Hans Ulrich Obrist, le critique d’art le plus influent du monde

  • l’année dernière
Transcript
00:00 *Tic-tic-tic-tic-tic-tic*
00:02 *Musique*
00:08 France Culture, Olivia Gesper, bienvenue au Club.
00:12 *Musique*
00:17 Bonjour à tous, c'est sur ce magnifique générique signé Mirwais que le Club reçoit aujourd'hui le co-directeur des expositions et des projets internationaux de la Serpentine Gallery à Londres,
00:27 une sorte de musée sans collection, un lieu d'exposition novateur et ambitieux qui prend la forme de deux musées d'art contemporain dans les jardins de Kensington à Hyde Park à Londres.
00:37 Une vie en progrès, une vie in progress, c'est le titre du livre, de son livre qui paraît au seuil dans cette histoire de vie, dans cette tranche de vie vraiment.
00:47 Le suisse-allemand Hans Ulrich Obrist raconte un parcours sur le vif fait de rencontres et de mouvements dans une sorte de désordre d'émotions et d'idées.
00:55 Le destin est une aventure labyrinthique où tout est lié, une réaction enchaîne, on en parle jusqu'à midi et demi.
01:02 *Musique*
01:05 Une émission programmée par Henri Leblanc et préparée par Laura Dutèche-Pérez, réalisée par Félicie Fauger avec Grégory Wallon à la technique.
01:12 Et bonjour à vous Hans Ulrich Obrist. Bonjour, bienvenue à vous.
01:17 Vous ne vous reconnaissez pas totalement dans cette étiquette de commissaire d'exposition qui fige selon vous les identités.
01:24 Vous préférez une approche un peu plus fluide, vous préférez penser votre vie, penser sa vie, non comme un curriculum vitae mais comme un étoilement de circonstances et de figures.
01:34 Voilà ce que disait Roland Barthes et vous le mettez en exergue de votre livre.
01:38 Qui êtes-vous alors si vous n'êtes pas un commissaire d'exposition ?
01:42 Oui en fait j'ai commencé assez tôt quand j'étais adolescent à travailler avec les artistes et j'ai commencé à organiser des expositions.
01:49 Donc en fait mon métier au début c'est vraiment organisateur d'exposition mais je pense qu'à un certain moment c'était s'aller au-delà du milieu de l'exposition.
01:58 C'était vraiment de faire des junctions entre les disciplines, entre les personnes aussi.
02:03 Donc à un certain moment on était avec l'écrivain anglais J.G. Ballard et je lui ai parlé de ce dilemme que je n'ai pas vraiment une description de cette profession que je fais.
02:11 Il m'a dit que le mot anglais de "junction maker", de "faiseur de junctions" était peut-être un mot juste.
02:19 C'est aussi cette idée de construire des pans, de construire des passerelles entre les mondes.
02:24 Je pense que nous vivons dans un monde où il y a les silos, les différentes disciplines souvent séparées.
02:30 Je pense qu'il faut créer des pans, il faut créer aussi souvent des pans entre l'art et le monde, mettre l'art dans la société.
02:36 Pour moi c'est très important aussi de sortir de l'exposition.
02:39 Donc c'est peut-être une autre description pour ce que je fais, c'est de construire des pans ou peut-être comme Félix Fénéant a dit, des passerelles.
02:46 Voilà, "dé-silonner" on peut dire aussi, sortir de cette idée du silon.
02:50 Comment cette perception du monde de l'art vous est advenue ?
02:56 À quel moment vous vous êtes dit "on a parfois une vision un tout petit peu trop réductrice de tous nos mondes, il faut les faire se rencontrer, les faire se partager".
03:04 Oui c'était arrivé quand j'avais 17 ans, j'ai rencontré les artistes suisses Fischli et Weiss.
03:10 Ils étaient en train de faire ce magnifique film "Le cours des choses", c'était comme une réaction de chaîne.
03:14 Et ça a créé, comme vous avez dit, une sorte de réaction de chaîne dans ma vie.
03:18 Et Fischli et Weiss m'ont présenté à leur ami Alighiero Buiti qui était l'artiste de l'arté poéra, artiste conceptuel, grand artiste italien.
03:25 Et ils m'ont dit il faudrait aller le visiter à Rome.
03:28 Et moi à cette époque là j'ai toujours pris des trains de nuit de Zurich, je suis allé à Rome et j'ai rencontré Alighiero Buiti.
