Retrouvez toutes les chroniques de Marie Misset dans « Jusqu'ici tout va bien » sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/
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00:00 écoutez jusqu'ici, tout va bien. Et cette année, avec Maya et Marine, on a décidé
00:03 de se rappeler collectivement qu'on peut s'engoler dans la joie, qui a un plaisir
00:06 tout à fait français dans la dispute. Et la question bagarre du jour, la question qui
00:10 fâche c'est, les femmes sont-elles biologiquement destinées à servir les hommes ?
00:14 Dans le studio, la lumière a baissé, les cœurs se sont serrés, notamment le tien Marine
00:24 Bausson, puisqu'en tant que lesbienne, tu ne remplis pas au quotidien ton destin de femme.
00:27 Si on pose cette question, c'est qu'on a appris en début de semaine que pendant les
00:31 vacances, les femmes hétérosexuelles ont fait beaucoup plus de tâches ménagères
00:34 que les hommes. Valise, linge, trou, pharmacie, choix de la destination, elles ont tout fait
00:38 sauf le barbecue et la conduite de la bagnole. On parle évidemment de statistiques et de
00:42 généralité. Je sens certains hommes, certaines femmes derrière leur poste se dire « mais
00:47 non, moi c'est pas vrai, j'ai conduit la bagnole ». Et on avait envie de se demander
00:50 si finalement ce n'était pas une fatalité. Le destin biologique des femmes est-il de
00:54 servir les hommes ? On répond à cette question avec Peggy Sastre, essayiste et chroniqueuse
00:59 au magazine Le Point. Bonsoir Peggy.
01:01 Bonsoir.
01:02 Ça vous va la définition « la féministe qui énerve les féministes » ?
01:05 J'adore, j'ai regardé comme…
01:06 Votre livre le plus récent c'est « La haine orpheline » aux éditions Anne Carer.
01:10 Mais si on vous reçoit aujourd'hui, c'est plutôt parce que vous êtes passionnée de
01:12 psychologie évolutionnaire. Cette science qui prétend expliquer le comportement des
01:16 humains à partir de l'évolution et notamment en comparant les humains aux animaux. Et
01:20 comme vous êtes féministe, vous avez même créé un mot spécial, vous êtes évo-féministe.
01:23 Peggy Sastre, si les femmes s'occupent plus des tâches domestiques, y compris pendant
01:27 les vacances, est-ce qu'il y a quelque chose dans leur gêne qui les pousserait à s'emparer
01:30 des travaux de soins ?
01:31 Comment commencer, comment attraper cette question ?
01:36 Quelque chose dans leur gêne, sans doute, mais c'est justement le point de départ
01:46 et là, les femmes ne sont pas au service des hommes, les femmes sont au service de
01:51 leur gêne.
01:52 Ah d'accord.
01:53 Et donc, comment est-ce que ça se traduit dans ce cas-là ? Après, je ne sais pas,
01:59 peut-être qu'on en parlera, mais il y a quand même beaucoup de lacunes dans l'étude.
02:03 Mais on voit que le gros des tâches ménagères, que ce soit en vacances ou pas, c'est quand
02:09 il y a les enfants. De toute façon, l'étude le montre, le gros différentiel là où les
02:14 femmes sont le plus stressées, fatiguées, c'est quand il y a des enfants.
02:17 C'est aussi dans les jeunes couples, où dans les couples qui ont moins de 3 ans, 2
02:21 ans, de moins d'un an, les femmes s'occupent plus de tout que les hommes.
02:25 Oui, mais l'étude montre bien que le gros facteur, c'est l'enfant.
02:30 C'est là où les enfants.
02:32 Et donc en fait, quand on voit ça et qu'on a, comme moi ou d'autres, une lecture évolutionnaire
02:42 des choses, c'est limpide.
02:45 Elles s'occupent de leur propre gêne en s'occupant des enfants.
02:50 Ce ne sont pas des hommes dont elles s'occupent.
02:54 Par extension, un peu forcément.
02:55 Par extension et surtout dans la réalité.
02:58 Après, comment dire, il faut aussi voir sur quoi on met le curseur.
