunion.
00:54 Votre admiration pour les enseignants.
00:56 Vous parlez de laïcité, de vivre ensemble.
00:58 Vos souvenirs de reportage.
00:59 Mais je voudrais qu'on s'arrête particulièrement sur votre passage au CSA qui s'appelle désormais
01:04 l'ARCOM.
01:05 Vous en étiez membre de 2013 à 2019.
01:07 C'était déjà une surprise de vous retrouver dans cette institution, vous qui vous définissez
01:13 comme une grande gueule, qui n'êtes pas du serail.
01:16 Vous êtes une femme de terrain, pas une technocrate enfermée dans un bureau.
01:19 Pourquoi y êtes-vous allée ?
01:20 On se pose la question.
01:21 J'y suis allée parce que le dernier gros conflit que j'avais couvert c'était Gaza
01:26 et une de ces énièmes guerres entre Israël et Gaza.
01:30 Et un jour, donc au retour de Gaza, on était essoré après des jours et des nuits de bombardement.
01:35 La chance d'être encore debout.
01:37 Il y avait un petit chef à France 3.
01:38 Je suis désolée, ça existe parfois les petits chefs, pas très malins, qui voulaient absolument
01:41 qu'on aille à Ramallah faire un reportage sur les restes d'Arafat qui devaient être
01:45 examinés par des médecins suisses.
01:47 Bref, c'était déjà l'hiver, on était en décembre.
01:49 Et impossible, on a fait le pire sujet de ma vie.
01:54 Avec des bouts de ficelle.
01:55 Je me suis dit, mais c'est ça le journalisme maintenant ?
01:57 Je rentre à Paris, je vois un de mes camarades de reportage, Robin Teboul, avec qui j'ai
02:02 fait énormément de reportages.
02:04 J'ai fait à peu près les mêmes.
02:05 J'ai tourné à peu près avec les mêmes.
02:07 Et il me dit, mais tu sais, ça va devenir peut-être un peu comme ça pour toi.
02:09 Alors je me suis dit, ok.
02:11 Dans ce cas-là, je vais aller voir la machine.
02:13 Là où les choses se décident, j'étais complètement naïve.
02:15 Et j'ai posé ma candidature pour le CSA.
02:18 Je n'avais pas d'appui puisque je ne fais pas partie du CERAI.
02:21 Je suis allée donc voir des gens qui ont les infos.
02:24 Et l'un d'eux, qui était l'ancien patron du CSA France 2, TF1, etc.
02:29 Hervé Bourges m'a écouté avec une mine comme ça.
02:32 Il m'a dit, vous êtes ma candidate.
02:33 Et pourquoi ? Parce que je lui avais parlé de la laïcité et de l'école.
02:37 Oui, honneur, honneur aux enseignants.
02:39 Je ne serai pas là.
02:40 Vous savez, entre eux et nous, journalistes, gens d'antenne, il y a un même fil qui
02:46 nous conduit.
02:47 C'est-à-dire cette envie de faire avancer la société.
02:50 Et ça, il faut qu'on le comprenne parce que beaucoup de gens nous tirent dessus en
02:54 pensant que nous faisons partie d'une espèce de grande camarilla, de gens qui sont en
02:58 train…
02:59 Mais non, ce sont ces gens, nous, avec chacun sa spécificité, qui tâchons de tisser ce
03:05 fil de la société entre nous.
03:07 Quand on a commencé, quand les Gilets jaunes commençaient à tabasser des reporteurs,
03:12 moi ça m'a fichu en rogne.
03:13 Parce que ces gens-là, justement, les techniciens ou les JRI, les reporteurs d'image, ce
03:18 sont ces gens, vous, mais enfin eux, ils sont sur le terrain, l'œil dans le viseur,
03:23 ce sont ces gens qui essaient de toute leur âme de faire correctement leur boulot.
03:29 Et ce sont souvent des gens précaires.
03:31 Ça, ça m'a aussi guidé pour écrire ce livre.
03:33 En effet, maintenant, à 70 balais passés, ok, j'ai terminé.
03:38 J'ai rendu les honneurs à ceux qui m'ont tant aidé.
03:42 Alors, j'aimerais qu'on s'arrête sur le limogéage.
03:45 Il y a quasiment 6 ans, jour pour jour, c'était le 31 janvier 2018, le limogéage du patron
03:50 de Radio France, Mathieu Gallet, qui venait d'être condamné pour favoritisme lorsqu'il
03:55 dirigeait l'Institut National de l'Audiovisuel.
03:57 Le CSA le convoque en vue de son éviction.
03:59 Racontez-nous cette scène qui vous a révolté.
04:02 Vous savez que c'est de la dynamite ça.
04:05 Parce que la loi de l'audiovisuel qui date du temps des calèches pour l'audiovisuel,
04:09 alors qu'on est à l'ère des moyens supersoniques et plus, la loi de l'audiovisuel interdit
04:15 à ceux qui y sont de porter témoignage.
04:18 Moi, je suis journaliste avant tout et d'ailleurs toujours chroniqueuse au Midi Libre et à
04:20 la Dépêche du Midi.
