Mathieu Bock-Côté reçoit le journaliste et historien Éric Branca, auteur du livre «L'aigle et le léopard» (partie 1)

  • l’année dernière
Mathieu Bock-Côté reçoit le journaliste et historien Éric Branca, auteur du livre «L'aigle et le léopard» (partie 1)

Category

🗞
News
Transcription
00:00 - Alors, je lancais avec une question très particulière, votre livre, sur les liens
00:03 entre de complicité, de sympathie, entre globalement l'Allemagne nazie et la Grande
00:08 Bretagne, l'Angleterre, avec une question toute simple et brutale. On a l'habitude
00:13 de présenter, lorsqu'on parle de l'histoire de la Deuxième Guerre mondiale, la France
00:16 aurait eu une forme de complicité avec le Troisième Reich, avec la collaboration, et
00:20 les Britanniques y auraient résisté admirablement. Mais quand on vous dit finalement, au-delà
00:25 de la figure de Churchill qui est héroïque, la plus grande complicité idéologique, culturelle
00:30 et presque symbolique était davantage entre la Grande Bretagne et l'Allemagne nazie que
00:36 la France et l'Allemagne nazie. Est-ce que je résume bien votre propos?
00:38 - Ah, vous résumez parfaitement bien. C'est la conclusion du livre, donc on va recommencer
00:42 par la fin. Mais de fait, la Vichy est le résultat direct de l'effondrement de la France,
00:50 spectaculaire, en trois semaines, quatre semaines, avec une classe politique qui s'engouffre
00:55 dans la brèche, une classe politique qui était exclue de la République, qui avait
00:59 des comptes à régler et qui profite de la défaite pour prendre le pouvoir. Alors qu'en
01:04 Angleterre, les choses se préparaient depuis extrêmement longtemps. Une complicité, comme
01:08 vous l'avez dit. On est un peu victime chez nous d'une espèce de fatalisme rétrospectif.
01:13 C'est-à-dire qu'on juge la collaboration à l'aune de la défaite française et on
01:19 ne voit pas tout ce qui, en Grande-Bretagne, préparait une complicité très proche entre
01:25 non seulement les élites, mais également une partie de la classe politique de gauche,
01:32 une partie des syndicats, une partie des intellectuels, etc. Et ce qui camoufle cette complicité
01:39 ancienne, qui remonte même avant Hitler, qui remonte aux années 1920, à l'époque
01:44 du traité de Versailles, c'est la résistance, vous l'avez dit, héroïque des Britanniques
01:50 en 1940 qui camoufle tout ça et qui fait qu'effectivement ils ont été formidables,
01:55 incontestables, et que grâce à Churchill, les choses n'ont pas basculé. Mais ce que
01:59 j'explique longuement, c'est que ça a été vraiment à deux doigts et qu'entre
02:04 mai et juin 1940, il y a eu des moments où Churchill aurait pu être parfaitement renversé.
02:08 Une paix séparée était conclue entre Hitler et les Anglais. Et là, je vous laisse imaginer
02:14 la suite.
02:15 Alors, les raisons de cette complicité sont nombreuses. On va en explorer quelques-unes.
02:19 Vous évoquez notamment le rapport à la France, la tentation racialiste des Britanniques,
02:22 pour multiplier les raisons. Mais allons-y d'abord avec le rapport à la France. Au
02:26 lendemain de la Première Guerre mondiale, le souci des Britanniques, c'est d'une
02:29 certaine manière, si je vous comprends bien, de s'assurer que la France ne profite pas
02:33 exagérément de sa victoire pour s'assurer elle-même de son hégémonie, de sa domination,
02:38 pour éviter que la France ne soit première à sa place.
02:41 C'est un vieux système de pouvoir britannique qu'on appelle le "balance of power",
02:47 qui fait qu'il faut toujours aider le plus faible contre le plus fort, c'est-à-dire
02:50 celui qui peut restructurer le continent. Or, qui peut restructurer le continent européen
02:54 en 1918 ? C'est la France, qui a gagné sur les champs de bataille.
02:58 Et dès 1918, dès la conclusion du traité de Versailles, alors il ne faut pas oublier
03:04 que les Américains refusent de ratifier le traité de Versailles, les Anglais refusent
03:08 eux de garantir le principal gage de paix que nous avons conquis avec le traité de
03:14 Versailles, c'est la rive gauche du Rhin.
03:16 Et donc, la France se retrouve seule face à une Allemagne qui, non seulement ne va
03:20 pas payer ses réparations, mais va être poussée par les Britanniques à ne pas les
03:25 payer parce que les Anglais, et notamment la Banque d'Angleterre, qui a un rôle essentiel
03:30 à ce moment-là, je parle beaucoup d'ailleurs des liens entre le gouverneur de la Banque
03:34 d'Angleterre, qui s'appelait Montague Norman, et le futur ministre de l'économie du Reich
03:39 d'Hitler, qui s'appelait Hjalmar Schart.
