Sarah Salmona, atteinte d’une myopathie congénitale : "Je ne ressemblais pas aux autres, mais j’allais vivre pour ce que j’étais"

  • l’année dernière
Changer le regard sur le handicap et transmettre un message fort en faveur de l’inclusion, c’est l’ambition de "Différent.e.s". Pour l’incarner, qui mieux que Salim Ejnaïni : cavalier de Jumping, sportif, conférencier, entrepreneur… et non-voyant ? Comment vit-on avec une "différence", comment apprend-on à s'accepter soi et à accepter le regard de l'autre ? Parcours cabossés, destins contrariés et incroyables leçons de vie : Salim Ejnaïni recueille les témoignages de nos invités extra-ordinaires. Des histoires fortes et inspirantes autour de la résilience et du vivre-ensemble…
Atteinte d’une myopathie congénitale, Sarah Salmona n’a toujours eu qu’un rêve : avoir la même vie et les mêmes chances que n’importe qui. Devenue professeure et écrivaine, elle a atteint son but, mais c’est sans conteste un combat de longue haleine qu’elle a dû mener avec beaucoup de courage et de force. Pour Yahoo, elle a accepté de revenir sur son histoire, et raconte notamment comment elle a réussi à concilier son handicap avec une vie où rien ne lui serait inaccessible.
Pour rappel, les myopathies congénitales sont des affections neuromusculaires d’origine génétique. Ces maladies rares provoquent une diminution de la force musculaire dès la naissance ou un peu plus tard, en résultent notamment des difficultés motrices et respiratoires. Plusieurs formes de myopathies existent avec des gravités variables.
Transcript
00:00 psychologiquement, celui qui vit l'inclusion réelle se dit "j'ai une place dans la société".
00:05 Là où il voit que la société n'est pas adaptée, qu'il n'y a pas les infrastructures,
00:11 dans son fort intérieur, il se dit "ma place,
00:16 elle ne m'est pas donnée".
00:18 Bonjour Sarah. Bonjour. Pour commencer, est-ce que tu peux nous expliquer, on va réciter ta pathologie aujourd'hui, de quoi il s'agit ?
00:28 Alors j'ai une myopathie qui s'appelle myopathie centrale corps,
00:32 qui est une maladie musculaire et génétique.
00:35 Donc j'ai été marchande jusqu'à l'âge de mes 20-25 ans et progressivement j'ai été en fauteuil.
00:43 Fauteuil roulant manuel d'abord, puis fauteuil roulant électrique.
00:46 Fauteuil manuel, à partir de quand ? Fauteuil manuel,
00:50 assez tôt parce que je voulais à tout prix me
00:54 différencier des enfants parce que j'avais une espèce de grande poussette
00:59 pour grands enfants. Ça faisait très bébé, très infantilisant.
01:03 Et donc j'ai réclamé à mes parents vers l'âge de 8-10 ans un fauteuil roulant pour que les gens puissent voir
01:10 dans la rue que j'avais un handicap. Est-ce qu'on sait
01:14 d'où vient ta pathologie exactement ?
01:17 L'identification du gène, elle s'est faite quand j'avais 18 ans. Mes deux parents étaient porteurs d'une même anomalie génétique
01:24 qui s'est rencontrée
01:26 et qui a fait que moi j'ai été atteinte. Mais j'ai deux grandes sœurs qui, elles,
01:30 ne sont pas atteintes par la myopathie. Au moment où le diagnostic est posé, alors tu t'en souviens pas
01:36 forcément, mais qu'est-ce que ta famille
01:38 te raconte ou a pu te raconter sur
01:42 ce que ça a
01:44 déclenché au sein de la famille parce que ça chamboule pas mal. Il y a énormément de choses qui changent à ce moment-là.
01:49 Alors, étonnamment, peut-être parce que j'étais leur dernière fille,
01:54 ça n'a pas été un sujet d'angoisse
01:56 fort chez eux. Pour le moment, mes parents, ils constataient que j'étais en bonne santé,
02:01 que je grandissais à peu près comme les autres enfants et, comme je te disais,
02:07 j'ai pas été en fauteuil tout de suite. Donc, il n'y a pas eu beaucoup d'angoisse.