03:35 Et Alighiero Buiti m'a dit "les artistes sont toujours invités à faire des expositions, des biennales, mais en fin de compte c'est assez limité ce que les artistes sont invités à faire".
03:43 Et il a plein de projets qui n'entrent pas dans ces formules.
03:47 Il voudrait travailler dans d'autres parties de la société, il voudrait travailler dehors le musée.
03:51 Et il m'a dit il faudrait demander aux artistes leurs projets non réalisés.
03:55 Et archiver leurs projets non réalisés et aider aux artistes de réaliser leurs projets non réalisés.
04:00 Et c'est comme ça un peu que mon activité est née.
04:04 J'ai commencé à travailler avec les artistes, à un certain moment j'ai réalisé que si on veut comprendre les forces qui sont effectives dans l'art visuel, il faudrait connecter ça à la musique, à la littérature, à la science.
04:14 Et donc j'ai commencé à faire exactement la même chose que j'ai fait dans l'art.
04:17 J'ai commencé à faire des visites d'atelier pour ainsi dire chez les scientifiques.
04:20 Dans les laboratoires, j'ai commencé à visiter les écrivains et les poètes. Et comme ça peu à peu les choses ont commencé à se connecter.
04:26 Alors on va écouter un extrait, ou regarder plutôt avec vous, un extrait de ce film "Le cours des choses" réalisé en 87 par Peter Fishley et David Weiss, sorti l'année d'après en 88.
04:37 C'est un film expérimental, c'est un film sans dialogue, c'est un film qui dure 16 minutes, qui est en couleur, 30 minutes pardon, et qui est en couleur.
04:45 Et on va dans cet extrait, vous allez peut-être vous en souvenir et nous raconter ce qui se passe, entrer dans un entrepôt.
04:52 [Bruit de paquets de papier]
04:55 [Bruit de pas]
05:05 [Bruit de coups de feu]
05:07 [Bruit de coup de feu]
05:17 [Bruit de paquets de papier]
05:28 [Bruit de paquets de papier]
05:34 [Bruit de pas]
05:41 [Bruit de coups de feu]
05:50 [Bruit de coups de feu]
05:53 Vous parliez, en dessous de Rich Obrist, de réactions en chaîne, d'effets dominos. Qu'est-ce qui se passe à cet instant-là ?
06:00 On est dans un entrepôt et on voit que rien ne se perd, tout se transforme finalement.
06:04 Il y a des chutes, on a le sentiment que quelque chose est en train de brûler, qu'il y a des effets presque pyrotechniques qui sont à l'œuvre.
06:13 Oui, oui, la chaîne est belle. Il faut s'imaginer qu'on est en 85 et on est 85-86 dans une banlieue zuricoise.
06:22 Et les artistes Peter Fischli et David Weiss sont en train de mettre en réaction de chaîne leur construction d'équilibre.
06:29 Ils avaient fait toute une série auparavant d'équilibres invraisemblables, improbables de construction qu'ils ne pourraient pas s'imaginer qu'ils tiennent.
06:36 Et donc là, les équilibres commencent à se mettre en mouvement. Il y a aussi des éléments de feu, d'artifice et la chaîne ne s'arrête jamais.
06:43 Le titre de votre livre, "Une vie in progress", fait référence au "work in progress" de l'artiste, un peu à la manière de Marcel Duchamp.
06:51 Comment vous intégrez ce mouvement dans votre vie, dans votre regard sur l'art aussi ?
06:57 Je pense qu'il y a toujours eu cet aspect de voir et d'écouter.
07:02 D'aller voir les artistes et de développer des formules d'exposition qui sont en fait évolutives.
07:09 Donc c'est non seulement la vie en progrès, mais c'est aussi des expositions en progrès.
07:13 Je n'ai jamais vraiment fait des expositions qui sont statiques, mais c'est des expositions qui évoluent.
07:18 Pour vous donner un exemple, exactement il y a 30 ans, en été 1993, on a commencé ce projet "Do It" avec deux artistes français,
07:30 avec Christian Boltanski et avec Bertrand Lavier.
07:33 Et on était au Café Select à Paris en parlant d'une idée d'exposition où on ferait une exposition sur les mots d'emploi.
07:40 Parce que Boltanski et Lavier m'ont raconté que très souvent, quand ils font des installations, ils écrivent des mots d'emploi.
