Mathieu Bock-Côté reçoit le journaliste et historien Éric Branca, auteur du livre «L'aigle et le léopard» (partie 2)
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00:00 Revenons sur la tentation, on pourrait dire nazie,
00:03 ou la sympathie pour le nazisme des élites britanniques.
00:05 Vous avez dit, Hitler a fait une proposition de partage des terres et des eaux, finalement.
00:09 - Absolument.
00:10 - Aux Allemands, l'empire continental, aux Anglais, l'empire maritime.
00:13 - Exactement.
00:14 - Mais revenons sur la séquence particulière qui va du début de la guerre,
00:18 ou à tout le monde, un peu avant la guerre,
00:19 jusqu'au moment où ça devient irréversible, le conflit est assumé.
00:23 Quel est le réflexe de ces élites britanniques qui disent,
00:25 on peut s'entendre avec les Allemands, on peut faire une paix séparée,
00:28 on peut s'entendre avec lui ?
00:30 Quelle est leur psychologie, quelle est leur structure de pensée ?
00:32 - Leur structure de pensée est très simple.
00:34 C'est, comme je l'ai dit, le premier homme politique allemand qui ne veut pas nous concurrencer.
00:38 Donc, on va lui céder tout ce qu'il demande.
00:40 Et ce qu'on va lui céder, c'est évidemment au détriment de la France.
00:44 Et à partir de 1933, les Anglais vont pousser les Français à faire des concessions année après année.
00:51 Ça commence par la remilitarisation de la rive Gausse du Rhin en 1936,
00:56 ça continue avec l'Autriche, et puis surtout avec la Tchoukoslovaquie,
01:02 qui va aboutir à Munich quand Hitler occupe les Sudètes, la zone nord de la Tchoukoslovaquie.
01:08 C'est directement contre les intérêts français.
01:11 On en parle rarement, mais c'était un pouvoir économique très fort de la France en Tchoukoslovaquie
01:16 qui va tomber parce que nous étions, Schneider, pour ne pas le nommer,
01:19 était propriétaire des usines Skoda.
01:22 Et quand Hitler envahit le nord de la Tchoukoslovaquie, non seulement nous n'avons plus d'alliés,
01:28 la France n'a plus d'alliés en Europe centrale, mais un potentiel économique formidable tombe entre ses mains.
01:34 Et tout ça est négocié par les Anglais directement avec Hitler sans que la France ait son mot à dire.
01:40 Alors se pose évidemment le problème des élites politiques françaises qui cessent de faire,
01:45 qui suivent les Anglais comme plus tard dans les années 50, elles suivront les Américains.
01:52 Il y a une espèce de tropisme anglo-saxon qui est évidemment coupable.
01:56 Et Churchill est le seul, le seul homme politique, très isolé à l'époque, dans les années 30,
02:01 à dire aux Français "mais pourquoi est-ce que vous suivez le gouvernement anglais ? Cette politique est suicidaire".
02:07 Alors on sait que Churchill voyait chez Hitler un démon, une figure diabolique.
02:13 Mais on comprend, en vous lisant, qu'une partie de la classe politique britannique,
02:16 au-delà des intérêts partagés, au-delà de la version partagée ou géopolitique pour la France,
02:22 ou de méfiance pour la France, il y a presque, à moins que vous vous émaniez,
02:25 il y a presque une forme de fascination pour Hitler chez les gens qui ne sont pas des nazis en tant que tels.
02:29 Absolument.
02:30 Qui ne sont pas des fascistes ou tout ça, mais qui a une fascination.
02:33 Comment expliquer cette fascination ? Comment voyait-il Hitler ?
02:36 Je pense qu'il le voyait d'abord comme un rempart contre le communisme.
02:39 Et ça, il n'y a pas que. Ça, ce n'est pas spécifiquement anglais.
02:42 Beaucoup de gens se sont ralliés au nazisme ou l'ont pris pour un mal relatif à cause de l'anticommunisme.
02:50 Ça, c'est certain.
02:51 Mais il y avait aussi, chez notamment toute la France travailliste anglaise, une fascination pour sa politique sociale.
02:59 Vous avez un type très peu connu en France qui était un des grands leaders du parti travailliste,
03:06 qui s'appelait George Jonesbury, qui avait soutenu les suffragettes, le droit de vote des femmes avant 1914,
03:13 qui était très en avance, très progressiste, dirait-on maintenant.
03:16 Il va à Berchtesgaden en 1936, un petit peu avant Lloyd George, le célèbre premier ministre anglais de 1918,
03:25 dont je parlais tout à l'heure.
03:26 Et quand il revient, il explique qu'il a vu des réalisations stupéfiantes
03:31 et que c'est un exemple à suivre pour la politique sociale anglaise.
03:35 Oswald Mosley, qui crée le parti fasciste britannique, a échoué à quelques voix d'emporter la présidence du parti travailliste en 1931.
03:47 Il a été ministre du travail de MacDonald.
03:51 Ce n'était pas quelqu'un qui était nourri des idées nazies.
03:55 Il est devenu après, grâce notamment ou à cause de sa femme, qui avait réellement un tropisme hitlérien.
04:06 Il est devenu même sur le tard antisémite, mais il n'était pas au départ.
04:09 Ce qui est important de voir, c'est qu'au-delà de l'affaire Edward VIII,
04:14 qui est restée dans toute la chronique People, il y a une face immergée de l'iceberg,
04:21 qui est beaucoup plus importante et qui touche à peu près toutes les classes de la société et tous les secteurs de la politique.
