Il est sans doute trop rare que nous écoutions un des de ces hauts fonctionnaires qui suivent au jour le jour et quelquefois font la politique française. Le diplomate Pierre Ménat, qui fut ambassadeur de France en Roumanie, en Pologne, aux Pays-Bas, en Tunisie, mais aussi conseiller diplomatique de Jacques Chirac à la présidence de la République, a bien voulu relater pour TVL sa carrière mais aussi confier ses réflexions personnelles, d’ailleurs consignées dans plusieurs ouvrages. De la politique de la France en Europe, notamment vis à vis de la Russie et de l’OTAN, le diplomate décrit ici les raisons avec une lucidité et une honnêteté dont on lui sait gré, sans masquer ses nombreuses "occasions manquées". Récit d’autant plus éclairant qu’il révèle une combinaison de lucidité et d’impuissance qui en dit long sur les immenses efforts qu’il faut accomplir pour espérer s’arracher au conformisme inscrit dans l’appartenance à l’OTAN et à l’UE, et restaurer un jour le jeu de la France.
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00:00:24 Alors, je suis très heureux de recevoir ici, au ciel du Nouveau Conservateur,
00:00:30 je pourrais dire mon ami, car nous nous connaissons depuis longtemps, Pierre Ménard.
00:00:35 Nous nous sommes rencontrés à l'ENA, on peut le dire.
00:00:38 Et j'ai toujours apprécié chez Pierre Ménard, dont ne partageons pas toutes les vues,
00:00:44 enfin, divergeons sur bien des points, nous allons voir tout à l'heure,
00:00:48 d'abord sa très grande gentillesse, le service acharné du pays
00:00:53 qui vous a conduit dans plusieurs postes diplomatiques très importants,
00:00:57 la Roumanie, la Pologne, la Tunisie, et le dernier, un poste prestigieux des Pays-Bas.
00:01:07 Vous avez été un collaborateur de Jacques Chirac à l'Élysée,
00:01:11 et vous avez beaucoup aimé Jacques Chirac, vous allez nous en parler,
00:01:15 directeur d'Europe, comme on disait jadis, à deux reprises,
00:01:20 2002 à 2004, je crois, et puis 2007-2009 au Quai d'Orsay,
00:01:26 au ministère des Affaires étrangères, vous êtes un grand exemple
00:01:33 de ce que peut donner le mieux la carrière, comme on disait autrefois,
00:01:38 vous êtes un grand diplomate, et pas seulement ça,
00:01:42 vous êtes préoccupé par la France, préoccupé par l'Europe,
00:01:45 et ça, ça nous lira toujours, ça nous rejoindra toujours là-dessus,
00:01:50 et notamment de leur capacité à s'affirmer sur la scène du monde,
00:01:54 indépendamment des États-Unis, en tous les cas, sans les suivre,
00:01:59 vous avez publié plusieurs ouvrages, un sur l'Europe covidienne,
00:02:04 post-covidienne, vous montrez comment l'Union européenne,
00:02:09 qui tient à ta cœur, s'est adaptée à ce défi,
00:02:16 dans des termes, encore une fois, que je réprofite sa mort,
00:02:19 mais enfin, qui sont très argumentés chez vous.
00:02:21 - On peut en débattre. - L'histoire des vaccins,
00:02:24 on en parlera peut-être la prochaine fois.
00:02:26 - Sans vouloir vous couper tout de suite, l'histoire des vaccins
00:02:29 n'était pas d'ailleurs au cœur de mon sujet,
00:02:32 c'était plutôt les volets économiques et monétaires,
00:02:35 et là, je crois qu'effectivement, il y avait eu de l'innovation,
00:02:40 et beaucoup de recherches d'avancée, si vous voulez,
00:02:46 notamment la mise à l'écart du traité de Maastricht,
00:02:49 et puis le plan de soutien, qui était quand même une innovation.
00:02:54 Effectivement, après, sur les vaccins, c'est autre chose,
00:02:58 c'est un autre débat, on peut en parler si vous voulez.
00:03:00 C'est le pire du sujet.
00:03:01 - Votre dernier livre, que m'a mis en main une de nos amies communes,
00:03:05 je l'en remercie, "L'Union européenne et la guerre",
00:03:08 là, cette fois, c'est un livre très, très documenté,
00:03:12 sur... très inquiet, en réalité, sur ce défi qui est lancé,
00:03:18 cet autre défi, peut-être encore plus important,
00:03:21 qui est lancé à l'Europe par la question ukrainienne,
00:03:27 et notamment l'intervention russe en Ukraine, du février 2022.
00:03:34 Ça, ça vous a fait beaucoup réfléchir, ça vous a fait écrire.
00:03:36 Ce livre est publié chez l'Armattan, "L'Union européenne et la guerre",
00:03:40 je le montre parce qu'il vaut le coup,
00:03:43 ne serait-ce que parce que vous y développez des anecdotes
00:03:48 que seul un ambassadeur peut raconter.
00:03:50 Je commence par une anecdote très intéressante,
00:03:52 on reviendra sur le reste de votre carrière,
00:03:54 mais commençons par là, j'attaque !
00:03:58 Il va sans dire que nous n'avons pas les mêmes points de vue.
00:04:01 – Je confirme. – C'est très gentil.
00:04:04 – Je vous le confirme et je ne partage pas votre ligne éditoriale,
00:04:09 mais comme vous l'avez dit, nous sommes des amis,
00:04:11 et de toute façon... – Et un peu des mêmes boules.
00:04:14 – Et avec un certain nombre d'ailleurs de points communs,
00:04:17 quand même, dans le passé, et aussi le fait que le débat
00:04:21 est toujours nécessaire, et qu'il faut essayer de convaincre.
00:04:24 – Mais c'est quand même l'objectif, c'est affirmer la France et l'Europe.
00:04:27 – Oui, affirmer la France, tout à fait.
00:04:29 – Dans le jeu du monde. – Nous sommes d'accord.
00:04:31 – Non, mais c'est bien de le dire, parce qu'on n'entend pas assez,
00:04:36 vous auriez pu ne pas accepter, parce qu'on n'entend pas assez
00:04:38 des praticiens, y compris sur TV Liberté,
00:04:41 ou quelques fois même dans la revue "Le Nouveau Conservateur",
00:04:44 ou peut-être vous vous demanderez un article dans un entreprenariat.
00:04:47 – Oui, chère Pierre Mina, mais il n'y a que vous,
00:04:52 il n'y a qu'un ambassadeur pour dire les choses de l'intérieur.
00:04:55 31 décembre 1999, dernières heures du siècle et du millénaire,
00:05:02 vous êtes ambassadeur en Roumanie depuis peu.
00:05:06 – Depuis deux ans quand même. – Ah, depuis deux ans,
00:05:09 vous êtes arrivé en 98. – Début 1997.
00:05:12 – 97. – C'était deux ans pile.
00:05:14 – D'accord. Et vous recevez un coup de téléphone du conseiller diplomatique.
00:05:21 – Du chef d'état-major des armées en fait. – Du chef d'état-major des armées.
00:05:24 – Le chef d'état-major général des armées, le général de Geratu,
00:05:28 qui est un… – À 7h du soir.
00:05:30 – À 7h du soir. – J'étais encore au bureau, je sais pas,
00:05:32 mais enfin tous les quelques jours.
00:05:34 – En fait on avait décidé, c'était comme vous le dites, le millénaire.
00:05:38 – Oui, c'était la fin.
00:05:40 – Vous avez décidé d'organiser pour des personnalités roumaines
00:05:43 un réveillon dit du millénaire. – Ah, c'était pas entre vous ?
00:05:47 – Non, non, non, si c'était entre nous, moi je me préparais au réveillon,
00:05:51 mais bien sûr que non. – Non, non, mais…
00:05:53 – Le général est venu… – Ah, ce sont les circonstances intéressantes.
00:05:55 – Non, mais le général… – Parce que vous ne célébrez pas
00:05:57 la soirée en famille, vous invitez des Roumains.
00:06:01 – Oui, tout à fait. – C'est le métier d'ambassadeur ça aussi.
00:06:03 – Ah oui, oui, bien sûr, il peut arriver aussi qu'on…
00:06:07 – Oui, il peut arriver aussi qu'on aille à des réunions familiales,
00:06:09 mais là en l'occurrence j'avais organisé des personnalités roumaines.
00:06:11 – À la résidence de France. – Et avant ce dîner,
00:06:13 j'ai eu la visite à sa demande du général de Gérard Thou,
00:06:16 donc pourquoi le 31 décembre 99 c'était le jour où Yeltsin a démissionné.
00:06:22 Donc il a démissionné et il a nommé Vladimir Poutine
00:06:27 qui était Premier ministre, la chargée de l'intérim, selon la constitution.
00:06:32 – Et alors qu'est-ce qu'il y avait de spécial ?
00:06:34 – Pourquoi en bas de combat ? – Moi c'est la question que je me posais aussi.
00:06:38 – Alors c'est ce que sont ailleurs.
00:06:40 – C'était la question que je me suis posée aussi, mais je l'ai reçue,
00:06:44 il m'a dit "c'est un moment très inquiétant pour la Roumanie et pour l'Europe
00:06:47 parce que cet homme, nous le connaissons,
00:06:50 et il est une menace pour notre pays, la Roumanie", donc c'était en 99,
00:06:55 "il est une menace pour l'Europe et il mènera des visées contre nous
00:07:00 et nous demandons à la France de nous soutenir".
00:07:03 Voilà ce qu'il m'a dit et il m'a demandé de transmettre sur le champ
00:07:07 ce message aux plus hautes autorités de l'État français, donc de la République.
00:07:12 – Et comment ils le connaissaient si bien Poutine ?
00:07:15 – Eh bien parce que vous savez, ils sont des voisins.
00:07:20 Il y avait eu, en 1999, c'était pendant toute l'année,
00:07:25 en tout cas la première partie de l'année, il y a eu l'affaire de Kosovo.
00:07:28 Donc vous savez l'intervention de l'OTAN au Kosovo.
00:07:31 – Parlons-en.
00:07:32 – Oui on peut en parler, mais c'est un autre sujet.
00:07:34 En tout cas les Roumains…
00:07:36 – Je ne t'ai pas dit c'est un autre sujet Pierre.
00:07:38 – Alors bon, parlons-en tout de suite si vous voulez.
00:07:40 – Que les États-Unis, sans aucun mandat de l'ONU, je n'attaque pas, je rappelle à la Chiffre.
00:07:46 Pas 78 jours à bombarder une capitale européenne,
00:07:50 ça n'a pas fait autant d'émotions que l'affaire de Gwénaël,
00:07:54 pourtant c'est bien plus grave.
00:07:56 – D'ailleurs l'argument a été repris.
00:07:59 – Le poil du droit.
00:08:01 – L'argument a été repris par Poutine abondamment.
00:08:04 On peut en discuter effectivement, cette opération, c'est vrai qu'on peut en discuter,
00:08:08 mais elle a fait suite, attendez, il ne faut pas quand même…
00:08:11 si vous voulez, on peut donner une partie.
00:08:13 – De même pour l'affaire ukrainienne, il faut faire toute la séquence.
00:08:16 – Oui, oui, tout à fait, je l'ai fait d'ailleurs,
00:08:18 mais sur cette affaire de Kosovo, je ne l'ai moins fait,
00:08:20 mais il y avait eu des négociations si vous voulez,
00:08:22 il y avait eu des négociations sous l'égide de pays européens,
00:08:27 et il avait été dit que si ces négociations n'aboutissaient pas,
00:08:31 il ne faut pas oublier quand même qu'il y avait eu des exactions commises,
00:08:35 on avait dit que si ça n'aboutissait pas, il y aurait eu une intervention militaire.
00:08:38 Donc cette intervention militaire a eu lieu, on peut la contester effectivement,
00:08:42 il n'y a pas eu de mandat de l'ONU,
00:08:46 il demeure qu'elle a mis fin quand même à des exactions qui étaient quand même assez fortes.
00:08:51 Sur le plan juridique…
00:08:53 – Elle a mis fin à ce qui restait d'Yougoslavie, elle a installé les États-Unis…
00:08:57 – Non, non, non, la Yougoslavie c'est…
00:08:59 – Elle a démembré la Serbie, elle a installé les États-Unis au Kosovo…
00:09:01 – Ça n'a rien à voir, excusez-moi.
00:09:03 Non, parce que la Serbie, c'était beaucoup plus… là où nous parlons de 99…
00:09:07 – Non, c'était en mars 99.
00:09:09 – Bon, et l'affaire Yougoslave, honnêtement,
00:09:13 elle s'est jouée beaucoup plus tôt, dès 91, avec la Croatie, la Slovénie,
00:09:17 et puis surtout après, avec l'affaire de Bosnie-Herzégovine,
00:09:21 où là il y avait des résolutions du Conseil de sécurité, très fermes.
00:09:25 Donc on ne peut pas, si vous voulez, tout mélanger.
00:09:27 – Oui, j'étais à ce jour-là au cabinet du secrétariat de l'ONU, un peu grâce à vous d'ailleurs.
00:09:31 – Un peu, enfin, radical, c'est très bien.
00:09:35 Outre Osgali, un grand monsieur, un grand monsieur.
00:09:38 On revient peut-être parce que…
00:09:40 – Pardon.
00:09:41 – Donc eux, si vous voulez, pendant cette affaire du Kosovo,
00:09:45 qui a duré effectivement de mars à juin 1999,
00:09:50 ils étaient en première ligne les Roumains,
00:09:52 et les Russes les ont testés, les ont pas attaqués, mais les ont testés.