07:45 Et on les envoie et c'est réalisé sans transport.
07:49 Ils m'ont dit que ce serait amusant qu'on ferait une exposition où on invitait les artistes à faire des expositions
07:54 où ils contribuent des mots d'emploi et ça pourrait se réaliser partout dans le monde.
07:58 Cette exposition a eu lieu jusqu'à aujourd'hui 169 fois.
08:02 Il a toujours eu une version de "Do It" quelque part dans le monde, sur tous les continents.
08:07 Et évidemment, chaque fois que cette exposition va quelque part, on fait une recherche locale sur les artistes qui travaillent sur les mots d'emploi.
08:14 On fait plein, on découvre plein d'histoires.
08:16 Évidemment, il y a Fluxus, mais ça apparaît par exemple aussi dans le mouvement tropicaliaux au Brésil.
08:21 Mais ça arrive...
08:23 Et donc c'est une recherche cumulative.
08:25 Et chaque fois, la recherche locale entre à la recherche globale.
08:28 Et cette exposition a été une exposition en progrès depuis 1993.
08:33 Il y a aujourd'hui 500 œuvres par mots d'emploi, par 500 artistes qui font partie de cet archive.
08:39 Et c'est un peu la même chose aujourd'hui avec l'exposition que je viens d'organiser d'ailleurs.
08:45 Ça a ouvert la semaine dernière à Metz, au Centre Georges Pompidou, avec Chiara Parisi qui est sur les jeux vidéo.
08:51 Parce que là de nouveau, c'est une exposition complètement évolutive.
08:54 C'est l'idée aussi qu'une exposition peut apprendre.
08:56 Une exposition n'est pas nécessairement savante au début, non.
09:00 Elle commence quelque part et après elle apprend dans le monde.
09:03 - Elle grandit, elle grandit et elle va rassembler, elle va chercher.
09:07 On peut donner un autre exemple encore pour raconter cette démarche et cette pensée qui est la vôtre.
09:13 Parce que la Serpentine Gallery est une maison totalement à votre image, où l'esprit des lieux est conforme au vôtre.
09:19 Cette idée d'oser, d'expérimenter, d'exposer, de bousculer, de casser les frontières.
09:23 Ce qui était déjà l'état d'esprit de l'exposition "Take me, I am yours"
09:27 que vous aviez montée en 1995 avant même de devenir co-directeur des expositions là-bas.
09:32 Dix ans avant votre arrivée à la tête de cette galerie.
09:35 Comment vous vous êtes adapté sur le principe, sur cette idée qu'on pouvait faire, nous, le spectateur, les regardeurs, le public.
09:42 Tout ce qu'on ne peut pas faire habituellement dans une exposition.
09:45 C'est-à-dire toucher les œuvres, les changer de place, éventuellement repartir avec aussi.
09:50 - Oui, on peut installer l'exposition chez soi.
09:53 Moi j'avais commencé par une toute première exposition quand j'étais étudiant dans ma cuisine.
09:57 C'était une exposition en 91 dans la cuisine.
10:00 Il y avait d'ailleurs Hans-Peter Fehlmann qui disait qu'il ne voulait pas exposer dans la cuisine mais dans le frigo.
10:05 Donc il y avait dans l'exposition de cuisine une exposition dans le frigo.
10:08 Et donc l'idée avec "Take me, I am yours" c'était un peu que chaque visiteur peut après rentrer chez eux ou chez elle
10:14 et faire en fait l'exposition soi-même et amener des fragments.
10:18 Et c'est toujours lié au fait que je pense que c'est très important que nous allons avec l'art dans la société.
10:23 Parce que moi je suis né en Suisse dans une famille qui vraiment n'avait pas du tout une connexion à l'art.
10:28 Et l'art est arrivé à moi à travers des distributions insolites.
10:33 A travers par exemple Keith Haring a fait des affiches pour le festival de Jazz à Montreux.
10:37 J'ai rencontré ces affiches dans les rues en Suisse.
10:40 Un autre exemple était Emma Kunz, cette artiste extraordinaire, guérisseuse.
10:44 C'est une guérisseuse artiste suisse qui faisait des abstractions avec son pendulum.
10:49 Et on trouve une poudre formidable qui s'appelle Aion dans les pharmacies en Suisse que mes parents ont achetées.
10:54 Et j'ai trouvé des dessins d'Emma Kunz sur le packaging.
