Ecrivain et journaliste à Valeurs actuelles, Olivier Maulin présente "L’Enfant de la nuit" de Robert Brasillach, le romancier qui parle des petites gens avec une "douceur franciscaine" et qui fait bramer les imbéciles. Retrouvez Olivier Maulin toutes les semaines dans les pages Culture de Valeurs actuelles et dans son dernier roman "Le Temps des loups" (Le Cherche-Midi).
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00:00 [Musique]
00:22 Rédacteur en chef du journal collaborationniste "Je suis partout",
00:26 condamné à mort pour intelligence avec l'ennemi et fusillé le 6 février 1945,
00:32 Robert Braziac est un fantôme qui hante les lettres françaises.
00:38 La haine qu'il suscite est toujours aussi farouche,
00:41 empêchant toute lecture sereine de son œuvre.
00:45 Admirez ses livres, faites de vous un salaud.
00:50 On parvient, chez un Louis Ferdinand Céline, à distinguer l'homme et l'œuvre,
00:54 le premier étant unanimement condamné et le second unanimement loué.
01:00 Mais rien de tel chez Braziac, dont les lecteurs rasent les murs avec un air coupable.
01:08 Décider d'en parler malgré tout ne relève pourtant d'aucun désir de provocation,
01:12 mais du sentiment que l'écrivain a payé assez cher ses prises de position,
01:18 que celles-ci ont eu lieu il y a bien longtemps,
01:20 et qu'il est aujourd'hui temps de redécouvrir un immense romancier.
01:26 C'était le sens de "Sept nuances de gris",
01:28 un bel essai écrit par François Jonquière il y a quelques années,
01:32 dans lequel cet avocat prenait intelligemment la défense de l'écrivain,
01:36 avant d'en appeler au pardon.
01:40 Il y a bien sûr "Notre avant-guerre", ses mémoires rédigées à 30 ans,
01:43 sur le modèle de "Notre jeunesse" de Peggy,
01:46 où Braziac évoque avec nostalgie ses souvenirs de la rue Dulme,
01:50 ses amitiés, la vie littéraire et intellectuelle française,
01:54 son engagement dans l'action française et sa découverte du fascisme,
01:58 pour lequel il prendra fait et cause après le 6 février 1934.
02:04 Paru en 1939, le livre sera complété par le journal d'un homme occupé,
02:09 interrompu par le peloton d'exécution et publié en 1955.
02:16 Mais auparavant, Braziac avait écrit trois romans,
02:20 "Le voleur d'étincelles" en 1932, "L'enfant de la nuit" en 1934
02:25 et "Le marchand d'oiseaux" en 1936.
02:29 Trois romans magnifiques, dans lesquels se faisait sentir
02:33 l'influence réaliste du roman populiste des années 30,
02:36 mais un réalisme transfiguré par la fantaisie,
02:40 parfois même par l'étrange, et que hante le fatalisme social.
02:47 "L'enfant de la nuit" met en scène un certain Robert B,
02:51 le narrateur, un jeune architecte d'intérieur,
02:53 habitant le quartier de Vaugirard,
02:55 un vieux quartier ouvrier et noble, nous dit Braziac,
02:59 qui ressemble à la province.
03:01 Pour tromper sa solitude, il va consulter une cartomancienne,
03:04 Madame Pluche, plus pour y observer la clientèle
03:08 qui tire réconfort de ses séances divinatoires
03:11 que pour connaître son avenir.
03:14 Celle-ci va le mettre en rapport avec des personnages du quartier,
03:17 M. Olivier, le bibliothécaire, le cordonnier poète juste contre-moulin
03:22 qui regrette la belle ouvrage d'antan,
03:24 fustige la mauvaise qualité des produits de l'âge industriel
03:27 et rappelle le socialiste conservateur anglais William Morris.
03:33 Parmi ces personnages, il y a aussi un petit joueur d'échecs muets
03:36 et surtout la petite Anne, l'héroïne du roman.
03:40 Recueillie par Madame Pluche, issue d'un milieu misérable,
03:44 elle est sans grâce, une douce petite fille, sans beauté,
03:48 sans intelligence peut-être, comme il y en a tant,
03:50 écrit Braziac.
03:52 Le narrateur la prend en pitié et la sort dans Paris.
03:55 Mais bientôt, l'adolescente rencontre Pauline Garouste
03:58 qui a une mauvaise influence sur elle,
04:00 si bien que la bande d'amis décide de monter un stratagème
04:04 pour l'éloigner.
04:06 Hélas, comme le dit Horace, cité par Braziac,
04:10 chercher le bonheur d'un être humain en dehors de sa destinée
04:15 est voué à l'échec.
04:18 Par la sensibilité à la condition féminine de son époque,
04:21 par la douceur franciscaine avec laquelle il décrit les petites gens,
04:25 pour reprendre l'expression de Maurice Bardèche,
04:28 ce roman triste et envoûtant adapte la tragédie au temps démocratique,
04:33 une aventure a priori banale
04:35 que la singularité des êtres finit par rendre grandiose.
04:39 Sous-titrage Société Radio-Canada