02:13 Les angoisses, elles, venaient lors des rendez-vous médicaux
02:16 qui arrivaient une fois par an. Et dans mon récit, je dis qu'on m'élève un peu comme si de rien n'était.
02:23 C'est-à-dire qu'il y a une partie
02:25 de mon identité, de cette maladie, avec laquelle on vit, mais sans lui donner d'importance, sans en parler à la maison. Pour moi, ça a été
02:34 la première solution.
02:37 C'est de cacher absolument tout ce qui avait attrait à la maladie. Quand j'étais petite, il y avait deux choses
02:44 qui me distinguaient des autres. C'était à l'école de devoir porter un casque
02:49 parce que je pouvais tomber facilement. Donc, autant te dire qu'en maternelle, tu es vite montré du doigt.
02:55 Et puis, j'avais un appareil respiratoire
02:58 qui devait me permettre
03:01 de faire agrandir,
03:03 de faire évoluer ma capacité respiratoire, comme les autres enfants.
03:06 Et cet appareil me faisait très très peur. Donc, on l'a caché dans un placard.
03:11 Et le casque en mousse, on a fini aussi par l'éliminer
03:17 parce que ça me rendait triste, parce que ça me faisait peur.
03:21 Est-ce que tu faisais
03:22 "comme si de rien n'était", ou est-ce que
03:26 tu le percevais vraiment comme si de rien n'était ?
03:32 Je pense que la maladie n'avait pas encore assez
03:35 de visibilité pour que j'en prenne vraiment compte.
03:39 La stratégie a été de ne pas vouloir me différencier des autres pour être acceptée.
03:43 C'est d'abord ça, et c'est le premier regard que j'ai reçu à l'école.
03:47 C'est-à-dire, t'es différente, et on te montre du doigt,
03:51 et tu ne peux pas jouer comme nous au même jeu,
03:53 donc on te met à part.
03:56 Et donc, ça a été ça la lutte, ça a été
03:58 d'essayer d'appartenir au monde qui m'entourait,
04:01 de qu'il fallait que je masque, qu'il fallait que je fasse semblant de jouer à chat,
04:06 alors que j'étais incapable de courir, d'échapper au chat ou d'attraper quelqu'un.
04:14 Donc les autres rigolaient de mon incapacité à les attraper.
04:18 Et moi, je prétendais pouvoir le faire.
04:21 L'école, au début, tu en parles un peu comme une épreuve.
04:24 C'est-à-dire qu'il y a une ligne de ton livre, qui m'a beaucoup plu d'ailleurs,
04:29 où tu dis "ah ouais, il faudra revenir demain encore",
04:33 parce que les parents vont au travail, les enfants vont à l'école, c'est comme ça.
04:36 C'est un peu une fatalité contre laquelle t'aimerais pouvoir te bagarrer.
04:41 La première expérience, c'était la maternelle et c'était assez cruel.
04:44 C'est-à-dire que là, on m'a désigné du doigt, j'avais ce fameux casque en mousse.
04:49 L'école, c'était pour moi un milieu très turbulent.
04:53 Les enfants, ils couraient partout, ça montait au toboggan, ça sautait, ça se bagarrait.
04:57 Et moi, il suffisait qu'on me donne un coup d'épaule pour que je tombe par terre.
05:01 Donc autant te dire que je restais contre un mur, toute seule,
05:05 éloignée de tous ceux qui remuaient partout.
05:09 Ça a commencé à changer au primaire.
05:12 Et puis alors, ça a été de mieux en mieux.
05:15 Après, je me suis fait un petit groupe d'amis, d'abord deux copines.
05:19 Et puis on formait un petit noyau et j'ai toujours été un peu comme ça,
05:24 entourée d'une ou deux amies très fidèles.
05:27 Toutes les stratégies que tu trouves pour t'adapter, elles ne sont pas toutes communes.
05:31 Et on en vient à un moment où tu es aidée carrément par tes amis,
05:35 où tu te fais porter, tu dis, dans les escaliers,
05:38 et où tu leur racontes des bêtises pour ne pas les décourager.
05:41 Oui, oui. En fait, on avait des labos de bio,
05:46 mais c'était au quatrième étage et il n'y avait pas d'ascenseur.
05:49 Et là, c'était mes copines qui me portaient sur leur dos.
05:52 Donc le défi, c'était de ne pas rigoler.
