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Anne Fulda reçoit Violaine des Courières pour son livre «Le management totalitaire» dans #HDLivres

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00:00 - Bienvenue à l'heure des livres, Violaine Descourrières.
00:02 Vous êtes journaliste, vous avez travaillé auparavant
00:05 dans une entreprise de publicité et vous venez de
00:08 publier votre premier livre, "Le Management totalitaire",
00:12 pardon, et c'est édité chez Albin Michel.
00:15 Alors, c'est un livre au titre choc qui fait référence
00:18 au fameux livre d'Anna Arendt, "Les origines
00:21 du totalitarisme", et que vous avez écrit, ce que
00:24 vous expliquez dans la préface en partant finalement de votre
00:26 propre expérience, puisque à la suite d'un congé maternité,
00:29 on vous a sèchement mis à la porte, finalement.
00:33 - Oui, exactement. En fait, c'est ce que je raconte
00:36 dans l'introduction de ce livre.
00:37 Alors, je précise que j'ai passé cinq ans à enquêter
00:40 sur cette question.
00:41 D'abord, je me la suis posée parce que j'étais salariée
00:44 moi-même et donc, j'ai été d'abord dans une école
00:47 du type de commerce et puis ensuite, j'ai été embauchée
00:51 dans plusieurs agences de communication.
00:52 Et c'est surtout à la suite de mon congé maternité
00:55 où j'ai été évincée extrêmement brutalement.
00:58 Et je me suis posée une première question, mais surtout,
01:00 ce qui m'a beaucoup interpellée, c'est qu'autour de moi,
01:02 j'ai beaucoup de personnes qui se sont retrouvées
01:05 sous médicaments à cause de leur travail
01:07 ou alors qui ont fait des burn-out.
01:10 Et surtout, alors, ce que je raconte aussi dans
01:12 l'introduction de ce livre, ce qui a déclenché cette enquête,
01:15 c'est quand j'ai un ami qui a fait un grave burn-out
01:17 et qui était complètement à gare dans son fauteuil,
01:19 alors que c'était quand même quelqu'un de très énergique.
01:21 Et quand sa femme a appelé son manager pour dire
01:24 qu'il était en arrêt maladie, elle a fini par lui poser
01:27 une question au manager en lui disant "Est-ce que vous pourriez
01:29 m'expliquer pourquoi vous avez harcelé mon mari ?"
01:31 Et cet homme, qui avait l'air plutôt sympathique au départ,
01:34 a répondu "C'était le process".
01:36 Et là, si vous voulez, ça m'a complètement scotché.
01:39 Je me suis dit "Si le harcèlement est un process,
01:42 ça veut dire que cet homme, qui était très sympathique,
01:45 qui avait sûrement des valeurs très éthiques,
01:46 a oublié de penser par lui-même".
01:48 - Il ne pouvait pas avoir des valeurs si éthiques que ça,
01:50 cela dit.
01:51 - En fait, ça veut dire qu'il a oublié ses valeurs,
01:53 qu'il a déléguées à quelqu'un d'autre, à un process.
01:56 Sa pensée.
01:57 Et c'est là où j'ai commencé à enquêter.
01:59 Alors d'abord, j'étais voir des salariés.
02:00 - Ce qui est intéressant, c'est qu'effectivement,
02:01 votre livre n'est pas un pamphlet.
02:03 Vous ne partez pas de votre...
02:04 Enfin, vous partez de votre propre expérience et de celle de proche.
02:07 Mais comme vous l'avez dit, vous avez rencontré
02:08 des grands patrons, des inspecteurs du travail,
02:10 des responsables des ressources humaines.
02:13 Et finalement, ce qu'on comprend, c'est que les entreprises,
02:17 et sûrement plutôt les grandes entreprises,
02:19 souffrent avant tout d'un mal qui est un peu l'importation
02:23 des méthodes anglo-saxonnes.
02:24 C'est l'un des mots que vous soulignez.
02:26 - Alors, c'est effectivement une des conclusions
02:28 de cette grande enquête, parce que, comme vous le dites
02:30 très justement, ça a duré cinq ans.
02:32 J'ai voulu aller voir absolument tout le monde.
02:34 Et alors, surtout, ce qui est très intéressant,
02:36 c'est que parmi les inspecteurs du travail, les DRH, les PDG,
02:39 j'ai été voir des personnes qui sont en poste
02:42 et d'autres qui sont proches, qui étaient proches de la retraite
02:45 et d'autres qui étaient à la retraite.