10:58 Donc l'art est arrivé à moi à travers par exemple le timetable du chemin de fer suisse.
11:04 On fait des commandes aux artistes, c'est arrivé chez nous. C'est comme ça que l'art est arrivé.
11:08 Donc j'avais toujours pensé qu'il faut faire ça, qu'il faut trouver des façons de disséminer l'art.
11:12 Et avec Technia Mure, on a essayé de trouver une exposition qui peut avoir lieu dans toutes les maisons des visiteurs qui visitent l'exposition.
11:19 - Mais est-ce que le fait que vous soyez suisse, pardon pour cette question, en dessous le Richopris, a compté finalement pour vous ?
11:25 Est-ce que ça veut dire quelque chose ? Parce qu'à cette question "qui êtes-vous alors ?"
11:29 Vous le dites dans le livre, on pourrait presque commencer par répondre que vous êtes d'abord née sous une bonne étoile,
11:34 celle de mai 68, qui vous a peut-être appris un peu cet esprit révolutionnaire, cette idée d'auto-organisation,
11:41 cette idée aussi de sortir de l'art des musées.
11:44 Est-ce que le fait que vous soyez suisse, de ce petit pays qui essaie de faire entendre sa voix, ça a aussi compté pour vous ?
11:50 - Oui, je pense qu'il y a eu beaucoup d'expériences comme ça.
11:53 Par exemple, j'ai fait un musée pour l'écrivain Robert Walzer.
11:55 C'était un musée sur le thème de la promenade, puisque le grand écrivain Robert Walzer s'est arrêté d'écrire à un certain moment dans sa vie
12:03 et a remplacé l'écriture par la promenade.
12:05 Donc il a fait ces fameuses promenades et j'ai fondé un petit musée dans un restaurant où Walzer s'est toujours arrêté quand j'étais étudiant.
12:12 C'était un musée sur le thème de la promenade.
12:14 Donc il y a eu beaucoup de projets comme ça, d'expérimentation, que j'ai fait en Suisse, mais il me manquait toujours la grande ville.
12:19 Donc quand j'étais en Suisse, j'ai préparé mon départ, j'ai appris six langues au lycée pour pouvoir partir dans les grandes villes.
12:26 Et donc c'est là où j'ai commencé à travailler à Paris et maintenant à Londres.
12:29 - Oui, il y a cette idée quand même que les Suisses sont des voyageurs, sont des vagabonds.
12:33 On ne peut pas rester enfermé aussi, et c'est ce que Nicolas Boubouvier racontait bien et a montré à travers son parcours et sa vie, dans ses frontières.
12:41 Il y a toujours besoin d'en sortir et d'aller se réaliser ou se concrétiser ailleurs pour mieux y revenir.
12:47 - Oui, je pense aussi que c'était lié peut-être à l'enfance au lac de Constance.
12:52 C'est un lac qui connecte trois pays, l'Autriche, l'Allemagne et la Suisse.
12:56 Donc déjà, quand j'étais à l'école, c'était très quotidien qu'on allait en Allemagne pour déjeuner, qu'on allait au cinéma en Autriche et en Allemagne.
13:04 Qu'on traversait les frontières tous les jours d'une certaine façon.
13:07 - Que vous alliez bouger, que vous alliez sortir aussi.
13:10 Mais vous tout particulièrement, allez picorer ailleurs, rencontrer, échanger aussi avec des philosophes, des scientifiques, des philosophes comme Bruno Latour notamment, que vous avez bien connus.
13:21 Il y a quelqu'un qui a beaucoup compté pour vous. On va peut-être écouter, si vous le voulez bien, sa voix fragile, sa voix trébuchante, deux ans avant sa mort.
13:31 Mais présentez-nous d'abord Gustav Metzger.
13:34 - Gustav Metzger était un artiste fondamental pour nous à la Serpentine.
13:39 C'est un artiste pionnier de l'écologie, qui déjà dans les années 60 a vraiment travaillé sur la crise d'extinction à venir, sur le thème d'environnementalisme dans l'art.
13:52 Et on a fait une rétrospective avec Gustav. Je l'avais d'ailleurs rencontré au moment de Take Me I'm Yours.
13:56 Et après, quand j'ai rejoint la Serpentine en 2006, on a fait une rétrospective sur son travail environnemental.
