L'Heure des Livres : Claire Léost

  • l’année dernière
Anne Fulda reçoit Claire Léost pour son livre «De nulle part les oiseaux surgissent» dans #HDLivres
Transcript
00:00 - Bienvenue à l'Heure des livres, Claire Léost.
00:03 Vous êtes écrivaine, vous avez écrit un essai aussi, vous êtes essayiste,
00:08 vous dirigez aussi le groupe Prisma Media,
00:11 et vous venez de publier votre troisième roman qui s'appelle
00:14 "De nulle part les oiseaux surgissent", c'est paru chez Lattes.
00:17 Alors c'est un livre qui souvent, comme les romans réussis,
00:21 fait se rencontrer des mondes qui n'ont rien à voir,
00:26 qui se frottent, qui se croisent.
00:29 Alors il y a d'un côté, là, vous décrivez d'un côté le monde clos,
00:32 fermé, ouaté, des riches propriétaires ou locataires
00:35 du 16e arrondissement près du bois de Boulogne,
00:38 et de l'autre côté, ceux qui habitent dans le bois de Boulogne,
00:43 mais qui y travaillent de nuit.
00:45 Alors déjà, comment vous est venue cette idée de faire se confronter ces deux mondes ?
00:49 - Alors en fait, je me suis inspirée d'un fait divers
00:52 qui est l'assassinat de Vanessa Campos au mois d'août 2018.
00:56 À l'époque, moi je travaillais au journal Paris Match,
00:59 et on avait publié la photo de cette personne,
01:01 donc prostituée du bois de Boulogne, assassinée.
01:03 On avait publié la photo de son corps.
01:05 Et la famille de la victime nous avait interpellées en disant
01:09 "Mais jamais vous n'auriez publié une telle photo
01:11 si cette personne avait été une bourgeoise, riche, habitante de Neuilly."
01:16 Et c'est vrai qu'on n'a pas l'habitude de montrer les corps...
01:19 On réfléchit beaucoup avant de montrer un corps sur une photo.
01:22 Et donc j'avais commencé à m'interroger sur ce fait divers,
01:25 à essayer de comprendre qu'est-ce qui s'était passé,
01:27 pourquoi cette personne était morte là,
01:29 en plus c'était à 5 minutes de chez moi,
01:31 quelle était son histoire.
01:32 Et j'ai découvert effectivement un choc des mondes
01:35 entre ces personnes travailleurs du sexe
01:37 qui sont très vulnérables et qui travaillent la nuit dans ce bois de Boulogne,
01:40 il y a environ 400 travailleurs du sexe qui toutes les nuits viennent y travailler,
01:44 et les habitants des alentours qui sont des riches propriétaires du 16e.
01:49 Et donc ces gens-là vivent au même endroit, ne se rencontrent pas.
01:52 Et j'ai imaginé qu'un jour ces deux mondes se percutaient,
01:55 et avec des répercussions évidemment dramatiques.
01:59 Alors ça fonctionne très bien, on est tout de suite pris dans l'intrigue,
02:03 puisqu'il y a une intrigue qu'on ne vous dévoilera pas.
02:05 Alors vous écrivez "En un instant, le bois secret remplace le bois mondain,
02:09 sans jamais que ces deux mondes ne se rencontrent."
02:11 Alors vous, vous nous faites déjà pénétrer dans ce bois,
02:14 ce monde du bois de Boulogne de nuit,
02:17 où il y a des codes très précis, il y a des territoires aussi,
02:21 et puis on découvre ce monde à travers ces deux amis qui sont arrivés,
02:27 qui ont le même itinéraire, qui sont arrivés de leur Pérou,
02:30 qui sont nés garçons, mais qui sont de femmes, et qui sont des trans.
02:35 - C'est ça. - C'est ça.
02:37 Ce qui est très intéressant, c'est que ces femmes sont confrontées au narrateur,
02:45 qui s'appelle donc Alexandre Vladi, c'est un avocat d'affaires,
02:48 c'est un riche héritier, et a priori il est dans un monde plutôt de certitude,
02:54 et tout bascule à l'occasion d'un événement,
02:58 qui est la construction d'un centre de réfugiés en face de l'endroit où il habite,
03:04 et là, ça bascule, son monde vacille, tout d'ailleurs, tout vacille.
03:09 - Oui, effectivement, je me suis inspirée d'un autre événement,
03:12 qui est l'installation d'un centre de migrants en plein milieu du XVIe,
03:15 qui avait beaucoup d'effrayé la chronique à l'époque,
03:17 parce que les habitants s'opposaient à l'installation de ce centre pour sans-abri,
03:21 et donc tractaient sur les marchés, avaient même incendié le centre,
03:25 ce que je raconte, et donc, en fait, je raconte une grande violence
03:29 à l'intérieur du bois, avec des prostituées, qui sont très vulnérables,
03:33 qui sont souvent des migrants très pauvres, et qui survivent pour gagner leur vie,
03:37 et qui essayent de se battre contre la violence du bois pour gagner leur vie.
03:40 - Et qui sont à la merci, effectivement, de gens qui essaient d'exploiter,
03:44 de racketteurs, de gangs divers et variés.