00:09:57 Les Russes étaient dans une position,
00:09:59 cette affaire qui était très délicate, si vous voulez,
00:10:03 très délicate parce qu'ils ne voulaient pas intervenir.
00:10:05 – Tadès ?
00:10:06 – C'était Yétsine, c'était les derniers mois d'Yétsine,
00:10:09 ils ne voulaient pas intervenir,
00:10:11 mais ils faisaient passer des camions, des armements, etc.
00:10:17 Les Américains avaient dit aux Roumains qui étaient…
00:10:21 – En faveur des Roumains ? En faveur des Serbes, pardon, excusez-moi.
00:10:25 – Qui avaient une solidarité effectivement orthodoxe.
00:10:29 Tout à fait, il y avait d'ailleurs entre les deux églises orthodoxes
00:10:32 de nombreux contacts, et la population avait de la sympathie pour les Serbes.
00:10:37 Donc réprouvaient cette intervention de l'OTAN.
00:10:41 À l'époque, la Roumanie ne faisait pas partie de l'OTAN.
00:10:43 Mais les États-Unis lui avaient dit "vous êtes candidate à l'OTAN,
00:10:48 ça va être un test en quelque sorte".
00:10:50 Les autorités roumaines, à l'époque c'était le président Konstantinescu,
00:10:54 étaient prises entre deux feux, si vous voulez.
00:10:56 Il y avait les provocations de la Russie,
00:10:59 qui tous les jours quasiment se présentaient à la frontière
00:11:02 avec des camions qui étaient présentés comme de la marchandise,
00:11:06 mais en fait qui devaient traverser la Roumanie pour aller en Serbie,
00:11:09 et qui pouvaient contenir autre chose.
00:11:12 Pour eux, ça a été un calvaire pendant trois mois.
00:11:19 Et aussi un débat interne, parce que l'opposition,
00:11:23 qui était à l'époque incarnée par l'ex-président
00:11:26 qui allait devenir président à nouveau, Ilescu,
00:11:29 naturellement a exploité ce sentiment populaire.
00:11:32 Mais ils étaient très inquiets, au point que la nomination de cet homme
00:11:37 qui était le chef des services secrets, Poutine,
00:11:40 dont ils pensaient qu'ils avaient raison,
00:11:44 qu'il n'allait pas leur être favorable,
00:11:46 était pour eux une menace de sécurité nationale,
00:11:48 au point de faire cette intervention le 31 décembre.
00:11:52 Et d'aller voir l'ambassadeur de France, qui là-bas en Roumanie,
00:11:54 il faut voir que c'était une personnalité,
00:11:59 je ne parle pas de moi bien sûr,
00:12:01 mais la fonction était importante.
00:12:04 Elle a été d'ailleurs, on disait là-bas, quand je suis allé en Roumanie,
00:12:08 il y a deux ambassadeurs importants,
00:12:10 l'ambassadeur des Etats-Unis et l'ambassadeur de France.
00:12:13 - Il y a beaucoup d'Etats-Unis, on dit ça.
00:12:15 - Oui c'est vrai, je sais, mais pas partout.
00:12:18 Pas partout, même pour les Etats-Unis.
00:12:20 Enfin, pour les Etats-Unis c'est moins vrai, c'est souvent le cas.
00:12:24 Mais, au fil des années, ce que j'ai constaté,
00:12:29 c'est que l'importance politique de ces deux représentants
00:12:33 avait été un peu estompée par la représentation de la Commission européenne.
00:12:37 Parce que, et c'est là un débat qu'on pourrait avoir,
00:12:40 en fait la France soutient la politique, très bien,
00:12:43 très bonne entente des autorités,
00:12:46 mais l'Union européenne, elle proposait l'argent, les fonds et l'adhésion.
00:12:51 Et d'autre part, autre organisation.
00:12:55 - Et il y avait bien entendu, sans le titre, un représentant de l'Union européenne...
00:12:58 - Non, à l'époque c'était un représentant de la Commission,
00:13:00 c'est après, c'est avec le traité de Lisbonne
00:13:02 qu'est arrivée la représentation de l'Union européenne.
00:13:05 C'est un sujet sur lequel on peut revenir,
00:13:07 parce que c'est un peu plus compliqué.
00:13:09 Mais à l'époque c'était des délégations de la Commission.
00:13:12 Oui c'est un sujet important, mais moi je suis à vos dispositions.
00:13:15 - Alors, vous savez, le sujet c'est vous.
00:13:18 Vous, comme un des grands ambassadeurs...
00:13:20 - Je suis très très heureux d'être au centre...
00:13:23 - ...de l'emploi de la diplomatie française.
00:13:25 C'était votre premier poste ?
00:13:26 - D'ambassadeur, oui. Pas de diplômé.
00:13:28 Nous nous sommes vus à New York,
00:13:31 moi j'étais conseiller politique à la Mission permanente de la France.
00:13:34 C'était un poste très important, puisque c'était...
00:13:37 - L'ambassadeur était Jean-Bernard Mérimé ?
00:13:39 - J'ai eu Pierre-Louis Blanc, d'abord,
00:13:42 et Jean-Bernard Mérimé, Pierre-Louis Blanc qui aujourd'hui a 97 ans,
00:13:45 avec lequel je suis toujours en contact.
00:13:48 C'était un collaborateur du général de Gaulle,
00:13:50 et il faisait référence quasiment quotidiennement.
00:13:53 - Vous êtes gaulliste ?
00:13:56 - Moi je suis gaulliste, absolument.
00:13:58 - Vous êtes gaulliste, mais vous savez, les gaullistes, comme le disait Malraux,
00:14:02 tout le monde a été... sera gaulliste.
00:14:08 Mais moi je suis gaulliste, je me définis comme tel.
00:14:11 Et sur l'Europe, j'ai repris vraiment attentivement les propos du général de Gaulle.
00:14:17 - On le voit dans les sénateurs européens.
00:14:20 - Et il avait sa conception de l'Europe.
00:14:25 - Alors vous, avant New York, vous avez fait vos premières armes au Quai d'Orsay même,
00:14:33 en sortant de l'Arc.
00:14:35 - Oui, j'étais à ce qu'on appelait le service de coopération économique,
00:14:37 c'est-à-dire le service qui s'occupait, toujours un jargon un peu particulier,
00:14:41 mais qui s'occupait des affaires européennes.
00:14:43 Et donc j'avais suivi un certain nombre de politiques communes,
00:14:47 d'abord l'énergie, les transports, le marché intérieur,
00:14:50 et puis la politique agricole commune, que j'ai suivie pendant deux ans,
00:14:54 qui était d'une toute autre nature que ce qu'elle est aujourd'hui.
00:14:58 Donc c'était un système de prix.
00:15:00 - De protection ?
00:15:01 - C'est toujours, d'une certaine manière, un système de protection.
00:15:03 Ce sont des aides, si vous voulez, là, maintenant, aujourd'hui, ce sont des aides.
00:15:06 - Une protection vis-à-vis des marchés ?
00:15:08 - À l'époque, c'était un système de prix,
00:15:10 donc avec l'intervention, les restitutions à l'exportation, les prélèvements.
00:15:14 - Très technique.
00:15:15 - Oui, très technique, mais enfin, vous savez, au bout de quelques semaines,
00:15:18 il ne faut pas se laisser impressionner,
00:15:21 au bout de quelques semaines, on finit par...
00:15:23 Vous savez, il y a quand même des notes, il y a des papiers,
00:15:27 on finit par comprendre.
00:15:29 - Un énarque, c'est...
00:15:30 - On finit par comprendre, si vous voulez.
00:15:32 - On voit beaucoup de choses aux énarques, mais enfin, je témoigne qu'on est entraîné
00:15:36 à comprendre des notes, déjà.
00:15:38 - Et puis surtout, avec le temps, si vous voulez, on est dans la pratique,
00:15:42 on voit ce qui se passe, chacun, vous savez, chacun a sa manière de travailler.
00:15:48 Donc moi, j'aime bien la méthode inductive, c'est-à-dire, effectivement,
00:15:52 ne pas trop apprendre des choses théoriques et voir comment ça se passe dans la pratique.
00:15:55 - Alors, qu'est-ce qui vous a conduit à l'ENA, Pierre Ménard ?
00:15:58 - Ce qui m'a conduit à l'ENA, eh bien, j'étais...
00:16:00 Moi, je suis du concours interne, je suis un peu plus âgé, donc...
00:16:03 Et j'étais... D'abord, j'ai passé l'ENA, effectivement,
00:16:08 sortie de Sciences Po, donc...
00:16:10 - À Paris.
00:16:11 - À Paris.
00:16:12 - Vous avez été à Paris, d'ailleurs.
00:16:14 - Je suis né à Paris.
00:16:15 J'avais été admissible, d'ailleurs, à l'ENA, mais pas reçu.
00:16:19 Et du coup, j'ai pris, pendant quelques années, une autre voie.
00:16:22 D'abord, dans un organisme qui s'appelle...
00:16:26 Je pense qu'il s'appelle toujours l'Office franco-québécois pour la jeunesse.
00:16:30 - Le FQJ.
00:16:31 - Le FQJ, où j'étais...
00:16:32 - Formidable !
00:16:33 - Oui, je suis allé en...
00:16:34 - Une création, une des conséquences du voyage dans le rôle en 67.
00:16:38 - Absolument, absolument.
00:16:40 Et d'ailleurs, qui était dirigé par un homme qui, aujourd'hui, malheureusement, nous a quittés,
00:16:44 Claude Quiollet, qui était mon premier patron, si vous voulez,
00:16:50 qui m'a beaucoup appris, et qui ensuite m'a demandé de le suivre.
00:16:54 Il a été nommé en "Sens only", comme secrétaire général,
00:16:58 et il m'a demandé de le suivre en tant que contractuel, si vous voulez.
00:17:01 - Ça voulait dire quelque chose, entre douze parenthèses,
00:17:04 la coopération franco-québécoise, à l'époque.
00:17:07 Un volontarisme.
00:17:08 - Oui, mais c'était...
00:17:09 Alors là aussi, il faut voir le côté pragmatique.
00:17:11 Dans la pratique, on organisait un certain nombre de stages.
00:17:15 - Oui, il faut qu'on change d'université.
00:17:17 - Il faut des échanges de jeunes entre 18 et 35 ans.
00:17:19 Moi, je suis resté un an et demi, j'ai vu à peu près tous les volets de l'office,
00:17:25 c'est-à-dire les stagiaires québécois qui venaient en France,
00:17:29 les stagiaires français qui allaient au Québec.
00:17:31 Mais après, c'était un petit peu de l'assistanat.
00:17:34 On prépare les programmes, la logistique, et puis l'évaluation.
00:17:39 C'était très intéressant.
00:17:41 - Une grande directrice s'appelait Anne Cublier aussi, qui a succédé, je crois.
00:17:44 - Oui, mais c'était bien longtemps après.
00:17:46 Jean-Claude Quélet était le premier stagiaire.
00:17:49 - Et restons sur le sujet.
00:17:53 On ne peut pas déplorer que la coopération franco-québécoise s'effiloche un peu.
00:17:58 - Oui, ils ont changé aussi beaucoup le Québec.
00:18:00 Eux-mêmes ont évolué.
00:18:03 C'était la grande époque des années 70,
00:18:05 où il y avait le film Perfid, René Lévesque.
00:18:10 C'était autre chose, si vous voulez.
00:18:12 Aujourd'hui, je ne crois pas qu'il y ait une coopération franco-québécoise.
00:18:17 Il y en a, mais il n'y a pas le prolongement politique qu'on a pu penser.
00:18:21 - Il y a plutôt une amitié entre les premiers ministres,
00:18:24 le fédéral Trudeau et le président Macron.
00:18:29 - Oui, mais l'un n'exclut pas l'autre.
00:18:31 - La proximité pendant longtemps était avec le premier ministre.
00:18:35 - Non, mais il faut être honnête.
00:18:37 - Et pas avec le premier ministre.
00:18:39 - Non, maintenant les choses ont changé entre eux.
00:18:41 - Ça a changé, oui.
00:18:42 - Ça a changé entre eux aussi.
00:18:44 Il n'y a pas que la France entre eux,
00:18:46 entre le président français et le premier ministre canadien,
00:18:51 et l'entité québécoise, la province québécoise.
00:18:54 Les choses ont changé.
00:18:56 Il n'y a pas cette compétition, si vous voulez, qu'il y avait à l'époque.
00:19:00 Il n'y a plus cette idée d'indépendance.
00:19:02 Elle existe peut-être dans certains esprits,
00:19:04 mais elle n'est pas sur la table aujourd'hui.
00:19:06 - Le premier ministre québécois est indépendantiste.
00:19:09 - Mais si vous voulez, il n'y a pas aujourd'hui...
00:19:11 - Mais la France manque, je crois.
00:19:13 - La France respecte la souveraineté des États, mon cher.
00:19:17 - Il faut le dire au général de Gaulle,
00:19:19 parce que le libre et le libre, c'était pas nécessairement...
00:19:23 C'est du souverainisme, oui, mais très particulier.
00:19:27 - C'était une époque différente, et puis c'était le général de Gaulle.
00:19:31 Le général de Gaulle pouvait se permettre,
00:19:34 en tout cas considéré, et à titre d'autorité,
00:19:37 des choses que d'autres chefs d'État ne peuvent pas.
00:19:40 C'est comme ça, il y a des hommes dans l'histoire
00:19:43 qui peuvent agir ainsi et pas d'autres.
00:19:45 - Après l'OFQJ, donc ?
