Avec Mélanie Van danes, documentariste sonore.
Retrouvez "La question qui" sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
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AmusantTranscription
00:00 On en avait marre parce qu'on faisait répondeurs.
00:07 Les filles nous appelaient pour savoir s'il y avait une réunion, machin, ça n'arrêtait
00:11 pas.
00:12 C'était extrêmement foisonnant.
00:13 Il y avait tout le temps des trucs.
00:14 Et Carole, elle m'appelle, elle me dit j'ai une idée géniale, on va faire un répondeur.
00:19 Au lieu de répéter tout le temps la même chose, les filles laisseront ce qui se passe
00:24 et nous on fera chaque jour une bande à partir de ce qu'elle essaie.
00:27 Et on appelait ça les répondeuses.
00:29 *Bonjour, fraîchement débarquée dans le département de l'Essonne, je chercherai
00:35 à rencontrer des groupes femmes dans le département de l'Essonne.
00:39 J'attends leur réponse, merci d'avance, au revoir.*
00:43 Bonjour Mélanie Van Den Es.
00:44 Bonjour.
00:45 Vous êtes documentariste sonore, vous vous êtes intéressée à l'histoire parfois
00:49 oubliée par son ensevelie de femmes comme dans votre projet "Mes voisines", une série
00:53 de balades sonores sur les tombes de 6 femmes lesbiennes au cimetière du Père Lachaise.
00:57 Dans votre dernière installation qui s'appelle "Sous la toile", on a découvert le projet
01:02 des répondeuses qui a duré, si je ne me trompe pas, de 1977 à 1984, dont vous êtes
01:07 donc venue nous parler.
01:08 C'est l'histoire de femmes qui ont créé un journal téléphonique, une sorte de newsletter
01:12 mais des années 80.
01:14 Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que c'étaient les répondeuses, quelles
01:17 étaient les missions qu'elles étaient données et comment elles fonctionnaient ? Ça fait
01:20 trois questions en une, je vous laisse.
01:22 *Je t'ai tout compris.*
01:23 On a eu un petit aperçu sonore avec la voix de Mimi Bastille que je salue, qui nous écoute,
01:29 que j'ai interviewée il y a quelques années et qui faisait partie des répondeuses.
01:33 Elles étaient une douzaine de femmes qui, entre 1977 et 1984, ont effectivement profité
01:39 de cette innovation technologique de l'époque qu'était le répondeur pour diffuser tout
01:43 un tas d'informations aux femmes, au mouvement des femmes à Paris et en Ile-de-France.
01:47 Il y avait un système avec deux numéros de téléphone.
01:51 Un numéro de téléphone où toute femme qui avait des informations à partager, plutôt
01:55 à portée collective, des manifestations, des rassemblements, beaucoup de spectacles,
01:59 beaucoup de groupes de paroles, c'était extrêmement foisonnant comme le disait Mimi
02:02 dans l'extrait à l'époque, pouvait partager des informations très concrètes.
02:06 Et par binôme, tous les jours, pendant huit ans, un binôme de répondeuses venait écouter
02:12 les messages laissés.
02:13 Elles en synthétisaient l'essence en trois minutes et chaque jour, du coup, elles se
02:18 réenregistraient et il y avait un autre numéro de téléphone qu'on pouvait appeler pour
02:20 entendre, pour tomber sur un répondeur qui nous racontait toute l'actu quotidienne.
02:25 Vous aviez quelle relation à votre répondeur à l'époque vous Marc Lambron ? Voilà
02:29 un truc qui n'est plus vraiment de notre époque.
02:32 Mes parents ont eu, j'ai habité chez eux, le téléphone en 1974.
02:36 Donc je ne crois pas qu'il y avait de répondeur.
02:39 Non, ils ont été des téléphones à cadrans comme ceux dont on parle.
02:47 Et je préférais répondre moi-même.
02:49 Et plus tard, jamais vous avez eu, vous êtes chez Marc Lambron, laissé un message ?
02:52 Ah bah si, plus tard, j'ai eu un répondeur avec des bandes, mais je n'ai jamais conceptualisé
02:59 ni fait quelque chose d'utile de mon répondeur.