03:46 - Voilà, dans un endroit où la police ne met jamais les pieds,
03:48 parce que la police ne veut surtout pas s'occuper du bois,
03:50 même si c'est au cœur de Paris.
03:52 - Et la violence, elle est de l'autre côté aussi ?
03:53 - Exactement, et la violence chez les riches, qui s'oppose à l'arrivée des migrants,
03:56 qui sont prêts à mettre le feu à un centre d'hébergement,
03:59 où il y a 200 personnes, dont 70 enfants.
04:01 Donc on voit que la violence, elle est des deux côtés.
04:03 Et pour revenir sur le sujet de la hiérarchie dans le bois,
04:06 c'est vrai qu'il y a des codes très précis.
04:07 Quand on traverse le bois en voiture, on a l'impression que c'est l'anarchie,
04:10 mais pas du tout. Il y a vraiment des codes, c'est-à-dire,
04:12 quand vous démarrez, d'abord vous êtes debout,
04:15 ensuite vous avez le droit à un banc, ensuite à une voiture,
04:17 ensuite à un camion, vous devez progresser dans la hiérarchie.
04:20 D'abord vous travaillez la nuit, là où c'est le plus dangereux,
04:22 après peut-être vous pouvez espérer une place le jour.
04:25 Et dans le monde des riches, il y a aussi une hiérarchie,
04:27 puisque les riches fréquentent les clubs de sport du bois de Moulogne.
04:31 Et donc, selon votre fortune, vous avez un numéro de casier
04:34 qui ne va pas être le même, vous ne fréquentez pas les mêmes clubs,
04:37 selon que vous êtes plutôt de telle famille ou telle famille.
04:40 Donc on voit bien qu'il y a, dans ce monde du bois de Moulogne,
04:43 il y a des hiérarchies aussi bien chez les riches que chez les pauvres.
04:46 Oui, alors ce qui est intéressant, c'est que le narrateur,
04:49 c'est Alexandre Vanady, son monde vacille,
04:51 parce qu'il a notamment, à travers une rencontre avec Jeanne,
04:54 qui lui fait douter des valeurs dans lesquelles il a vécu jusqu'alors,
05:02 et aussi de son couple, en fait.
05:04 Il y a aussi une histoire d'amour à l'intérieur du livre.
05:08 Oui, tout à fait. Jeanne, c'est la directrice du centre d'hébergement
05:11 pour les sans-abri, et elle va lui demander de s'occuper d'un clochard
05:14 qui réside dans ce centre, et d'être un peu son parrain ou son mentor.
05:18 Et donc, en découvrant ce personnage, c'est vrai qu'il va découvrir ce monde
05:22 qu'il voyait tous les jours, mais finalement qu'il ne regardait pas.
05:25 Comme souvent, moi ça m'arrive de traverser le bois de Moulogne,
05:28 mais surtout je ne regarde ni à gauche ni à droite,
05:30 j'ai le nez dans mes textos,
05:33 et jamais je ne me suis intéressée finalement à qui étaient ces personnes
05:36 que je ne regardais pas, quelle était leur histoire,
05:39 quel était leur parcours, et donc là c'était l'occasion de les regarder vraiment.
05:43 Oui, alors il est entraîné dans ce monde, en fait, qui est assez fascinant.
05:48 Bon, il y a un drame qu'on ne racontera pas, parce que c'est le cœur de l'intrigue du livre,
05:52 mais ce qui est intéressant, c'est que, en fait, à travers Alexandre,
05:56 on voit que quand on fait tomber les barrières,
05:58 que ça soit celle des préjugés, celle de l'éducation,
06:01 mais c'est aussi celle de la parole, je pense à son couple,
06:04 finalement tout va mieux, c'est un petit peu...
06:07 Enfin, le livre n'est pas moralisant, mais finalement la morale de l'histoire, c'est un peu ça.
06:10 Oui, c'est ça, on a peur de la différence, on a peur de ce qu'on ne connaît pas,
06:14 et finalement quand on l'affronte et qu'on le regarde vraiment,
06:16 on voit qu'il n'est pas si différent de nous,
06:18 et moi ça m'a fait cette impression quand j'ai rencontré ces prostituées.
06:22 Au début, je trouvais que tout était sombre, tout était noir,
06:24 et j'avais qu'une envie, c'était d'être ailleurs,
06:26 et en parlant avec elles, mon regard a changé,
06:29 c'est un peu comme quand on est dans une caverne, au début on ne voit que du noir,
06:31 et puis ensuite l'œil s'habitue.
06:33 Là c'est pareil, progressivement l'œil s'habitue,
06:36 et on découvre que ces personnes, elles ont des jours heureux et des jours malheureux comme nous,
06:40 elles ont des problèmes de famille, des problèmes de couple, des problèmes de santé,
06:43 donc finalement on n'est pas si différent.
06:45 Oui, en tout cas vraiment je vous conseille,
06:47 et d'ailleurs il y a même quelque chose de poétique dans cette forme de misère,
06:50 dans l'amitié et l'entraide qui existe entre ces femmes.
06:57 Donc votre livre s'appelle "De nulle part les oiseaux surgissent",
07:01 c'est un très joli titre, c'est paru chez La Tess, merci beaucoup Claire Léost.
07:04 Merci à vous.
07:07 [Musique]
07:10 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]