02:46 Et donc, en fait, ils m'ont raconté comment,
02:47 en l'espace de 30 ans, le monde du travail a complètement changé.
02:51 Et en fait, on a basculé dans un modèle anglo-saxon.
02:54 Alors, pour être un petit peu radicale,
02:57 j'aimerais juste rappeler l'exemple de Elon Musk,
03:00 PDG de Twitter, qui licencie ses salariés par mail.
03:03 Alors, on n'en est pas là, en France,
03:05 mais on est vers une dérive qui tend vers une sélection
03:08 toujours plus implacable des salariés.
03:10 Et ce que je raconte, c'est que c'est lié également
03:13 à une forme de financiarisation toujours plus accrue.
03:16 Donc, les PDG, j'ai été rencontrer notamment Henri Proglio,
03:19 ancien PDG de Veolia et puis de EDF, Henri Lachman aussi.
03:24 Et les deux, en fait, ont eu un discours encore plus radical
03:26 que certains syndicats.
03:28 Ils me disent...
03:29 Henri Lachman me dit "Mais les actionnaires d'aujourd'hui
03:33 sont des spéculateurs, ce sont des terroristes."
03:35 Et la responsabilité du PDG est de ne pas se laisser terroriser.
03:40 Et Henri Proglio me raconte aussi, à son niveau,
03:44 comment progressivement, le PDG devient des exécutants,
03:47 des actionnaires.
03:48 Et c'est cette bascule-là que je raconte,
03:52 c'est cette façon dont en entreprise,
03:54 on obéit à plus haut que soi, progressivement.
03:56 - Et en fait, vous marquez quand même une différence
04:00 entre les groupes en général et les entreprises familiales.
04:03 Il y a un léger mieux dans les entreprises familiales,
04:07 si j'ai bien compris.
04:08 - Oui, parce que dans une entreprise familiale...
04:09 - Et les groupes industriels aussi.
04:10 - Exactement. Alors, même si vous avez toujours des soucis,
04:13 parce que vous pouvez toujours avoir un manager
04:15 qui se comporte mal, dans des entreprises familiales,
04:17 vous voyez d'une génération à l'autre.
04:19 Donc, vous avez une vision de long terme.
04:21 Cette tyrannie du court terme que je dénonce dans mon ouvrage,
04:24 elle se traduit par ce qu'on appelle
04:26 le management par l'instabilité.
04:27 C'est-à-dire que quand vous avez une vision
04:29 uniquement trimestrielle à la direction des ressources humaines,
04:32 vous ne pouvez pas embaucher quelqu'un sur le long terme.
04:36 Et vous vous retrouvez donc avec des personnes
04:38 qui sont évincées à chaque revue de performance.
04:41 J'ai des membres du COMEX qui me racontent comment avant,
04:43 eh bien, on licençait quand on avait tout essayé.
04:46 Et aujourd'hui, on licencie systématiquement
04:48 un pourcentage dans l'entreprise chaque année.
04:51 Alors, dernière question, très rapidement.
04:53 En filigrane, finalement, il y a celle de la question
04:54 du sens du travail aujourd'hui.
04:56 Oui, exactement.
04:57 Alors, justement, ce que j'ai vu, c'est qu'on parle beaucoup
05:00 de la "grande démission", en fait, d'un des enseignements de ce livre.
05:04 C'est que, eh bien, plus les personnes ont des changements,
05:08 ce management par l'instabilité,
05:09 ça génère une dévaluation de la valeur de travail.
05:11 Il y a un chiffre de la Direction de l'animation,
05:14 de la recherche et des statistiques d'Ares de 2021
05:17 qui explique que les personnes qui voient moins de sens à leur travail
05:19 sont celles qui ont eu au moins un gros changement
05:22 dans la dernière année.
05:23 Et c'est ce que je vois dans ce livre.
05:24 C'est que finalement, tout le monde a envie de démissionner
05:26 à partir du moment où dans votre travail, tout change tout dedans
05:29 et que vous pouvez être évincé aux moindres faux pas.
05:31 En tout cas, vraiment, je vous conseille de lire ce livre.
05:34 C'est vraiment très intéressant.
05:35 Il y a une enquête approfondie derrière,
05:37 donc "Violaine des courrières".
05:39 Et le livre s'appelle "Le management totalitaire"
05:41 et c'est paru aux éditions Albin Michel.
05:43 Merci beaucoup.
05:43 Merci, Anne Foulda.
05:45 [Musique]
05:48 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]