05:55 Forcément, dès qu'elles me portaient sur le dos, il y avait une sorte de fou rire.
05:59 En plus, l'effort physique faisait que surtout, il ne fallait pas se marrer.
06:03 Et donc moi, j'essayais de leur raconter des trucs tristes pour ne pas qu'elles rigolent.
06:08 Mais forcément, ça ne marchait pas.
06:09 Et c'était encore pire.
06:11 Et bizarrement, tes copains se mettaient à t'accompagner à 5-6 des fois.
06:15 Oui, oui, oui.
06:16 Alors, il y en avait pas mal qui se battaient pour porter mon cartable
06:19 exactement en disant "ouais, on va aider Sarah là".
06:22 "Ouais, ouais, ouais, non, non, partez".
06:25 Tu parles d'échanges à un moment donné, que ce soit...
06:27 Oui, d'une monnaie d'échange.
06:29 Ça, c'était un peu mon bonus, quoi.
06:33 Quand je disais aux copains "non, mais vous ne voulez pas rester avec moi à la récré ?
06:37 Parce qu'on a le droit de rester en classe".
06:38 Ou alors "on a le droit d'arriver en retard,
06:41 on a le droit de passer les premiers à la cantine".
06:44 Eh bien, ouais, parce qu'il faut essayer de garder les copains,
06:48 malgré la différence, et il faut bien qu'ils y trouvent un avantage quelque part.
06:53 À quel moment dans ta vie tu sens que tu as moins vécu
06:57 ou tu as moins eu presque une armure, une apparence,
07:01 une attitude pour coller aux attentes des autres ?
07:04 Et tu as vraiment commencé à vivre pour toi et par toi-même ?
07:08 À quel moment c'est arrivé ?
07:09 Je pense qu'à partir du moment où je suis en fauteuil électrique,
07:13 je commence à nettement mieux assumer le handicap et à nettement mieux vivre.
07:18 Même psychiquement, c'est beaucoup plus simple pour moi d'envisager la vie en fauteuil
07:24 que quand j'étais marchande, comme les autres.
07:27 Parce que c'était beaucoup moins d'efforts de vouloir ressembler aux autres.
07:34 Ça y est, je ne ressemblais pas aux autres, mais j'allais vivre pour ce que j'étais.
07:39 Et c'est contre-intuitif pour la plupart des gens ?
07:41 Oui, c'est contre-intuitif.
07:42 Et je pense qu'on y arrive plutôt vers l'âge adulte.
07:46 Et c'est surtout parce que ce qu'éprouvent les jeunes, ils veulent ressembler au groupe.
07:51 Et je suis assez contente de pouvoir être en fauteuil devant eux
07:54 et utiliser l'image de quelqu'un qui a des fragilités,
07:58 mais qui vit avec et qui peut exister avec.
08:03 Qui peut être prof.
08:05 Voilà, c'est déjà pas mal qu'ils le voient, les jeunes.
08:09 Tu parlais de récits tout à l'heure.
08:11 Rappelle-nous de quoi il s'agit.
08:13 C'est un récit autobiographique que j'ai commencé vers l'âge de 18 ans,
08:17 justement au moment où la maladie était de plus en plus visible
08:22 et où j'ai commencé à remettre sur la table
08:25 des inquiétudes, des interrogations que j'avais bien enfouies, bien mis de côté.
08:32 Donc, j'ai voulu écrire pour raconter un peu ce que je vivais de l'intérieur.
08:37 Malgré le fait de vouloir vivre comme si de rien n'était, c'est faux.
08:42 Il y a des choses qui se passent et qu'on ressent.
08:45 Et on sait bien que la maladie, elle est là.
08:48 Depuis le début, je le savais.
08:50 Rappelle-nous le titre de ce récit.
08:52 Alors le titre, c'est "Partez devant, je vous rejoins",
08:55 qui fait référence à
08:57 d'abord à une petite scène dans le récit
09:01 où je dis à mes copains qui me disent
09:04 "Viens Sarah, on va manger au bout de la rue, on va au kebab".
09:06 Et je leur dis "Oui, partez devant, je vous rejoins,
09:09 parce que je vais mettre beaucoup plus de temps qu'eux pour marcher dans la rue
09:12 et que je n'ai pas envie de me forcer à marcher aussi vite qu'eux".