00:19:47 - Après, je suis allé à la préfecture de la Seine-Saint-Denis,
00:19:50 où je suis resté 5 ans et demi, quand même.
00:19:53 Et après, j'ai passé...
00:19:55 Donc en fait, ça a été un apprentissage...
00:19:58 - Formation de terrain que les ambassadeurs n'ont pas souvent.
00:20:01 - Ah non, jamais ! - C'est formidable, ça !
00:20:03 - Et en plus, la Seine-Saint-Denis, qui est un territoire...
00:20:07 - C'est la formation, oui !
00:20:09 - C'était déjà à l'époque très... - On est dans quelles années ?
00:20:12 - Les années 69, bien avant, c'était entre 74 et 79.
00:20:16 Et c'était une époque où en Seine-Saint-Denis,
00:20:20 il y avait sur 40 conseillers généraux,
00:20:24 à l'époque où on s'était appelé conseillers généraux,
00:20:26 il y avait 30 communistes.
00:20:28 Il y avait, je crois, 5 socialistes et 5 représentants de la droite.
00:20:33 Pareil pour les villes, sur 40 communes, 30 communistes.
00:20:37 C'était donc une domination totale.
00:20:40 Donc il y avait des relations assez compliquées
00:20:43 entre l'État, qui représentait le préfet,
00:20:47 et les élus.
00:20:50 Alors c'est intéressant parce que,
00:20:52 sur le plan politique, naturellement, ils étaient aux Antibas.
00:20:55 C'était l'époque où le Parti communiste, d'abord, faisait 25% des voix en France.
00:21:00 On n'était plus à 30%, mais on était quand même à 20-25%.
00:21:03 - Duclos avait fait 22% en 70.
00:21:05 - Duclos a fait 21, oui, effectivement, 21%, il a raison.
00:21:09 - Et beaucoup plus en Seine-Saint-Denis.
00:21:11 - Beaucoup plus, bien sûr.
00:21:13 - Et quel souvenir gardez-vous de votre vie à ce moment-là, à la préfecture ?
00:21:17 - Bah écoutez, c'était à la fois...
00:21:19 - Vous étiez marié déjà à ce moment-là ?
00:21:20 - Non, j'étais, disons, à ce moment-là, 30 ans.
00:21:24 - Ah, vous parlez de votre vie.
00:21:26 - Non, non, non.
00:21:27 C'est là où j'ai rencontré ma future femme,
00:21:30 enfin, celle qui est ma femme aujourd'hui,
00:21:32 mais un peu plus tard, dans les années...
00:21:35 Enfin, les années 70.
00:21:36 - Disons-le tout de suite, avec qui vous avez eu plus...
00:21:39 - J'ai eu deux enfants.
00:21:40 - Deux enfants, c'est ça ?
00:21:41 - Oui, deux enfants qui sont des adultes aujourd'hui.
00:21:44 - Ah, d'accord.
00:21:45 - Enfin, en tout cas, si vous voulez...
00:21:46 - Alors, la Seine-Saint-Denis.
00:21:47 - La Seine-Saint-Denis, donc c'était...
00:21:49 C'est toujours pareil, c'est sur le...
00:21:52 Il y avait naturellement des relations politiques compliquées,
00:21:56 mais dans la pratique, en fait, les élus communistes,
00:21:59 d'abord, c'était des gens qui connaissaient bien leur dossier,
00:22:03 connaissaient très bien, ils étaient formés.
00:22:05 C'est là où on voit que ce parti avait...
00:22:08 - Une formation.
00:22:09 - Une formation remarquable.
00:22:10 Ils connaissaient leur sujet.
00:22:12 Dès qu'on était hors caméra, hors tribune,
00:22:15 eh bien, ils pouvaient...
00:22:17 On travaillait à des projets sérieusement.
00:22:20 - C'était coopératif.
00:22:22 - Et à partir de là, moi, j'étais plutôt dans l'idée de repasser l'ENA,
00:22:27 parce que je l'avais raté,
00:22:29 et de rester peut-être dans cette carrière préfectorale.
00:22:35 - Qu'est-ce qui vous a fait bufferker ?
00:22:36 - Eh bien, ce qui m'a fait bufferker, c'est que...
00:22:38 Quand je suis entré à l'ENA, la première chose...
00:22:41 - En 80 ?
00:22:42 - Je suis rentré en fin 79, début 80,
00:22:46 on était directeurs ensemble.
00:22:47 - En 80, oui.
00:22:48 - Donc, début 80, à l'époque, le directeur d'ENA était Pierre Louis Blanc.
00:22:53 - Pierre Louis Blanc.
00:22:54 - Voilà, donc...
00:22:55 Et il m'a dit, "Vous venez de passer 5 ans en préfecture,
00:23:00 "donc on va vous envoyer en ambassade."
00:23:02 - Très bien.
00:23:04 - Comme je n'avais pas exprimé de préférence particulière pour une ambassade,
00:23:08 on m'a envoyé en Guinée, à Conakry.
00:23:11 Je peux vous confirmer qu'à l'époque, c'était...
00:23:14 - Ce n'était pas un privilège ?
00:23:15 - Ah non, pas du tout.
00:23:16 - Tu as été retrouvé au Caire, moi.
00:23:18 C'était du bol.
00:23:20 - C'était beaucoup mieux.
00:23:21 Moi, j'étais à Conakry, alors c'était intéressant.
00:23:24 C'était Sékou Touré, à l'époque.
00:23:26 - Oui, Sékou.
00:23:27 - Mais... Pardon.
00:23:29 - Oui, je dis Sékou, le fameux Sékou.
00:23:31 - Le fameux Sékou Touré, qui était un personnage...
00:23:34 Aujourd'hui, parfois, on parle de dictature,
00:23:36 mais là, c'était vraiment le summum de la dictature.
00:23:40 Il y avait un journal,
00:23:44 qui s'appelait "Oroya", "La vérité",
00:23:48 qui faisait 4 pages,
00:23:50 qui était publié le matin, c'est tout.
00:23:51 Il n'y avait pas de télévision, pas de radio.
00:23:52 - Comme "La Pravda".
00:23:53 - Ah non, bien pire.
00:23:55 - Mais c'est le même nom, "La Pravda".
00:23:57 - Oui, c'est ça, mais ça n'avait rien à voir.
00:23:59 Il n'y avait pas le côté...
00:24:02 Il pouvait y avoir quelques idéologues
00:24:05 qui écrivaient dans "La Pravda".
00:24:07 Là, c'était vraiment la formation
00:24:10 voulue par le pouvoir.
00:24:12 Et en plus, il y avait des éliminations physiques.
00:24:14 - Un pouvoir cruel.
00:24:15 - Très puissant, très cruel.
00:24:17 On passait tous les jours...
00:24:18 Tout ça était sous les tropiques,
00:24:21 donc c'était assez sympathique, comme ça, d'allure.
00:24:25 Mais on passait tous les jours devant ce qu'on appelait le "Camp Boireau",
00:24:28 où il y avait des gens, des opposants,
00:24:30 qui étaient torturés,
00:24:32 qui étaient mis par 40 degrés dehors,
00:24:35 qui étaient mis au régime sec,
00:24:38 et qui mouraient au bout de 10 jours.
00:24:40 Oui, oui, c'était affreux.
00:24:42 Mais en même temps, ça m'a permis de découvrir
00:24:45 ce que c'était qu'une ambassade,
00:24:47 le rapport avec le département qu'on appelle...
00:24:50 - L'Emploi des Diplomates, le département,
00:24:52 le ministère des Affaires étrangères.
00:24:54 - Et ensuite, si vous voulez,
00:24:57 il y a eu la scolarité,
00:24:59 et puis il y a eu, pendant ce temps-là,
00:25:01 nous étions en 1981-82,
00:25:03 il y a eu la réforme du corps préfectoral,
00:25:05 qui a quand même été...
00:25:08 a beaucoup amoindri, donc...
00:25:10 Et bon, moi j'avais pris...
00:25:12 - Avec la décentralisation, il faut dire, ça a dit pour vous,
00:25:14 - Avec la décentralisation.
00:25:15 - au bénéfice du Conseil Général.
00:25:17 - Il y avait tout le volet, si vous voulez,
00:25:18 le préfet était l'exécutif du Conseil,
00:25:21 ce qu'on appelle aujourd'hui le Conseil départemental,
00:25:23 à l'époque le Conseil Général.
00:25:25 Toujours est-il qu'en plus, si vous voulez,
00:25:27 moi ça m'avait pris goût un peu
00:25:29 à cette fonction diplomatique,
00:25:31 et donc je l'ai choisi sans trop d'hésitation,
00:25:35 je n'avais plus trop envie d'aller dans le préfectoral,
00:25:38 et puis surtout, la diplomatie me permettait
00:25:42 d'ouvrir un peu mon horizon,
00:25:45 puisque, en fait, la différence entre les deux corps,
00:25:49 c'est que rien ne ressemble plus à un département
00:25:51 qu'à un autre département.
00:25:53 Alors que rien ne ressemble moins à un pays
00:25:55 qu'à un autre pays, au fond.
00:25:57 - C'était beaucoup plus excitant.
00:25:59 - Voilà.
00:26:00 - Corps diplomatique un peu démantibulé
00:26:02 par l'actuel Président de la République,
00:26:03 je crois que vous l'avez soutenu, mais...
00:26:05 - Non, non, non, en tout cas pas ce projet.
00:26:07 - Ah, pas ce projet ?
00:26:08 Mais qu'est-ce que vous en pensez ?
00:26:09 Démanteler le corps diplomatique,
00:26:12 le préfectoral d'ailleurs.
00:26:14 - Je pense que c'est une rupture,
00:26:19 à la fois dans l'espace et dans le temps,
00:26:22 puisque dans le temps, parce qu'au fil des siècles,
00:26:25 on a forgé un corps diplomatique qui existe,
00:26:28 dont les règles d'ailleurs ont été formalisées
00:26:31 au 19e siècle.
00:26:32 Il y a eu un temps où c'était un petit peu
00:26:34 le fait du prince, d'ailleurs,
00:26:36 avec beaucoup de nobles, de personnes,
00:26:41 qui exerçaient les fonctions d'ambassadeur
00:26:43 jusqu'au 19e siècle,
00:26:45 qui étaient quand même des...
00:26:47 - Ils n'étaient pas rémunérés d'abord.
00:26:49 - Ils étaient issus de la Vosgesse bien longtemps avant.
00:26:51 - Effectivement.
00:26:52 Et à partir de la 3e République,
00:26:56 on a mis en place le concours,
00:26:58 ce n'était pas l'énorme,
00:26:59 mais c'était ce qu'on appelait le grand concours,
00:27:01 le concours d'accès aux carrières diplomatiques,
00:27:03 qui a permis quand même d'ouvrir,
00:27:05 à la fois d'ouvrir à un certain nombre de personnes,
00:27:09 qui sont évidemment issus de la bourgeoisie,
00:27:11 mais quand même,
00:27:12 et aussi de constituer une carrière,
00:27:15 une vraie carrière.
00:27:17 - Quel est l'honneur de la France ?
00:27:19 - C'est une profession,
00:27:21 on ne peut pas...
00:27:23 Quand je dis dans l'espace, dans le temps,
00:27:25 mais aussi dans l'espace,
00:27:26 si vous regardez nos partenaires,
00:27:28 y compris les Américains,
00:27:29 qui ont beaucoup de nominations politiques,
00:27:32 ils ont quand même un corps diplomatique.
00:27:34 Donc oui, je pense que c'est une erreur.
00:27:37 Je pense que c'est une erreur.
00:27:39 Moi j'avais exprimé mon soutien en 2017,
00:27:42 au 2e tour,
00:27:44 j'avais signé la tribune de diplomates à l'époque
00:27:47 pour, dans un second tour,
00:27:51 entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, je pensais,
00:27:55 et je pense toujours, pour être très franc,
00:27:57 que c'était préférable.
00:27:59 - Alors, votre première mission au Quai d'Orsay,
00:28:03 c'était les affaires européennes,
00:28:06 la coopération économique,
00:28:07 et ensuite ?
00:28:08 - Ensuite, j'ai connu, moi, les trois cohabitations,
00:28:12 mais la première, de 1986 à 1988,
00:28:15 c'est qu'on m'a proposé de faire partie
00:28:17 du cabinet de Jean-Bernard Rémond,
00:28:19 des Affaires étrangères,
00:28:21 où j'étais chargé des affaires européennes.
00:28:23 - Corps diplomate.
00:28:24 - Corps diplomate,
00:28:25 qui est décédé il y a quelques années aussi.
00:28:27 - Qui venait de Russie, je crois.
00:28:29 - Qui venait de Russie,
00:28:30 et donc qui était l'homme qui avait vu
00:28:33 l'arrivée de Gorbatchev.
00:28:36 Et en fait, c'est assez intéressant,
00:28:38 parce qu'à l'époque, en France,
00:28:39 on n'y croyait pas trop, à Gorbatchev.
00:28:41 On était en 1986, si vous voulez,
00:28:43 donc il y avait beaucoup de personnes
00:28:45 qui disaient "mais non, c'est pas possible,
00:28:48 il est communiste comme les autres".
00:28:50 Donc Jean-Bernard Rémond disait quelque chose d'intéressant,
00:28:53 il disait "Bon, Gorbatchev, tel qu'on le voit,
00:28:58 est quelqu'un qui va pousser son analyse jusqu'au bout.
00:29:05 Est-ce qu'il va changer de régime ?
00:29:07 Mais il aboutira inévitablement à la conclusion
00:29:10 que le système communiste n'est plus viable.
00:29:15 - Oui, mais il le disait.
