Le journaliste au Monde, Luc Bronner, couvre, relate et analyse l'ultra violence dans le pays ces derniers jours. Il est l'invité de 9H10.
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00:00 Il est 9h09, Sonia De Villere, votre invité a passé la deuxième nuit des émeutes à Nanterre.
00:05 Et il en a publié, dès le lendemain matin, à l'aube, un papier dans le monde.
00:09 Bonjour Luc Brenner.
00:10 Bonjour.
00:11 Vous êtes grand reporter au Monde, vous avez été directeur de la rédaction.
00:14 Il se trouve que le terrain vous manquait, ça vous brûlait de retrouver ces nuits sans
00:18 sommeil, les papiers écrits dans des cafés ou sur ses genoux dans un abribus.
00:24 Et vous voilà revenu justement au cœur des banlieues, sachant que vous avez été l'un
00:29 des premiers journalistes à faire de la banlieue, des quartiers comme on dit aujourd'hui, un
00:33 sujet à part entière.
00:34 Qu'est-ce que vous avez tiré de cette nuit à Nanterre ?
00:37 J'en ai tiré le sentiment très douloureux, même d'un basculement et d'un niveau de
00:46 violence extrême avec des émeutiers extrêmement déterminés, ils étaient nombreux, avec
00:52 un niveau de dégradation assez dingue, avec des policiers qui ont tenu pendant un moment
00:58 et qui ont dû reculer, qui était probablement une bonne décision d'un point de vue policier
01:02 pour éviter qu'il y ait d'autres morts.
01:05 On en était là, je pense.
01:06 Et donc j'en suis sorti avec ce sentiment d'être confronté à une violence extrême
01:11 avec des jeunes qui exprimaient à leur façon une rage terrible.
01:17 J'ai trouvé que c'était des moments qui me ramenaient évidemment à d'autres reportages
01:21 que j'ai pu faire il y a 18 ans.
01:23 Et en 2007, après Villiers et Le Bel.
01:28 Alors justement, qu'avez-vous appris au fur et à mesure de ces reportages ? C'est-à-dire
01:33 comment le reporter se glisse sur le terrain ? Est-ce qu'il se fait reconnaître ? Est-ce
01:38 qu'il se fait oublier ?
01:39 Alors ça dépend vraiment des situations.
01:41 Là, on est dans une situation de crise, on est dans un moment de tension extrême et
01:46 les contacts sont difficiles à faire avec des jeunes, des individus qui sont là pour
01:50 une durée déterminée, pour casser.
01:51 Donc dans ces moments-là, je choisis plutôt la discrétion.
01:54 Au début, sur Nanterre, je travaillais avec un photographe et c'est vrai qu'en cours
01:58 de nuit, j'ai choisi de travailler seul pour être moins visible en fait et donc pour pouvoir
02:02 circuler dans le quartier, en essayant de garder un minimum de sécurité pour ne pas
02:07 être repéré et pour observer.
02:09 C'est vrai que c'est des moments où les faits sont tellement forts, tellement graves
02:14 qu'on est d'abord là pour être les yeux.
02:16 La notion d'envoyer spécial, moi j'aime bien l'idée qu'on ait les yeux et les
02:18 oreilles de nos lecteurs, de nos auditeurs.
02:22 C'est le moment d'observation.
02:24 Il y a d'autres moments quand on est reporter, où on est là beaucoup plus pour recueillir
02:28 la parole, pour entendre, pour parler pendant des heures avec des mères, des pères, avec
02:33 des enseignants, avec des jeunes.
02:35 Mais c'est vrai que ce moment très particulier des émeutes, c'est un moment où on est d'abord
02:38 dans l'observation de ce qui se passe pour raconter.
02:40 Et le syndicat national des journalistes vient de publier un communiqué soulignant l'extrême
02:45 violence qui s'est abattue aussi sur les journalistes.
02:48 Vous avez eu peur ?
02:50 Oui, j'ai eu peur, oui.
02:51 Oui, parce que dans la cité Pablo Picasso, au milieu de la nuit, il n'y a plus de policiers.