14:01 Et le jour après le vernissage, il était de nouveau dans mon bureau et il a dit "ça n'a que commencé".
14:05 Ce thème n'est pas quelque chose qu'un musée peut régler dans une exposition. Il faut que c'est à l'intérieur du musée.
14:11 C'est lui qui vraiment nous a convaincus, il y a une dizaine d'années, de mettre l'écologie au centre du travail qu'en fait la Serpentine.
14:18 D'avoir tout un département, on appelle ça le département de l'écologie générale.
14:24 D'avoir un curateur spécialisé sur l'écologie. Et tout ça c'est vraiment né à travers Gustav Metzger.
14:33 Et c'est ça le principe de la Serpentine, qu'on travaille vraiment avec les artistes, qu'on suit les artistes.
14:38 Et que chaque fois qu'on travaille avec les artistes, ça aussi transforme l'institution.
14:41 L'écologie au centre, c'est exactement ce que va nous dire et expliquer, dans cet archive de 2015,
14:47 cet artiste et activiste politique allemand Gustav Metzger, qui a beaucoup compté pour vous.
14:52 On l'écoute et on traduit.
14:55 Le planète est en condition horrible, si on inclut tous les armes, et ajoutons la pollution et le risque de la nature, c'est assez horrible.
15:19 La nécessité d'alerter le public, d'alerter un énorme nombre de personnes, de faire face aux dangers, c'est je pense la priorité supérieure.
15:34 Tout ce que je peux dire, c'est la totalité de la vie, quelles que soient les conséquences.
15:41 Mais c'est cet attempt à cacher ce qui est important, cet attempt à se merger avec ce qui est le plus important.
15:56 Je pense que c'est le centre de ma vie.
16:01 Dans cet extrait, Gustav Metzger, vous l'avez entendu, parle de l'état déplorable, pitoyable de la planète, déjà il y a plus de dix ans.
16:11 Il raconte qu'il y a une nécessité à alerter le public, et que c'est peut-être aussi l'importance de l'art d'aider à attraper l'essentiel,
16:24 de replacer ça au centre de sa vie. C'est une voix très bûchante, comme on le disait, qui vous touche aussi, par son discours et la générosité qu'il mettait dedans.
16:37 Oui, c'est comme un tremblement, comme dirait Édouard Glissant, comme tremblement.
16:41 Et Metzger, à un certain moment, il a arrêté d'ailleurs d'exposer, il a vraiment mis son activité dans l'activisme.
16:50 C'est d'ailleurs dans une exposition qu'on avait organisée au Musée d'art moderne de la ville de Paris, quand j'ai travaillé avec Suzanne Pagé,
16:58 pendant les années où j'ai vécu à Paris, on a, pour la première fois, d'une certaine façon, ramené Gustav Metzger dans le monde des musées.
17:03 C'était aux alentours de 1996, pour une exposition "Live, Live".
17:07 Et Gustav Metzger a donc recommencé à exposer. C'est ça qui a mené après à la rétrospective, à la Serpentine, et à beaucoup plus que ça.
17:17 Il a fait, par exemple, un travail sur l'extinction, comme une cartographie de toutes les choses qui disparaissent.
17:22 C'est pas seulement les "species", mais aussi les phénomènes culturels qui disparaissent dans notre temps.
17:30 Et il a fait cette cartographie de l'extinction avec toutes les écoles en Angleterre.
17:33 C'était comme un grand travail collectif, on peut dire, comme une sculpture sociale, un tout petit peu.
17:38 Et évidemment, ça nous a inspirés à vraiment produire de la réalité aussi avec la Serpentine.
17:43 Par exemple, on vient d'ouvrir l'année dernière un jardin avec Alexandra Daisy Ginsberg, une artiste-designer formidable en Angleterre,
17:51 qui a fait un jardin avec l'aide de l'intelligence artificielle.
17:54 Un jardin pas pour les humains, mais pour les pollinateurs.
17:57 Donc c'est un jardin où les plantes sont, d'une certaine façon, au service des pollinateurs.
18:02 Un jardin à côté de la Serpentine, dans Kensington Gardens.
18:05 Et tout ça, c'est vraiment né, on peut dire, de la collaboration avec Gustav, oui.
18:08 - Voilà, et vous, vous partagez le même épicentre que Gustav Metzger, cette idée que les artistes sont aussi des lanceurs d'alerte.