00:29:16 - Mais ce que ne disait pas Jean-Bernard Rémond,
00:29:18 parce qu'il ne le savait pas, il était honnête,
00:29:20 mais je ne sais pas s'il ira jusqu'au bout.
00:29:22 Ça, c'était intervenu plus tard, en 1990.
00:29:25 En tout cas, c'était un grand diplomate, effectivement,
00:29:29 qui était dans la première comitation,
00:29:31 donc c'était la première fois que la France
00:29:33 était sous ce système, qui était intéressant finalement.
00:29:37 - Là, on touche du bout de l'aile un grand sujet, Pierre Ménard.
00:29:42 Gorbatchev.
00:29:44 Hubert Weydrin témoigne, alors on avance de quelques années,
00:29:49 le sujet est toujours Gorbatchev,
00:29:51 et nous en avons parlé dans le cadre de nos conversations
00:29:55 avec Christian Begrélis, qui était un de ses conseillers,
00:29:58 que vous connaissez peut-être,
00:30:00 et qui a été une de mes victimes précédentes.
00:30:04 Et l'un et l'autre disent quelque chose
00:30:08 qui est à mon avis assez important,
00:30:10 et qui entre dans vos préoccupations principales,
00:30:13 qui est de donner à l'Europe une existence politique dans ce monde,
00:30:18 et pas ricocher à chacune des nations,
00:30:20 il n'y a pas nécessairement de proposition si nette,
00:30:23 c'est un grand sujet.
00:30:25 La France a joué Gorbatchev beaucoup plus
00:30:28 que l'Angleterre de Tony Blair, à l'époque.
00:30:32 C'était avant...
00:30:34 C'était Thatcher, Madame Thatcher.
00:30:37 Il y avait Thatcher jusqu'en 91.
00:30:43 Thatcher, John Major, donc Thatcher était de 79 à 90,
00:30:48 John Major 90, 90, 97, et Tony Blair.
00:30:56 Mais toujours est-il que la Grande-Bretagne,
00:31:00 l'Allemagne et surtout les États-Unis
00:31:04 n'ont pas joué Gorbatchev.
00:31:06 C'est ce que dit Weydrin.
00:31:08 Il y a eu un projet très intéressant,
00:31:12 que vous connaissez bien,
00:31:14 qui était un projet de confédération européenne au sens large,
00:31:20 porté par Mitterrand,
00:31:22 qui a donné une fameuse conférence à Prague en 93.
00:31:25 Et là, franchement, on est passé, dans votre livre,
00:31:28 vous faites l'énumération des occasions manquées,
00:31:31 mais on est passé avec Gorbatchev,
00:31:34 qui en 93 avait disparu,
00:31:36 mais on est passé à côté d'une grande révolution
00:31:39 des institutions européennes,
00:31:41 en passant à un système de coopération beaucoup plus souple,
00:31:44 beaucoup moins intégrationniste,
00:31:46 mais qui incluait l'Europe centrale et qui incluait la Russie.
00:31:51 Ce que les Américains ont torpillé.
00:31:54 Mitterrand a joué jusqu'au bout.
00:31:56 Ce que disent souvent les Américains,
00:31:58 c'est que c'était surtout...
00:32:00 Pourquoi ce projet a échoué ?
00:32:02 C'était surtout parce que les pays candidats n'en voulaient pas.
00:32:05 La conférence de Prague, c'était...
00:32:07 Avel a été vende-bout.
00:32:09 Avel était totalement opposé à ce projet-là.
00:32:14 Mais bien sûr, mais pourquoi ?
00:32:16 Il faut dire pourquoi.
00:32:18 En parlant des Américains,
00:32:20 je crois que c'est pas le problème,
00:32:22 si vous voulez, dans cette affaire.
00:32:24 C'est pas le sujet.
00:32:26 Pourquoi il y a eu cette proposition de Mitterrand ?
00:32:30 Je l'avais beaucoup étudié,
00:32:32 puisque Philippe Segal a repris au bon.
00:32:35 D'abord, personne n'a dit qu'il y aurait au non la Russie.
00:32:38 Même si c'était possible.
00:32:40 Chez l'Atalie, c'était très nécessaire.
00:32:42 Toujours est-il que la raison pour laquelle ça n'a pas marché,
00:32:45 c'est parce que cette proposition a été lancée
00:32:48 au moment où les pays d'Europe centrale
00:32:51 étaient candidats à l'Union européenne.
00:32:53 Pour eux, il y avait deux priorités,
00:32:55 l'OTAN et l'Union européenne.
00:32:57 Ça a été présenté, ça a été ressenti,
00:32:59 je peux vous le dire, parce que je les connaissais très bien.
00:33:02 Surtout, je les ai bien connus après,
00:33:04 mais ils en reparlaient encore.
00:33:06 Et je peux vous dire, ils en reparlent encore aujourd'hui,
00:33:08 de cette affaire de Confédération.
00:33:10 Ils ont dit "Vous vouliez nous mettre dans une salle d'attente
00:33:13 indétername pour que nous n'entrions pas."
00:33:18 Le projet en lui-même n'était pas stupide,
00:33:23 parce que, effectivement... Non, non, mais pourquoi ?
00:33:26 C'était Gaulien, c'était l'Europe de l'Atlantique et de l'Oral.
00:33:28 Oui, mais ça, bon...
00:33:30 C'était une toute autre Europe !
00:33:32 Vous pouvez y revenir, mais bon...
00:33:34 Mais c'est pas ce que voulaient ces pays.
00:33:38 Ils voulaient entrer dans l'Union européenne,
00:33:41 ils voulaient avoir les politiques communes.
00:33:43 En fait, cette Confédération, c'était une manière de dire
00:33:45 "On n'a pas les moyens de vous donner toutes ces subventions,
00:33:49 il va falloir que vous..." Ils l'avaient même dit, le président Mitterrand,
00:33:52 "Il va falloir vous préparer pendant des dizaines d'années."
00:33:55 Mais on vous offre une Confédération,
00:33:57 en fait on vous offre une salle où vous pouvez discuter,
00:34:00 mais c'est pas ça qu'ils voulaient, tout simplement.
00:34:02 Les Américains n'ont rien à voir là-dedans.
00:34:04 Eux, ce qu'ils voulaient, c'est l'Union européenne.
00:34:06 Ils ne voulaient pas cette Confédération.
00:34:08 Alors, aujourd'hui, si vous voulez, on reparle de ça,
00:34:12 l'idée du président Macron, de la communauté politique européenne.
00:34:15 C'est un peu un autre sujet, aujourd'hui,
00:34:18 parce qu'il n'y a pas la Russie, naturellement.
00:34:20 Mais en fait, la Russie, si vous voulez,
00:34:22 elle s'en est quand même tenue à l'écart d'elle-même.
00:34:25 - Cher Pierre, cher Pierre,
00:34:27 voilà une divergent, si on peut dire.
00:34:30 Je me permets, puisque ce n'est pas une interview
00:34:34 que nous faisons, une conversation entre les deux familles,
00:34:37 il y a aussi, et Védrine le dit,
00:34:41 le fait que...
00:34:43 - C'est vrai. - Bah, évidemment.
00:34:45 - Je le respecte beaucoup.
00:34:46 - Vous avez été conseiller diplomatique à l'Élysée,
00:34:48 auprès de Chirac, et Védrine, auprès de Mitterrand.
00:34:51 - Moi, j'ai beaucoup de...
00:34:52 - Vous connaissez, tout de suite.
00:34:53 - Absolument, j'ai beaucoup de respect.
00:34:55 Je connais bien Hubert Weyden.
00:34:57 - Il a sa lecture.
00:34:59 - Il a sa lecture, qui était quand même,
00:35:02 qui est liée, naturellement, aussi,
00:35:05 à ses fonctions auprès du président Mitterrand.
00:35:07 - C'était la lecture de Mitterrand.
00:35:09 - Et Mitterrand savait très bien, Védrine en témoigne,
00:35:12 que si les pays, on les appelait les PECO, à l'époque,
00:35:16 les pays d'Europe centrale et orientale,
00:35:19 étaient réticents à l'idée française,
00:35:24 très poussée et inspirée par les relations
00:35:28 qu'avaient eues auparavant Mitterrand et Gorbatchev,
00:35:31 Gorbatchev, parlant de mise en commune,
00:35:33 donc il était bien question d'incure la Russie
00:35:35 dans le jeu européen,
00:35:37 qui était vraiment dans la tradition française.
00:35:40 Si ces pays avaient été réticents,
00:35:43 c'est qu'ils avaient été très travaillés,
00:35:45 et leurs élites, et leurs oligarchies,
00:35:47 et leurs dirigeants,
00:35:49 par les États-Unis,
00:35:51 qui mettaient en place ce qu'ils voulaient
00:35:53 à la tête des États d'Europe centrale
00:35:55 après l'effondrement du communisme.
00:35:57 - Vous exagérez, là, vous exagérez beaucoup.
00:35:59 Ils ont eu, quand même, ces pays,
00:36:01 ils n'ont pas rechoisi leurs dirigeants,
00:36:05 ils ont changé,
00:36:07 la Roumanie, par exemple, est revenue,
00:36:09 l'IESCOU, il y a beaucoup de choses,
00:36:12 mais principalement l'erreur de cette démonstration,
00:36:15 si vous permettez,
00:36:17 l'erreur est que vous partez du principe
00:36:20 que ces pays ont été influencés, manipulés.
00:36:23 Or, ce n'est pas le cas,
00:36:25 c'était vraiment profondément,
00:36:27 vous pouvez parler à des Polonais,
00:36:29 vous pouvez parler même encore maintenant
00:36:31 à des Polonais, à des Roumains, à des Tchèques,
00:36:33 ils vous diront, non, nous, ce qu'on voulait,
00:36:35 c'est premièrement l'OTAN, avant tout,
00:36:37 ce n'est pas les Américains qui les ont poussés
00:36:39 dans l'Europe, vous savez,
00:36:41 ils le voulaient parce qu'ils se méfient des Européens.
00:36:43 Et alors, encore plus, jamais virés gens
00:36:45 n'ont tous été formés dans les universités américaines.
00:36:47 En revanche, je pense qu'on aurait dû trouver,
00:36:49 là, vous avez raison,
00:36:51 mais on n'a jamais vraiment trouvé la formule.
00:36:53 On a essayé,
00:36:55 je peux vous dire que le président Chirac,
00:36:57 avec Elcin, on avait parlé,
00:36:59 on a essayé de trouver comment on pouvait
00:37:01 incarner cette idée abstraite
00:37:03 de maison commune.
00:37:05 On n'y est pas arrivé.
00:37:07 Et puis après, c'est la Russie qui s'en est écartée.
00:37:09 La Russie...
00:37:11 - Après, c'est l'OTAN qui est arrivée
00:37:13 et la Russie qui s'est rétractée.
00:37:15 - On ne va pas en reparler,
00:37:17 je veux bien qu'on en parle sur l'OTAN.
00:37:19 - La promesse de ne pas étendre l'OTAN de James Baker,
00:37:21 elle n'a jamais été tenue.
00:37:23 Les États-Unis ont avancé jusqu'à la jure,
00:37:25 les Pays-Bas.
00:37:27 - Je le dis longuement dans mon livre.
00:37:29 - Là, j'en traite parce que j'en étais témoin.
00:37:31 J'en étais témoin.
00:37:33 En fait, il y a eu
00:37:35 une promesse, mais vous savez,
00:37:37 les choses évoluent.
00:37:39 Quand Poutine dit
00:37:41 qu'on était contre
00:37:43 l'élargissement de l'OTAN, c'est vrai.
00:37:45 Parce que, en fait,
00:37:47 je le dis,
00:37:49 sur le plan populaire,
00:37:51 le peuple, notamment les vieilles dames,
00:37:53 les babouchkas, sont inquiètes
00:37:55 de la menace
00:37:57 qui n'existe pas.
00:37:59 Parce qu'il n'y a pas de missiles en Pologne.
00:38:01 Mais bon, ils étaient contre.
00:38:03 Maintenant, ensuite,
00:38:05 les choses ont évolué.
00:38:07 - La rencontre avec Chirac a compté ?
00:38:09 - Moi, j'ai trouvé que c'était une personnalité
00:38:11 tout à fait impressionnante.
00:38:13 C'était le Chirac des années 70.
00:38:15 Pourtant, qu'on caricaturait un peu.
00:38:17 Mais il était très impressionnant.
00:38:19 J'avais vu la façon
00:38:21 dont il dialoguait avec
00:38:23 les jeunes, puisque c'était des représentants
00:38:25 des jeunes qui étaient là.
00:38:27 Il était remarquable.
00:38:29 Il avait
00:38:31 cette qualité, si vous voulez,
00:38:33 de pouvoir prendre en compte
00:38:35 les avis de personnes
00:38:37 qui n'étaient pas de son avis.
00:38:39 Mais qu'on n'avait pas d'ailleurs.
00:38:41 C'est une image qu'on n'avait pas
00:38:43 en public, si vous voulez, du tout.
00:38:45 A l'époque, je veux dire. Après, ça s'est un petit peu changé.
00:38:47 - Oui, il paraissait plus raide
00:38:49 qu'il n'était dans la réalité.
00:38:51 Puisque nous parlons de lui,
00:38:53 sans doute,
00:38:55 ça a été de belles années
00:38:57 passées auprès de lui à l'Élysée.
00:38:59 - Plus tard, alors. - Beaucoup plus tard.
00:39:01 - Au début du XXIe siècle.
00:39:03 - Mais en réalité, j'étais
00:39:05 à l'Élysée comme conseiller.
