Une alternative low tech sérieuse
Retrouvez "La question qui" sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
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00:00 [Musique]
00:29 - La belle Aude au bambou, bonjour Jeanne Femtran ! - Bonjour !
00:32 - L'acier vert, c'est le surnom que vous donnez au bambou dans votre livre qui appelle à révolutionner nos manières de construire, nos manières de penser,
00:38 à l'aide de ce matériau naturel incroyablement solide et plein de vertus écologiques et philosophiques.
00:44 Alors Jeanne Femtran, vous habitez depuis trois ans en Thaïlande, c'est ce qui vous a inspiré votre enquête,
00:49 parce que dites-vous, le bambou est absolument partout autour de vous en Thaïlande.
00:53 En quoi est-ce que le bambou, c'est une alternative sérieuse à des matériaux de construction, comme le béton, au hasard et par exemple ?
01:00 - Alors le bambou, c'est en effet une alternative très sérieuse, notamment dans les zones tropicales,
01:06 parce que c'est un matériau low-tech par excellence. Donc low-tech, ça veut dire qu'il est utile.
01:11 Vous connaissez la capacité de transformation du bambou, que ce soit dans la construction,
01:17 mais aussi dans des choses beaucoup plus petites, des petits objets qu'on peut tisser, etc. Voilà, de la vannerie, etc.
01:23 C'est un matériau qui est low-tech parce qu'il est extrêmement accessible, peu coûteux, léger, local,
01:31 dans beaucoup beaucoup d'endroits du monde, et durable, extrêmement écologique.
01:36 C'est la plante qui pousse le plus vite au monde, qui se renouvelle toute seule,
01:39 donc on ne peut pas déforester une forêt de bambou.
01:42 - Ni un jardin, ni un settlement, j'en ai mangé avec quelqu'un ce week-end précisément.
01:46 - C'est la plante qui stocke le plus de CO2 au monde, et notamment grâce à sa capacité à se substituer
01:54 à des matériaux très polluants, que sont le béton, au hasard, l'acier ou encore le plastique.
02:01 - Vous, quand vous regardez un bambou, vous pensez à votre famille, et ça c'est intéressant.
02:05 - Oui, je pense à ma famille, c'est vrai, parce que le bambou est une herbe, déjà, rhizomatique,
02:12 c'est-à-dire qu'elle a une espèce de racine souterraine qui donne des racines vers le sous-sol,
02:20 et des tiges vers le ciel. C'est ça qu'on appelle des rhizomes.
02:24 Les rhizomes du bambou, comme vous le savez peut-être, sont particulièrement actifs.
02:29 C'est même ce qu'on pourrait appeler le cerveau du bambou, puisqu'il stocke la nourriture, l'eau, etc.
02:35 Et qu'il a une capacité à se promener, à aller voir toujours ailleurs. C'est exceptionnel.
02:42 - Alia Bengana, dans votre BD "Béton, enquête en sable mouvant", vous étudiez des alternatives au béton,
02:47 que sont la paille, le bois, la terre, pas de bambou. Vous avez déjà construit des trucs en bambou ?
02:52 - Ou c'est un angle mort, un peu ?
02:54 - Non, j'ai déjà fait quelque chose en bambou, parce que j'adore ce matériau.
02:58 Moi, ce que je trouve fou avec le bambou, c'est que vous coupez, ça repousse.
03:02 Il faut replanter, le bambou, ça repousse tout seul. Donc, en soi, c'est un matériau génial.
03:06 Et la seule fois de ma vie où j'ai vraiment eu une expérience avec du bambou, c'était en Haïti.
03:10 On avait dessiné un prototype pour un resort, avec des sacs de terre, des sacs de riz, remplis en terre.
03:21 C'est vraiment une technique anti-sismique. Et ensuite, une toiture en bambou.
03:26 Et donc, c'est là que j'ai eu les débris de ce que ça pouvait être.
03:33 - En effet, c'est tout à fait vérifié que dans les zones sismiques, ils construisent de plus en plus en bambou.
03:38 Ils reconstruisent de plus en plus en bambou, puisque c'était une plante très utilisée en construction.
03:43 On s'est remis à utiliser le béton, et puis maintenant, on repasse au bambou.
03:47 - Mais qu'est-ce qu'on peut faire ? On peut le faire pousser partout et l'appliquer comme une sorte de recette miracle ?
03:51 Parce que ça fait un peu comme les éoliennes, j'ai l'impression, c'était la folie.
03:54 On en a foutu partout, puis on en est un peu revenu parce que ça dépend des conditions météo du pays.
03:59 Le bambou, c'est tout terrain selon vous, Jeanne ?
04:01 - Oui, en effet, le bambou, déjà il y a 1600 espèces.
04:05 Donc quand on dit "le bambou", c'est quand même un petit peu...
04:08 - C'est presque raciste. J'ai l'impression, Marine.
04:11 - Je n'ai pas osé le dire.
04:15 Mais les bambous ont une capacité d'adaptation extraordinaire.
04:20 Avec une capacité d'adaptation dans différents sols, différents climats.
04:25 Les seuls continents où ils ne poussaient pas naturellement, c'était l'Europe et les pôles.
04:29 Donc sachez que les bambous que nous avons en Europe ne sont là que depuis le XIXe siècle.
04:33 - Donc ils ont été complètement importés.
04:35 - Grâce notamment à la route de la soie.
04:38 Ça fait partie des apports de la route de la soie.
04:41 Ils se sont très bien adaptés, un peu trop au goût de certains.
04:44 - En France, on n'a pas le droit de faire construire sa maison en bambou,
04:47 mais c'est justement une herbe et pas un arbre.
