Avec Juliette Oury, autrice d'un premier roman "Dès que sa bouche fut pleine" (Flammarion).
Retrouvez "La question qui" sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
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AmusantTranscription
00:00 * Extrait de « La vie est une aventure » de Paul Hacombe *
00:10 Une scène de ce film merveilleux « Nos jours heureux ». Bonjour Juliette O'Riche !
00:15 Bonjour !
00:16 Vous êtes énarque, je ne sais pas pourquoi je le rajoute, diplômée de l'école des
00:18 ponce-et-chaussée, directrice du Paul Hacombe.
00:21 Je suis plus directrice !
00:22 Non, plus directrice ! Elle n'est plus directrice.
00:24 Ce qui ne vous empêche pas d'être l'autrice d'un drôle et fascinant premier roman chez
00:28 Samarion dès que sa bouche fut pleine.
00:31 Pour vous, désir et alimentation sont les deux faces d'une même pièce que vous retournez
00:35 habilement dans un univers où le sexe est fait pour être partagé entre collègues,
00:39 entre amis, et la nourriture est très intime, très tabou, on mange en secret.
00:43 Ça donne lieu à des scènes à la fois très drôles mais aussi carrément gênantes.
00:47 Est-ce que vous pouvez nous donner deux exemples pour que les auditeurs se figurent un petit
00:51 peu cette inversion que vous pratiquez dans le livre ?
00:54 Avec grand plaisir !
00:55 Effectivement, c'est la nourriture qui est tabou.
00:57 On fait ces courses, évidemment pas des courses alimentaires mais des courses d'objets et
01:01 de jeux en tout genre au porno-prix du coin.
01:03 Bien sûr !
01:04 Les magazines de type Elle à table ou 750 grammes sont vendus sous blister, très très
01:09 haut dans les étagères des marchands de journaux.
01:11 Et quand vous croisez un collègue au détour d'un couloir, vous n'échangez pas un spéculo,
01:14 c'est un café, mais quelques petites caresses avant de retourner travailler.
01:18 Et puis les sites pornographiques, donc ces food hubs par exemple.
01:21 Absolument !
01:22 Ce qui existe presque déjà sur Instagram en vrai !
01:24 Qu'est-ce que vous racontez ?
01:26 Qu'est-ce qui vous est passé par la tête, Juliette ?
01:29 De cette idée farfelue ?
01:30 Oui, comment vous êtes venue cette idée d'une société où sexe et nourriture s'inversaient ?
01:34 C'est une idée simple mais farfelue de départ, qui m'a d'abord amusée et avec laquelle
01:39 je me suis rendue compte assez vite qu'elle avait un potentiel évidemment comique, mais
01:43 aussi un potentiel de matière à réflexion.
01:46 Et j'ai eu beaucoup de plaisir à partir de cette idée bancale, à me rendre compte
01:51 que l'idée pouvait se propager dans beaucoup de champs de la société et que comme la nourriture
01:56 prend quand même une place très importante dans nos vies et dans notre sociabilité,
01:59 l'inversion était très amusante à construire et permettait de décaler le regard et d'interroger
02:04 des concepts d'une façon dont on n'a pas du tout l'habitude de les regarder, qu'il
02:08 s'agisse de désir, de consentement, de violence, de couple, de pouvoir.
02:12 Oui, en parlant de consentement, à un moment, une scène de violence foodographique, je
02:16 ne sais pas comment le dire, c'est un homme qui force l'héroïne du roman Laetitia
02:20 à manger une sardine.
02:22 Du saumon.
02:23 Du saumon.
02:24 C'est pas une sardine, c'est du saumon.
02:25 Du saumon croupoche.
02:26 Sans vouloir spoiler.
02:27 Ce que vous racontez finalement dans ce livre, c'est l'épopée d'une femme Laetitia,
02:31 qui se met en quête de son désir, avec notamment le souvenir coupable d'une mûre qu'elle
02:36 a dégustée quand elle était enfant.
02:38 Vous pensez que de manière générale, les femmes ont le même rapport coupable à la
02:41 nourriture et au sexe qu'avoir de l'appétit pour une femme pendant longtemps, c'est resté
02:44 très inconvenant ?
02:45 Je pense que c'est deux sujets qui ont à voir avec ce que les femmes ont le droit
02:49 de faire et la liberté de faire avec leur corps.
02:51 Et que c'est donc pas évident pour tout le monde d'accepter aujourd'hui cette liberté.
02:56 Et moi c'est un sujet, j'ai écrit le livre d'abord en me préoccupant de questions de
03:01 tabou, de la sexualité etc.
03:03 Mais c'est vrai que l'inversion permet aussi de dire des choses sur le rapport avec la
03:07 nourriture.
03:08 Et l'héroïne finalement, si on ne réinverse pas dans sa tête à la lecture, c'est une
03:11 héroïne qui veut manger comme elle l'entend.
03:13 Qui veut avoir accès aux aliments, au plaisir de cuisiner, à cette facette de liberté qui
03:19 aujourd'hui n'est pas complètement acquise.
03:21 Lorraine Malca le montre très bien dans son essai "Mangeuse".
03:24 Et donc cette inversion permet avec une double facette de mettre en regard deux choses qui
03:28 ont beaucoup à voir.
03:30 Et Maya Mazorette l'avait dit il y a quelques mois.
03:32 Dans cette émission, tout à fait.
03:34 Dans votre livre, il y a un truc, c'est le chocolat.
03:36 Vraiment c'est le compte de la sexualité.
03:38 De la sensualité, pardon.
03:39 Hier c'était Pâques, on reprend les deux.
03:41 Dans votre imaginaire hier, c'était une énorme orgie.