00:39:07 - À l'époque, il n'y en avait pas beaucoup de conseillers.
00:39:09 - Non, il n'y en avait peu.
00:39:11 - Il y a toute une flopée.
00:39:13 - Il y a eu une inflation.
00:39:15 - Une inflation de conseillers.
00:39:17 - À l'époque, on était trois.
00:39:19 Il y avait Jean-David Lévy, Bernard Rémi et moi,
00:39:21 plus François Delattre.
00:39:23 Ils ont tous eu des carrières
00:39:25 d'ailleurs assez brillantes.
00:39:27 Mais on était très peu nombreux.
00:39:29 Donc, du coup, moi, j'étais...
00:39:31 Quand on disait "affaires européennes",
00:39:33 j'avais aussi la Russie.
00:39:35 J'ai participé au voyage
00:39:37 avec Edsine,
00:39:39 la visite d'Edsine en France,
00:39:41 la visite de Chirac
00:39:43 en Russie.
00:39:45 Et puis ensuite, si vous voulez,
00:39:47 quand j'étais directeur la première fois,
00:39:49 directeur de la coopération européenne,
00:39:51 en fait, je le voyais très souvent
00:39:53 parce que j'étais associé
00:39:55 à tous les déplacements,
00:39:57 soit de dirigeants européens,
00:39:59 il y en a beaucoup,
00:40:01 ils sont courts, mais il y en a beaucoup,
00:40:03 dirigeants européens en France
00:40:05 et des voyages du président
00:40:07 dans les pays européens.
00:40:09 Donc, je voyais encore beaucoup à cette époque-là.
00:40:11 - Bon, alors,
00:40:13 quel portrait faites-vous
00:40:15 de Jacques Chirac ?
00:40:17 Parce qu'il domine
00:40:19 dans les 50 dernières années
00:40:21 avec Mitterrand et peut-être
00:40:23 Emmanuel Macron,
00:40:25 je n'en sais rien.
00:40:27 - Je pense que les présidents,
00:40:29 surtout ceux qui ont une certaine durée,
00:40:31 marquent.
00:40:33 Jacques Chirac
00:40:35 était quelqu'un, vous le savez,
00:40:37 qui s'intéressait beaucoup
00:40:39 aux questions internationales.
00:40:41 - Qui aimait la Russie, d'ailleurs.
00:40:43 - Qui connaissait très bien la Russie,
00:40:45 qui avait traduit dans sa jeunesse
00:40:47 un roman de Pushkin.
00:40:49 - Ah bon ?
00:40:51 - Vous ne connaissez pas cette anecdote ?
00:40:53 - Mais non, c'est magnifique !
00:40:55 - C'est un roman en verre, interminable,
00:40:57 de Pushkin, Eugène Onegin.
00:40:59 - Il a traduit ?
00:41:01 - Je ne sais pas du tout.
00:41:03 L'anecdote est intéressante,
00:41:05 en tout cas, parce qu'il avait
00:41:07 à l'époque envoyé
00:41:09 cette traduction à un éditeur,
00:41:11 je ne sais pas quel était ce jeune homme,
00:41:13 il avait 20 ans,
00:41:15 ce jeune garçon,
00:41:17 pourquoi on publierait ?
00:41:19 Je pense qu'on était en 1952,
00:41:21 à peu près,
00:41:23 et puis après,
00:41:25 20 ans plus tard, en 1974,
00:41:27 il devient Premier ministre,
00:41:29 et l'éditeur lui écrit en disant
00:41:31 "Monsieur le Premier ministre,
00:41:33 je serais heureux, cette fois,
00:41:35 de publier votre traduction."
00:41:37 Mais il n'a pas voulu, naturellement.
00:41:39 - C'était trop tard.
00:41:41 - Il y avait une réconception des relations internationales,
00:41:43 qui avait une vision.
00:41:45 - Comment la résumeriez-vous,
00:41:49 Monsieur l'Ombudsman ?
00:41:51 - C'était la vision gaulliste,
00:41:53 c'est-à-dire, d'abord,
00:41:55 la place de la France,
00:41:57 dans cet ordre international,
00:41:59 qui était en train
00:42:01 de s'ébaucher à l'époque.
00:42:03 Donc il fallait que la France
00:42:05 conserve son identité,
00:42:07 sa présence,
00:42:09 mais en même temps,
00:42:11 il a été convaincu,
00:42:13 auparavant, il avait eu des positions
00:42:15 sur l'Europe un peu différentes,
00:42:17 - Cochard, c'était pas tout à fait...
00:42:19 - Oui, oui, tout à fait,
00:42:21 mais ça je peux vous dire,
00:42:23 parce qu'il en parlait,
00:42:25 mais il a été convaincu,
00:42:27 dans les années 80-90,
00:42:29 que dans le monde qui apparaissait,
00:42:31 il fallait que l'Europe
00:42:33 ait son existence,
00:42:35 et Jacques Chirac pensait
00:42:37 qu'il y avait une période
00:42:39 où les Etats-Unis
00:42:41 dominaient le monde,
00:42:43 donc on y était,
00:42:45 à l'époque,
00:42:47 c'était après la chute du mur de Berlin,
00:42:49 on s'est retrouvé dans un monde
00:42:51 unipolaire.
00:42:53 - Est-ce que vous écrivez,
00:42:55 vous faites bien les séquences ?
00:42:57 - Moi je les fais de la façon suivante,
00:42:59 - C'est très éclairant, votre coupage.
00:43:01 - En fait, 4589,
00:43:03 les blocs,
00:43:05 il y a le tas,
00:43:07 un certain équilibre au fond,
00:43:09 un équilibre nocif,
00:43:11 détestable,
00:43:13 mais un équilibre,
00:43:15 que d'ailleurs le général de Gaulle
00:43:17 est critiqué.
00:43:19 Ensuite, nous avons une période
00:43:21 qui commence en 89,
00:43:23 qu'on peut faire finir soit en 2001,
00:43:25 soit en 2003,
00:43:27 parce que c'est dans cette période
00:43:29 que ça se joue entre les attentats
00:43:31 du 11 septembre et l'affaire de l'Irak,
00:43:33 qui est la domination américaine,
00:43:35 domination qui a pris fin en 2003,
00:43:37 parce que, tout simplement,
00:43:39 en fait,
00:43:41 dans cette période de 89-2003,
00:43:43 il y avait un certain nombre
00:43:45 de pays, pas tous,
00:43:47 dont d'ailleurs la Russie,
00:43:49 qui s'est dit au fond,
00:43:51 on va peut-être
00:43:53 adopter ce modèle occidental,
00:43:55 en tout cas faire semblant
00:43:57 de l'adopter, parce qu'on ne pourra pas l'adopter complètement.
00:43:59 Je crois que l'affaire
00:44:01 de l'Irak,
00:44:03 en tout cas,
00:44:05 auprès du Sud,
00:44:07 a été un choc
00:44:09 terrible, qu'avait vu d'ailleurs Jacques Chirac,
00:44:11 et qui a fait que
00:44:13 désormais,
00:44:15 il n'était plus possible pour les Américains
00:44:17 d'être un leader incontesté.
00:44:19 Donc on a vu une période
00:44:21 du monde de 2003
00:44:23 à 2021-22,
00:44:25 où là, c'était un monde
00:44:27 sans vraiment repère,
00:44:29 où il y avait un certain nombre
00:44:31 de puissances qui s'affirmaient.
00:44:33 On a plutôt intérêt,
00:44:35 nous, Français, pardon de vous couper,
00:44:37 à dire 2003, parce que 2003,
00:44:39 quel est le fait saillant ? C'est peut-être le nom français
00:44:41 à l'invasion de l'Irak.
00:44:43 Ça nous donne un joli rôle.
00:44:45 Mais ce nom français était approuvé par...
00:44:47 Vous étiez auprès de Chirac à ce moment-là ?
00:44:49 Non, j'étais directeur.
00:44:51 J'étais directeur des Affaires Européennes,
00:44:53 mais vous savez, j'étais auprès de Dominique de Villepin,
00:44:55 donc j'étais directeur
00:44:57 de Dominique de Villepin,
00:44:59 et je voyais très souvent le président Chirac.
00:45:01 J'ai vu l'évolution du dossier,
00:45:03 si vous voulez, donc...
00:45:05 Vous n'avez pas été étonné par le...
00:45:07 Pas du tout.
00:45:09 Il a été préparé, ce refus français
00:45:11 d'approuver l'intervention en Irak ?
00:45:13 Il a été préparé, parce que le président Chirac...
00:45:15 On en parlait ?
00:45:17 Ça revient un petit peu à ce que vous disiez,
00:45:19 à la question d'origine qui était
00:45:21 la vision du président Chirac.
00:45:23 La vision du président Chirac, c'était d'abord
00:45:25 que la France devait
00:45:27 avoir son message
00:45:29 et dire ce qu'elle pensait.
00:45:31 Donc, il l'avait...
00:45:33 En 1991, il y a eu une première guerre du Golfe.
00:45:35 L'Irak avait indexé un pays,
00:45:37 le Koweït. Il y avait eu des résolutions
00:45:39 du Conseil de sécurité. Il y avait eu une résolution du Conseil de sécurité
00:45:41 qui autorisait l'emploi de la force.
00:45:43 Donc Jacques Chirac, qui à l'époque n'était pas
00:45:45 aux Affaires, était maire de Paris.
00:45:47 Oui, mais il s'était prononcé pour...
00:45:49 Il était président du RPR et il s'était prononcé
00:45:51 pour l'intervention.
00:45:53 En revanche, là, il n'y avait pas...
00:45:55 Ce n'était pas le cas de tous les Gullises.
00:45:57 Il n'y avait pas d'entre eux.
00:45:59 Ce n'était pas le cas de tous les Gullises.
00:46:01 Non, bien sûr, mais vous savez, ce n'est jamais
00:46:03 le cas de tout le monde. Heureusement,
00:46:05 il y a une certaine diversité.
00:46:07 Beaucoup de Gullises qui avaient roué dans le brancard,
00:46:09 à commencer par l'amiral de Gaulle, d'ailleurs, le fils du général.
00:46:11 Mais passons. Comme aujourd'hui, le petit-fils
00:46:13 Pierre de Gaulle joue un certain rôle.
00:46:15 Mais il y a aussi Yves de Gaulle.
00:46:17 Il y a aussi Yves de Gaulle.
00:46:19 Si on prend la famille, vous savez...
00:46:21 Vous trouvez que Pierre de Gaulle est sensible à la propagande...
00:46:23 à ce que vous nommez la propagande...
00:46:25 Je ne dirais pas ça.
00:46:27 La propagande russe, poutinienne...
00:46:29 Je vais parler de vous.
00:46:31 RT a été interdit. Je ne vois pas ce que c'est que la propagande russe en France.
00:46:33 Il est interdit.
00:46:35 Alors qu'on interdit tout ce qui est...
00:46:37 Il y a quelques personnes qui se chargent.
00:46:39 Il y a quand même quelques personnes qui se chargent.
00:46:41 Il y a quelques personnes qui se chargent.
00:46:43 C'est le chapitre.
00:46:45 Continuons parce que c'est intéressant, déjà,
00:46:47 cette évolution de Jacques Chirac qui conduit à 2003.
00:46:49 Il conduit à 2003.
00:46:51 Et là, il a été, si vous voulez,
00:46:53 à la fois, il n'a pas hésité sur l'attitude de la France.
00:46:55 Parce que, justement,
00:46:57 il n'y avait pas de résolution du Conseil de sécurité.
00:46:59 Parce qu'il s'agissait tout simplement d'agresser un pays
00:47:01 alors que les raisons de le faire
00:47:03 n'avaient pas été établies.
00:47:05 Bien au contraire.
00:47:07 Donc là, c'est une certaine idée, effectivement,
00:47:09 de ce que doit faire la France
00:47:11 et qui était attendue
00:47:13 par le Conseil de sécurité.
00:47:15 Et donc, il y a eu des discussions.
00:47:17 Et qui étaient attendues
00:47:19 par une grande partie du monde aussi.
00:47:21 Donc, il y avait une grande partie du monde
00:47:23 qui s'était un peu résignée, on va dire, avant
00:47:25 à se dire, au fond,
00:47:27 on est obligé de suivre les Américains.
00:47:29 Mais à partir de ce moment-là,
00:47:31 ça n'a pas été le cas.
00:47:33 Mais un autre aspect, si vous voulez,
00:47:35 qui a beaucoup marqué le président Chirac,
00:47:37 c'est quand même
00:47:39 les divisions européennes dans cette affaire de l'Irak.
00:47:41 Et là,
00:47:43 on s'est aperçu que...
00:47:45 Il a marqué le coup, si vous voulez.
00:47:49 Parce qu'on s'est aperçu que,
00:47:51 au sein de l'Union européenne, à l'époque,
00:47:53 c'était juste avant l'élargissement,
00:47:55 il y avait quand même un grand nombre de pays
00:47:57 qui avaient soutenu les Etats-Unis,
00:48:01 le Royaume-Uni,
00:48:03 l'Espagne,
00:48:05 l'Italie, c'était à l'époque
00:48:07 Berlusconi,
00:48:09 et bien d'autres.
00:48:11 Et puis surtout, pratiquement tous les pays
00:48:13 d'Europe centrale l'avaient fait.
00:48:15 Donc c'est là où le président Chirac avait dit
00:48:17 qu'ils ont perdu une bonne occasion de se taire.
00:48:19 Voilà.