04:28 - Dans tous les secteurs, vous parlez également de la presse.
04:32 Les patrons de presse ont un portrait d'Ithien Chahun.
04:36 Vous avez la banque d'Angleterre, l'argent et la presse pour diffuser des idées.
04:40 Quel est le degré d'adhésion à l'idéologie ?
04:45 - Ça va extrêmement loin.
04:48 Eux le font par anticommunisme, mais vous avez des journalistes anglais,
04:53 du Daily Mirror, du Daily Mail, qui appartiennent aux mêmes, à la même famille,
04:58 qui vont même être correspondants permanents en Allemagne
05:02 et qui vont être des agents de renseignement d'Hitler,
05:06 notamment pendant les campagnes électorales de 1933.
05:09 Ça va extrêmement loin.
05:11 Et puis, il y a aussi une stratégie d'influence.
05:15 Hitler envoie en Grande-Bretagne des membres de l'aristocratie,
05:21 il n'y en a pas beaucoup, mais il y en a quelques-uns, qui lui sont favorables,
05:25 notamment une dame qui s'appelle la princesse Hohenlohe,
05:29 qui s'installe à Mayfair dans le quartier sud de Londres
05:32 et qui va être un agent d'influence tout à fait extraordinaire,
05:35 au même titre que Wallis Simpson,
05:38 qui était, tout de suite avant de rencontrer le futur Edward VIII,
05:43 qui était la maîtresse de Ribbentrop, qui, rappelons-le lui-même,
05:46 avant d'être ministre des Affaires étrangères d'Hitler,
05:48 était ambassadeur d'Allemagne en Grande-Bretagne.
05:53 Donc tout ça forme un bouillon de culture assez actif.
05:57 Mais il faut tout de même ne pas confondre ceux qu'on a appelés les apiseurs,
06:02 qui voulaient gagner du temps, etc.,
06:04 car il y avait des gens comme les muniquois en France,
06:06 il y avait des muniquois honnêtes, qui disaient "on va gagner du temps",
06:10 "on pourra se réarmer pendant ce temps-là",
06:12 et puis les gens qui étaient vraiment acquis,
06:15 non seulement à un partage des rôles, qu'on a évoqué tout à l'heure,
06:19 mais à partir de 1940, à une paix séparée.
06:22 Et cette paix séparée, c'était la mort de la France.
06:25 Et ça, en tant que Français, on ne rendra jamais suffisamment hommage à Churchill.
06:29 Et on arrive justement à la France, à travers ça, vous parlez,
06:32 vous évoquez peut-être sévèrement, peut-être pas, vous me direz,
06:36 le rôle des élites françaises dans tout ça,
06:38 qui finalement voient ce jeu devant eux,
06:40 voient s'écrire l'histoire où ils sont presque sacrifiés,
06:43 elles sont presque sacrifiées, la France est sacrifiée,
06:45 et globalement ne font pas grand-chose.
06:47 Comment expliquer cette relative, je dirais pas impuissance, ni indifférence,
06:52 mais ce manque de volonté ou de réaction, de réactivité,
06:55 chez les élites françaises, devant le mouvement que vous décrivez ?
06:58 Je ne l'explique pas autrement que par ce conformisme anglo-saxon dont je parlais,
07:02 ça associe un peu au 18e siècle, la fascination de l'Angleterre en France,
07:05 et le fait qu'il faut les suivre, parce qu'après tout, ils sont les leaders.
07:09 Et ça, c'est très important, même.
07:11 Chez un homme comme Paul Reynaud, qui était pourtant pour la résistance à outrance à Hitler,
07:16 qui a soutenu les idées de De Gaulle sur le corps mécanisé, etc.,
07:20 qui a eu un rôle positif dans les années 30,
07:22 mais dès que les Anglais levaient le petit doigt, Paul Reynaud se couchait.
07:25 Et ne parlons pas d'Aladier, qui était son adversaire,
07:28 et qui lui a été pire que ça, puisque à Munich, au moment des négociations,
07:32 il savait parfaitement, car c'était quelqu'un d'intelligent,
07:35 on le sait en lisant son journal, il savait parfaitement qu'il allait dans le mur.
07:40 Quand Aladier revient de Munich et qu'il voit la foule qui est sur le terrain du Bourget,
07:45 le pilote lui dit "on a terri", il dit "oui", et il pensait qu'on allait le lyncher.
07:51 Et quand il s'est aperçu que c'était pour l'acclamer, il a dit "il est con,
07:55 si il savait ce que j'ai fait".
07:57 – Alors, je me permets de tirer, vous me direz si je me trompe,
08:00 quelques leçons de psychologie politique pour notre temps, dans votre livre.
08:04 C'est un livre d'histoire, ce n'est pas un livre militant d'aucune manière,
08:07 mais la psychologie, le tropisme anglo-saxon des élites françaises,
08:11 vous pouvez déjà le repérer dans votre livre sur l'ami américain.
08:14 On le voit ici, est-ce qu'on peut dire que ça demeure encore aujourd'hui,
08:17 2023, est-ce qu'une partie des élites françaises demeure fondamentalement
08:21 alignée mentalement sur l'univers anglo-saxon ?
08:24 – En tout cas sur l'univers américain maintenant, parce que je pense que les Américains
08:27 ont pris le relais de ce que pouvait être l'influence anglaise dans ces années-là.
08:32 – Bien sûr, bien sûr.
08:34 [Musique]
08:37 [SILENCE]