03:01 Qu'est-ce que vous avez écouté et qui vous a étonné ou fait rire dans les choses
03:07 que vous avez entendues sur ces répondeuses Mélanie Van Nannes ?
03:11 Alors en fait, je n'ai pas pu écouter les cassettes.
03:13 C'était ma motivation première, mais la bibliothèque Marguerite Durand, qui est
03:17 la bibliothèque des archives féministes dans le 13e arrondissement de Paris, m'a
03:21 accueillie, mais par peur d'abîmer ce matériau précieux qu'étaient les cassettes, ne laissait
03:26 pas accès au public pour les écouter.
03:27 Donc d'une frustration, j'ai dû imaginer autre chose.
03:30 Et par contre, ce qu'il y avait et qu'on pouvait consulter, c'est 20 cahiers dans
03:33 lesquels les répondeuses ont écrit pendant 8 ans, mot à mot, tous les messages reçus,
03:37 que ce soit des messages qu'elles allaient diffuser, ou alors des mots gentils, ou même
03:42 des insultes, avec cette idée de la fonction archivistique qu'elles voulaient garder.
03:46 Des insultes ?
03:47 Oui, il y avait des insultes.
03:48 En fait, c'était un peu des réseaux sociaux, avant les réseaux sociaux.
03:51 Et donc j'ai cru comprendre qu'elles n'hésitaient pas à commenter, à laisser des commentaires,
03:55 à dire "ça, j'aime pas trop", "ça, vous pourriez faire mieux".
03:57 Alors, elles laissaient des commentaires, beaucoup entre elles, sur les cahiers.
04:00 Je ne pense pas qu'elles s'enregistraient sur les 3 minutes, parce qu'il fallait aller
04:04 vite et condenser un certain nombre d'informations.
04:06 Mais la bibliothèque Marguerite Durand a numérisé très récemment ces cassettes,
04:09 donc on va bientôt pouvoir entendre ce qu'elles se disaient pour de vrai.
04:13 Mais je pense qu'elles commentaient plutôt entre elles, dans les cahiers qu'elles se
04:15 laissaient.
04:16 Et ce qu'on découvre dans votre travail, c'est que les répondeuses avaient un grand
04:18 souci de l'archive, dès la fabrication de ce journal téléphonique.
04:22 Ce sont des femmes qui mesuraient peut-être que ce qu'elles vivaient pouvait être effacé,
04:26 oublié, ou alors que ce qu'elles vivaient pouvait être important, et que le mouvement
04:29 de l'histoire de libération de leur existence pouvait aussi être enseveli.
04:33 C'était ça la peur qu'il y avait derrière cette histoire d'archive ? Qu'on pense au
04:36 moment où on fait les choses ?
04:37 Absolument, et Mimi, dans les extraits qu'on peut entendre sous la toile, me dit très
04:42 précisément ça.
04:43 On avait conscience de l'époque foisonnante, bouleversante, avec énormément de changements
04:47 pour les femmes, qu'on était en train de vivre et on voulait laisser une trace.
04:51 Donc cette retranscription dans les cahiers était vraiment la manière de faire archive
04:57 en temps réel.
04:58 Marc Lambrou, vous avez écrit un livre sur votre frère décédé du SIDA qui s'appelle
05:01 « Tu n'as pas tellement changé ». C'était en 1995 qu'il est mort.
05:04 Il y a une vraie question sur cette mémoire-là, sur cette épidémie dont l'histoire n'aurait
05:08 pas vraiment été transmise à la jeune génération.
05:11 C'est aussi ce trou de mémoire que vous, vous avez voulu réparer quand vous avez écrit
05:14 ce livre ? Ou c'était vraiment pour votre frère ?
05:15 C'était comme un… Je ne sais pas si j'avais un esprit de mission, j'avais surtout un
05:19 esprit de mémoire, comme un requiem.
05:22 Mais en effet, une façon là aussi de fixer… Je ne dirais pas que c'était une stèle
05:26 écrite, mais en tout cas c'était une façon par les mots de faire mémoire d'un passage
05:31 qui sinon aurait pu rester sans légende, c'est-à-dire sans mots.