18:16 Activiste, le mot, vous l'acceptez, vous l'adoptez pour vous aussi ?
18:20 - Oui, je pense. Production de réalité aussi.
18:22 Je pense que c'est intéressant, cette idée, comme Gustav a toujours dit, qu'il voulait produire de la réalité.
18:29 - Oui. Est-ce qu'il y a encore d'autres frontières à dépasser pour vous aujourd'hui ?
18:33 Des choses à inventer encore, à explorer, d'autres murs à faire tomber ?
18:39 - Oui, en fait, Etel Adnan, la grande artiste et poète avec qui j'ai beaucoup travaillé,
18:45 a toujours dit que le monde a besoin d'être ensemble et pas de séparation, d'amour et pas de suspicion,
18:54 et d'un futur commun et pas d'isolation.
18:56 Et je pense qu'il y a énormément à faire dans ce monde aujourd'hui, dans cette direction-là.
19:01 Pour nous, à La Serpentine, il y a trois chapitres principaux.
19:04 Il y a ce travail sur l'écologie.
19:06 À cet été, il y a trois expositions liées à l'écologie.
19:10 Il y a Gabriel Massan avec un jeu vidéo, avec ses collaborateurs.
19:14 Il y a Thomas Saraceno qui a complètement transformé La Serpentine avec des panneaux solaires,
19:19 en ouvrant la galerie vers le parc, en enlevant la clim, il n'y a plus d'air conditioning.
19:24 La Serpentine devient partie du parc, et le parc devient partie de La Serpentine.
19:30 C'est cette exposition "Interspecies", on peut dire.
19:33 Et le pavillon de Lina Gautme, qui est une architecte libanaise-française qui vit à Paris,
19:39 qui a construit notre annuel pavillon de La Serpentine.
19:43 Mais il y a beaucoup de choses aussi, je pense, par rapport à la technologie.
19:46 Pour répondre à votre question sur la frontière, non.
19:48 Parce que nous, on a pensé non seulement qu'une institution au 21e siècle a besoin d'un département d'écologie,
19:53 mais aussi d'un département de technologie.
19:55 Donc on a aussi, il y a une dizaine d'années, commencé à organiser ça.
19:59 On a "appointed", on a...
20:01 - Compté, montré...
20:02 - Oui, un "chief technology officer", et toute une équipe avec 5 curateurs de technologie,
20:08 qui sont experts en jeux vidéo, en blockchain.
20:11 Et là, on produit d'une certaine façon non seulement des œuvres, mais aussi des infrastructures par rapport à ça.
20:16 Et je pense qu'aujourd'hui, il y a un énorme potentiel par rapport à un musée,
20:21 à développer ces expériments.
20:24 C'est Zaha Hadid, l'architecte, qui a construit d'ailleurs notre deuxième espace.
20:27 Puisque comme vous dites, on a deux espaces.
20:29 On a l'espace de la Biégalerie, qui a toujours été là, dans le parc.
20:34 Et on a la deuxième galerie, qui est un ancien dépôt de munitions,
20:38 que Zaha Hadid a transformé.
20:39 C'est d'ailleurs son seul bâtiment au centre de Londres.
20:42 Et Zaha a toujours dit "There is no end to experimentation".
20:49 Il n'y a pas de fin à l'expérimentation.
20:50 Et c'est ça, notre moto.
20:52 On pense à elle tous les jours.
20:53 Elle nous manque, et on essaie de travailler dans cette direction.
20:56 - Qu'est-ce que vous pensez des NFT, de cette technologie,
20:59 qui est quand même en train de questionner, de secouer le marché de l'art ?
21:04 - Il y a eu beaucoup de discussions, je pense, ces dernières années,
21:07 justement sur l'aspect que ça a par rapport au marché.
21:09 Mais pour nous, en tant qu'institution publique, en tant que consulat,
21:14 ça pose surtout la question aussi, ce que ça peut donner au-delà de la question du marché.
21:20 Par exemple, qu'est-ce que ça veut dire par rapport à la recherche ?
21:23 Ça peut être utile pour les artistes en termes de leur droit.
21:27 Et d'une certaine façon, ça peut être intéressant par rapport aux visiteurs,
21:33 par rapport à une exposition.
21:34 Donc là, avec le jeu de Gabriel Massan, on travaille avec Tezos,
21:37 que chaque visiteur peut d'ailleurs sortir de l'exposition.