02:56 En tout cas, ils sont plutôt à la périphérie.
02:59 Ils sont eux-mêmes dans une situation qui est extrêmement difficile.
03:01 Et les gens avec qui j'avais discuté dans l'après-midi et dans la soirée m'avaient
03:07 tous alerté en disant "ne restez pas en tant que journaliste, ça va être dangereux".
03:12 Donc oui, j'ai eu peur, effectivement.
03:14 Et notamment à un moment où je m'approche le plus près possible des scènes de violence
03:18 sur l'avenue Pablo Picasso.
03:20 Là, les policiers arrivent derrière moi.
03:22 Je ne les avais pas identifiés, pas vus tout de suite.
03:25 Et donc les émeutiers se précipitent vers les policiers qui repartent, ils sont en voiture.
03:28 Moi, je suis à pied, donc je repars en courant.
03:30 Je n'ai pas tellement d'autre choix.
03:32 Et c'est vrai que Pablo Picasso, c'est une cité où il y a beaucoup de trafic de drogue.
03:37 Et donc il y a des guetteurs et donc il y a une forme d'organisation.
03:39 C'est un des points qui m'a vraiment frappé dans ces émeutes.
03:42 C'est le niveau de détermination et d'organisation des émeutiers.
03:45 Et c'est vrai que là, j'ai eu très peur parce que j'ai senti qu'il ne fallait pas que je sois repéré
03:48 et que je réussisse à redisparaître pour redevenir le plus invisible possible.
03:53 - Alors, il y a eu vos reportages en 2005 et vos analyses publiées dans le monde.
03:57 Il y a eu ceux de 2007, il y a eu le prix Albert Londres,
03:59 justement pour cette série de papiers sur les jeunes et la banlieue.
04:03 Il y a eu un livre publié dans la foulée en 2010 qui s'appelait
04:06 "La loi du ghetto, enquête sur les banlieues françaises".
04:09 Donc là, c'était justement le reporter qui avait besoin d'approfondir
04:12 et de donner une cohérence, une sorte de colonne vertébrale
04:15 à ce travail qui avait été effectué sur le terrain.
04:18 Dans ce livre, Luc Brunner, vous vous interrogez forcément sur le rôle des médias.
04:24 À l'époque, donc il y a 17-18 ans, sur le rôle des médias dans ces moments-là.
04:31 Vous pointez notamment à l'époque, et vous allez nous dire si vous trouvez que c'est le cas encore aujourd'hui,
04:35 l'extrême dépendance des journalistes à l'égard du ministère de l'Intérieur, des syndicats de police,
04:39 l'extrême dépendance des journalistes vis-à-vis de leurs sources.
04:43 Alors j'ai le sentiment que c'est assez différent.
04:45 Je le dis avec prudence parce que j'ai sans doute pas assez de recul.
04:49 2005, le scénario n'a rien à voir du point de vue du traitement par la justice
04:54 et par le pouvoir politique de la mort de Ziyad Ebouna,
04:57 qui meurt électroquittée après une course poursuite.
04:59 Parce que assez longtemps, voilà, à Clichy-sous-Bois, assez longtemps,
05:01 on est dans un discours des autorités de négation du problème.
05:05 On est dans un discours qui n'a rien à voir avec celui qu'on a eu très vite.
05:09 Alors, on l'a eu très vite, le discours des autorités de doute par rapport à la version policière initiale,
05:17 parce qu'il y avait une vidéo. Ça change tout.
05:19 Donc je fais attention de ne pas généraliser à partir du cas particulier de Nanterre
05:25 où une vidéo change tout parce que la vidéo, elle est incontestable
05:28 et elle montre bien que le discours initial des policiers n'est pas celui de la réalité
05:33 et qu'il y a eu, alors je reste prudent parce qu'il y a une enquête pénale,
05:37 mais il y a eu tir volontaire des policiers dans une situation qui n'était pas celle décrite.
