Elliott Erwitt, dans les pas d’un grand de la photographie

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00:00 *Tic-tic-tic-tic-tic-tic*
00:02 *Musique*
00:08 France Culture, Olivia Ghesbert, bienvenue au Club.
00:12 *Musique*
00:16 Bonjour à tous, un club de la photo aujourd'hui autour d'Eliott Erwitz.
00:21 Le musée Mayol à Paris consacre jusqu'au 15 août une rétrospective à ce grand nom de la photographie,
00:26 figure de l'agence Magnum dont il est membre depuis 1954.
00:30 A 94 ans, ce portraitiste hors pair, le doignaud américain,
00:35 facétieux photographe des rues, des jambes, des chiens, véridique,
00:39 mais aussi des hommes politiques, de Nixon à Kennedy, et des artistes,
00:43 a développé un style, aiguisé un regard, une constance dans un monde qui change.
00:49 Invité avec nous aujourd'hui pour en parler, l'une des commissaires de l'exposition,
00:53 Caroline Landolt, et le photographe américain Richard Calvard, né à Brooklyn,
00:57 mais citoyen parisien depuis 60 ans, membre également de Magnum, comme Erwitz.
01:02 *Musique*
01:05 Une émission programmée par Henri Leblanc et Hadouk Delphineau avec Laura Dutèche-Pérez,
01:09 réalisée par Félicie Fauger, avec Antoine Tropé à la technique.
01:13 Avec nous aujourd'hui, Caroline Landolt, bonjour.
01:16 - Bonjour.
01:17 - Et le photographe Richard Calvard, bonjour.
01:19 - Bonjour.
01:20 - Vous avez dit "Erwit" à la française, mais je pourrais dire "Erwit",
01:23 ce serait quand même beaucoup plus joli, non ? Comment le dites-vous ?
01:26 - Oui, moi je dis "Erwit".
01:28 - Erwit, Erwit.
01:29 - En français, c'est sûr.
01:31 - Comment vous vous êtes rencontré tous les deux ?
01:34 - J'étais jeune photographe, j'allais voir comme d'autres photographes,
01:40 des photographes professionnels qu'on admirait pour montrer mon travail,
01:46 et j'ai appelé au hasard Elliot Erwit, qui m'a répondu que je pouvais venir tout de suite,
01:54 je lui ai montré mes photos, il a regardé avec beaucoup d'attention,
02:00 et il a tout de suite pris son téléphone pour téléphoner à un rédacteur,
02:05 un chef d'un journal qu'il connaissait, en disant "J'ai un garçon avec moi,
02:10 il faut absolument le prendre comme photographe pour le journal".
02:14 J'avais du travail comme ça.
02:17 - La première photo publiée de vous, laquelle était-ce ?
02:21 - La première photo que j'ai publiée ?
02:23 - Il y en avait une parmi celles qui étaient présentées dans ce portfolio ce jour-là à Erwit,
02:29 où vous avez dû recommencer le boulot quand même.
02:32 - Non, j'avais déjà un portfolio que je trouvais sérieux,
02:35 que je savais qu'il ne connaîtrait pas avant,
02:39 mais je pensais que ça l'intéresserait, et en fait, ça l'a intéressé.
02:45 - Et c'était des photos de quoi ?
02:47 - C'est des photos que je continue à faire, et comme lui l'a toujours fait,
02:52 c'est-à-dire des photos non posées, prises dans la rue, ou l'équivalent.
02:58 - Quand vous dites jeune photographe, vous aviez quel âge ?
03:01 Parce que jeune photographe façon Erwit, ça veut dire 16-18 ans,
03:04 si on pense à ses débuts à lui dans la photographie.
03:06 Vous étiez aussi jeune que lui, quand vous commencez la photo ?
03:09 - Non, je ne connaissais pas la photo.
03:12 J'ai fait des études, je n'avais rien à voir avec la photo,
03:16 je n'aimais pas spécialement la photo.
03:18 Je suis tombé par hasard dans la photo en travaillant pour un très bon photographe de mode français,
03:25 qui vivait à New York, qui s'appelait Jérôme Ducrot.
03:29 Et c'est grâce à ça que j'ai appris la photo.
03:31 Moi, je cherchais un travail, c'était tout.
03:34 - Mais après, vous vous êtes passionné aussi pour ce média ou ce médium.