00:48:21 Et à partir de là,
00:48:23 il y a eu une longue période,
00:48:25 2003-2022,
00:48:27 et en 2022, ce à quoi on assiste maintenant,
00:48:29 c'est une reconstruction
00:48:31 de l'ordre international.
00:48:33 Dans quel sens ? On ne sait pas encore.
00:48:35 Mais on voit bien qu'aujourd'hui,
00:48:37 il y a l'Occident,
00:48:39 et face à l'Occident,
00:48:41 il y a un certain nombre d'ensembles.
00:48:43 Il y a la Chine, naturellement,
00:48:45 la Russie... - L'Occident devient minoritaire.
00:48:47 - L'Occident, de toute façon, a toujours été minoritaire.
00:48:49 - Oui, mais enfin, dans le calcul des forces...
00:48:51 - Alors, dans le calcul des forces,
00:48:53 c'est discutable,
00:48:55 mais dépend comment vous comptez.
00:48:57 - Ah, en missiles, je ne sais pas.
00:48:59 - En missiles, je ne sais pas non plus.
00:49:01 Mais, toujours est-il
00:49:03 qu'on est 1 milliard d'habitants,
00:49:05 à peu près, l'Occident,
00:49:07 contre... donc 7 milliards,
00:49:09 je crois qu'on vient de passer à 8 milliards.
00:49:11 7 milliards. Mais cela dit, ça ne veut pas dire
00:49:13 que ces 7 milliards soient ensemble.
00:49:15 Moi, je pense que la Chine,
00:49:17 de toute façon, est un cas à part.
00:49:19 Elle joue son rôle
00:49:21 de façon discrète, patiente,
00:49:23 et avec une montée en puissance très forte.
00:49:26 Et moi, je ne crois pas...
00:49:28 Alors, ils sont d'accord avec la Russie
00:49:30 sur la contestation de l'Occident, ça, ça ne fait pas de doute.
00:49:32 Mais, est-ce que la Chine
00:49:34 conçoit une alliance totale,
00:49:36 exclusive avec la Russie ?
00:49:38 Je ne le pense pas.
00:49:40 - La contestation de l'Occident ou des Etats-Unis ?
00:49:42 - Mais, c'est ça le problème, c'est que...
00:49:44 - Nous n'avons pas intérêt, Golisque,
00:49:46 à trop mélanger les deux éléments, n'est-ce pas ?
00:49:48 - Je suis d'accord là-dessus.
00:49:50 Pour une fois, on est d'accord.
00:49:52 Je suis d'accord.
00:49:54 Et tout, justement, dans ce...
00:49:56 cet ordre qui s'ébauche
00:49:58 avec des blocs qui, peut-être,
00:50:00 vont se reformer. Il y a le bloc du Sud,
00:50:02 il y a les BRICS. D'ailleurs, on voit que
00:50:04 certains sont un peu partout.
00:50:06 Mais, les BRICS, l'alliance...
00:50:08 l'alliance...
00:50:10 l'alliance qui n'est pas une alliance,
00:50:12 l'amitié russo-chinoise...
00:50:14 Nous n'avons pas intérêt, effectivement,
00:50:16 à être assimilés
00:50:18 purement à un des sous-ensembles
00:50:20 de l'Occident. Aujourd'hui, c'est un peu le cas.
00:50:22 Un peu comme ça, à cocompte.
00:50:24 Et l'Europe devrait...
00:50:26 - La grande valeur de ce livre... Vraiment, j'ai pris grand intérêt à vous le dire.
00:50:28 J'étais pas tout à fait sûr, parce que
00:50:30 du livre d'ambassadeur, on peut penser que c'est un peu convenu.
00:50:32 Mais, à chaque page,
00:50:34 il y a des choses. - Merci beaucoup.
00:50:36 - Le nom, l'Union Européenne,
00:50:38 le titre, l'Union Européenne et la guerre.
00:50:40 Réfléchissons ensemble.
00:50:42 2003,
00:50:44 l'Europe se signale
00:50:46 au point
00:50:48 de commencer à
00:50:50 modifier l'époque, la couleur de l'époque,
00:50:52 de mettre un terme à l'unilateralisme
00:50:54 ou l'unipolarité
00:50:56 étatsunienne.
00:50:58 Ne disons pas américaine, disons étatsunienne.
00:51:00 Mais, c'est pas l'Europe
00:51:02 qui se distingue. C'est l'Europe qui se distingue,
00:51:04 mais c'est la France. Et qui se passe de l'Europe.
00:51:06 - Parce que l'Europe n'a pas...
00:51:08 - Alors, qu'est-ce qui se passe pour que l'Europe
00:51:10 ne parvienne pas...
00:51:12 Ça, c'est la grande question. Parce que dans votre ouvrage,
00:51:14 on voit que ça vous travaille. Et que vous n'êtes pas
00:51:16 content. - Non, non, bien sûr que non.
00:51:18 - Que l'Europe ne parvienne pas
00:51:20 à se distinguer. Je l'avais pour tout vous dire.
00:51:22 Je garde la parole 30 secondes.
00:51:24 Très immodeste. - C'est vous qui décidez.
00:51:26 - Très immodeste.
00:51:28 - Vous êtes chez vous, proche.
00:51:30 Et surtout pour parler de moi,
00:51:32 j'avais écrit en 97 un livre
00:51:34 qui s'appelait "L'Europe vers la guerre".
00:51:36 - Ah ben, oui.
00:51:38 - Où je prévoyais que les États-Unis seraient,
00:51:40 je proprenais Brzezinski,
00:51:42 en fait, tellement
00:51:44 omnibulés par la domination totale
00:51:46 de l'Europe,
00:51:48 notamment par crainte
00:51:50 de la Chine.
00:51:52 Il ne s'agissait pas de laisser
00:51:54 la Sibérie... - C'est surtout ça.
00:51:56 - Voilà, c'est surtout ça. Il ne s'agissait pas,
00:51:58 très net, de laisser la Sibérie
00:52:00 conquise par la Chine,
00:52:02 ce qui marginaliserait
00:52:04 définitivement ou durablement
00:52:06 les États-Unis. Donc la menace était précise.
00:52:08 Mais je voyais bien, en écrivant
00:52:10 "L'Europe vers la guerre", que ça allait
00:52:12 entraîner l'Europe vers un conflit
00:52:14 qui est arrivé 25 ans plus tard
00:52:16 avec la Russie.
00:52:18 Là, nous y sommes aujourd'hui.
00:52:20 Que d'occasions manquaient pour éviter
00:52:22 cette situation. Vous les énumérez,
00:52:24 ça rend pour tout un
00:52:26 honnête homme ou quelqu'un qui s'intéresse
00:52:28 à la politique internationale.
00:52:30 Cette lecture passionnante.
00:52:32 Que d'occasion manquait
00:52:34 que Jacques Chirac
00:52:36 essaie d'entrer dans l'OTAN, mais en
00:52:38 prenant un commandement intégré.
00:52:40 - Ce qu'on appelle
00:52:42 le commandement sud.
00:52:44 - Le commandement sud, qui est un app,
00:52:46 je crois.
00:52:48 Il y a Saint-Malo, qui est la suite
00:52:50 du Gosselavie. Alors là, cette fois,
00:52:52 à Tony Blair, pendant le commandement au Dans,
00:52:54 et vous consacrez de belles pages à Saint-Malo
00:52:56 1999, je crois. - Fin 1998.
00:52:58 - Fin 1998.
00:53:00 Où il est question de coopération
00:53:02 franco-britannique
00:53:04 qui peut aller très loin
00:53:06 et qui peut être l'embryon
00:53:08 d'une émancipation
00:53:10 géostratégique
00:53:12 de l'Europe.
00:53:14 Non pas nécessairement, certainement
00:53:16 pas dans votre esprit, en conflit avec les
00:53:18 Etats-Unis, mais avec un vrai partenariat.
00:53:20 On a loupé toutes ces occasions.
00:53:22 - Il y en aura peut-être d'autres.
00:53:24 - Écoutez, je vous suggère que
00:53:26 la politique de sécurité,
00:53:28 la PESC, Politique Européenne de Sécurité
00:53:30 Commune, elle date
00:53:32 quand même du traité de Maastricht.
00:53:34 Ça fait 30 ans que les occasions
00:53:36 sont manquées. Je ne veux pas
00:53:38 être trop technique,
00:53:40 parce qu'au sein de la PESC,
00:53:42 il y a quelque chose qui
00:53:44 est apparu avec le traité de Lisbonne,
00:53:46 mais qui est l'héritier de Saint-Malo,
00:53:48 c'est la politique de sécurité et de défense commune.
00:53:50 En quoi ça consiste ?
00:53:52 Ce n'est pas une défense européenne.
00:53:54 Ça consiste à mettre en place
00:53:56 des forces,
00:53:58 des possibilités
00:54:00 d'intervention extérieure
00:54:02 sur des théâtres de crise.
00:54:04 Ça marche,
00:54:06 mais ce n'est pas une défense européenne.
00:54:08 Aujourd'hui,
00:54:10 le problème de la défense européenne,
00:54:12 on commençait, quand vous dites
00:54:14 "les occasions manquées", il y a peut-être eu
00:54:16 la dernière, il y a eu l'affaire de l'Irak,
00:54:18 où là,
00:54:20 il y avait eu vraiment une prise de conscience,
00:54:22 je peux vous dire, pas seulement de la France, mais de l'Allemagne,
00:54:24 de la Belgique, du Luxembourg.
00:54:26 Aujourd'hui, je pense qu'on pourrait y ajouter
00:54:28 l'Italie et l'Espagne, qui à l'époque étaient
00:54:30 dans le camp plutôt
00:54:32 de l'alignement sur Washington. Mais aujourd'hui, ce n'est plus le cas.
00:54:34 Il faut voir avec Mme Mélanie,
00:54:36 elle est plutôt,
00:54:38 on va dire, voilà...
00:54:40 Comme quoi cela ne recouvre pas
00:54:42 les clivages politiques.
00:54:44 En fait, c'était plus compliqué qu'on le croit.
00:54:46 L'Italie, je pense, aurait intérêt quand même
00:54:48 avec l'Espagne.
00:54:50 Et moi, ce que je propose aujourd'hui, c'est
00:54:52 de le faire à quelques-uns.
00:54:54 Parce qu'on ne peut pas
00:54:56 avoir l'unanimité
00:54:58 pour la politique étrangère
00:55:00 et pour la défense.
00:55:02 Il faut l'unanimité, on ne l'aura pas.
00:55:04 On ne l'aura pas parce que,
00:55:06 tout simplement, vous avez toute une série de pays,
00:55:08 comme vous le savez, les pays d'Europe centrale,
00:55:10 qui ont plus confiance dans les Américains
00:55:12 que dans nous, pour leur sécurité
00:55:14 et leur défense. Ils ont peut-être tort,
00:55:16 mais c'est comme ça.
00:55:18 - C'est toujours de la même chose, ça dépend
00:55:20 du degré d'imbrication de leurs oligarchies
00:55:22 dans le système américain.
00:55:24 - Non, mais c'est une vision, si vous voulez, un peu...
00:55:26 - A propos de l'Italie,
00:55:28 - On ne parle pas d'elle,
00:55:30 on parle de la Pologne, etc.
00:55:32 Est-ce que M. Kaczynski,
00:55:34 qui est l'homme, Jaroslaw Kaczynski,
00:55:36 qui est le vrai patron
00:55:38 du PiS, donc qui est parti au pouvoir,
00:55:40 qui exerce son pouvoir dans l'ombre,
00:55:42 est-ce qu'il est marqué par l'oligarchie américaine ?
00:55:44 Si vous allez le voir,
00:55:46 vous verrez au bout de 5 minutes que c'est complètement faux.
00:55:48 C'est quelqu'un,
00:55:50 qui se définit comme gaulliste,
00:55:52 mais simplement ils sont convaincus. Là, vous sous-estimez
00:55:54 quelque chose. Ils sont profondément convaincus,
00:55:56 ces gens-là, pour eux, de toute façon,
00:55:58 la première menace vient de la Russie,
00:56:00 et avec ce qui se passe, ils en ont
00:56:02 la confirmation. Donc, ils sont
00:56:04 absolument convaincus,
00:56:06 pas du tout par allégeance aux Etats-Unis,
00:56:08 simplement, qu'aujourd'hui, ils croient que...
00:56:10 - Pourquoi vous achetez des avions américains plutôt que des avions français ?
00:56:12 - Parce que, il y a une logique...
00:56:14 - Comment on s'en parle à un moment ?
00:56:16 - Il y a une logique de standardisation de l'OTAN,
00:56:18 qui fait que les choses sont comme ça,
00:56:20 et c'est pour ça que la seule chance qu'on ait,
00:56:22 c'est de bâtir un noyau européen,
00:56:24 alors que ce soit au sein de l'OTAN ou en dehors de l'OTAN,
00:56:26 c'est un détail, mais avec des mécanismes
00:56:28 de décision autonome de l'Europe.
00:56:30 Ce que je dis, c'est que,
00:56:32 pour cela, il faut reprendre un
00:56:34 instrument qui avait été proposé par le général
00:56:36 de Gaulle, le plan Fouché,
00:56:38 en 1961...
00:56:40 - '62.
00:56:42 - Il a été échoué en '62.
00:56:44 C'est intéressant de voir pourquoi il a été...
00:56:46 On était 6 à l'époque.
00:56:48 Il a échoué parce que, d'abord,
00:56:50 il était complètement indépendant de l'OTAN,
00:56:52 ce que nos partenaires ne voulaient pas.
00:56:54 - L'Allemagne ?
00:56:56 - L'Allemagne était,
00:56:58 comme d'habitude, souvent un peu...