05:43 Donc sur la question du rapport aux sources policières,
05:46 elle reste posée parce que les sources policières sont des sources hyper importantes pour les journaux
05:50 et que donc, elles peuvent donner une première coloration, une première vision à des faits.
05:56 Le changement majeur, me semble-t-il, c'est d'une part l'apparition de ces vidéos qui existaient beaucoup moins à l'époque
06:01 et c'est d'autre part la place prise par les réseaux sociaux, notamment Snapchat et TikTok,
06:06 qui font que des informations circulent de façon beaucoup plus rapide dans les quartiers
06:11 et peuvent contrebalancer la parole médiatique, j'allais dire, plus traditionnelle.
06:16 La parole médiatique et la parole institutionnelle, évidemment.
06:19 Et c'est quelque chose qui est intéressant parce que dans vos papiers de 2005 que je me suis procuré,
06:24 les papiers de 2007 qu'avec mon équipe on a relus,
06:27 il y a quelque chose qui revient sans cesse, c'est de dire qu'il peut y avoir des effets de loupe médiatique,
06:32 il peut y avoir des choses qui sont totalement dénatures et déformées,
06:36 mais qu'au fond, ça ne ronge jamais l'isolement médiatique dans lequel se trouvent ces quartiers.
06:41 C'est toujours le cas, aujourd'hui ?
06:43 Je crois, on en parlait avec votre collaborateur juste avant d'entrer,
06:46 il n'y a pas de figure médiatique qui émerge de cette crise-là, à ce stade, en 2023.
06:52 Il n'y a pas de personnalité qui incarne ce mouvement et qui serait capable de devenir porte-parole.
06:58 Or, les mots sont essentiels en démocratie.
07:01 À quel moment on est capable d'avoir quelqu'un qui porte un discours ?
07:04 Même sur les Gilets jaunes, quelque part, à un moment donné, il y a eu des figures qui ont émergé,
07:07 qui ont formulé des choses, qui ont exprimé.
07:09 Là, on est dans quelque chose qui est beaucoup plus compliqué parce que les mots ne sont pas là.
07:13 Alors, sans doute aussi parce que le profil des émeutiers, c'est un profil de jeunes adolescents, de jeunes hommes.
07:18 Je pense que c'est très important d'insister sur cet aspect-là.
07:21 Ce sont des hommes, des garçons, 14, 15, 16, 17 ans,
07:24 et donc avec une capacité d'élaboration qui est celle d'adolescents de leur âge.
07:29 Et donc, il n'y a pas de mots, M.O.T.S, pour raconter la situation.
07:33 Il n'y a pas de porte-parole.
07:34 Et donc, la dimension politique de cette crise, elle est très peu exprimée, au final.
07:39 Et ça veut dire surtout que, comment dire, l'expression horizontale des réseaux ne suffit pas à pallier l'incarnation ?
07:48 Surtout que c'est une expression très bas de gamme.
07:50 Je veux dire, ce sont des images qui circulent, souvent des images de violence.
07:54 Ça peut induire une forme de compétition entre quartiers.
07:56 On l'avait eu en 2005 et on avait accusé, je crois, à juste titre la télé,
07:59 notamment de publier des sortes de palmarès tous les soirs pendant trois semaines du nombre de voitures brûlées,
08:05 qui était une forme d'incitation.
08:07 Là, je crois que les médias ne sont pas tombés dans ce piège-là.
08:11 En revanche, les réseaux sociaux, et par la liberté donnée à chacun des utilisateurs de publier la vidéo de la voiture
08:18 ou du bâtiment qui brûle, en fait, a eu cet effet démultiplicateur, j'en suis convaincu.
08:22 Et dans "La loi du ghetto", ce livre que vous aviez publié en 2010, il y avait vraiment, vraiment...
08:27 Alors, le fil rouge, c'était la présence de l'adolescence, le poids démographique des adolescents,
08:32 les codes adolescents qui, au fond, avaient pris le contrôle de ces quartiers.
08:36 Et il y avait un premier chapitre sur la mort et le rapport à la mort.
08:41 Quelque chose qui était omniprésent.