05:34 Légende, étymologiquement, c'est ce qui peut être lu.
05:36 D'ailleurs, je suis frappé dans ce qui est dit là, qu'il y avait déjà apparemment
05:39 un rapport entre l'enregistré et l'écrit, puisque c'était redoublé ou consigné ensuite
05:43 en même temps.
05:44 Pour multiplier les chances de souvenir peut-être.
05:48 Mais toute chose égale par ailleurs, comme de la même façon, je parle et ensuite je
05:51 l'écrite et je transcris.
05:52 Donc ce n'est pas contradictoire finalement le son, le verbe et ce qui en reste, et au
05:58 contraire.
05:59 Emile Hanivannes-Danès, les années Sida d'ailleurs, on le découvre dans le podcast,
06:03 c'est une vraie rupture dans cette production d'archives pour le futur.
06:07 Ça a l'air de s'arrêter là.
06:09 Ça a l'air d'avoir un lien direct, l'arrêt des Répondeuses et ces années beaucoup plus
06:13 sombres où l'espoir finit par s'aménuiser un petit peu.
06:17 Absolument, là, les collectifs auxquels je me suis intéressée dans Sous la Toile,
06:21 donc il y a les Répondeuses, il y a aussi la librairie Carabosse, il y a les 3F, Formation
06:25 Paris pour les femmes, il y a le groupe lesbien de Paris dans lequel Suzette Robichon a milité,
06:29 il y a les Goudoux Télématiques qui se sont embarqués.
06:31 C'est le meilleur nom du monde.
06:33 J'ai envie de lancer un truc, les Goudoux Télématiques.
06:35 Elles se sont emparées du Minitel.
06:37 Il y avait les Gouines Rouges à l'époque.
06:39 Mais du coup, là, les groupes auxquels je me suis intéressée, c'est vraiment un
06:44 moment où elles ont envie de faire des choses d'utiles et de concrètes.
06:46 Et du coup, c'est assez peu connu aujourd'hui.
06:49 On a à peu près bien le MLF en tête.
06:51 Mais quand j'ai découvert, en tirant le fil dans ces cahiers, tous ces autres collectifs
06:54 des années 75-85, ça a été une vraie découverte.
06:57 Et c'est vrai que les années Sida marquent un point de rupture.
06:59 Parce que les femmes et les lesbiennes ont aussi été beaucoup aux côtés des amis
07:03 gays.
07:04 Est-ce que je peux dire une chose comme hétéro Plouc ?
07:06 Bien sûr monsieur l'hétéro Plouc, allez-y.
07:08 C'est au fond, parce que là, on parle des femmes, mais on ne parle pas au fond des
07:12 bénéfices presque induits pour les garçons.
07:14 Moi, j'avais 11 ans en 68.
07:16 Et il y avait des grandes sœurs.
07:18 Les filles du MLF, les femmes du MLF, c'était plutôt des grandes sœurs.
07:21 Et on était un peu dans la position de neveu.
07:25 Vous savez, comme dans Donald, il a les trois neveux dans le coffre.
07:28 Moi, j'étais dans le coffre du post 68 et donc du féminisme en 68.
07:33 Et au fond, cette prise de liberté qui était celle des femmes, elle allait au-delà.
07:37 C'est-à-dire qu'elle bénéficiait aussi par retombée, si j'ose dire, à tout un
07:42 climat, un esprit d'époque qui, au fond, était fait de conquêtes sectorielles presque
07:50 de liberté.
07:51 Mais tout ça se rejoignait.
07:52 Et les neveux comme moi étaient en dessous et bénéficiaient de la pluie féconde qui
07:57 retombait sur nos têtes.
07:58 - Merci.
07:59 Au revoir beaucoup, Mélanie Van Danes.
08:02 - Au revoir.
08:03 - Au revoir très beaucoup d'au revoir.
08:04 - Au revoir.
08:05 - Merci beaucoup.
08:06 On peut écouter votre travail, Mes Voisines et sous la toile, sur les plateformes de podcast.
08:10 Et puis vous avez un Instagram @radiovandanes.
08:12 Merci encore.
08:13 - Merci.
08:13 encore. Merci.