Bertrand Chamayou : "Mon amour pour Ravel ne m'a jamais quitté"

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00:00 * Extrait de « T'es un homme qui me fait chier » de Olivier Gesper *
00:17 Bonjour à tous, chaque jour d'ici la fin de la saison, un grand genre, un grand thème.
00:21 Aujourd'hui, musique avec le pianiste Bertrand Chamaillou, le plus auréolé des musiciens.
00:27 Cinq victoires de la musique, c'est totalement prestigieux, il faut le dire.
00:30 Il vient d'enregistrer les 20 regards sur l'enfant Jésus, composé par Messiaen sur le label Erato.
00:35 Et dès la fin de l'été, on le retrouvera au commande du festival Ravel en Pays Basque.
00:39 Son répertoire, ses projets, ses goûts, sa vie d'avant mais surtout sa vie d'après.
00:44 Bertrand Chamaillou est aujourd'hui l'invité du club Pianissimo.
00:48 * Extrait de « T'es un homme qui me fait chier » de Olivier Gesper *
01:04 Une émission programmée par Henri Leblanc, préparée par Sacha Mathéi avec Laura Dutèche-Pérez.
01:08 Réalisée par Félicie Fauger, avec Hugo Renard, aujourd'hui à La Technique.
01:13 Et bonjour Bertrand Chamaillou.
01:14 Bonjour, bienvenue, bienvenue à vous.
01:16 On va ouvrir avec un délicieux jeu d'eau parce que c'est presque l'été.
01:20 Et puis c'est aussi autour de cette partition que votre rencontre avec Ravel s'est faite.
01:25 Et cette rencontre, elle est cruciale dans votre vie.
01:28 Alors on y va en un mot, jeu d'eau ?
01:30 En un mot.
01:32 On en reparlera après.
01:33 Un qualificatif ?
01:34 Tendresse.
01:35 Tendresse.
01:36 * Extrait de « T'es un homme qui me fait chier » de Olivier Gesper *
01:46 * Extrait de « T'es un homme qui me fait chier » de Olivier Gesper *
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04:46 * Extrait de « T'es un homme qui me fait chier » de Olivier Gesper *
05:02 De la tendresse disiez-vous Bertrand Chamayou et un parfum d'enfance.
05:06 C'est avec cette musique que Ravel a fait son entrée dans votre chambre d'enfant.
05:12 Exactement, c'est pour ça que j'ai employé le mot « tendresse », c'est plutôt lié à mon enfance.
05:18 C'est une œuvre que j'ai découvert d'abord avec mes yeux et pas avec mes oreilles.
05:26 C'était assez curieux. J'avais un copain qui était un peu plus avancé que moi en piano,
05:30 et qui avait des partitions un peu plus… moi j'avais que des partitions pour les enfants, disons.
05:36 J'avais un peu des sonates de Beethoven quand même, qui étaient déjà assez évoluées.
05:40 Et un beau jour, je suis tombé sur cette partition des « Jeux d'eau ».
05:43 Et comme on entend cette musique très fluide, qui évoque effectivement les jeux de l'eau dans des fontaines ou des rivières,
05:52 ça peut être tout un tas de choses qu'on peut imaginer, la partition effectivement est très noire de notes, comme on dit.
05:59 C'est-à-dire qu'il y a beaucoup de notes très rapides, ce qu'on appelle nous des « triple crochets », des « quadruple crochets »,
06:05 enfin toutes ces choses-là qui font très vite, et ça noircit énormément la partition.
06:09 Et alors la partition est très belle à voir, comme un dessin. Elle est très graphique.
06:13 Et alors moi ça, ça m'avait fasciné parce que j'avais encore jamais vu ça, et comme je faisais un peu de piano, je me disais
06:19 « Tiens, c'est une partition, ça peut être ça ».
06:21 Et je me demandais comment ça sonnait, et puis alors j'ai quand même, je ne vais pas parler comme un vieux dinosaure,
06:26 mais j'ai quand même grandi, non pas à l'ère d'internet et tout ça, on n'avait pas accès comme ça, en claquant des doigts, à ce qu'on voulait.
