Un député contre l'alcool

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Dans Historiquement Vôtre, Clémentine Portier-Kaltenbach vous raconte un député qui ne mettait pas d’eau dans son vin. En 1896, Philippe Grenier (1865-1944) est élu député de Pontarlier. Médecin de profession et de confession musulmane, il prône la proscription de l’alcool. Or, à Pontarlier, où l’on trouve 22 distilleries, l’absinthe est reine...
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00:00 dans l'intimité de l'histoire.
00:02 - Et aujourd'hui Clémentine, vous nous racontez un député qui n'a pas mis d'eau dans son vin, il faut dire qu'il n'en buvait pas.
00:07 Philippe Grenier, le premier député musulman à l'Assemblée nationale qui a été contre l'alcool.
00:12 - Oui, vous savez que de nos jours
00:14 il y a des députés qui se présentent en short à l'Assemblée nationale et ça fait plus ou moins scandale, mais enfin il fut un temps où
00:21 c'est l'absence de cravate ou le col Mao qui choquait les français et Philippe Grenier lui
00:27 fit scandale d'une autre manière. Le 24 janvier 1897, à peine
00:32 élu député de Pontarlier, il fait la une du petit journal. Le docteur Grenier a fait son entrée dans la capitale
00:40 vêtue d'un burnou blanc, coiffé d'un turban à cordes de chameau et chaussé de bottes à l'écuyerre.
00:47 Homme de petite taille, il n'a que 31 ans, il a le type oriental très prononcé. On dirait un cabile des plus authentiques.
00:55 Le front est bombé, le visage ovale se termine par une barbiche claire et très noire,
01:00 la peau est brune et l'oeil noir est luisant. Garde de longs instants
01:06 l'immobilité contemplative des fils de Lorient. Fils de Lorient, tu parles, Philippe Grenier est né à Pontarlier en
01:14 1865, d'une mère au foyer très fervente catholique et d'un père
01:19 capitaine de cavalerie. Alors l'immobilité contemplative des fils de Lorient, bon alors il est vrai que son père a servi en Algérie
01:26 à Mostaganem, donc la famille a suivi mais elle est assez vite revenue à Beaume-les-Dames dans la propriété
01:33 familiale et là Philippe a reçu une éducation tout ce qu'il y a de plus classique et son bac en poche, eh bien il fait médecine.
01:39 Il ouvre un cabinet à Pontarlier en
01:41 1890 et la même année il se rend auprès de son frère Ernest qui
01:46 est en Algérie à ce moment là, il sert dans l'armée française à Blida en Algérie et
01:51 Philippe est à la fois très choqué par le sort de la population algérienne et absolument
01:56 fasciné par la culture musulmane et désormais revenu à Pontarlier il ne pense plus qu'à une chose, se convertir à l'islam.
02:04 Alors il dévore le Coran, il lit tout ce qu'il peut trouver
02:07 comme livre ayant trait à l'islam,
02:10 il retourne en Algérie en 1894, il se convertit effectivement
02:16 et il va même faire le hajj, il va faire le pèlerinage à la Mecque, il a alors 29 ans.
02:20 Il considère que les principes d'équité, de justice, de charité envers les malheureux sont bien davantage à l'honneur dans l'islam que dans le christianisme,
02:29 que la famille y occupe une place extrêmement importante et ça lui convient et par ailleurs en tant que médecin
02:36 il est favorable à la proscription des boissons alcooliques.
02:39 Et puis dans l'islam il y a aussi les ablutions très fréquentes du corps et des vêtements
02:43 et là aussi à ses yeux de médecin tout cela est extrêmement sain.
02:47 Alors depuis son retour à Ponterlier et sa conversion, il a définitivement adopté le Turban, la Gandoura et le Burnou.
02:55 C'est un petit peu pittoresque comme médecin mais c'est un excellent docteur
02:58 et par ailleurs le plus généreux qui soit, il ne fait jamais payer ses consultations aux plus pauvres
03:04 et à Ponterlier on ne le surnomme que le bon docteur des pauvres.
03:08 Donc ses patients lui sont restés très fidèles même si maintenant il les accueille en Burnou, que voulez-vous.
03:13 Et voilà qu'en 1896 il se présente aux élections législatives.
03:17 Son programme est très moralisateur.
03:19 Alors il affirme vouloir lutter contre l'étalage d'un luxe inouï dans l'indifférence aux pires misères sociales.
03:25 Il dénonce des dépenses formidables et souvent inutiles, une dette s'accroissant tous les jours, le manque de fraternité véritable.
03:32 Il aurait pu être candidat en 2023, il n'aurait sans doute pas dit autre chose.
03:37 Selon lui aucune réforme sérieuse n'est entreprise
03:40 pour diminuer les souffrances des prolétaires ou les charges du plus grand nombre.
03:44 Sur le plan religieux, il revendique la liberté absolue pour les religions qui honorent Dieu
03:49 et réclame la protection des pauvres, des malades et des infortunés.
03:53 Alors il propose des choses un peu plus pittoresques, il propose des bains publics gratuits dans toutes les communes de France.
03:59 Il voudrait aussi naturaliser tous les musulmans d'Algérie et de Tunisie
04:03 et leur donner tous les droits qu'ils ont acquis en combattant auprès de nos soldats.
04:07 Alors résultat, Grenier est élu avec 238... 283 que dis-je, 283 voix d'avance sur le second.
04:15 Il fait les gros titres des journaux, il est le premier musulman à devenir député.
04:20 Le jour de sa rentrée à la chambre, 12 janvier 1897, les tribunes de l'assemblée sont remplies de curieux.
04:26 Le député de Pontarlier fait une entrée très théâtrale, avant de monter les trois marches de pierre de l'entrée,
04:32 il se baisse et il dépose sur chacune des marches de l'assemblée le baiser sacré.
04:37 Un huissier le conduit à sa place dans l'hémicycle, même cérémonie, il embrasse chacun des gradins qu'il doit franchir.
04:43 La salle entière est debout pour voir ça.
04:46 Et vers 16h, Grenier quitte le palais Bourbon parce que, hé, il faut aller faire sa prière.
04:49 Alors il dit "ben écoutez, j'espère qu'un jour je pourrai revenir à l'assemblée, qu'il y aura une salle de prière,
04:54 mais pour le quart d'heure je m'en vais prier".
04:56 Pendant ces 15 mois de députation, il clame sans relâche son programme, ses convictions.
05:01 Il propose la construction d'une mosquée en plein Paris,
05:04 pour y amener de jeunes musulmans afin de les faire instruire à Paris, pour en faire un jour de vrai français.
05:09 D'ailleurs ça sera suivi au lendemain de la guerre de 14, avec la mosquée dans le quartier latin.
05:15 Il proclame qu'il faut pousser l'Algérie dans la voie du progrès,
05:19 il créait des routes, il plantait des arbres fruitiers, il menait des travaux d'assainissement.
05:23 Voilà quelles étaient les propositions du député Philippe Grenier.
05:28 Et puis c'était un très très bon député.
05:31 Hélas, aux élections de 1898, les électeurs de Pontarlier ne le suivent plus.
05:37 Pourquoi ? Eh bien parce que Grenier est contre l'alcool.
05:40 Or, avec ses 22 distilleries, Pontarlier est à l'époque la capitale de l'absinthe.
05:47 Et comme quoi, et jamais le dicton ne fut plus approprié, voyez-vous, nul n'est prophète en son pays.
05:53 Merci beaucoup Clémentine.

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