00:57:00 Adenauer avait été...
00:57:02 on va dire, prudemment positif.
00:57:04 Mais, en revanche,
00:57:06 ceux qui avaient été contre, c'est le Benelux.
00:57:08 C'est-à-dire la Belgique,
00:57:10 le Luxembourg, les Pays-Bas.
00:57:12 - Spac ?
00:57:14 - Oui, Spac. - Paul-Henri Spac,
00:57:16 le Premier ministre belge. - Absolument.
00:57:18 Je ne sais pas s'il était encore là.
00:57:20 En tout cas, oui, c'était lui.
00:57:22 Deuxième chose, il ne voulait pas...
00:57:24 Il disait qu'il faut que tout dépende
00:57:26 de la Commission de Bruxelles
00:57:28 et que les États ne jouent pas de rôle dans ce système.
00:57:30 Or, aujourd'hui, si vous voulez,
00:57:32 d'abord, premièrement,
00:57:34 on retombe sur le problème de l'OTAN.
00:57:36 Il faut avoir une autonomie
00:57:38 par rapport à l'OTAN.
00:57:40 Je pense que ça reviendra sur la table.
00:57:42 Vous dites qu'il y a eu des occasions manquées, c'est vrai.
00:57:44 Mais il faut le mettre sur la table à quelques-uns.
00:57:46 - Il faut être patient. - Il faut être patient.
00:57:48 Et, deuxièmement,
00:57:50 dans cette Union européenne,
00:57:52 aujourd'hui,
00:57:54 par rapport au modèle qu'on avait
00:57:56 dans les années 60,
00:57:58 on s'est éloigné, quand même, de l'Europe fédérale.
00:58:00 On s'en est éloigné.
00:58:02 Aujourd'hui, personne ne l'imagine plus.
00:58:04 Et quand vous regardez, même dans les domaines
00:58:06 de compétences exclusives,
00:58:08 que sont la monnaie, que sont
00:58:10 la concurrence, ou d'autres,
00:58:12 il y en a cinq,
00:58:14 même dans ces domaines-là, les États jouent leur rôle
00:58:16 au sein du Conseil européen. - Oui, M. l'ambassadeur
00:58:18 et cher Pierre Minard,
00:58:20 s'il y a quelque chose à faire
00:58:22 en matière militaire,
00:58:24 c'est d'abord, ça serait d'abord,
00:58:26 de rendre compatibles
00:58:28 les systèmes de défense
00:58:30 et de s'acheter nos armements
00:58:32 mutuellement. Il n'est pas normal.
00:58:34 - Nous sommes d'accord.
00:58:36 - Que les pays européens,
00:58:38 globalement, achètent deux fois plus
00:58:40 d'armes aux États-Unis qu'ils ne s'en achètent
00:58:42 entre eux. Et cette proportion croît.
00:58:44 Et nous avons publié dans le Nouveau Conservateur
00:58:46 un témoignage d'un général,
00:58:48 Alain de Berdouty, qui dit que
00:58:50 l'entrée dans l'OTAN a
00:58:52 complètement bouleversé ses perspectives
00:58:54 et a même rendu pratiquement
00:58:56 impossible la création, ne serait-ce
00:58:58 que pour des raisons de compatibilité
00:59:00 des armements. Vous l'avez dit vous-même.
00:59:02 Impossible le char de la défense.
00:59:04 - Il y a 17 modèles de chars
00:59:06 contraints aux États-Unis.
00:59:08 - Il y en a eu.
00:59:10 - Effectivement, vous avez tout à fait raison.
00:59:12 Mais pour cela, il faut en avoir.
00:59:14 Ça faisait partie de l'initiative
00:59:16 de Saint-Malo. Ça fait partie théoriquement
00:59:18 de la politique commune de sécurité et de défense.
00:59:20 Il y a un certain nombre de fonds
00:59:22 qui aident à cela. L'Agence Européenne de Défense,
00:59:24 le Fonds de Défense. Mais ce n'est pas suffisant.
00:59:26 Il faut des choix politiques.
00:59:28 - Alors, au milieu
00:59:30 de tout cela, cher Pierre Ménard,
00:59:32 votre carrière diplomatique se développe.
00:59:34 Vous avez ce qui est
00:59:36 incomparable,
00:59:38 une chance incomparable.
00:59:40 Vous êtes dans plusieurs postes,
00:59:42 à des points d'observation importants. Nous avons parlé
00:59:44 de la Roumanie. Vous avez été
00:59:46 ambassadeur. Nous en avons parlé aussi en Pologne.
00:59:48 Je pense que vous avez eu beaucoup d'affection pour les Polonais, non ?
00:59:50 - C'est un peuple
00:59:52 attachant. Pardon.
00:59:54 - Votre nom parle.
00:59:56 - C'est un peuple attachant. Les Polonais,
00:59:58 vous savez, ce sont des gens...
01:00:00 N'oubliez pas que c'est un peuple,
01:00:02 enfin une nation,
01:00:04 rayée de la carte. C'est une grande nation, la Pologne.
01:00:06 Une nation...
01:00:08 Il n'y a pas tellement d'états-nations européens,
01:00:10 au fond.
01:00:12 Deux nations, tout court, d'ailleurs.
01:00:14 Et eux,
01:00:16 par suite d'erreurs qu'ils ont commises,
01:00:18 ont été rayés de la carte au moment
01:00:20 des trois partages. Du dernier partage
01:00:22 en 1795.
01:00:24 C'est un pays qui a disparu de la carte.
01:00:26 Et qui a été partagé
01:00:28 entre la Russie,
01:00:30 l'Autriche-Hongrie et la Prusse.
01:00:32 D'ailleurs,
01:00:34 les souvenirs de cette période,
01:00:38 qui a duré jusqu'en 1918,
01:00:40 sont encore... Quand vous allez en Pologne,
01:00:42 les gens vous en parlent, les familles en ont parlé.
01:00:44 On considère que les pires étaient les Russes.
01:00:46 Ensuite, les Prussiens.
01:00:48 Et les Austro-Hongrois étaient plus
01:00:50 accommodants.
01:00:52 Ce qui explique d'ailleurs que
01:00:54 le sud de la Pologne,
01:00:56 avec Krakow, soit une région plus libérale,
01:00:58 plus ouverte.
01:01:00 Très belle, avec beaucoup d'intellectuels.
01:01:02 Mais ensuite,
01:01:04 ils ont eu une période
01:01:06 qui n'était pas de 1910 à 1939.
01:01:08 Puis après, ils sont retombés
01:01:10 sous la domination de l'Union soviétique.
01:01:12 Et ils se sont tirés,
01:01:14 notamment, grâce au Pape.
01:01:16 - Disons-le, tout de même.
01:01:18 - Disons-le.
01:01:20 - Le Pape peut jouer un traitement
01:01:22 plus problématique.
01:01:24 - Je pense que c'était le plus...
01:01:26 Eux considèrent que c'était le plus grand des Polonais.
01:01:28 De toute l'histoire.
01:01:30 J'étais en Pologne
01:01:32 de 2004 à 2007.
01:01:34 D'abord au moment de l'adhésion.
01:01:36 Et au moment du décès
01:01:38 de Jean-Paul II.
01:01:40 D'ailleurs, les Polonais
01:01:42 auraient aimé
01:01:44 qu'il soit enterré en Pologne.
01:01:46 Mais ce n'est pas possible.
01:01:48 Ce n'est pas la tradition.
01:01:50 Vous avez dit quelque chose
01:01:52 de très important.
01:01:54 Le pays avait été
01:01:56 rayé de la carte.
01:01:58 Je me dis,
01:02:00 dans mon petit pétot,
01:02:02 la plus grande parole d'espérance,
01:02:04 on peut être rayé de la carte
01:02:06 et ressurgir. C'est ce que dit De Gaulle
01:02:08 à Perfide. Les nations sont impérissables.
01:02:10 Il compare la poussière
01:02:12 sur une table.
01:02:14 Vous ne pouvez plus
01:02:16 voir ce qu'il y a sous la poussière.
01:02:18 Vous faites la poussière
01:02:20 et tout à coup, tout renaît.
01:02:22 Autre pays, et la problématique n'est pas
01:02:24 très différente, c'est les Pays-Bas.
01:02:26 Vous avez été ambassadeur plusieurs années.
01:02:28 Il y a une réticence aussi vis-à-vis
01:02:30 de la superstructure bruxelloise
01:02:32 au point que
01:02:34 les Pays-Bas ont deux fois moins
01:02:36 dit non à des référendums
01:02:38 sur intégrant l'Europe.
01:02:40 Deux fois, je ne sais pas, mais une fois sûrement.
01:02:42 - C'est la Constitution européenne.
01:02:44 - Oui.
01:02:46 Il y en a eu un autre.
01:02:48 Je crois que le référendum
01:02:50 contre l'entrée
01:02:52 de l'Ukraine.
01:02:54 - Il n'y a pas signé
01:02:56 l'association Union Européenne-Ukraine.
01:02:58 C'est un référendum consultatif
01:03:00 dont le gouvernement a dit qu'il n'y avait aucun effet.
01:03:02 - Ça montre quand même que
01:03:04 les pines dorsales
01:03:06 des Hollandais,
01:03:08 je ne peux pas dire
01:03:10 que les Hollandais,
01:03:12 sont quand même très vifs
01:03:14 à l'encontre de Bruxelles.
01:03:16 - C'est vrai, vous avez raison.
01:03:18 C'est un pays,
01:03:20 si vous voulez,
01:03:22 tradition calviniste,
01:03:24 tradition protestante,
01:03:26 tradition d'affaires,
01:03:28 tradition où l'argent,
01:03:30 si vous voulez, contrairement
01:03:32 à la France,
01:03:34 au pays catholique,
01:03:36 l'argent n'est pas
01:03:38 un mal en soi,
01:03:40 à condition toutefois
01:03:42 qu'il soit bien géré et que les gens ne s'enrichissent pas
01:03:44 et ne soient pas,
01:03:46 ne montrent pas trop
01:03:48 leur richesse.
01:03:50 Si vous allez dans les maisons
01:03:52 de personnes très fortunées,
01:03:54 vous ne voyez rien.
01:03:56 C'est tout petit, petit, petit.
01:03:58 Vous allez à 18h, vous êtes invité à dîner à 18h,
01:04:00 et après le cas échéant,
01:04:02 le dîner se termine à 19h30,
01:04:04 et le cas échéant, éventuellement, après on va voir le spectacle,
01:04:06 c'est tout petit, des toutes petites pièces,
01:04:08 assez sombres, c'est la tradition.
01:04:10 Donc effectivement,
01:04:12 eux, ils étaient un État fondateur
01:04:14 de l'Europe,
01:04:16 mais, disons,
01:04:18 eux, vraiment, on peut dire aux Pays-Bas
01:04:20 qu'il y a quand même
01:04:22 une double appartenance,
01:04:24 d'une certaine manière,
01:04:26 parce que eux sont vraiment
01:04:28 profondément dans l'espace atlantique,
01:04:30 et n'ont jamais été aussi heureux
01:04:32 les Pays-Bas que lorsque
01:04:34 les Anglais étaient parmi nous.
01:04:36 Parce qu'ils trouvaient entre eux,
01:04:38 en fait, les Pays-Bas,
01:04:40 l'économie néerlandaise, très dépendante
01:04:42 des Allemands, donc de l'économie allemande,
01:04:44 et ils se méfient pour des raisons historiques
01:04:46 des Allemands, ils se méfient aussi des Français.
01:04:48 Ils ont besoin du contrepoids britannique.
01:04:50 Ils avaient avec les Britanniques,
01:04:52 parce que c'est un pays libéral,
01:04:54 c'est un pays, si vous voulez, où là,
01:04:56 quelle que soit, à part, il y a effectivement quelques forces
01:04:58 qui ne sont pas
01:05:02 dominantes, en fait.
01:05:04 Ce qu'on appelle là-bas un parti socialiste,
01:05:06 qui est l'équivalent de l'extrême-gauche en France,
01:05:08 mais en beaucoup plus modéré.
01:05:10 Et puis,
01:05:12 une extrême-droite qui se diversifie maintenant,
01:05:14 qui existe, mais qui est
01:05:16 encore plus libérale.
01:05:18 Voilà, donc...
01:05:20 Il y a cette tendance,
01:05:24 effectivement, mais en même temps,
01:05:26 ils ont quand même
01:05:28 la conscience d'être
01:05:30 un pays fondateur.
01:05:32 Et puis, aux Pays-Bas, il y a beaucoup
01:05:34 d'institutions, si vous voulez, qui sont des cours
01:05:36 internationales et l'Organisation pour
01:05:38 l'interdiction des armes chimiques, ce qui rend le poste
01:05:40 très intéressant. - C'est un poste intéressant.
01:05:42 Vous avez aimé le séjour.
01:05:44 - Absolument, absolument. Le climat...
01:05:46 - Non, mais la vie...
01:05:50 - Ecoutez, la vie est très agréable.
01:05:52 La vie est très agréable.
01:05:54 - C'est un bon souvenir, j'ai l'impression.
01:05:56 - C'est un très bon souvenir.
01:05:58 - Ah, et la Tunisie.
01:06:00 Finissons, puisque...
01:06:02 - La Tunisie, c'était juste avant.
01:06:04 - 2009-2011.
01:06:06 - 2009-2011.
01:06:08 - Vous avez vécu le point de rame.
01:06:10 - J'ai vécu la révolution.
01:06:12 C'est une révolution. J'ai écrit un livre, d'ailleurs,
01:06:14 celui qui s'appelle "Un ambassadeur dans la révolution
01:06:16 tunisienne", qui était mon premier livre en 2015.