06:34 Et il s'est avéré que par un hasard extraordinaire, je suis allé écouter avec mes parents un récital de piano à Toulouse, dans ma ville natale,
06:42 qui n'était autre qu'un grand pianiste franco-polonais qui s'appelait Vlado Perlmutter,
06:47 et qui était un élève de Maurice Ravel, enfin qui avait joué pour Maurice Ravel.
06:50 Et il a joué en bis, ce n'était pas dans son programme, il a joué les Jeux d'eau.
06:54 Donc je les ai entendus peut-être 15 jours ou 3 semaines après.
06:57 Alors j'en ai un souvenir vague, mais je crois que tout ça a fait que tout d'un coup je me suis plongé dans la musique de Ravel,
07:04 en commençant par un petit prélude très court qui était à ma portée à cette époque-là.
07:09 Et puis après, c'est un amour vraiment qui ne m'a jamais quitté.
07:14 C'est vraiment une passion pour sa musique, pour le personnage, pour tout ça.
07:20 Et qui m'a amené vers les autres compositeurs, notamment de sa génération, vers Debussy, vers Stravinsky,
07:26 vers toute cette période qui me passionne énormément.
07:29 Mais je dois dire que Ravel, ça a été un des points de départ de presque tout dans ma vie.
07:37 - Oui, au point de rejoindre l'Académie Ravel, à quel âge ?
07:42 - Alors ça, j'ai fait ma première Académie à 15 ans, cette Académie qui existe depuis 50 ans,
07:47 qui est une Académie prestigieuse, donc pour les élèves assez talentueux, on va dire, musiciens.
07:53 - Alors justement, elle en porte le nom. Est-ce qu'il y a aussi une philosophie particulière, une philosophie Ravel ?
07:58 En quoi est-ce l'école Ravel dans cette Académie ?
08:02 - Alors au début, c'était peut-être pas tellement... Moi aujourd'hui, avec le projet que je porte là-bas, à Saint-Jean-de-Luz,
08:08 de festival et académie, on essaye de plus en plus de se raccrocher à une sorte de philosophie Ravel, on va en parler.
08:14 Mais à l'époque, c'était surtout quelque chose qui était dans l'idée de diffuser sur ses terres natales la musique de Ravel et de ses contemporains,
08:21 et aussi particulièrement la musique française. Parce que quand ça a été créé en 1970,
08:26 il faut savoir que Ravel était encore un compositeur considéré comme un peu contemporain,
08:30 donc il y avait quand même une volonté de diffuser, bien au-delà du seul boléro, qui effectivement n'a pas besoin d'aide particulière,
08:37 aussi toute cette musique de Ravel et puis tout ce patrimoine français, autour de Ravel Debussy en particulier,
08:42 mais pas que. Forêt, Saint-Saëns, et puis plein d'autres moins connus, du groupe Dessis, ou alors Albert Roussel, Paul Ducas, etc.
08:51 Et bien d'autres aussi, n'oublions pas aussi beaucoup de compositrices de cette époque-là, très importantes comme Marguerite Canal ou Jeanne Leleu ou d'autres.
09:00 Donc tout ça, c'était un petit peu la mission de cette académie, et puis de sensibiliser, et puis quelque part d'être porteur un peu d'une sorte d'école française,
09:09 aussi auprès des étudiants étrangers qui venaient découvrir un peu ce qu'était cette grande tradition française.
09:15 - Et quelle est-elle ?
09:17 - C'est une filiation, un petit peu. C'est très compliqué à résumer en un mot, parce que pendant longtemps on a dit l'école de piano, par exemple, français,
09:27 c'était la clarté, le son perlé, les choses comme ça. Alors il y a un peu de ça, quand on entend cette musique qui est très délicate,
09:33 qui est aussi raffinée que du cristal et qui a ce côté effectivement un peu perlé. Mais enfin ça va bien au-delà de ça.
09:39 C'est une manière aussi d'être, quand on entend les grands musiciens français, les choses ont peut-être un peu changé, mais il y a quand même quelque chose qui reste.
09:49 Et vous savez, je crois qu'en fait, moi de plus en plus, parce que ces histoires d'école, on se dit "l'école russe", le truc, mais d'où ça vient vraiment ?