09:16 Et puis après, ce titre, il est bien représentatif
09:20 d'un peu de mon parcours de vie qui a été de vouloir les mêmes choses
09:26 et la même vie et les mêmes chances que les autres.
09:29 Mais avec cette impression que c'est toujours plus difficile de les atteindre
09:34 parce qu'il y a des obstacles purement logistiques
09:38 et qu'il m'a fallu parfois plus de temps pour acquérir tout ça.
09:42 Je pense à, par exemple, à quitter le domicile de mes parents.
09:46 Je suis partie tardivement de chez moi.
09:48 Ça te faisait peur, cette étape là, par exemple ?
09:50 Ça a été une étape qui me faisait peur, mais
09:54 qui m'attirait énormément parce que j'ai toujours eu,
09:59 je crois, ce désir de vivre, de profiter de la vie,
10:02 de construire une vie à moi, aussi une vie autonome.
10:07 Mais évidemment, la dépendance physique faisait que
10:10 s'est installée aussi une dépendance psychique.
10:13 Moi, mes parents avaient tellement compensé, avaient tellement assuré
10:17 pour moi dans ma vie, que vivre sans eux,
10:20 c'était émotionnellement compliqué.
10:23 Mais je savais où je devais passer par là pour espérer avoir une vie d'adulte.
10:29 Elle te faisait rêver, cette vie d'adulte ?
10:31 Ou peut-être même chose, est-ce qu'elle t'angoissait plus que
10:34 plus que de te faire rêver ?
10:35 Les deux, les deux, parce que je ne me faisais pas totalement confiance
10:39 sur ma capacité à vivre seule avec moi-même.
10:45 Qu'est-ce que je suis capable de vivre sans l'attention des autres,
10:51 de vivre sans l'autre, de vivre
10:57 sans vivre au travers d'un autre ?
10:59 Tu parles d'une de tes sœurs, beaucoup d'ailleurs.
11:01 Oui, une de mes sœurs qui a été très présente parce qu'on était proche en âge
11:04 et elle a un peu palié à mes difficultés constamment.
11:07 C'est-à-dire, c'est elle qui m'aidait à monter les escaliers,
11:10 c'est elle qui me portait, c'est elle qui me soulevait d'une chaise.
11:14 C'est elle qui...
11:15 Voilà, si bien que
11:18 je dis dans le livre que son corps, il s'est moulé au mien et le mien au sien.
11:21 Et comme elle savait très bien le faire, tout le monde l'a laissé faire.
11:24 C'est des choses qui se mettent en place sans que personne ne les décide.
11:28 Oui, vraiment des petites habitudes qui, tu le décris très bien,
11:31 deviennent pesantes à un moment donné.
11:33 Vous êtes très souvent ensemble et où,
11:35 faites-moi si je me trompe, mais où elle repousse un petit peu ce...
11:39 Bah oui, cette petite sœur qui est envahissante.
11:44 L'attention, elle est plus tournée vers moi parce qu'il faut m'aider.
11:47 Elle intériorise le fait qu'elle n'ait pas le droit de se plaindre, par exemple,
11:52 et que ses difficultés à elle sont moindres par rapport au mien.
11:56 Enfin, c'est ce qu'elle se dit intérieurement.
11:58 Et puis, il y a de la culpabilité de se dire
12:00 "c'est ma petite sœur qui est malade et pas moi".
12:03 Et en même temps, un sentiment de jalousie.
12:05 Elle, elle a l'attention que moi, je n'ai pas.
12:08 Et donc, au fur et à mesure des années,
12:11 ces frustrations-là, elles ont besoin d'exploser à un moment donné.
12:16 Et donc, c'est vrai que c'est à l'âge adulte où on a pu commencer à se parler.
12:20 Cette maladie, elle a eu un peu cet effet-là sur toi aussi,
12:24 d'être très... de ne pas dire son nom, d'être un peu obscur.
12:29 T'en parles à un moment comme un monstre caché sous ton lit.
12:32 Est-ce que tu as eu le sentiment d'être comprise là-dessus
12:36 ou est-ce que pareil, ça a dû attendre l'âge adulte
12:39 de pouvoir sortir ton livre, par exemple, pour en parler ?