03:38 Cet arc est la photographie.
03:40 - J'étais mordu.
03:41 - Vous étiez mordu, tombé dans le chaudron.
03:43 Il fait partie de ceux, Eliott et Erwit, qui ont défini, théorisé l'esprit Magnum.
03:49 Agence dont vous êtes membre, vous aussi, et notamment dans un mémo devenu célèbre en 1961.
03:56 Magnum, c'était quoi pour lui ?
03:58 Un collectif d'individus portés par des valeurs communes ?
04:03 - Ça, c'est une question que lui a posée.
04:07 - Mais il y a répondu, dans ce manifeste.
04:10 - En fait, je ne me souviens plus de ses réponses.
04:12 - C'est vrai. Mais vous vous souvenez de ce qu'il en disait ?
04:14 Il parlait de l'altruisme, il parlait de l'importance du collectif.
04:17 Mais il disait aussi que c'était un groupe Magnum, un groupe d'individus.
04:20 - Je pense que c'est très important de dire ça, que c'est un groupe d'individus.
04:25 Parce que même au début, c'était quatre personnes qui étaient différentes.
04:30 Un Krapa n'était pas pareil que Kratiopresson, ni les deux autres.
04:36 Mais ils avaient suffisamment en commun des intérêts d'abord, mais aussi des sympathies.
04:46 Ils se sont sympathisés.
04:51 Donc, il y avait vite un esprit, une culture de groupe qui s'est développée.
04:59 Donc, c'était une collectivité avec beaucoup d'esprit de corps, mais aussi un groupe d'individus.
05:09 - Caroline Landol, comment vous, vous définiriez l'esprit Magnum ?
05:12 - Si on qualifie souvent Elliot Erwitt, que ce soit le public ou les gens qui viennent visiter l'exposition, de drôle,
05:20 c'est spécifiquement le champ dans lequel il est très sérieux, dans lequel il ne plaisante pas du tout,
05:25 en particulier avec les droits d'auteur, qui resitue vraiment l'importance de l'agence dans la défense des droits d'auteur.
05:31 Il y a cette fameuse anecdote avec la photo du débat de cuisine entre Richard Nixon et Khrouchev,
05:37 qui avait été utilisé par Richard Nixon lors de sa campagne présidentielle, son premier tour.
05:42 Et donc, sans le consentement d'Elliot Erwitt, qui à l'époque se disait rassuré qu'il n'ait pas gagné de toute façon la campagne.
05:49 - Sans le copyright autorisé, c'est ça par Elliot Erwitt.
05:53 - En anglais, c'est ça, exactement.
05:54 - Mais elle est fameuse, elle est incroyable cette photo quand même, qu'il prend en 59, c'est ça ?
05:58 Au moment où il est quand même missionné par une marque de réfrigérateur pour aller à Moscou,
06:03 au moment de cette exposition nationale américaine, il y va, et ça c'est tout Elliot Erwitt.
06:08 Cette photo qu'il a pu prendre, cette discussion qu'il peut y avoir entre les deux hommes, entre Nixon et Khrouchev à ce moment-là,
06:14 et on voit qu'ils ne sont pas spécialement en train de parler de cuisine ou d'ustensiles de cuisine sur cette photo-là, à la tête de Nixon.
06:22 - Pas du tout, c'est effectivement une photo très iconique dans l'exposition et dans le travail d'Elliot Erwitt.
06:28 C'est une photo qui s'est présentée à lui, qu'il n'a pas du tout cherché sans aucune intention, comme vous l'avez dit.
06:33 Donc il cherchait à photographier avant tout des réfrigérateurs pour ce salon de l'électricité ménager américain.
06:38 Et donc il y a tout type de légende autour du dialogue qui a eu lieu entre Nixon et Khrouchev.
06:46 Et donc Elliot Erwitt s'est vraiment prêté au jeu de donner des mots à ce dialogue.
06:50 Et bon, on imagine qu'il est souvent un peu loin de la réalité quand il dit que Richard Nixon disait que les Américains étaient plus forts parce qu'ils mangeaient beaucoup de viande,
06:57 et les Russes peut-être un peu moins parce qu'ils mangeaient encore du chou.
07:01 - Vous la connaissez, vous, la vérité, les coulisses de cette photographie, Richard Kelva ?