09:56 Et quand même on se rend compte que malgré les rencontres, les voyages, les métissages culturels, il y a des choses qui restent quand même dans le sang, un petit peu.
10:04 Et je crois que c'est lié pas mal à la langue maternelle aussi. Il y a une forte influence sur la manière dont on...
10:12 Pour la musique, la langue c'est la première musique qu'on exprime d'une certaine manière. Et ça a une forte influence sur la manière dont on pense, le rythme,
10:21 dont on déclame les choses. Et donc, je dirais que oui, la musique française, c'est un peu ce qu'a de particulier aussi notre langue française.
10:31 C'est un rythme qui est très horizontal, c'est peu d'accentuation, c'est quelque chose qui se passe vraiment beaucoup entre les lignes, en filigrane, dans les sous-entendus, dans les doubles sens.
10:41 Et dans la musique, c'est un peu pareil.
10:43 - Et elle est reconnue partout dans le monde aujourd'hui, cette école française. Vous pouvez aller la défendre absolument partout, où elle se comprend et elle se joue, surtout ici, sur place.
10:55 - Non, quand même. Ça reste une culture, la culture française et la musique qui est très développée.
11:00 Évidemment, dans la musique classique, il y a toujours une énorme hégémonie de la culture germanique en particulier.
11:05 Puis russe, on va dire, un petit peu à sa manière. Enfin, quand même, l'école française, la musique française a une énorme place, avec des grands compositeurs notamment.
11:15 Et je pense que Ravel est sans doute le plus grand ambassadeur international.
11:19 Alors évidemment, avec son boléro, mais même si vous retirez le boléro, c'est quand même un des compositeurs qui est le plus joué dans le monde, de très loin.
11:26 Et le compositeur français le plus joué dans le monde.
11:28 - Il a aussi cette idée de créer un festival qui porte son nom et défend aussi cette idée de la musique que lui a pu porter par ses compositions.
11:39 D'où cette envie de créer une place forte de la musique française, une place forte signée Ravel.
11:46 On va écouter Jean-François Esser, avec lequel vous co-dirigez artistiquement, ce festival Ravel en Pays Basque.
11:54 - Je pense qu'il faut d'abord tourner autour de l'instrument, le cerner.
11:58 Vous savez, un piano, c'est quelque chose d'imposant.
12:01 C'est pas du tout, je pense, la même conception du rapport entre l'interprète et son instrument tel qu'un instrumentiste à cordes peut le concevoir.
12:13 Alors ça, on aborde un problème très important, c'est la distance de l'interprète par rapport à l'instrument.
12:20 Pendant le cadre d'un instrumentiste à cordes, violoniste, altiste, violoncelliste, et des instrumentistes avant aussi,
12:27 je pense qu'il y a vraiment un contact direct.
12:30 L'interprète entoure l'instrument, il pense qu'il a une possession complète et physique.
12:35 Dans le cadre du piano, il y a une distance par rapport à l'instrument.
12:39 Et cette distance, il faut arriver à la briser, parce que le contact se fait par l'intermédiaire des mains.
12:44 Et puis, il y a encore deux ou trois mètres derrière qui sont loin, on voit à peine ce qui se passe de l'autre côté.
12:54 Et je pense qu'il faut arriver à briser cette distance dans l'espace et vraiment un obstacle franchir.
13:04 - C'est intéressant, il a été votre prof aussi, Jean-François Esser.
13:08 - Il a été mon prof, mais plus que ça, c'est une sorte de mentor.
13:11 C'est quelqu'un qui m'a repéré quand j'étais tout petit, à 12-13 ans, au Conservatoire de Toulouse.
13:17 Et qui m'a fait venir d'abord à la Casier-Merveille, puis à Paris.
13:21 C'était la raison, je dirais, il a été le déclencheur des événements.
13:27 - C'est intéressant ce qu'il raconte, parce que nous on imagine le pianiste faisant corps avec son instrument.
13:32 Et lui, il réhabilite l'idée et la nécessité de remettre aussi une distance.
13:37 Et parfois de la réduire.