03:43 Alors je pense que dans ce monde inversé, Pâques en tant que fête familiale n'existe pas.
03:47 Parce qu'il y a un point où l'inversion ne marche pas, évidemment c'est les enfants.
03:50 Mais en revanche, le chocolat pris en tant que tel, en tant qu'aliment pour adultes,
03:55 c'est évidemment un tabou par excellence.
03:57 Parce que c'est un aliment de pur plaisir, qui a sûrement quelques vertus nutritionnelles.
04:02 Parce que quand on a besoin de magnésium, on se dit qu'il faut manger du chocolat.
04:05 Oui c'est pour ça que je... c'est pour le magnésium.
04:07 Moi aussi, c'est très important.
04:08 Les carences, tout ça.
04:10 Mais en tant qu'aliment digne de soupçon d'un point de vue nutritionnel, calorique évidemment,
04:16 et qui n'est fait que pour le plaisir, c'est dans ce monde-là un objet de tabou très intense.
04:22 Et Pâques c'est plutôt une fête cachée, qu'on fête dans les souterrains...
04:27 Un peu hardcore.
04:29 Dans ce roman, Manon fleurit en tant que chef, vous seriez l'équivalent d'une travailleuse du sexe.
04:35 Est-ce que... ?
04:36 Désolée.
04:37 Je ne m'étais pas venue.
04:40 Bon non.
04:43 Non non, ça ne m'offusque pas.
04:46 Partagez le plaisir.
04:48 C'est quoi pour vous deux les fruits défendus, les aliments les plus sensuels ?
04:53 Manon peut-être, on peut commencer avec vous.
04:55 On parlait des fruits.
04:58 Moi je trouve qu'effectivement, il y a l'emoji pêche.
05:03 Ce qu'on utilise, je le dis pour ceux qui n'utilisent pas l'emoji pêche,
05:07 pour figurer un organe sexuel féminin,
05:10 ce qu'on utilise sur les réseaux notamment pour figurer les organes sexuels.
05:14 Mais je trouve que je travaille beaucoup les fruits,
05:17 et ils sont souvent un peu mis de côté dans la cuisine française.
05:21 Les fesses, la pêche, pardon, je suis nulle en emoji.
05:24 Et en le disant, je sentais bien que j'étais pas...
05:26 Moi j'avais un doute, mais j'ai dit "attention".
05:28 Je me suis dit "peut-être depuis le début je me transforme".
05:31 Pardon, je vous laisse continuer Manon.
05:32 Eh oui, on cuisine beaucoup les fruits au restaurant.
05:34 Et en fait, moi j'adore le pouvoir charnel de la chair évidemment.
05:40 Il y a plein de scènes, notamment de films.
05:42 Je pense à la scène de film dans "Come by your name"
05:45 qui est quand même un summum de sensualité
05:48 et de moments en même temps hyper coupables, etc.
05:53 Donc oui, j'adore la forme des fruits,
05:56 j'adore le rapport à la peau qu'on pèle,
05:59 le rapport au côté juteux, etc.
06:02 Donc je trouve que si il y a un ingrédient ou un aliment,
06:07 c'est soit la pêche, soit un fruit d'été hyper mûr.
06:11 Un fruit mûr. Et vous Juliette ?
06:12 Alors on parlera de poire dans quelques minutes,
06:14 mais je suis tout à fait d'accord avec toi Manon sur les fruits.
06:17 S'il faut trouver autre chose,
06:18 moi j'ai une passion pour les mochis, qui sont une pâtisserie japonaise.
06:21 J'adore la texture des aliments.
06:23 Je trouve qu'on prête assez peu attention dans notre culture occidentale
06:25 à la texture et beaucoup plus au goût.
06:27 Et le mochi a une texture de l'aube d'oreille.
06:30 Oh, je ne l'ai pas vu ça du tout !
06:32 C'était pas de l'aube d'oreille !
06:34 Le moelleux et le velouté.
06:37 Et donc je trouve ça assez réjouissant.
06:40 Les textures, vous les décrivez beaucoup dans votre livre.
06:43 Pour conclure en beauté, Julia Thorey,
06:44 vous avez proposé de nous lire un extrait bonus du livre.
06:46 Une scène écrite justement après avoir mangé un dessert à la poire
06:50 chez Datil, le restaurant de Manon Fleury.
06:52 Et on ne le savait pas en vous demandant.
06:54 Je vous laisse lire.
06:55 Merci.
06:56 Sur les consignes de Manon,
06:58 Laetitia commença à éplucher la poire avec un petit couteau.
07:01 Sous sa peau qui se déchirait comme du papier,
07:04 la poire se mit à couler toute seule.
07:06 Laetitia ne comprenait pas d'où venait ce jus transparent
07:09 qui n'en finissait pas d'inonder ses mains.
07:11 Le liquide était sucré sur sa peau.
07:13 Elle avait très envie de goûter cette chair très pâle et granuleuse
07:17 qui lui glissait entre les doigts.
07:19 « Ce soir, on les poche », annonça Manon.
07:22 Leur séjour dans le sirop en ébullition ne semblait pas avoir tellement changé les poires.
07:27 Leur robe brillait juste un peu plus.
07:30 Elle semblait mieux parée, plus lisse.
07:33 En attardant ses yeux sur leur flanc,
07:36 Laetitia avait l'impression qu'elle dégageait de la lumière.
07:39 Manger des poires qui dégagent de la lumière, ça donne envie.
07:42 Au revoir, Julia Toury.
07:43 Merci beaucoup.
07:44 Votre livre dans lequel ne figure pas ce bout de texte s'appelle
07:48 « Dès que sa bouche fut pleine », c'est aux éditions Flammarion
07:51 un exercice mental passionnant et très drôle.
07:54 ...