07:05 - Pas spécialement, je connais plutôt la photo elle-même.
07:09 - Vous ne lui avez jamais demandé ?
07:11 - Je suis plus intéressé par le résultat, par la photo.
07:17 Et on voit dans l'expo, il y a la planche contact de toute cette série de photos.
07:24 Il y a 36 photos et on voit comment il a commencé par des simples photos de gens en conversation, chaud, froid, etc.
07:36 Et peu à peu il arrive à cette magnifique photo de la fin.
07:40 - Et pourtant, les planches contact que vous montrez dans l'exposition, Eliot Erwitt, il n'était pas trop pour, il n'aime pas trop qu'on montre les planches contact.
07:48 - S'il y a une chose que les photographes ne doivent jamais faire, c'est de montrer ou d'exposer en public ces planches de contact.
07:56 Cela est trop révélateur.
07:59 On pourrait en tirer des fausses conclusions et pire encore, les bonnes conclusions.
08:05 Après cette parole définitive, allons voir de plus près mes planches de contact.
08:10 - Voilà, c'est tout Eliot Erwitt et ce fameux sourd de l'humour que vous avez évoqué.
08:15 On ne devrait jamais montrer ces planches contact, pourquoi ?
08:18 - Parce que ce qui compte c'est le résultat, c'est la photo.
08:23 Et montrer un peu les secrets de la fabrication, c'est comme un magicien qui montre l'arrière de ses jeux de mains.
08:36 Ça tue un peu l'effet.
08:39 - Ça se discute parce qu'en même temps c'est montrer aussi la réalité ou la vérité d'une situation.
08:44 - C'est une autre vérité, c'est une vérité intéressante, mais je trouve que la vérité la plus importante c'est la photo elle-même.
08:52 - C'est celle qui sort de l'imagination aussi, de l'esprit du photographe.
08:56 Et c'est vrai que beaucoup de cinéastes vous diront qu'un film se fait au montage.
09:00 Avec Erwitt, la photo se fait comment ? En deux fois ?
09:04 Lors de la prise de vue, celle qu'on peut voir peut-être après sur la planche contact,
09:08 et lors du développement, lors du cadrage qu'il va pouvoir choisir pour ses sujets, pour ses situations ?
09:15 - C'est pas tellement le cadrage, parce qu'en général il ne recadrait pas ses photos.
09:22 Il y a des exceptions, mais c'est plutôt la sélection.
09:27 Ça c'est le deuxième acte pour faire la photo.
09:33 Il y a la prise de vue et le moment de la sélection où on se rend compte qu'on a quelque chose qui fonctionne vraiment.
09:42 Il l'a raconté quand même pour cette fameuse photo de plage.
09:46 On est au Brésil et on y voit des jambes, que des jambes d'hommes et tout à coup des pattes d'un cheval qui sont derrière.
09:55 Là il raconte qu'il s'est amusé à recadrer la photographie.
09:59 Ce qu'il avait amusé aussi dans ce tirage célèbre, c'est tout à coup de montrer cette foule de pattes,
10:07 sans qu'on y voit les visages, et qui mélange les espèces en réalité.
10:11 C'est un peu son motif récurrent du mimétisme entre l'homme et l'animal,
10:18 et duquel il s'amuse beaucoup, et qui est devenu iconique avec cette photo prise dans les années 50
10:23 pour une publicité de chaussures, où on a ce cadrage rapproché de pieds et du petit chien habillé.
10:29 Il reprend ce thème pour forcer le trait de ce parallèle entre la jante humaine et la jante canine, ou la jante animale.
10:36 - C'est quoi cette passion chien qu'il peut avoir, Héliotéroïte ?
10:41 - Il explique très simplement, il dit que les chiens ne lui demandent pas de tirage des photos qu'il prend.
10:47 Et puis aussi il dit qu'en termes de modèles, les modèles chien sont beaucoup plus différents, diversifiés,
10:55 alors que les modèles humains, par exemple dans la mode, sont beaucoup plus uniformisés, standardisés,
11:01 et donc qu'il jouit d'une plus grande richesse de modèles avec les chiens.
11:05 - Et bien voilà, il s'en amusait aussi de cette situation, Héliotéroïte.
11:09 - Je crois, oui. - Oui, beaucoup.