13:39 - Ou de la briser. - Oui, exactement.
13:41 - Mais effectivement, c'est un instrument complexe.
13:43 Parce qu'il est très...
13:45 Comme il disait, avec un violon, quelque part on danse un peu avec son instrument, d'une certaine manière.
13:51 Le piano, c'est une chose très imposante et qui est figée un petit peu.
13:57 Donc comment arriver à faire corps avec l'instrument, ça c'est une grande difficulté.
14:01 C'est des choses que j'ai beaucoup appris d'ailleurs auprès de lui.
14:04 Et auprès des quelques personnes avec qui j'ai travaillé.
14:08 C'est un instrument particulier pour ça, oui.
14:12 Comment vous trouvez votre présence scénique aussi par rapport à ça, ce côté très figé.
14:17 - Oui, vous êtes assis, vous êtes devant, les mains dessus, mais le corps a besoin aussi de s'exprimer.
14:22 - Oui, oui, tout à fait.
14:23 Mais ça, bon, ce sont des choses qui...
14:25 Je vous dis, alors ça c'est intéressant, parce qu'on parlait de l'école française.
14:28 Effectivement, on se rend compte d'ailleurs qu'il y a des constantes où, selon les cultures,
14:33 les choses ont été appréhendées un petit peu différemment.
14:35 Et l'école française a souvent été d'ailleurs une école plutôt de la distance.
14:40 - Et votre philosophie à vous ?
14:45 - Moi c'est très curieux, parce que je pense que je suis un peu héritier de ça,
14:48 et j'ai toujours envie d'aller contre ça, d'une certaine manière.
14:51 Vous savez, c'est très bizarre.
14:52 Alors quand je me vois, j'ai pas du tout l'impression de correspondre à ce que je fais réellement,
14:57 ou ce que j'ambitionne de faire.
14:59 Je suis assez, parfois content du résultat, parfois moins.
15:02 Mais c'est très curieux quand on ne se voit pas exactement comme on est,
15:06 ou ce qu'on ambitionne de faire.
15:08 C'est ça un petit peu qui est très curieux chez les artistes,
15:10 et je pense que le résultat est souvent éloigné de ce qu'on projette de faire initialement.
15:15 - Sur cette relation avec l'instrument, et pour vous, avec le piano,
15:19 on peut peut-être évoquer les mots de la violoncelliste Sol Gabetta,
15:24 avec laquelle vous avez travaillé, collaboré aussi.
15:27 Elle nous disait que pour elle, une fois qu'elle avait son violoncelle entre les mains,
15:33 l'instrument, elle le percevait uniquement comme un moyen.
15:39 C'est-à-dire qu'en fait, elle essayait de l'oublier.
15:41 C'est un moyen pour elle, pour s'évader.
15:43 Et pour vous ?
15:44 - Oui, oui, mais complètement.
15:46 Moi, c'est vraiment ça.
15:49 C'est-à-dire que tout le travail, pour moi, ça a été...
15:52 Il y a quelque chose qui m'a été un peu une révélation,
15:55 c'est que je me suis mis à pratiquer un peu la méditation.
15:57 J'avais eu des problèmes physiques il y a une quinzaine d'années,
16:00 donc j'ai cherché tout un tas de voies.
16:02 Et j'ai découvert que ce qui m'aidait le plus, même à monter sur scène,
16:06 à vaincre le track, etc., c'était la méditation.
16:09 Alors pas dans le sens de déconnecter, puis d'arriver, etc.
16:13 C'est un peu ça, mais c'est d'être capable, dans l'instant où on joue,
16:19 précisément, d'être dans une sorte d'évasion.
16:24 Et d'être capable de ne se focaliser que sur précisément ce qu'on est en train de faire.
16:30 Et quand je dis bien ce qu'on est en train de faire,
16:32 c'est pas ce qui va arriver dans un quart de seconde.
16:34 C'est d'avoir suffisamment préparé, ou absorbé une musique,
16:38 et le rapport aussi à l'instrument,
16:40 pour que ça devienne organique, au point où il y a une sorte de corrélation
16:47 entre le geste et l'oreille qui se fait,
16:50 mais quasiment de manière inconsciente.