08:43 Ce sont deux points qui m'ont fasciné, effectivement.
08:46 C'est comment des jeunes garçons prennent le pouvoir et prennent l'espace public.
08:52 Je discutais hier avec le maire de Corbay-Essonnes, qui me racontait que sur sa ville de 50 000 habitants environ,
08:57 il y avait 300 individus qui sont passés à l'acte, ce qui est beaucoup.
09:01 Mais c'est 300 sur 50 000 habitants.
09:03 Et ces 300 personnes, quelque part, les 50 000 habitants, pendant plusieurs jours, n'arrivent pas à reprendre la main.
09:11 Alors, certains sont peut-être solidaires, probablement, dans une certaine mesure, mais ils le sont un temps.
09:15 Et après, je pense que la question des dégâts prend le pas sur l'est.
09:18 Mais on n'arrive pas à reprendre la main sur ces jeunes garçons qui sont dans une logique de destruction liée,
09:26 on connaît bien l'histoire, au sentiment d'être victime de discrimination et de violence de la part de la police.
09:32 Donc, c'est vrai que c'est un premier point fondamental.
09:34 On est face à une crise éducative, probablement très grande pour ces jeunes garçons, qui me paraît essentielle.
09:43 Après, dans le fait que la notion du ghetto, c'est le fait d'avoir à la fois un enfermement qui vient de l'extérieur,
09:53 c'est les processus de ségrégation et c'est aussi la construction de lois intérieures et de lois qui sont différentes du fonctionnement du reste de la société.
10:04 À Corbay-Essonnes, le maire me racontait aussi que sur un tag, il y avait écrit "la loi, c'est nous".
10:09 Et donc, il y avait une forme de prise de pouvoir qui allait jusque là et avec des mécanismes de contrôle qui sont insuffisants.
10:16 Il est 9h19, vous écoutez France Inter avec Luc Brunner, grand reporter au Monde.
10:21 On va revenir à Olney-Sous-Bois, 18 ans après 2005. Là aussi, ça a brûlé.
10:28 Paris, c'est 4 saisons, une journée, les gens ont la conscience dans le feu, ils se la retombent parce qu'ils ont pas confiance en eux.
10:33 J'crois bien que je les ressemble, des couteaux et des agrafes dans le dos, quand je règle un problème, j'en agrave un autre.
10:38 Paris, c'est 4 saisons, une journée, les gens ont la conscience dans le feu, ils se la retombent parce qu'ils ont pas confiance en eux.
10:43 J'crois bien que je les ressemble, des couteaux et des agrafes dans le dos, quand je règle un problème, j'en agrave un autre.
10:49 Y'a peut-être quelqu'un qui s'est suicidé dans la barade que tu vis, y'a sûrement quelqu'un que tu connais qui pleure pendant que tu ris.
10:54 Les animaux comprennent les hommes et peut-être pas le contraire, le premier à avoir serré ta mère c'est peut-être pas ton père.
11:00 Je sais bien que parfois tu mens car t'es pas sûr de toi, et que pendant que je parle avec toi, quelqu'un parle sur toi.
11:05 Les diamants sur ta poitrine valent combien ? Sache que les gens qui veulent ton cœur sont pas toujours les gens qui veulent ton bien.
11:10 Pourquoi les gens pensent te connaître ? Avec 2-3 questions. Pourquoi les gens que tu aimes sont pas toujours les gens que tu crois qu'ils sont ?
11:16 Un peu décalé, je pense. Tu sais que je suis parisien, depuis le début du son, je fais que de parler des gens.
11:21 Sur la rive droite, je vais m'ennuyer l'hiver, sur la rive gauche, je vais m'ennuyer l'été.
11:25 La ville m'a fait gagner des passes droits illimitées, mais m'a fait perdre mon immunité et mon humilité.
11:30 Paris, c'est 4 saisons, une journée, les gens ont la conscience dans le feu, ils se la retournent parce qu'ils ont pas confiance en eux.
11:36 Je crois bien que je les ressemble, des couteaux et des agrafes dans le dos, quand je règle un problème, j'en agrave un autre.