01:06:18 - Oui.
01:06:20 - Qui s'est d'ailleurs bien vendu en Tunisie.
01:06:22 - Oui, oui, on l'a vu à l'écran.
01:06:24 - Bon, c'est un pays
01:06:26 très attachant, là aussi, si vous voulez.
01:06:28 Alors vous me direz peut-être que les ambassadeurs s'attachent
01:06:30 aux pays...
01:06:32 - Ah, ça, c'est certain. Les ambassadeurs sont souvent
01:06:34 ambassadeurs du pays auprès duquel ils sont
01:06:36 accrédités. - C'est ce que m'avait dit le président Chirac
01:06:38 quand je suis allé le voir
01:06:40 en partant en Pologne.
01:06:42 Il m'a dit "Vous savez comment on vous appelait
01:06:44 quand vous étiez en Roumanie ?
01:06:46 On vous appelait l'ambassadeur de Roumanie en France."
01:06:48 - Je m'en trouve une fête de vous.
01:06:50 - C'était avec le président Constantinescu.
01:06:52 - Justement, en Roumanie.
01:06:54 - Je lui ai dit "Mais non, monsieur le président,
01:06:56 je vous demande de refaire
01:06:58 la même chose en Pologne
01:07:00 parce que c'est comme ça que vous nous serez
01:07:02 plus utiles." - Ah, il vous a dit ça.
01:07:04 - C'était Chirac
01:07:06 en tête-à-tête.
01:07:08 C'était très franc.
01:07:10 - Alors, la Tédouzie,
01:07:12 - La Tédouzie était...
01:07:14 Quand je suis arrivé, si vous voulez,
01:07:16 c'était un pays où il y avait un contraste énorme
01:07:18 entre le côté très attachant
01:07:20 du pays,
01:07:22 des gens charmants,
01:07:24 instruits,
01:07:26 connaissant très bien la France.
01:07:28 Il y a le sentiment anticolonial,
01:07:30 bien sûr, mais quand même le lien
01:07:32 avec la France qui est très très fort
01:07:34 dans tous les domaines.
01:07:36 Et puis de l'autre côté, évidemment,
01:07:38 cette dictature qui était
01:07:40 très très très forte,
01:07:42 qui était une dictature
01:07:44 comme
01:07:46 il y en avait peu,
01:07:48 encore, beaucoup plus que l'Algérie.
01:07:50 - Ben Ali.
01:07:52 - Il a été aimé du peuple.
01:07:54 Beaucoup plus que les actuels, c'est toujours la même chose.
01:07:56 C'est la déformation
01:07:58 des ambassadeurs.
01:08:00 Vous prenez vos interlocuteurs pour représentants
01:08:02 absolus de leur peuple.
01:08:04 - Alors, Martin, vous en parlez.
01:08:06 - Ben Ali, si vous voulez,
01:08:08 ça dépend auquel peuple. D'abord, le peuple
01:08:10 a fini par le lâcher.
01:08:12 Je peux vous dire que si Ben Ali est parti, c'est parti.
01:08:14 En fait, le problème, c'est que
01:08:16 l'entourage,
01:08:18 l'entourage immédiat,
01:08:20 la famille,
01:08:22 sa femme et toute la famille
01:08:24 de sa femme étaient devenus complètement détestés.
01:08:26 Et
01:08:28 il est allé trop loin.
01:08:30 Il est allé trop loin.
01:08:32 Et il n'y avait pas,
01:08:34 si vous voulez, dans ce système,
01:08:36 il n'y avait pas de
01:08:38 de, comment dirais-je,
01:08:40 de porte de sortie.
01:08:42 Vous savez, Bourguiba avait quand même
01:08:44 un certain nombre de portes de sortie.
01:08:46 Lui, il s'était
01:08:48 enfermé. Je crois qu'il était malade aussi.
01:08:50 Moi, je n'ai jamais vu Ben Ali. Je l'ai vu
01:08:52 lorsque je l'ai présenté.
01:08:54 - Il ne recevait plus les lettres de créance ?
01:08:56 - Oui, mais les lettres de créance,
01:08:58 c'était une cérémonie, si vous voulez,
01:09:00 dans les quatre postes où j'étais.
01:09:02 En Roumanie,
01:09:04 j'ai eu un entretien avec le président,
01:09:06 Konstantinescu, en tête à tête.
01:09:08 En Pologne, j'ai eu un entretien,
01:09:10 à l'époque, c'était Kvasznevski.
01:09:12 Un entretien, pas en tête à tête, mais
01:09:14 très cordial.
01:09:16 Et, aux Pays-Bas, j'ai été reçu
01:09:18 par la reine Béatrice, dans un
01:09:20 entretien en français,
01:09:22 qui n'était pas en tête à tête, mais avec une participation
01:09:24 très limitée.
01:09:26 - C'est impressionnant. - Très impressionnant.
01:09:28 Et j'ai été reçu, à mon départ, par le roi Guillaume-Alexandre.
01:09:30 J'ai assisté à l'intronisation
01:09:32 du roi en 2013.
01:09:34 Mais pour revenir à Tunisie, je n'ai jamais
01:09:36 vu, en tête à tête, Ben Ali. Je l'ai vu
01:09:38 comme ça, dans des réceptions,
01:09:40 alors qu'auparavant,
01:09:42 les ambassadeurs de France le voyaient.
01:09:44 On voyait son entourage
01:09:46 immédiat, mais qui disait
01:09:48 qu'au fond, il ne pouvait pas faire grand chose.
01:09:50 Et c'était un système
01:09:52 complètement dictatorial, avec des élections
01:09:54 complètement truquées. Les gens en ont
01:09:56 eu assez, si vous voulez.
01:09:58 Les gens en ont eu assez.
01:10:00 - Le taux de croissance
01:10:02 était considérable ?
01:10:04 - Le taux de croissance était... - 7, 8, 9 % ?
01:10:06 - Je ne dis pas... Dans les 6, 7, oui.
01:10:08 Mais justement,
01:10:10 avant les événements,
01:10:12 ça avait baissé.
01:10:14 - Ça tombait.
01:10:16 - Et depuis,
01:10:18 il y a eu bien des...
01:10:20 des épisodes.
01:10:22 La première chose qui s'est
01:10:24 passée, quand même, c'était vrai,
01:10:26 on le prévoyait, et c'est arrivé.
01:10:28 La première chose qui s'est passée,
01:10:30 c'est que les premières élections libres,
01:10:32 les islamistes ont emporté.
01:10:34 Mais ensuite,
01:10:36 c'est là le génie de la Tunisie.
01:10:38 Ensuite, il y a eu
01:10:40 une contestation
01:10:42 des islamistes. - Comme en Égypte ?
01:10:44 - Oui, sauf qu'en Égypte,
01:10:46 ça a résulté d'un coup d'État.
01:10:48 - Il y a eu aussi une correction naturelle.
01:10:50 - Là, ça a été le peuple
01:10:52 qui l'a marqué
01:10:54 lors des élections. Maintenant, le problème,
01:10:56 c'est qu'ils ont élu Nida Tounes,
01:10:58 donc ce remarquable
01:11:00 homme qui était
01:11:02 Béji Kaïd Esebsi,
01:11:04 qui était un grand Tunisien,
01:11:06 mais qui
01:11:08 lui aussi tombait
01:11:10 dans des travers
01:11:12 avec la corruption
01:11:14 et avec
01:11:16 l'insatisfaction
01:11:18 du peuple. Et donc maintenant,
01:11:20 on est dans un système qui redevient autoritaire.
01:11:22 Il redevient autoritaire et c'est dangereux.
01:11:24 - Alors, votre
01:11:26 mission à Tunis
01:11:28 prend fin un peu brutalement
01:11:30 par le fait du prince, on peut en parler ?
01:11:32 Nicolas Sarkozy, c'est l'un de ses amis ?
01:11:34 - Je ne sais pas si c'est l'un de ses amis,
01:11:36 c'est un de ses anciens conseillers.
01:11:38 - Ça aussi, c'est la servitude
01:11:40 de la fonction d'ambassadeur. Il est tout à fait
01:11:42 à la merci du prince.
01:11:44 - Tout à fait, mais c'est la Constitution
01:11:46 qui veut ça.
01:11:48 Ce qu'on appelle le pouvoir discrétionnaire
01:11:50 du président
01:11:52 en conseil des ministres.
01:11:54 - La grandeur de ce métier que vous avez
01:11:56 longtemps exercé.
01:11:58 - Il y a des moments où il faut l'accepter.
01:12:00 - C'est un métier,
01:12:02 c'est un métier très particulier,
01:12:04 très fascinant.
01:12:06 - Heureusement, ça m'est arrivé qu'une fois.
01:12:08 - Ce qu'il y a chez vous, c'est que non seulement
01:12:10 il y a le grand diplomate rompu
01:12:12 à l'exercice diplomatique
01:12:14 qui a compris beaucoup de choses,
01:12:16 mais en plus vous écrivez.
01:12:18 C'est l'occasion, une dernière fois, de renvoyer à votre livre
01:12:20 et à votre inquiétude.
01:12:22 J'aime beaucoup dans ce livre votre inquiétude
01:12:24 et la France. Vous y êtes attaché
01:12:26 tout autant que je le suis, nous le sommes tous.
01:12:28 Votre inquiétude est
01:12:30 maximale. Il y a des développements, par exemple,
01:12:32 sur la politique de l'énergie. C'est invraisemblable.
01:12:34 L'Europe avait deux sources d'énergie
01:12:36 à bas coût.
01:12:38 Le nucléaire
01:12:40 et le gaz russe.
01:12:42 On a réussi à torpiller l'un et l'autre
01:12:44 et à être dépendant
01:12:46 du reste du monde.
01:12:48 C'est énorme. L'avenir de l'Europe
01:12:50 est très, très inquiétant.
01:12:52 - Je ne placerai pas
01:12:54 les deux sur le même plan.
01:12:56 Le gaz russe,
01:12:58 c'était une erreur d'être aussi dépendant.
01:13:00 C'était principalement
01:13:02 la responsabilité des Allemands
01:13:04 et notamment de Schroeder
01:13:06 et après
01:13:08 d'Angela Merkel.
01:13:10 - Le choix anti-nucléaire...
01:13:12 - En revanche, le choix anti-nucléaire allemand
01:13:14 pèse lourdement.
01:13:16 Parce qu'il continue,
01:13:18 si vous voulez, à être...
01:13:20 Nous pourrions, dans le cadre
01:13:22 du changement climatique,
01:13:24 et nous essayons de le faire,
01:13:26 de dire que
01:13:28 le nucléaire doit être pris en compte
01:13:30 comme énergie décarbonée.
01:13:32 Or, c'est très difficile.
01:13:34 Là-dessus, je suis d'accord avec vous.
01:13:36 - Vous avez deux enfants.
01:13:38 Quel avenir vont-ils connaître ?
01:13:40 Que de difficultés, n'est-ce pas ?
01:13:42 On peut regarder les choses lucidement.
01:13:44 Il y a des choix politiques, géopolitiques,
01:13:46 diplomatiques
01:13:48 qui coûtent cher.
01:13:50 Ou des occasions manquées qui coûtent cher.
01:13:52 - Mais...
01:13:54 - Ils ne sont plus tout à fait très jeunes.
01:13:56 Je dirais qu'il va y avoir 39 ans.
01:13:58 Mais c'est quand même une autre génération.
01:14:00 Une génération qui sait...
01:14:02 L'autre a 35 ans.
01:14:04 Une génération
01:14:06 qui a pris en compte
01:14:08 le fait qu'elle n'aurait plus
01:14:10 le confort, enfin un certain confort
01:14:12 qu'on avait,
01:14:14 le confort intellectuel.
01:14:16 Je crois qu'ils sont, aujourd'hui,
01:14:18 quelles que soient leurs opinions,
01:14:20 par ailleurs, quelles que soient leurs métiers,
01:14:22 c'est très différent.
01:14:24 C'est très différent.
01:14:26 C'est un univers
01:14:28 beaucoup plus mobile et ils savent que ça va bouger,
01:14:30 pas forcément bien.
01:14:32 - Mais nous avons des ressorts.
01:14:34 - Nous avons des ressorts.
01:14:36 - Vous les voyez.
01:14:38 - Malheureusement, on sait qu'on est en train de baisser
01:14:40 sur le plan démographique.
01:14:42 - Je sais. Finissons là-dessus.
01:14:44 L'inquiétude démographique
01:14:46 parmi tant et tant d'inquiétudes
01:14:48 pour ce pays que vous avez tant aimé et tant servi.
01:14:50 Merci beaucoup mon cher ami.
01:14:52 - Merci Paul-Marie.
01:14:54 - Merci Pierre Ménard, merci M. l'ambassadeur
01:14:56 et merci au nom de TV Liberté
01:14:58 de vous être prêté avec votre gentillesse
01:15:00 habituelle à cet exercice.
01:15:02 - Voilà, merci beaucoup. Cette conversation a été
01:15:04 animée.
01:15:06 Parfois, nous, bien sûr,
01:15:08 nous ne sommes pas toujours d'accord, mais
01:15:10 intéressant de toute façon.
01:15:12 - Churchill disait, j'aime pas parler anglais,
01:15:14 "We agree to disagree". J'aime beaucoup.
01:15:16 Nous sommes d'accord même quand nous ne le sommes pas.
01:15:18 - Merci encore Pierre Ménard. À bientôt.
01:15:20 (Générique)
01:15:22 ---
01:15:24 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]