11:11 - Et d'en parler aussi. - D'en parler. Quel sens de l'humour il avait justement dans ces photos ?
11:16 On voit qu'il s'amuse, parfois qu'il joue avec le ridicule, avec le cocasse ou avec le côté loufoque de certaines situations,
11:24 tout en revendiquant le sérieux de ces photos. Il disait, ou il dit encore aujourd'hui, "je ne rigole pas avec l'humour".
11:31 - Oui, je pense que ce n'est pas tellement Héroïte qui n'est pas sérieux, mais les choses sont moins sérieuses qu'on ne le pense,
11:39 et c'est sur ça qu'on met l'accent sur les photos d'Héroïte.
11:43 - Je pense aussi que prendre l'humour au sérieux est ce qui est nécessaire pour le bien faire.
11:52 Parce que s'il faut que l'humour marche, et si ce n'est pas bien fait, ça ne marche pas.
11:59 - Et comment ça marche l'humour en photo, justement, Richard Calvard ?
12:02 - Il a son problème, comme le mien, comme ceux de tous les photographes, c'est de mettre des choses dans un rectangle,
12:13 en éliminant ce qui n'est pas dans le rectangle, où les éléments travaillent ensemble de telle sorte qu'on a l'impression que quelque chose se passe,
12:23 même si ça ne s'est pas vraiment passé. Et avec lui, avec moi, quand tout marche ensemble, la photo touche les gens.
12:34 - C'est un art de la composition en réalité, mais qui se joue dans l'instant ?
12:38 - Oui, non, non, mais il y a un paradoxe, c'est prise sur le vif, c'est des situations qui sont en changement constant,
12:48 et il faut tout stopper et avoir tout parfait, sans que les choses bougent, pour donner cette impression, et pour être drôle dans son cas.
13:00 - Et pour ça, il faut avoir l'œil, comme on dit en français, aussi, Richard Calvard. Un œil, ça s'éduque, ça se travaille ?
13:10 - Oui, mais l'œil est lié aussi au cœur, et ça c'est naturel. On peut l'avoir, et peut-être on peut l'avoir un peu moins.
13:22 - Vous le liez à votre cœur, pas à votre imagination, à votre cerveau. C'est quelque chose qui vient des émotions, plus que de la raison ?
13:29 - C'est beaucoup lié à l'émotion, à mon avis. Évidemment, si on a un peu d'intelligence, on s'en sert aussi.
13:40 - On imagine que les deux peuvent se mêler. Il y a un élan vital dans ces photos d'Eliott Erwitt, Caroline Landolt. Il aime la vie. Est-ce qu'il aime les gens aussi ?
13:50 - Il aime les gens, en tout cas, c'est sûr, dans ses photos. C'est un très grand humaniste, et c'est aussi pour ça que Tempora a eu vraiment ce coup de cœur pour ce photographe, et a voulu l'exposer.
14:00 C'est un très grand humaniste. D'ailleurs, dans quasiment toutes ses photos, on a un être vivant, que ce soit une mouette, encore une fois, un chien, ou un être humain.
14:10 Par exemple, cette photo qu'il a prise à Brasilia, du congrès national par Oscar Niemeyer. Il y a ce grand bâtiment très imposant, presque très urbain et un peu déshumanisé.
14:23 Et il y a quand même une figure humaine qu'on aperçoit au loin. Donc ça, c'est vraiment la signature d'Eliott Erwitt, son humanisme.
14:29 - Et puis, il y a toutes ces photos de plage. Enfin, ce qui est fou, c'est la palette de son jeu photographique. Les photos de plage de Long Island à Saint-Tropez.
14:39 En prenant ces photos à travers le temps, à travers les décennies aussi, depuis les années 50 pour Eliott Erwitt, ça fait quand même maintenant des années qu'il portraitise le monde.
14:51 Qu'est-ce que ces photos, pour vous, racontent de l'époque ? Quand vous vous arrêtez, Richard Calvard, dans cette exposition qui se joue en ce moment au musée Mayol, quelle photographie de l'époque vous voyez ?
15:07 - Je pense que les photos se situent dans les époques quand il les a prises. Mais en même temps, je reste un peu en dehors de l'histoire, de ses sujets, etc.