16:53 On n'est plus du tout à réfléchir.
16:56 Et donc on est dans une forme d'évasion,
16:58 une forme de choses un peu transcendantes, comme ça.
17:01 Alors moi, c'est des choses que je recherche énormément,
17:04 parce que j'y parviens très facilement à la maison,
17:06 et j'ai découvert un petit peu comment parvenir à ce genre d'état sur scène,
17:09 qui est parfois décuplé quand on a, finalement,
17:12 cette espèce de côté sans filet, face au public.
17:16 Mais... non, effectivement.
17:19 - Vous allez nous donner le truc, ou pas du tout ?
17:22 - Le truc, je pense que tout le monde peut le trouver.
17:25 - Chacun son.
17:26 - C'est ça, oui.
17:27 C'est-à-dire quand même essayer d'arriver à évacuer tout ce qui est parasite,
17:31 toutes les pensées parasites, tout ce qui vient un petit peu nous attirer.
17:34 C'est très difficile, on est toujours en lutte avec ça.
17:37 Mais en tout cas, par rapport à l'aspect mécanique de l'instrument,
17:40 pour finir avec ça, le piano, c'est...
17:42 C'est-à-dire que ce qui est très étonnant,
17:44 c'est de découvrir que ce ne sont pas des boutons qu'on appuie
17:47 et des marteaux qui frappent, mais tous les mouvements,
17:49 que ce soit du mécanisme ou de la main, sont en réalité des mouvements circulaires.
17:53 Non interrompus, contrairement à ce qu'on pourrait croire.
17:56 Et à partir du moment où on comprend ça,
17:58 on est dans un rapport très très fluide justement à l'instrument,
18:00 et on peut faire vraiment le corps et danser avec son instrument.
18:03 - Alors vous avez évoqué, vous avez parlé de transcendance.
18:06 À l'instant, Bertrand Chamaillou,
18:09 on pense à un autre compositeur dont vous êtes aussi un grand interprète,
18:13 à ce mot-là, Franz Liszt.
18:16 Lui, c'est le voyage intérieur, lui c'est votre compositeur porte-bonheur,
18:19 comme vous l'avez dit un jour.
18:21 Il vous offre cet état de grâce intérieur quand vous interprétez du Liszt ?
18:26 - Oui. D'ailleurs, il y a beaucoup de liens entre Liszt et Ravel.
18:29 Ravel était un grand fan de Liszt.
18:30 Le piano de Ravel est un piano qui vient de Liszt.
18:33 D'ailleurs, on parlait de jeudos.
18:35 Quelques années auparavant, Liszt avait composé ses "Jeudos de la Villadès",
18:38 qui est le modèle absolu de Ravel pour ses propres jeudos.
18:43 Ce sont des compositeurs dans lesquels je me retrouve complètement,
18:47 aussi dans le type de jeu pianistique,
18:50 qui m'offre un plaisir quasiment hédoniste,
18:53 de rapport sensuel à l'instrument.
18:55 Et puis, ce sont des personnalités,
18:58 les deux, chacun à leur manière,
19:00 mais très différents, parce que Liszt était beaucoup plus expansif,
19:03 on va dire, que Ravel, d'une certaine manière.
19:05 C'est quelqu'un qui a énormément voyagé,
19:07 qui a été un peu, comme vous le disiez, la pop star de son époque,
19:10 avant de, comme vous le disiez, entamer un voyage intérieur,
19:13 où il s'est finalement complètement isolé en devenant abbé, à la fin de sa vie.
19:17 C'est un parcours très étrange et très singulier,
19:20 et très romanesque.
19:22 Oui, moi ça a été, disons que...
19:27 Je pense que ce qui m'intéresse dans mon rapport au compositeur,
19:30 c'est aussi les personnalités qu'il y a derrière.
19:33 Et puis, dans le cas de Liszt, c'est vrai que ça a été un port de bonheur,
19:37 parce qu'en fait, à chaque fois, les grands projets listiens que j'ai faits,
19:41 les études d'exécution transcendante, les années de Pélénèche,
19:44 ce sont des projets qui m'ont aidé dans ma carrière.