21:41 Et comme tout chez nous, puisqu'on a l'entrée gratuite à la Serpentine,
21:46 aussi le NFT, d'une certaine façon, est là pour tout le monde.
21:51 Et je pense que toute cette discussion est aussi très liée aux jeux vidéo,
21:57 puisque je pense que c'est très important que de plus en plus d'artistes aujourd'hui
22:01 travaillent avec les jeux vidéo.
22:03 C'est peut-être un peu un nouveau Gesamtkunstwerk,
22:05 puisque la littérature, la musique, l'art, tout ça peut entrer d'une certaine façon dans ces nouveaux jeux.
22:11 Et maintenant que les game engines sont vraiment plus disponibles,
22:15 plus facilement disponibles pour les artistes,
22:18 on peut voir de plus en plus des artistes qui inventent leurs jeux.
22:21 - C'est important pour ça, pour aussi se donner cette possibilité,
22:25 cette dimension ludique à l'art,
22:27 et de ne pas la considérer effectivement, peut-être pour vous, que comme un marché.
22:32 Quelles sont les places fortes de l'art aujourd'hui ?
22:35 Vu de loin, on a toujours un peu du mal à se décider entre Bâle, chez vous, en Suisse,
22:40 si je reste en Europe, entre Londres et Paris.
22:43 Il y a énormément de fondations privées, notamment, qui ont ouvert à Paris,
22:47 comme la Fondation Vuitton, la Fondation Cartier, la Bourse du Commerce.
22:51 Est-ce qu'elles viennent concurrencer les grands musées nationaux ?
22:56 Ou est-ce qu'elles sont complémentaires ?
22:58 - Je pense qu'il y a aujourd'hui un vrai dynamisme, avec toutes ces fondations qui se sont créées.
23:05 C'est un dynamisme qui est aussi très lié au fait qu'il n'y a plus un centre.
23:10 Il y a aujourd'hui beaucoup de villes dans le monde où il y a une sorte de polyphonie de centres,
23:16 ou peut-être c'est un archipel de centres.
23:19 C'est plus cette idée qu'il y a une ville,
23:22 qui peut prétendre d'être le centre, qui a une multiplicité de centres.
23:27 Je pense que ça c'est une chose.
23:30 Je pense que l'autre chose qu'il y a aussi, c'est qu'en fait,
23:34 aujourd'hui il y a des centres d'art très importants sur tous les continents.
23:39 C'est important ça, et je pense que surtout, nous devons célébrer cette polyphonie de centres
23:45 et essayer de le montrer.
23:48 Comme Édouard Glissant a toujours dit, d'essayer d'une certaine façon avec les musées,
23:51 de mettre en contact toutes les cultures, les unes avec les autres,
23:55 de célébrer, et non, ça.
23:57 - Oui, et c'est ce que vous faites aussi à travers ces conversations infinies
24:02 que vous avez tissées, nouées entre l'art, le monde de l'art, et d'autres disciplines.
24:09 Vous le racontez aussi dans ce livre, quand vous étiez enfant, vous ne vouliez pas dormir,
24:12 et en permanence vous interrogiez les adultes à l'image de ces entretiens infinis,
24:17 de ces conversations avec des artistes, avec des penseurs,
24:20 comme avec Raoul Van Eeghem, l'auteur du traité du savoir-vivre,
24:24 qui a été pour vous aussi quelqu'un d'important.
24:26 Vous êtes l'auteur de ces entretiens, vous avez rencontré des chorégraphes,
24:30 comme Benjamin Milpied, des cinéastes, comme Agnès Varda, des poètes, comme Adonis.
24:36 C'est incroyable aussi toutes ces rencontres, comment elles peuvent former,
24:39 comment elles peuvent nourrir, comment elles peuvent aider aussi à se construire une destinée,
24:43 et vous avez tout pris. Mais quelle place vous donnez à la parole, à la conversation,
24:47 au général dans votre démarche ?
24:48 - Oui, la conversation c'est très central, puisque tout naît en fait,
24:51 tout part de mes conversations infinies que j'ai avec les artistes,
24:56 et à un bout d'un certain moment j'ai commencé à les enregistrer,
24:59 puisque je ne me souvenais plus trop de tous les détails.
25:02 Au début ce n'était pas du tout pour être publié, c'était des conversations de recherche.