15:23 Et je suis surtout excité par la photo elle-même, la photo que je vois devant moi. Ce n'est pas forcément sa manière de rentrer dans l'histoire.
15:37 - Là, vous allez faire râler les scénographes de l'exposition, parce que quand même, elle a été pensée, elle a été composée avec lui d'ailleurs, ou il est resté ? Il a surveillé ça de très loin.
15:44 - Son œil était toujours très vigilant, effectivement, au travail qui était proposé par notre scénographe Peter Logan, qui lui aussi travaille pour Tempora.
15:55 Et donc, on a vraiment joué son jeu et il a reconnu, accepté de se prêter au jeu de l'autodérision avec par exemple ses autoportraits qui ponctuent le parcours,
16:08 qui fonctionnent comme des appels visuels, dans lequel par exemple il se maquille en dalmatien, ou alors encore il met une perruque et encore une fois, on est dans le registre de l'autodérision,
16:17 mais toujours avec une dimension très sérieuse.
16:19 - Mais c'est-à-dire qu'il y avait autant, ou il y a encore autant de Erwitt qu'il y a d'autoportraits de lui dans l'exposition ?
16:27 - Alors en tout cas, c'est ce qu'on a cherché à réaliser, oui. C'est donné par des citations, l'audio guide, ou encore ses autoportraits,
16:35 donc une présence véritable à l'artiste et une présence qui est à sa mesure, c'est-à-dire dans la retenue.
16:41 Les cartels sont très succincts pour ne pas donner trop d'informations, donc on a aussi respecté cet aspect-là d'Eliot Erwitt, qui est d'être un petit peu mutique.
16:51 - Oui, mutique. Et ce qui est intéressant, mutique et puis mutant aussi, parce qu'il y a l'Erwitt de ses autoportraits qui joue avec sa propre image.
17:00 Et en même temps, Eliot Erwitt, c'était aussi un photographe très sérieux, un photoreporteur, qui a notamment pris un nombre incalculable de clichés pendant la guerre froide
17:09 et qui a raconté son temps, qui a raconté son époque. Ça, c'est sa part sérieuse peut-être, ou tout ça, c'est la même et unique personne pour vous, Richard Kelvar ?
17:17 - Une même personne peut avoir des aspects différents de ses désirs, de sa façon de voir. Lui, Eliot a toujours été très... J'utilise un mot dans son sens anglais, versatile.
17:39 En anglais, c'est pas pejoratif. Ça veut dire qu'il est capable de faire beaucoup de choses différentes. Donc, il a fait beaucoup de photojournalisme, que je distinguerais de ses photos de rue.
17:55 Il a fait des portraits, des photos de pub. Il était très fort dans beaucoup de domaines.
18:02 - Oui, et de cinéma aussi. - De cinéma aussi.
18:05 - Marilyn Monroe, c'est celle qu'il a le mieux photographiée pour vous ? Parmi les stars de cinéma ?
18:11 - Il a fait des photos très intéressantes de Marilyn Monroe, c'est sûr.
18:16 - Mais vous avez une préférence pour quelqu'un d'autre ? Vous étiez en train de réfléchir ?
18:19 - Non, non, non, non, mais je ne suis pas un spécialiste de Marilyn Monroe, mais je regarde des photos et je vois l'œil d'Eliot Aruyt dans cette situation.
18:30 - C'est-à-dire ?
18:32 - C'est-à-dire, bon, je pense à... il y a deux ou trois photos qui sont dans l'expo. La photo où on ne voit que son œil, c'est aller au-delà du fait que ce soit Marilyn Monroe pour voir une personne, et pas comme les autres.
18:55 Pour moi, c'est très fort. C'est différent d'une simple photo qui montre la beauté de Marilyn Monroe.
19:03 - Richard Calvard et Caroline Landol sont nos invités aujourd'hui à l'occasion de la rétrospective.
19:09 Elliot Aruyt, qui lui est consacré au musée Bayeul à Paris. France Culture, il est midi 20.
19:24 - Elliot Aruyt, c'est aussi un sens des situations, pas qu'un sens de l'humour, la chance, le hasard, peut-être, comme cette photo de Nixon et Khrushchev qu'on évoquait prise à Moscou en 59.
19:35 Mais idem pour vous, Richard Calvard, j'adore cette photo de votre père Noël qui attend le métro à New York.