19:47 Ça a été à chaque fois des projets port de bonheur,
19:49 des choses qui m'ont soit lancé au début, soit après confirmé.
19:54 Et ça a été toujours...
19:56 Les grands moments que j'ai consacrés à Liszt
19:59 ont toujours été des moments très heureux,
20:02 et des moments clés dans le développement de ma carrière.
20:04 - Oui, on entend quelque chose de l'ordre, de l'apaisement aussi.
20:08 Eh bien là, c'est Messiaen, que vous avez retrouvé pour ce nouvel album
20:13 que vous avez enregistré, Olivier Messiaen,
20:15 avec cette œuvre pour piano, composée en 1944,
20:19 "Vingt regards sur l'enfant Jésus",
20:21 dont on écoute tout de suite un extrait, et on en reparle juste après.
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22:38 - Là, c'est le regard du père, dans cet extrait...
22:40 - Le tout premier, oui.
22:41 - ... qu'on vient d'entendre. Le tout premier.
22:43 C'est passionnant, avec cette œuvre qui a quand même là encore fait le tour du monde.
22:48 Elle est particulièrement, on dirait religieuse, mais mystique aussi.
22:53 - C'est ça. Moi, c'est au-delà de ça, en l'occurrence, c'est ce qui m'intéressait.
22:57 Et je crois qu'on parlait de Liszt, on parlait de Ravel,
23:00 tous ces grands projets, Messiaen en particulier aussi,
23:03 qui m'accompagnent depuis l'enfance, en fait.
23:05 Il a su faire souffler ça, ce souffle divin,
23:08 vous l'entendez-vous à travers chaque note de cette partition ?
23:12 - Il y a quelque chose d'extrêmement transcendant, d'extrêmement...
23:16 Oui, enfin, qui appelle un mysticisme,
23:19 quel que soit ce en quoi on croit ou pas, je pense.
23:24 Et en tout cas, ce qui m'intéresse beaucoup dans ces grandes choses,
23:28 c'est... on parlait de transcendance, mais c'est la dimension du voyage aussi.
23:32 C'est des grandes épopées, des grandes odyssées,
23:34 comme les années de pèlerinage de Liszt,
23:36 comme quand M. Atelier a fait une grande intégrale Ravel.
23:39 Et c'est toujours quelque chose qui m'a fasciné, en fait,
23:43 d'entamer un grand voyage, en fait.
23:45 Et d'une certaine manière, pour revenir à Ravel et au Festival Ravel,
23:51 ce projet me tient à cœur,
23:53 parce que c'est né d'un amour double, de Ravel et du Pays basque.
23:59 Et c'est vraiment la dimension du voyage et du pèlerinage
24:02 qui m'intéressent dans un projet comme ça.
24:04 C'est-à-dire, tout ce que je fais, je me rends compte que c'est un petit peu lié à ça.
24:09 C'est-à-dire l'idée de partager avec les gens une grande traversée, quelque part.
24:13 La musique, elle est entrée dans votre vie très jeune, très tôt,
24:16 mais est-ce que vous arrivez quand même à percevoir encore aujourd'hui,
24:20 non pas pourquoi vous croyez en la musique,
24:22 mais en quoi la musique vous a-t-elle fait croire, finalement ?
24:27 Qu'est-ce qu'elle vous offre comme univers ?
24:30 Qu'est-ce qu'elle vous ouvre comme possibilité ?
24:32 - Ça c'est après, chacun...
24:36 Moi, c'est très difficile à expliquer, d'une certaine manière.
24:39 Il est vrai que je pense qu'on peut tous avoir des sortes de révélations dans la vie,
24:48 à divers degrés,
24:50 et notamment des choses qui nous font un peu quitter le sol, quitter la terre.
24:55 On parle d'évasion, de transcendance, de mysticisme,
24:58 mais ça peut être aussi des choses moins ambitieuses,
25:01 ça peut être des choses tout à fait joyeuses,
25:04 une forme de divertissement aussi, parfois une forme de légèreté,
25:06 ça peut être plein de choses différentes.
25:08 Il est clair que moi, ça s'est...
25:11 ça s'est...