03:43 Les Britanniques préfèrent une Allemagne qui devient un bon client, qui achète des
03:49 produits britanniques, qui intègre les deux capitalismes, qui s'intègrent l'un l'autre,
03:54 plutôt qu'une Allemagne dont la capacité contributive consiste à payer les réparations
03:58 aux Français.
03:59 Diriez-vous, alors j'arriverai tout de suite à la question du racialisme, mais je me pose
04:02 une question vous lisant, diriez-vous qu'au lendemain de la guerre, les Britanniques
04:07 et les Américains trahissent la France ?
04:09 Oui, on peut le dire.
04:11 Ce n'est pas un terme exagéré ?
04:12 On peut le dire.
04:13 Lloyd George, la veille de la signature du traité de Versailles, explique à Clemenceau
04:19 qu'on va pressurer l'Allemagne jusqu'à ce que les pépins craquent.
04:23 Et puis trois jours après, il dit « ben non, on ne va pas garantir l'arrivée de la gauche
04:27 du Rhin et vous allez très très loin dans ce que vous demandez aux Allemands ».
04:31 Or les destructions de la France étaient tout de même considérables et quand Wilson,
04:35 le président Wilson, vient en France pour le traité de Versailles, il refuse même
04:40 d'aller visiter les champs de bataille de l'Est et du Nord de la France.
04:43 Et personne ne va les visiter.
04:45 Alors que les Français voudraient quand même montrer l'ampleur des destructions,
04:49 les deux millions de morts.
04:50 Alors on parle des raisons géopolitiques, le rapport à la France chez les Britanniques
04:54 et chez les Américains, mais vous nous parlez d'une raison plus profonde, peut-être à
04:58 tout moins plus psychologique ou idéologique, c'est une forme de racialisme partagé entre
05:04 les Allemands, et donc pas seulement Hitler, mais les Allemands peut-être, mais ça culmine
05:08 avec Hitler, et les Britanniques qui ont peut-être aussi la même psychologie racialiste et qui
05:12 les deux se défient de la France qui a un réflexe universaliste.
05:15 Pourriez-vous nous en dire plus ?
05:16 Bien sûr.
05:17 D'abord, il faut savoir que l'un des principaux inspirateurs d'Hitler, il le considère d'ailleurs
05:22 comme l'un de ses évangélistes, dit-il, un évangéliste qui vient après le Messie,
05:28 et c'est Houston Chamberlain, qui n'a rien à voir avec le premier ministre, ils étaient
05:33 vaguement cousins, mais ils ne se sont jamais rencontrés, et qui a écrit un livre absolument
05:37 fondamental qui s'appelle "Les racines du XIXe siècle" et qui était le livre de
05:42 chevet d'Hitler.
05:44 Chamberlain s'est fait naturaliser allemand, a épousé la fille de Wagner et a parrainé
05:54 Hitler pendant tous les débuts de son ascension, dans les années 1920, il est mort en 1927,
06:00 Hitler a été à son enterrement.
06:01 Et il a vraiment été un des grands inspirateurs idéologiques d'Hitler.
06:07 Il y a une autre raison.
06:08 Hitler était fasciné par les Britanniques, par la manière dont ils concevaient l'Empire
06:13 et la manière dont ils dirigeaient les peuples "sous-développés".
06:16 Et Hitler, et c'est pour ça que les propositions qu'Hitler va faire aux Anglais vont très
06:21 bien avoir un écho considérable, c'est qu'il est le premier homme politique allemand
06:27 qui ne leur conteste pas l'hégémonie sur les terres émergées d'Afrique et d'Asie.
06:32 Hitler veut son empire en Europe, il veut aller même jusqu'en Russie, il le dit,
06:37 il le dit dans Mein Kampf, il le dit aussi à des journalistes britanniques qu'il rencontre
06:41 avant même sa prise du pouvoir, il dit que l'espèce vitale doit s'étendre extrêmement
06:45 loin à l'Est, donc il ne cache rien de ses intentions, et en même temps il dit
06:50 "mais vous, Britannique, vous avez vocation à dominer le reste des terres émergées".
06:54 Il est évident que ça c'est un langage qui est très doux aux oreilles des Anglais,
07:01 et c'est la première fois qu'un homme politique allemand leur dit ça parce que
07:04 Guillaume II ne voulait pas du tout ça, Guillaume II voulait les concurrencer en matière commerciale,
07:09 en matière économique, et ça a été une des causes de la guerre de 1914.
07:14 Et dans Mein Kampf, et dans un autre livre peu connu qu'on appelle le second livre,
07:18 qui n'a jamais été publié, et où Hitler, qu'il écrit en 1930, qui a été publié
07:23 que bien après, il va même plus loin puisqu'il dit que les Allemands sont sans doute, ont
07:29 une part de responsabilité dans la guerre de 1914 parce qu'ils ont voulu contester
07:33 aux Anglais cette capacité à dominer le reste du monde.
07:37 Ça va très très loin, alors les Anglais évidemment ils sont ravis d'entendre ça.
07:40 [Musique]
07:43 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]

Recommandations