19:41 Ça, vous ne l'avez pas inventé, vous ne l'avez pas mise en scène, cette photo-là en 76, quand il est là autant qu'un homme d'affaires qui attend son métro.
19:53 Cette situation-là, elle s'est vraiment présentée à vous.
19:55 - Oui, moi je ne mets pas en scène mes photos. J'aime donner peut-être l'impression que je l'ai fait, mais je ne le fais pas.
20:04 C'est très important pour moi de dépendre de la réalité.
20:08 Oui, j'avais la chance de tomber sur un type qui allait au boulot, mais qui était en même temps le père Noël.
20:17 Un boulot presque comme les autres aujourd'hui, dans une société aussi, une société de consommation comme la nôtre.
20:24 On le voit un peu atterré à attendre effectivement ce train qui n'arrive pas et il va prendre du retard peut-être sur ce boulot qu'il doit réaliser.
20:33 C'est aussi un sens des situations, comme on le disait, c'est être là, être là peut-être au bon moment.
20:39 - Une demande était en Moscou, dans une interview, où l'intervieweur m'a demandé si j'étais là quand j'ai pris cette photo.
20:50 Et c'est une question assez intéressante, car j'ai répondu que je pensais que je l'étais, je devais avoir pensé à ça.
21:00 - C'est vrai que c'est une très bonne question, j'aurais bien aimé la poser.
21:13 Est-ce qu'il était là au moment où il a pris la photo ?
21:15 Et il répond, Eliott Erwitt, à cette question qu'au fond on n'est pas obligé d'être là quand on prend une photo,
21:21 surtout si vous l'avez déjà prise des centaines de fois cette photo-là, Richard Calvert.
21:26 - Je ne peux pas dire que je suis sûr de ce qu'il voulait dire.
21:32 Je pense qu'on est quand même présent quand on fait une photo, mais il y a des façons différentes d'être présent.
21:44 Est-ce qu'on est vraiment en rapport avec la personne ? Est-ce qu'on voit la personne comme un élément visuel dans sa photo ?
21:52 Ça peut varier selon la situation.
21:55 - Exactement, mais c'est sa réponse, l'engagement du corps, l'engagement de l'esprit aussi,
21:58 quand le photographe a un moment choisi d'enclencher l'appareil, de prendre cette photo.
22:04 De la même manière, on devrait plutôt se demander, qu'est-ce qu'il n'a pas photographié, Eliott Erwitt, peut-être pour mieux le cerner ?
22:11 - Alors ça c'est une très bonne question, puisqu'il est qualifié par l'un des commissaires de l'exposition, Eli Barnaby, de photographe total,
22:18 c'est-à-dire que rien n'a échappé à son objectif.
22:21 Il a aussi notamment accepté tous les travaux de commande qui lui ont été proposés, pour encore une fois élargir son horizon.
22:28 Donc il a pris des portraits de famille, des photos de rue, des photos d'architecture, des photos d'enfants, des photos de plage.
22:35 Donc c'est une très bonne question. Si Richard Calvard a la réponse, je serais ravie de l'entendre.
22:40 - Je ne connais pas de photos de guerre que Eliott aurait prises. Moi je n'ai jamais photographié dans la guerre non plus.
22:48 - Et vous, vous dites que vous ne cherchez pas, en fait, comme Erwitt, à reproduire la réalité.
22:52 Vous préférez jouer avec elle. Il y a toujours cette ambiguïté dans les photographies d'Erwitt, comme dans les vôtres.
22:59 Est-ce que c'est de la réalité ? Est-ce que c'est de la fiction ? Il y a toujours une part de mystère,
23:02 et on ne sait jamais vraiment si l'un comme l'autre vous avez eu de la chance, si vous avez été là au bon moment, au bon endroit,
23:08 ou si ces photos sont des formes, des sortes de compositions. La part de hasard, pour le photographe,
23:14 vous lui donnez quelle proportion dans votre travail à vous, Richard Calvard ?
23:19 - Pas loin de 100 %. Non, mais il faut savoir utiliser le hasard. Il faut savoir profiter des choses inattendues qui arrivent,
23:30 qui arrivent souvent parce qu'on a l'appareil à l'œil, en train de voir des choses et en train de faire des photos médiocres,
23:40 et où tout à coup, ça peut être une inspiration personnelle ou ça peut être une présence soudaine de quelqu'un qui passe et qui fait la photo.