25:13 précisé sans même que je ne fasse rien,
25:15 ça a été la musique qui a été le monde.
25:17 Parce que j'ai beaucoup de passion dans la vie,
25:19 il faut savoir que je dis toujours,
25:21 quand on me dit "qu'est-ce que vous auriez fait si vous n'aviez pas fait de musique ?"
25:23 j'ai l'impression que j'aurais pu avoir beaucoup de centres d'intérêt,
25:27 notamment dans les domaines d'expression artistique,
25:29 mais il y a beaucoup de choses qui m'intéressent,
25:32 dans tout domaine, moi je suis quelqu'un de passionné,
25:34 je crois que souvent, d'ailleurs, quand on a une passion,
25:36 c'est parce que beaucoup de gens que je vois ont des caractères passionnés,
25:40 et peuvent se passionner potentiellement pour beaucoup de choses.
25:43 Mais en l'occurrence, la musique, ça a été une rencontre, oui, très particulière.
25:48 - Où est-ce que vous trouvez aujourd'hui la nouveauté, Bertrand Chamaillou ?
25:52 - C'est complexe ça comme question, quand on parle de musique classique.
25:55 - Oui, j'en pensais, oui, c'est difficile.
25:57 - Moi j'ai...
26:01 pour raconter aussi, évidemment, pourquoi je m'attèle aussi aujourd'hui
26:05 à faire un projet autour d'un compositeur,
26:08 et pourquoi j'ai des obsessions comme ça autour de certains compositeurs,
26:12 je pense que moi-même, en fait, ce que j'aurais voulu être au départ,
26:16 finalement, l'histoire a décidé autrement,
26:19 mais c'était, j'aurais voulu être compositeur.
26:21 J'avais envie, à la base, de composer de la musique,
26:24 j'improvisais, j'essayais de composer, et le piano, c'était vraiment un moyen.
26:27 C'est exactement ce que disait Sol tout à l'heure, comme vous disiez,
26:30 mais pour moi c'était un moyen, et c'est toujours un moyen d'expression.
26:33 - Et l'interprète recompose toujours à sa manière.
26:35 - Alors d'une manière, oui, j'ai fini par comprendre ça,
26:38 parce qu'au début, ça ne m'obsédait pas tellement à la question de l'interprétation.
26:41 Mais, effectivement, ne m'étant pas réalisé comme compositeur,
26:46 c'est par le biais d'autres compositeurs,
26:48 et dans la manière dont je transmets,
26:51 et ma propre lecture de ces choses-là,
26:54 que je me suis révélé.
26:58 Mais alors, comment se renouveler ?
27:01 Déjà, la création, c'est très important.
27:04 Et puis, ça, oui, avec des compositeurs, mais aussi des plasticiens, des chorégraphes, des choses comme ça.
27:11 Et l'autre chose, c'est effectivement, faire un projet pour les autres.
27:14 J'ai 42 ans, j'ai toujours travaillé pour moi,
27:17 et donc le Festival Ravel, l'académie pour les jeunes,
27:20 c'est comment faire quelque chose pour les autres.
27:23 - Ce Festival Ravel en Pays-Basque, il débute le 23 août,
27:26 il se poursuivra jusqu'au 9 septembre, il y a tout un programme complet,
27:29 à la fois de rencontres, de thématiques,
27:31 une édition particulière que vous avez pensée, imaginée, des masterclasses aussi.
27:35 J'invite chacun à y aller,
27:38 et puis à aller à la rencontre de cette musique, et de ce compositeur Ravel.
27:41 - Et pas seulement, on fait beaucoup d'autres choses autour de ça.
27:44 C'est un état d'esprit Ravel,
27:46 le Festival, c'est un vrai voyage.
27:48 - Et je cite deux disques pour terminer, Maurice Ravel,
27:50 l'intégral, que vous avez enregistré en 2007,
27:52 sur le label Erato, toujours sur ce label,
27:55 "Les 20 regards sur l'enfant Jésus" d'Olivier Messiaen,
27:58 dont on a écouté un extrait, et qui est votre dernier album.
28:00 Merci beaucoup à vous. - Merci à vous.

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