04:50 - Oui, en termes de normes, c'est un peu compliqué.
04:54 Il y a un vrai lobby du béton et du bois.
04:58 Mais il y a aussi des normes qui sont un petit peu compliquées.
05:01 Autant pour les forêts de bambou.
05:03 Enfin, une forêt de bambou n'est pas une forêt.
05:05 Et une maison en bambou n'est pas une maison en France.
05:08 - Donc on ne peut pas l'assurer.
05:10 De manière générale, on ne peut pas avoir des maisons en herbe.
05:12 - Voilà.
05:14 - J'avais un petit projet de ciboulette, mais tant pis, on ne va pas grandir.
05:18 - C'est quelque chose qu'on observe beaucoup, ce retard peut-être,
05:20 de la législation et des normes sur les nouvelles façons de construire.
05:23 Il y a Bengana ?
05:25 - Oui, par exemple, en France, on n'a pas de normes pour construire en terre crue.
05:30 Alors qu'on a encore un tiers de l'humanité,
05:33 voire la moitié qui vivent dans des habitats en terre crue.
05:36 Le seul pays qui a des normes pour construire en terre crue aujourd'hui, c'est l'Allemagne.
05:40 Et puis, il y a d'autres pays qui sont en train de regarder l'Allemagne
05:42 pour copier un peu les normes, comme par exemple l'Autriche, la Belgique.
05:45 Et en France, il y a un projet qui s'appelle le PNTER,
05:48 qui est en train d'explorer, on espère, l'arrivée de normes de construction pour la terre crue.
05:55 - Donc, ni bambou, ni terre crue pour l'instant.
05:57 Jeanne Fentrain, vous parlez aussi de la place du bambou
05:59 sur le terrain plus philosophique, plus spirituel en Asie.
06:02 C'est bien simple, vous dites qu'il est partout.
06:04 Comment ça se manifeste, par exemple, dans des mythes fondateurs ?
06:07 - Oui, alors, le bambou est vraiment à l'origine de nombreuses spiritualités,
06:11 que ce soit l'animisme, l'hindouisme, le bouddhisme, le taoïsme.
06:15 C'est assez impressionnant.
06:17 Il y a de nombreux mythes des origines, aux Philippines, à Taïwan, en Malaisie,
06:22 qui racontent que l'homme et la femme sont nés d'une pousse de bambou.
06:26 Et puis, il y a aussi au Vietnam, une très très jolie légende
06:31 qui nous fait prendre conscience de la similitude entre nos articulations
06:37 en tant qu'être humain et ceux du bambou.
06:41 Parce que quand vous coupez un bambou, il y a des nœuds,
06:43 et ça ressemble vraiment à un tibia.
06:46 Moi, ça m'a beaucoup troublée quand je l'ai fait.
06:49 Tant par le velouté de la peau du bambou, qui ressemble à notre peau,
06:54 que par ces sortes d'articulations qui ressemblent aux nôtres,
06:57 sans parler de sa verticalité et sa souplesse,
07:00 qui sont quand même très très différentes de celles d'un arbre.
07:02 - Et justement, ça nous vient même en aide au combat, comme au Vietnam,
07:05 où on parle de diplomatie du bambou. C'est quoi la diplomatie du bambou ?
07:08 - Alors, la diplomatie du bambou, c'est très intéressant.
07:11 C'est une expression qui ne vient pas de moi,
07:14 qui vient d'un secrétaire général du Parti communiste vietnamien,
07:18 et qui en dit long un petit peu sur ce qu'on pourrait appeler la souplesse,
07:22 ou la versatilité, ou le suivisme de certains pays,
07:25 que ce soit le Vietnam ou la Thaïlande,
07:27 qui sont obligés de naviguer.
07:29 Ce sont des petits pays, entre la Chine et les Etats-Unis notamment,
07:31 et qui sont obligés d'avoir, comme disent certaines personnes politiques dans ces pays-là,
07:37 un socle, donc le rhizome solide, et le sommet souple.
07:44 - Bon, Jeanne Fadma, j'ai une vraie question.
07:46 J'ai des immenses bambous qui poussent chez moi,
07:48 je ne sais jamais quoi en faire une fois que je les ai coupés,
07:50 pour voir à nouveau le jour, parce que c'est le problème quand même.
07:52 C'est qu'à un moment, ils dépassent ma fenêtre du dessus.
07:55 Vous avez un plan pour moi ? Qu'est-ce que je fais ?
07:57 - C'est une excellente nouvelle, c'est magnifique.
07:59 Il faut les observer, il faut les regarder, il faut les écouter.
08:03 - Donc je commence par ça, les observer, les regarder, et on ne les écoute pas.
08:07 - Et au bout d'un moment, vous allez atteindre le Nirvana.
08:10 - Je suis prête.
08:12 Comment il s'appelle le veau de celui qui est dans votre jardin ?
08:14 - Su Dong Po, qui est le nom d'un grand lettré chinois,
08:18 que j'admire énormément, qui est poète, qui est peintre, calligraphe,
08:21 qui a passé sa vie à peindre et écrire des poèmes sur les bambous.
08:25 - Justement, Michel Serres dit que tout écrit dans la vie,
08:28 on peut le lire aussi dans votre livre "Les océans ont écrit"
08:31 et les bambous écrivent et laissent des traces.
08:33 - Tout à fait.
08:34 - Merci jeune femme tran de nous avoir permis d'imaginer ensemble
08:37 les contours d'une révolution.
08:39 "Bambou", c'est le nom de votre livre qui vient de paraître aux éditions des Équateurs.
08:44 - Merci. - De rien.