04:21 Et je me suis dit, si je ne parle pas, si je ne me lève pas pour dire que ça ne va
04:25 pas, qui va donc le faire ? Jusqu'à présent, on n'a pas absolument tiré le rideau des
04:31 apparences pour montrer que cette machine de l'audiovisuel pose problème.
04:35 Par exemple, si on veut limoger, pour ne pas dire condamner, le président d'une chaîne
04:46 publique puisque dans le privé, ça obéit à d'autres injonctions et d'autres mécanismes,
04:52 il y a un vrai problème.
04:53 Mathieu Gallet n'est pas un ange peut-être, mais c'était d'abord un excellent, un
04:58 excellent dirigeant.
05:00 Il avait eu quand même quelques manières de faire qui faisaient que c'était un peu
05:05 difficile de se ranger de son côté.
05:07 Le jour venu, je me suis rangé de son côté.
05:09 Pas tout à fait, je n'ai pas le droit de dire comment j'ai voté.
05:11 Mais à la fin du vote, j'ai fait trois ou quatre pas, je suis allé prendre dans mes
05:15 bras.
05:16 Je ne pouvais pas supporter qu'on condamne un dirigeant de l'audiovisuel parce que deux
05:22 ministres, la ministre de la Culture et la ministre de la Justice, avaient répété
05:26 exactement les mêmes éléments de langage.
05:29 Or la justice n'avait pas fini son travail.
05:32 C'était une décision politique de le révoquer ?
05:34 Écoutez, c'était une décision prise dans un climat épouvantable parce qu'il y avait
05:39 des pressions.
05:41 Comment dire autrement ? Est-ce que c'est de sang-froid que nous nous sommes retrouvés
05:48 d'abord deux jours avant pour regarder quels éléments juridiques allaient nous aider ?
05:52 Non, non.
05:53 Franchement, il ne faut plus que ça se reproduise.
05:56 Et c'est pour cela que je porte témoignage.
05:58 Tant pis s'il m'arrive des ennuis ici ou là.
06:03 J'avoue que l'éviction de Mathieu Gallet pèse toujours sur ma conscience.
06:09 Je voudrais qu'il le sache.
06:10 Je crois qu'il nous écoute en ce moment.
06:13 Eh bien je le salue.
06:14 Vous êtes en train de nous dire, Mémona Interman, que le CSA à l'époque et l'Arkomme
06:18 aujourd'hui, ce n'est pas une institution indépendante ?
06:20 Non.
06:21 Les fils sont encore, peut-être, invisibles.
06:25 Mais il y a encore trop de courroies de transmission entre le pouvoir et le régulateur de l'audiovisuel.
06:32 Il est urgentissime que la loi de l'audiovisuel soit réformée.
06:37 C'est un sujet qui nous concerne tous, tous dans la société et en particulier concernant
06:41 le pluralisme.
06:43 J'ai eu la chance de discuter quatre fois à bâton rompu dans des occasions un peu
06:48 annexes avec le président de la République.
06:49 Moi, je lui ai parlé de ce sujet.
06:50 Il le sait que ça ne va pas.
06:52 La preuve RT.
06:53 Le CSA a donné l'autorisation à RT France sur une base juridique, mais on n'a pas regardé
07:03 quelles pouvaient en être les implications politiques.
07:06 Et les sujets, par exemple, concernant les journalistes qui se faisaient violenter, assassiner
07:12 en Russie.
07:13 Moi j'étais en portage là-bas.
07:14 J'en ai parlé.
07:15 Ça ne tenait pas.
07:16 Ce n'était pas un point d'accroche.
07:18 Il faut que cette loi de l'audiovisuel soit réformée.
07:21 Le président de la République en est conscient.
07:24 Il faut qu'il trouve le temps pour le faire.
07:25 Une journaliste ne devrait pas dire ça pour reprendre le titre de votre livre.
07:30 Vous vous fichez complètement des réactions que ça peut provoquer ?
07:32 Totalement.
07:33 C'est aujourd'hui, je ne le dis pas quand alors.
07:34 Totalement.
07:35 Et je voudrais aussi qu'on défende les gens qui font leur métier et qu'on défende le
07:39 service public.
07:40 Qu'on défende le service public, ce n'est pas être dans un entre-soi.
07:44 Au contraire, au contraire.
07:46 Plus que jamais, il faut que le service public ait les chances d'avoir les moyens.
07:50 Parce que dire "il faut lui donner les moyens" est garantie pérenne.
07:53 Qu'ils ne soient pas en train de quêter.
07:55 Merci beaucoup d'être venu nous voir ce matin, Mémona Interman.
07:59 Votre livre est vraiment passionnant à lire.
08:01 Il y a beaucoup d'autres sujets.
08:02 Vous reviendrez pour nous en parler.
08:04 Merci d'être venue.
08:05 Merci à vous.
08:06 Et parée aux éditions Hugo Doc, je vais redire le titre.
08:08 Parce que je ne l'ai pas très bien dit tout à l'heure.
08:09 Une journaliste ne devrait pas dire ça pour l'interrogation.
08:11 Pas grave.
08:12 C'est ironique, naturellement.
08:13 Vous étiez l'invité de Céline Vaill d'Harcourt sur France Info.

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