12:42 Oui, mon incapacité à exprimer les choses quand j'étais petite
12:48 ont fait qu'à un moment donné, l'écriture a été le moyen
12:51 vraiment de choisir les mots justes
12:54 pour expliquer ce type d'angoisse que j'avais.
12:57 Par contre, j'en avais une multitude d'angoisse.
12:59 J'avais peur des monstres,
13:01 j'avais peur de tomber dans les toilettes quand j'allais faire pipi,
13:04 j'avais peur des flashs, des photomatons,
13:06 enfin, j'avais toute une série de peurs.
13:08 J'étais très hypochondriaque, juste tardivement.
13:13 J'avais peur de toutes les maladies sauf de la mienne.
13:16 Au bout d'un moment, je me suis dit,
13:18 mais attends, l'angoisse, elle est peut-être simplement liée au fait
13:22 que tu t'es sentie très tôt fragile
13:25 et que tu n'as pas parlé de tes difficultés,
13:28 tu n'as pas parlé de tes difficultés à l'école,
13:30 tu n'as pas parlé de la peur de l'abandon,
13:32 enfin, plein de choses comme ça.
13:33 Et à l'âge adulte, j'ai commencé un travail thérapeutique
13:38 et en même temps l'écriture.
13:40 Cette idée de devoir garder les choses pour elle-même,
13:43 quand il s'agit de ta sœur, finalement,
13:45 tu l'as vécue pour toi aussi, en fait ?
13:47 Oui.
13:48 Le moment de la réconciliation,
13:50 c'est le moment où on commence à en parler
13:52 et où je commence à vivre avec cet handicap
13:55 et aussi à en prendre un peu soin
13:58 parce que je me malmenais à essayer de vouloir être comme tout le monde.
14:01 Et puis, il y a eu un moment donné où le corps n'a pas pu suivre.
14:04 Enfin, biologiquement, ce n'était pas possible
14:07 de suivre les autres jusqu'au kebab sans fauteuil roulant.
14:10 À partir de ce moment-là, il a fallu changer de stratégie
14:14 et ça a été "je vis à côté d'elle,
14:16 je la reconnais,
14:19 j'en prends soin, je prends soin de mon corps
14:22 et puis je reconnais mes limites".
14:26 Et malgré ça, je ne mets pas de croix sur des désirs fondamentaux
14:32 qui concernent tout un chacun, qui est "je choisis où je vis,
14:36 je choisis ce que je fais comme métier, je ne renonce pas à l'amour".
14:41 On sent bien que l'amour, dans ton livre et dans ton histoire,
14:45 c'est un fil directeur omniprésent.
14:48 Quand tu expliques que tu tirais un peu un trait à l'époque du collège,
14:52 lycée, sur une vie sentimentale pour toi,
14:54 mais que tu arrivais à conseiller les autres.
14:56 La stratégie du metteur en scène,
14:59 c'est-à-dire "je ne peux pas être actrice et je ne peux pas vivre des histoires d'amour.
15:03 Par contre, un peu par procuration,
15:06 je vais mettre en scène des histoires sentimentales,
15:10 je vais arranger des histoires entre mes copines et mes copains".
15:14 Et puis vient le moment où les copines grandissent
15:16 et elles vivent des choses que je ne vis pas d'abord.
15:19 Et là, je me retrouve un peu la tête sous l'eau en disant "mince,
15:24 je n'ai plus mon moyen par procuration de vivre des histoires,
15:28 de palpiter, de me sentir utile aussi,
15:31 d'avoir une place".
15:33 Parce que conseiller, jouer les metteurs en scène,
15:36 c'est aussi se créer une place.
15:39 Eh bien, vient le moment où il va falloir que je parte
15:42 pour moi-même à la quête de ce que je désirais pour mes copines.
15:48 Et c'est toujours plus facile de conseiller les autres que de se conseiller soi-même.
15:52 Exact.
15:53 Et puis, je n'avais aucune expérience, donc c'était très péremptoire.
15:57 Qu'est-ce que tu peux nous dire de ton expérience ?
16:01 J'ai été aidée par ma psychologue très vite.
16:04 Elle m'amène à réfléchir un peu sur l'image que j'ai de moi-même
16:09 et elle va me dire une phrase qui est un électrochoc.