25:05 Il y a aujourd'hui environ 4000 heures de ces conversations,
25:09 et d'ailleurs, puisque vous évoquez Agnès Varda, on est juste en train d'ouvrir avec
25:14 Maya Hoffman et la Fondation Luma, une exposition qui ouvre d'ailleurs à la fin de cette semaine,
25:20 vendredi samedi à Arles, de toutes mes conversations avec Agnès Varda.
25:26 C'était passionnant, puisque c'est Annette Messager et Christian Boltonski
25:31 qui m'ont présenté Agnès Varda au moment où on a fait la recherche pour la Biennale de Venise en 2003,
25:35 et on a invité Agnès Varda à venir à Venise.
25:37 Et pour Agnès, qui était très habituée au festival de cinéma,
25:40 c'était une expérience complètement nouvelle, puisqu'elle était soudainement dans une exposition d'art.
25:44 Donc c'était incroyable, puisqu'elle s'est déguisée en patate,
25:47 elle est venue avec ce costume incroyable de patate, avec une voix aussi,
25:53 et elle a fait une grande installation avec des patates, avec le cinéma,
25:57 et on va revisiter cette installation à Arles à partir de la fin de cette semaine.
26:02 - Voilà, à la Fondation Luma, dans le cadre des rencontres de la photographie d'Arles,
26:06 qui vont débuter tout début juillet dans le sud de la France,
26:10 où vous serez présent, comme vous le racontez, en un mot.
26:12 Vous nous racontiez aussi, juste avant de débuter cet entretien, votre dîner avec Paul McCartney.
26:17 Je ne sais pas si vous avez enregistré cette conversation infinie.
26:20 Qu'est-ce que vous en retenez, en une phrase ?
26:23 Qu'est-ce qui a été dit ? Qu'est-ce que vous en retenez comme idée de cette conversation-là ?
26:26 - C'était très, très touchant de voir comme Paul McCartney,
26:29 puisqu'on était avec Peter Blake, l'artiste qui est un des pionniers de la pop art,
26:34 qui aujourd'hui a 92 ans,
26:36 et c'était très, très touchant de voir l'appréciation que Paul McCartney a
26:42 pour cet artiste plasticien qui a fait ses couvertures de disques,
26:45 et on a beaucoup parlé sur ce lien entre art et musique,
26:48 qui est évidemment très central pour lui, et très central aussi pour les recherches que je fais.
26:52 - Voilà, merci mille fois à vous Hans Ulrich Obrist d'avoir été avec nous.
26:56 Je rappelle le titre de votre livre, qui ne sont pas des mémoires,
26:59 pas totalement non plus une autobiographie, mais un parcours de vie,
27:02 Une vie in progress, publié au Seuil.
27:05 Merci à vous d'avoir été avec nous. - Merci beaucoup.
27:08 France Culture, l'esprit d'ouverture.
27:12 Je vous donne rendez-vous ce soir à 19h en compagnie de Mélanie Laurent.
27:16 - Arnaud Laporte.
27:17 Comédienne et réalisatrice, Mélanie Laurent est également l'autrice d'un conte écologique,
27:22 Les larmes d'Eugénie. Après une première adaptation en opéra,
27:25 elle en propose une nouvelle version au théâtre du Châtelet,
27:28 réécrite pour un ensemble scénique uniquement féminin,
27:30 consacré au chant de la sirène, avec une musique signée Asaf Avidan,
27:34 et un film en réalité virtuelle.
27:37 Elle nous parle de ce qui nourrit ses créations.
27:39 Affaires culturelles, aujourd'hui à 19h sur France Culture,
27:42 franceculture.fr et l'appli Radio France.
27:45 France Culture présente le documentaire
27:48 "How to save a dead friend" de Maroussia Siriyachkovska.
27:52 Le jour de ses 16 ans, Maroussia s'est fait la promesse d'en finir avec la vie
27:56 avant la fin de l'année écoulée, jusqu'à ce qu'elle rencontre Kimi, son âme sœur.
28:00 Pendant dix années, il filme l'euphorie et l'anxiété,
28:04 le bonheur et la misère de leur jeunesse muselée
28:07 par un régime violent et autocratique, au sein d'une Russie de la déprime.
28:11 Un cri du cœur, "How to save a dead friend",
28:14 aujourd'hui au cinéma, un film France Culture soutenu par le label Oh My Doc.
28:19 Il est midi et demi, bienvenue à tous sur France Culture.

Recommandée