11:41 Paris, c'est 4 saisons, une journée, les gens ont la conscience dans le feu, ils se la retournent parce qu'ils ont pas confiance en eux.
11:46 Je crois bien que je les ressemble, des couteaux et des agrafes dans le dos, quand je règle un problème, j'en agrave un autre.
11:51 T'es sûrement pas le premier que Panama usait, t'es sûrement pas le premier que ta femme a sucé, mais tu l'aimeras quand même.
11:57 Tu lui dis qu'avant elle, t'as connu que 5 meufs, si tu lui disais le vrai chiffre, elle tomberait en syncope.
12:02 Trop d'égo, trop de fautes, y'a tellement de gens que j'aime dans la vraie vie, mais que je déteste sur les réseaux sociaux.
12:08 Arrête de faire le pas, personne t'en voudra de pas être un voyou, on t'en voudra de faire le voyou si t'en es pas un.
12:13 Sommeil inexistant, entre la plaie et l'ordi, j'me réveille d'une sieste où j'ai à peine dormi.
12:17 Il est 6h30, perdu dans la rue, comme un chèque en bois, j'marche verré au mur, et j'vois des gens bourrés, aux 53, de la rue qu'un camp poids.
12:23 J'pense à ma meuf, mes rôles de bif, j'suis censé être un mec de test, celle-là j'achète des jus bio à 9€ le litre.
12:29 J'rêvais d'quitter l'quartier et remplir mes comptes, maintenant qu'j'suis devenu un bobo, j'crois que j'ai honte.
12:33 Paris, c'est 4 saisons, une journée, les gens ont la conscience dans l'feuille, j'la raconte parce qu'ils ont pas confiance en eux.
12:38 J'crois bien que j'les ressemble, des couteaux et des agrafes dans l'dos, quand j'règle un problème, j'en agrave un autre.
12:43 Paris, c'est 4 saisons, une journée, les gens ont la conscience dans l'feuille, j'la raconte parce qu'ils ont pas confiance en eux.
12:49 J'crois bien que j'les ressemble, des couteaux et des agrafes dans l'dos, quand j'règle un problème, j'en agrave un autre.
12:54 4 saisons par Dinos.
13:01 France Inter, le 7 9 30, l'interview de Sonia De Villers.
13:08 Armée de cailloux, une centaine de jeunes s'opposent violemment aux forces de l'ordre dans la cité de la Forestière, à la limite de Montfermeil et de Clichy-sous-Bois.
13:17 Cette fois, la colère de certains habitants semble avoir été déclenchée une heure plus tôt, dans une mosquée du quartier.
13:24 Les fidèles présents sur les lieux accusent les forces de l'ordre d'avoir lancé du gaz lacrymogène dans le bâtiment pendant la prière du Ramadan.
13:32 On a entendu les gens crier à l'extérieur de la mosquée et y a eu des tirs dans la mosquée de gaz lacrymogène.
13:37 Donc les femmes ont été coincées à l'intérieur de la salle de prière dans laquelle on est en ce moment, la porte était fermée,
13:42 ils n'arrivaient pas à sortir et une heure après on sent encore l'odeur du gaz lacrymogène.
13:46 Luc Brunner du Monde est mon invité. En 2005, il couvrait les émeutes à Clichy-sous-Bois.
13:52 La chronologie était extrêmement différente, le temps en réalité, la gestion du temps et les effets du temps très différents d'aujourd'hui en 2023, Luc Brunner.
14:01 Il y a notamment cet épisode clé de la mosquée que vous pouvez peut-être rappeler.
14:07 Oui, parce que Clichy-sous-Bois, après la mort des deux enfants, il y a de nuit extrêmement violente et puis ça commence à se calmer,
14:16 notamment parce qu'il y a des médiateurs qui interviennent. Et là, dans un moment de maintien de l'ordre,
14:21 il y a une grenade lacrymogène qui est tirée à proximité de la mosquée au moment où les parents sont présents.