16:13 Et elle me dit "Sarah, tu es une femme".
16:15 Et au départ, je n'y crois pas.
16:19 T'avais quel âge, pardon, à ce moment-là ?
16:20 Oh, je devais avoir 23, 24.
16:23 Et à ce moment-là, tu ne crois pas ?
16:25 Non, je n'y crois pas.
16:26 Je n'y crois pas parce que pour moi, je ne ressemble pas du tout à une femme,
16:29 que je suis toujours aussi dans une posture assez infantile.
16:33 Je me suis dit "ce qu'elle dit, ce n'est peut-être pas faux".
16:36 Finalement, c'était une époque où j'avais beaucoup d'angoisse aussi.
16:39 Et je pense que ces angoisses un peu mortifères, c'était
16:42 "est-ce que je vais pouvoir vivre une vie comme tout le monde ?"
16:46 Et qu'elle, elle était en train de me dire à travers ça "tu es une femme,
16:50 eh bien oui, tu vas pouvoir avoir une vie d'adulte,
16:53 tu vas pouvoir séduire quelqu'un, tu vas pouvoir tomber amoureuse,
16:56 tu vas être mère de famille, eh bien pourquoi pas ?
16:59 Enfin, ne t'arrête à rien."
17:02 Et qu'est-ce que ça a donné dans ta vie ?
17:04 Et ça a donné que j'ai essayé de rencontrer.
17:07 Je suis d'abord allée sur des sites de rencontres en me disant
17:10 "ouais, je ne vais pas prendre trop de risques,
17:13 ils sauront que je suis en fauteuil, ils me verront."
17:16 Et puis, ma première surprise, c'est que ça n'a pas arrêté certains
17:21 et que j'ai pu faire quelques rencontres et que plus tard,
17:26 alors ce n'est pas par un site, mais je pense qu'ayant été rassurée,
17:31 ayant gonflé un peu mon estime de moi-même,
17:36 j'ai rencontré un garçon via un défi sportif
17:40 qui avait été organisé par une asso,
17:44 qui mettait en lien des personnes en fauteuil avec des gens qui faisaient du roller.
17:48 Et j'ai rencontré Brice, qui était en roller, donc qui n'était pas Andy,
17:53 et je suis allée naturellement vers lui.
17:55 Et je n'ai pas eu peur de lui parler de...
17:58 Alors lui m'avait dit "tu m'as carrément draguée"
18:03 et moi, je n'en avais pas du tout eu conscience,
18:06 mais peut-être que je l'ai fait inconsciemment,
18:08 peut-être que j'ai été dans la séduction.
18:11 Et que si je l'ai été, en tout cas, c'est parce que j'avais gagné confiance
18:18 et que je me permettais d'y croire.
18:20 Et donc, tu as fait ce chemin-là en combien de temps ?
18:24 Et comment tu te voyais à ce moment-là ?
18:27 En fait, ma vraie histoire sentimentale, elle a commencé à 30 ans.
18:32 Ça renvoie un peu au titre "Partez devant, je vous rejoins".
18:35 C'est "je vais y arriver", peut-être un peu plus tard,
18:39 mais je vais y arriver.
18:41 Ça a été un vrai parcours, une vraie initiation, un vrai entraînement.
18:46 Moi, je parle même de rééducation sentimentale dans le bouquin,
18:49 parce que c'est comme s'il fallait faire des exercices quotidiens
18:53 pour s'entraîner.
18:55 À oser regarder un garçon dans les yeux, par exemple,
18:58 ça, ce n'était pas évident.
19:00 Comment est-ce que tu sens la perception des jeunes sur toi,
19:03 adultes, enseignantes ?
19:05 Les enfants, la première fois qu'ils voient le handicap,
19:07 évidemment, ils sont hyper étonnés, hyper surpris.
19:11 J'ai une semaine de cours où j'ai un silence quasi total,
19:15 tellement ils sont impressionnés.
19:18 Et puis après, en fait, ils s'adaptent très, très vite.
19:21 Et je dis souvent qu'ils ne perçoivent plus le handicap.
19:27 Je deviens un prof comme une autre.
19:30 Et ce qui est étonnant, c'est les plus petits.
19:32 Alors, je fais un peu de sensibilisation au handicap aux primaires.