03:03 C'est aussi très intéressant de voir que très majoritairement, ce sont les hommes
03:07 qui conduisent.
03:08 Qu'est-ce qui vous intéresse ?
03:09 C'est intéressant dans le sens où, par exemple, c'est un schéma comportemental
03:14 qu'ils retrouvent dans…
03:15 Tobi, Nathan en parlera sans doute mieux que moi.
03:18 C'est un schéma comportemental qui se retrouve dans des sociétés "primitives"
03:30 où les hommes se déplacent davantage que les femmes.
03:36 Et justement, chez d'autres animaux, parce que ce n'est pas qu'on compare les humains
03:39 à des animaux, c'est qu'on compare les humains à d'autres animaux.
03:41 Nous sommes une espèce…
03:43 Mais on les connaît, les études sur les animaux, il y en a autant qui disent ça que
03:48 le contraire.
03:49 Ah non, pas du tout en fait.
03:50 Ça, c'est une méconnaissance de la science assez fondamentale et qui est, je pense, assez
03:57 forte malheureusement en France.
03:59 Les directions, en tout cas, évidemment qu'il y ait des variations sur les études, c'est
04:07 normal, c'est comme ça que la science marche.
04:08 Mais les directions générales sont que typiquement dans des différences sexuées, comportementales
04:19 d'espèces sexuées comme la nôtre, c'est le même genre de schéma qu'on retrouve
04:23 de manière un peu plus… pas plus, mais moins fine dans cette étude.
04:28 Mais après, Guissas, même si on admettait que tout ça est biologique, l'aventure humaine,
04:33 est-ce que ça ne consiste pas à se battre justement contre le déterminant biologique ?
04:36 Ça justement, c'est ça aussi le problème de la question, c'est que ce n'est pas
04:39 une détermination.
04:40 À la limite, c'est une prédisposition.
04:42 Il y a un terrain.
04:44 Moi, ce que j'aime beaucoup dire, c'est que certes, la biologie n'explique pas tout,
04:50 mais sans biologie, on n'explique rien.
04:51 Il y a d'autres chercheurs qui disent par exemple que la biologie nous tient en laisse,
04:55 mais quand on ne la connaît pas, ça raccourcit la laisse.
04:58 La biologie est un destin, mais la biologie est surtout un destin si on l'ignore en fait.
05:04 Et en fait, avoir connaissance de toutes ces déterminations, c'est aussi vieux que Spinoza.
05:10 On est vraiment libre quand on connaît ses déterminismes.
05:13 Et ça, c'est un peu le nœud fondamental de mon travail.
05:16 Maya ?
05:17 Donc si je résume, c'est un petit peu paradoxal, mais en sachant que je fais la lessive pour
05:22 protéger les gènes de mes enfants et donc par extension la lessive aussi de mon mec,
05:26 je vais pouvoir arrêter de faire la lessive.
05:28 D'ailleurs, c'est ça, ça se voit un peu dans l'étude, parce que c'est assez marrant.
05:31 Je ne sais pas si vous avez remarqué, quand les résultats sont précisés selon les catégories
05:39 etc., on voit que c'est les très féministes qui sont les moins fatiguées.
05:42 En moyenne, on a 70% des femmes qui se disent très fatiguées après les vacances.
05:48 Mais celles qui se disent très féministes sont seulement à 50%.
05:51 Et celles qui se disent pas féministes sont à 61%.
05:54 Et le truc marrant, c'est que celles qui sont les plus fatiguées, c'est à 78%,
05:58 elles sont supérieures à la moyenne, c'est celles qui se disent assez féministes.
06:02 Donc, les femmes sont biologiquement destinées à servir les hommes ?
06:04 Non, pas du tout.
06:05 Merci Peggy Sastre, une très belle conclusion que tu as faite pour terminer Marine.
06:11 Bah que non ! Ce n'est pas lire ça !
06:14 Merci Peggy Sastre, on vous retrouve dans Le Point.
06:16 Vous venez aussi de finir la traduction d'un livre sur Oppenheimer, « Triomphe et tragédie
06:20 d'un génie ». C'est aux éditions du Cherche Midi.