14:26 Et c'est vrai que ça va recréer une émotion extrêmement grande et ça va en fait contribuer à un moment clé, c'est-à-dire la propagation.
14:33 On va sortir d'une émeute et de violences urbaines qui concernent seulement Clichy-sous-Bois et Montfermeil,
14:38 et ça va s'étendre à Olnay, à Drancy, à toutes les villes autour de la Seine-Saint-Denis, et puis ensuite à l'ensemble de l'île de France,
14:44 et puis après, pour une part, à l'ensemble des métropoles françaises.
14:47 Et alors il y a là un épisode que vous relatez en 2005, que vous rappelez en 2007, dont vous reparlez aujourd'hui.
14:52 Alors, il se trouve que l'adjoint au maire à l'époque de Clichy-sous-Bois est aujourd'hui ministre délégué à la ville, Olivier Klein.
14:59 Vous rappelez ce service d'ordre musulman, ces 60 hommes vêtus de blanc, barbus, qui s'interposent entre les forces de l'ordre et les émeutiers ?
15:10 Oui, et ils réussissent, c'est-à-dire qu'à ce moment-là, avec les médiateurs de la ville, avec les élus, il n'y avait pas qu'eux, ils réussissent à restaurer une forme de calme.
15:19 Il faut faire attention, c'était en 2005, c'était avant les attentats, c'est-à-dire que par ailleurs, la société française a connu d'autres chocs entre-temps,
15:27 et notre lecture de ces événements, elle est évidemment complètement différente. On était dans un contexte qui n'avait strictement rien à voir de ce point de vue-là.
15:35 Et il y a beaucoup de choses qui ont changé d'ailleurs, suite aux attentats. Il y a quelque chose qui revient dans la bouche d'Olivier Klein, dans l'un de vos papiers d'il y a quelques jours,
15:43 mais dont vous parliez déjà en 2005, en disant "électoralement, de toute façon, il y a deux poids, deux mesures".
15:48 Les banlieues, les quartiers votent relativement peu, donc nous rapportent relativement peu.
15:53 En revanche, les discriminés, les stigmatisés, ça c'est payant d'un point de vue électoral, et ça l'est d'autant plus depuis les attentats.
15:59 C'est certain, on est malheureusement dans une histoire longue d'abstention des quartiers populaires, et je ne vois aucun indice d'évolution.
16:08 Et donc, d'un point de vue politique, de façon cynique, on peut considérer que ça ne rapportera jamais, et de fait, ça ne rapporte rien en termes de résultats électoraux,
16:18 en termes de masse de voix quand on veut devenir président de la République, là où le fait de s'appuyer sur les violences, les émeutes urbaines,
16:25 sur la représentation du jeune de banlieue comme étant la figure de la classe dangereuse, c'est très rentable électoralement aujourd'hui, évidemment.
16:33 Ça l'est rentable médiatiquement aussi ?
16:35 Je ne sais pas, je ne sais pas vous dire. Non, je ne sais pas, parce que par ailleurs, c'est des sujets qui intéressent tout le monde,
16:41 c'est des moments de tension extrême, donc je ne crois pas que ce soit le sujet d'un point de vue médiatique.
16:45 Non, la vraie question quand même, c'est comment couvrir ces violences sans les dénaturer ?
16:50 Alors c'est extrêmement compliqué, c'est qu'il faut à la fois raconter ces violences, c'est ce qu'on essaye de faire, il ne faut surtout pas masquer,
16:55 il ne faut surtout pas dissimuler ce qui se passe. Moi, je pense qu'il y a eu une bascule ces derniers jours, c'est-à-dire qu'au début, on est sur un mouvement
17:02 d'émeutes urbaines liées à la mort de ce jeune homme à Nanterre, et il y a un moment où ça brille, et il y a un moment où ça n'est plus seulement cet aspect-là,
17:13 quand il y a des pillages, quand il y a des attaques de services publics, des attaques contre des élus...