19:36 Et alors, eux, ils posent des questions très directes.
19:39 Tu es heureuse ?
19:40 Tu es mariée ? Tu es amoureuse ?
19:41 Tu as quelqu'un dans ta vie ?
19:43 Mais la question, est-ce que tu es heureuse ?
19:46 Ce n'est pas rien, quoi.
19:49 Et donc, je leur explique que oui, le handicap pose des difficultés,
19:52 mais que, heureusement, il n'enlève pas le bonheur.
19:57 Et je pense que plus on est confronté à l'adversité,
20:00 plus on saisit ce qu'il y a d'essentiel aussi.
20:04 On ne perd pas de temps avec le superficiel.
20:06 Qu'est-ce que tu penses de ton rôle vis-à-vis de l'enseignement de la différence ?
20:13 Est-ce que tu as le sentiment que ça, c'est suffisamment fait,
20:16 que c'est suffisamment dans les perceptions des jeunes aujourd'hui ?
20:20 Je pense que le handicap, il est encore très, très peu visible
20:24 et que c'est encore un défi pour les personnes en fauteuil,
20:28 avec un quelconque handicap, de sortir dans la rue.
20:31 C'est un défi de prendre les transports en commun.
20:33 C'est un casse-tête monumental et c'est ça qui me rend dingue.
20:36 Ce n'est pas ma maladie.
20:38 Voilà, le handicap, je le ressens parce que le monde autour de moi,
20:41 il n'est pas adapté à mon handicap.
20:43 C'est d'être oublié par mon transporteur à la fin d'une réunion parents-prof
20:49 et d'être toute seule à 20h dans mon lycée
20:51 et de me dire comment je fais pour rentrer chez moi.
20:52 Alors évidemment, les jeunes, ils nous voient en fauteuil et là, ils se rendent compte.
20:56 Ils prennent conscience de toute une dimension
21:00 qu'ils ne verraient pas s'ils ne côtoyaient pas quelqu'un en fauteuil.
21:03 Évidemment, il y a une conscience pour l'avenir,
21:07 pour la vision qu'ils auront d'une société, de la politique.
21:13 On peut donner une place aux personnes en situation de handicap
21:17 parce que tiens, j'ai une prof qui est capable d'être prof même si elle est en fauteuil.
21:21 Je me souviens qu'on a fait une sortie une fois pour aller au théâtre ensemble
21:25 et qu'on a pris les transports en commun.
21:27 Et alors là, ça a été une mission incroyable.
21:30 Et les enfants, ils m'ont poussée, ils m'ont portée.
21:33 On a eu un problème d'ascenseur.
21:35 Il a fallu me porter dans les escalators.
21:39 Donc j'avais deux gamins derrière, deux devant qui portaient le fauteuil.
21:45 On a passé un moment de galère, mais un bon moment.
21:47 Tu parlais de théâtre parce que tu me disais tout à l'heure
21:52 qu'il y a une seconde vie à ton livre.
21:56 Oui, on en fait une pièce de théâtre.
21:59 Elle est adaptée.
22:01 Et du coup, je renoue avec mon goût pour le théâtre
22:04 en étant sur scène et en jouant mon propre rôle.
22:07 Tu me disais, on adapte certaines salles, mais on pense jamais à la scène.
22:11 Bah oui, c'est-à-dire qu'un comédien en fauteuil,
22:14 là, on n'y a pas encore pensé ou on n'y pense pas ou très peu.
22:18 Et donc le défi a été de trouver une salle accessible,
22:21 mais pour le comédien, pas pour le spectateur.
22:24 Voilà, le jour où la société dit, vous avez accès à tout,
22:29 à une piscine municipale, à un théâtre, à une scène, aux toilettes.
22:37 Là, les mentalités vont changer et puis les opportunités vont changer.
22:43 Psychologiquement, celui qui vit l'inclusion réelle se dit,
22:47 j'ai une place dans la société.
22:50 Là où il voit que la société n'est pas adaptée,
22:53 qu'il n'y a pas les infrastructures, dans son fort intérieur,
22:58 il se dit, ma place, elle ne m'est pas donnée.
23:02 Merci beaucoup pour ce partage en tout cas.
23:04 Merci à toi.
23:05 [Générique]
23:07 Merci d'avoir regardé cette vidéo !

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