23:52 La chance est très importante, mais tout le monde ne sait pas s'en profiter.
23:57 - Et qu'est-ce que c'est une bonne photo ?
24:01 - C'est une photo qui touche les gens. Et pour le faire, à mon avis, certains des éléments dont j'ai parlé déjà sont très importants.
24:11 Le rectangle, la composition, les sentiments du moment et les apparences, contrairement à la réalité.
24:23 - Et la couleur ? Parce que l'un comme l'autre, vous avez toujours privilégié le noir et blanc. Pourquoi distinguer aussi clairement le noir et blanc de la couleur en photographie ?
24:32 - Justement, pour avoir ce mystère dont vous avez parlé, qui est très important pour moi aussi, il faut une certaine distance de la réalité.
24:43 Il faut jouer sur le paradoxe de choses qui se passent réellement et de l'impression qu'on a des choses.
24:52 Alors le noir et blanc est un pas de distanciation supplémentaire. Donc ça aide pour ça.
25:01 - Et vous, vous voyez le monde en couleur ou en noir et blanc aujourd'hui, Richard Kellogg ?
25:05 - Le monde que je vois est en couleur. J'essaie de le transférer, de transformer un monde noir et blanc.
25:11 - Oui, ça c'est la fameuse prise de recul. Il est observateur, pas juge, dites-vous Caroline, à propos notamment de cette photo que Elliot Erwitt a réalisée en 2009
25:20 lors de l'élection de Barack Obama avec cet nuet de téléphone portable qu'il prenne en photo, le président fraîchement élu.
25:29 Il est observateur, pas juge. Ça veut dire qu'il ne théorise pas sur sa pratique et il n'en fait pas une leçon d'art sur son médium.
25:38 - Exactement. Et ça va encore une fois avec le fait qu'il soit plutôt très peu locas, très peu bavard.
25:46 Il se contente d'offrir à voir ce qui lui a été donné de voir. Il n'y a pas d'injonction, de message à asséner, de revendication esthétique ni sociale.
25:56 Il se concentre vraiment sur ce premier temps de l'émotion, ce qu'évoquait Richard Calvard, qui est très important,
26:01 cette magie, ce mystère, cette émotion qui, elle, ne se dit pas, qui se voit.
26:06 Et donc Elliot Erwitt prend le soin de laisser le public découvrir tout ça par lui-même.
26:12 - Et pourtant, dans ces fragments de discours qu'il peut avoir, Elliot Erwitt, et on sait effectivement qu'il est peu locas ou pas très prolixe,
26:21 notamment sur sa pratique, qu'est-ce qu'il dit des évolutions de la photographie ?
26:25 Lui qui a été là au tout début de l'agence Magnum, quand même, qui a été vraiment aux sources aussi de cette formidable aventure qui a été Magnum.
26:33 Comment il perçoit les évolutions de la photo ?
26:35 - Il dit qu'aujourd'hui, n'importe quel chimpanzé pourrait prendre une photo,
26:39 il y a quand même des distinctions très fortes entre une bonne photo et une mauvaise photo.
26:44 Et donc il a foi en ça, en cela.
26:47 Et il a aussi ce double fictif un petit peu caricatural, qui s'appelle André Solidor.
26:55 Et donc c'est son double qui, lui, justement, n'a pas trop de réticence à utiliser le progrès technique dans ses photographies,
27:04 que ce soit la retouche, les couleurs saturées.
27:07 Et donc ça, c'est aussi une façon pour lui de dénoncer peut-être ses utilisations, mais jamais dans le jugement.
27:16 - Et vous, Richard Kelvar, faites-vous partie des grincheux ou des optimistes quant à l'avenir de la photographie ?
27:22 - Je suis réaliste et donc un peu pessimiste pour la crédibilité de la photo.
27:30 Mais on va continuer à essayer de préserver notre crédibilité.
27:37 - C'est bien résumé. Alors cette rétrospective, Elliot Erwitt, est à voir au Musée Mayol à Paris.
27:42 Merci beaucoup à tous les deux. C'est jusqu'au 15 août. Merci.
27:46 - Le voyage est très, très important. Il faut sortir de chez soi. Chez soi, on ne fait pas grand-chose.

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