17:17 Et c'est toute la question du reporter Luc Brenner, c'est-à-dire le reporter qui est seul sur le terrain alors qu'il y a quelque chose qui se passe au niveau national,
17:25 dans plusieurs villes, il y a quelque chose comme ça, une question de la focale, longue focale, courte focale, gros plan, plan serré, plan large,
17:32 c'est-à-dire comment en racontant d'un point de vue individuel avec simplement deux yeux, on raconte un phénomène global ?
17:38 C'est une super question, c'est toute la difficulté du reportage. Alors pour le coup, moi j'ai passé une nuit à Nanterre, j'ai passé beaucoup de temps à Olnay,
17:45 je suis allé à Bondy, je suis allé à Villepeinte, je suis passé à Drancy, j'ai essayé de voir plein de temps différents, j'ai passé du temps à Bondy,
17:52 j'ai assisté à une scène absolument incroyable de pillage du Conforama, où ça avait été annoncé sur leurs réseaux sociaux, et où j'ai vu des affrontements avec la police,
18:03 avec le RAID, donc on est quand même sur des images extraordinairement fortes, et ensuite j'ai vu une oria de voiture qui venait se garer devant le Conforama
18:11 pour remplir les coffres de machines Nespresso, d'écrans plats et de ventilateurs. Et donc pour dire qu'on est dans un moment et dans un mouvement
18:21 extraordinairement difficile à raconter, puisqu'il y a une cause qui est évidente et qui est extrêmement grave, qui est liée à la mort de ce jeune homme,
18:27 et puis après il y a des moments où ce mouvement initial peut se transformer, et là on était dans du pillage, tout simplement, qui n'avait plus rien à voir avec l'histoire immédiate.
18:36 Voilà. Revenir à Olnay-sous-Bois, 18 ans après 2005. Ce papier que vous publiez le 30 juin au matin, vous assistez à un restaurant, le Walk'n Roll, qui brûle,
18:48 et vous dites que c'est exactement sur cet emplacement que cohabitent un QUIC et un KFC, où se trouvait auparavant une concession Renault,
18:57 dont l'incendie spectaculaire pendant les violences de l'automne 2005 avait frappé les esprits et durablement dégradé l'image de cette ville de 800 000 habitants.
19:05 Alors, pas 800 000, 80 000 habitants. C'est effectivement une ville dans laquelle j'ai passé beaucoup de temps à l'époque, pour la raison exacte que vous décrivez,
19:13 c'est-à-dire pour être capable de travailler correctement dans ces terrains, il faut passer beaucoup de temps. Et donc j'avais choisi cette ville parce qu'à l'époque, en octobre 2005,
19:20 je n'avais pas réussi à y entrer. Donc je m'étais dit, ça veut dire qu'il y a un défi, parce que trop dangereux les premiers soirs, et je m'étais dit, je vais passer du temps dans cette ville.
19:29 Et j'y ai passé des dizaines et des dizaines de jours et de nuits de reportages. Et c'est vrai que pour moi, c'était une sorte d'évidence d'y retourner,
19:37 parce que je m'étais dit que j'allais retrouver des interlocuteurs que je connais, ce qui a été le cas. Et ça me permettrait d'essayer de tracer,
19:44 ce qui était un représentant, un porte-parole à Clichy à l'époque. Et ça me permettait d'essayer de comprendre le fil entre 2005 et aujourd'hui,
19:53 et de comprendre les effets de génération. Je suis fasciné par l'idée de me dire que ceux qui avaient 18 ans à l'époque, ils ont 36 ans aujourd'hui,
20:01 ce sont peut-être les parents des adolescents qui ont 14-15 ans. Et donc, je trouve que sur ces sujets, plus que jamais, il faut de l'histoire.
20:08 Il faut de l'histoire longue, il faut passer du temps, il faut tenter de comprendre dans la longueur. Et donc, revenir sur un terrain comme ça,
20:14 ça n'est, vous avez raison, qu'un reportage, qu'un lieu. Mais on n'a pas tellement le choix, il faut essayer d'être en profondeur sur ces territoires.
20:21 Merci beaucoup, Luc Brunner. On lit vos papiers dans le monde.
20:24 Merci Sonia De Villers.