Retrouvez "La question qui" sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
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AmusantTranscription
00:00 Avec le romancier et séiste Pascal Bruckner.
00:02 Alors on a eu envie avec vous Pascal Bruckner de tirer le fil de la montagne.
00:06 Dans votre livre « Dans l'amitié d'une montagne », vous vous confiez sur votre jeunesse
00:10 et vous vous livrez à des méditations sur ceux qui se confrontent à la montagne, qui s'y mesurent.
00:15 Pourquoi le fait d'aller plus haut physiquement se transmut-il en sentiment d'élévation spirituelle ?
00:19 Comment se fait-il qu'adversité et souffrance se métamorphosent soudain en jouissance ?
00:24 Ces questions, on va tenter d'y répondre avec un jeune maître du Piolet.
00:27 C'est « Passion Piolet » sur France Inter, introduite aujourd'hui par un extrait du documentaire
00:32 « Null c'est l'inaccessible absolu » réalisé par Hugo Clouseau.
00:36 * Extrait *
00:42 Le style alpin c'est pas d'artifice.
00:45 Donc automatiquement pas d'oxygène, pas de cordes fixes, pas de préparation de la voie, pas de porteur non plus.
00:54 En gros, on gravit la montagne avec ce qu'on a dans notre sac à dos.
00:57 * Extrait *
01:14 Bonjour Elias Milleriou.
01:16 Né à Paris, rien ne vous prédestinait à devenir alpiniste et guide de haute montagne.
01:21 Les randos en famille ne vous auront apparemment pas suffi.
01:24 A 37 ans, vous enchaînez les ascensions et vous évrez des voies nouvelles dans le monde entier.
01:29 Des Alpes à la Cordillère des Andes.
01:31 Vous vous êtes attaqué en 2017 pour la troisième fois à un sommet de près de 8000 mètres au Népal.
01:36 Avec frayeur et chute de pierre à la clé, accompagné de vos amis le gang des moustaches.
01:41 Il faudra qu'on parle de ce nom parce que vous avez plutôt une barbe qu'une moustache.
01:43 Mais enfin on y reviendra.
01:45 Une ascension épique a donné lieu au documentaire « Null c'est l'inaccessible absolu » du Hugo Clouseau
01:50 qui est magnifique et présenté au festival Montagne en Seine.
01:54 Elias Milleriou, est-ce que vous pouvez déjà nous pardonner cette question
01:57 et nous dire concrètement ce que ça veut dire qu'ouvrir une voie ?
02:00 C'est un sommet qui a déjà été grimpé par d'autres mais où on découvre un autre chemin ?
02:04 Alors il faut savoir que toutes les plus grandes montagnes de la planète ont déjà été gravies.
02:10 C'était la conquête des sommets qui remontait dans les années 50.
02:17 Les alpinistes ont toujours voulu, après l'ouverture des sommets, ouvrir des itinéraires, des faces.
02:23 C'est un graal pour l'alpiniste.
02:27 Ouvrir une nouvelle voie c'est juste donner une existence sociale, un chemin sur la montagne.
02:32 C'est déchiffrer l'itinéraire le plus facile qui nous permettra d'aller au sommet de la montagne
02:39 dans une grande paroi, une grande face.
02:41 Déchiffrer la montagne.
02:42 La Nupcé c'est une montagne voisine de l'Everest absolument immense.
02:46 Qu'est-ce qu'on ressent quand on est devant la montagne, quand elle est dressée devant vous au tout début de l'ascension ?
02:51 Alors c'est les plus hauts sommets de la planète donc c'est très intimidant.
02:55 Donc on fait preuve d'humilité parce que c'est quand même, on va passer une tranche de vie sur cette paroi qui va durer jusqu'à 10 jours.
03:02 Même quand vous en avez déjà franchi pas mal, à chaque fois vous restez humble, vous vous dites pas "t'inquiète j'ai l'habitude".
03:07 Alors moi personnellement non, c'est pas le cas.
03:10 Je suis toujours plein d'humilité, de modestie parce qu'en fait c'est des montagnes gigantesques.
03:17 Et à travers le monde, les gens, à travers les religions, on pose des croix au sommet, on pose les bouddhistes, ils posent des drapeaux.
03:24 Donc les gens les vénèrent et moi en tant qu'alpiniste je les aborde toujours avec un regard...
03:29 Voilà, on se sent petit.
03:31 Et quand on renonce à 350 mètres du sommet, comment on se sent ?
03:34 Parce que vous l'avez essayé plusieurs fois de la monter cette montagne.
03:37 On a réussi à la troisième fois cette face du Nubcé.
03:40 Et donc c'est difficile.
03:43 Beaucoup d'investissement, beaucoup de temps, des années d'expérience.
03:48 Et arriver à 300 mètres du sommet c'est très dur mais on est toujours très loin.
03:52 Et l'important c'est de redescendre pour revenir et pour raconter les histoires et recommencer.
03:57 Et ça c'est le plus important.
03:59 Donc là en l'occurrence la météo n'était pas bonne pour aller au sommet donc on a dû renoncer parce qu'on voulait revenir.
04:04 Et on fait quoi ? On dit "bon allez on n'y va pas" ? Comment ça prend des heures ? Ça prend deux minutes ?
04:08 Alors c'est quelque chose qui se construit dans le temps.
04:11 Finalement l'échec...
04:13 Oui, oui, on connaît.
04:15 C'est jamais quelque chose qui arrive comme ça.
04:18 Ou alors là c'est la mort.
04:20 Vous avez dû vous y prendre donc à plusieurs fois.
04:22 A la troisième fois vous atteignez le sommet.
04:24 Vous êtes accompagné de Frédéric Dégoulet et Benjamin Guigonnet.
04:28 Ou Guigeonnet, aidez-moi.
04:30 Vous dites par ailleurs que vous n'êtes pas très à l'aise en solo.
04:33 C'est quoi l'esprit de Cordée pour vous ?
04:35 C'est peut-être d'ailleurs le moment pour nous expliquer pourquoi vous appelez le gang des moustaches.
04:38 Alors l'esprit de Cordée c'est la fraternité, c'est des amis.
04:41 Moi je les appelle les frères de Cordée.
04:43 C'est-à-dire que je ne suis pas dans un piste solo parce que je ne me suis jamais senti à l'aise en solo.
04:49 Et j'aime partager ces moments de vie sur la montagne avec des gens.
04:55 Après les gens qui vont chercher le solo vont chercher d'autres expériences je pense.
04:59 Pour ma part c'est plus sur le partage etc.
05:03 Et l'esprit d'équipe.
05:05 Parce que pour réussir le Nupcé, à un moment donné, il faut que tout le monde range son égo de côté.
05:09 Et travaille ensemble pour aller vers ce sommet ensemble.
05:13 En gros, si je résume, vous êtes un premier de Cordée qui a franchi la Nupès.
05:18 Alors attention, attention.
05:20 J'avais eu du mal quand s'était sortie cette expression.
05:23 Parce qu'elle a été reprise par les politiques.
05:26 Parce que moi je n'ai pas cette vision. Je suis guideau de montagne.
05:29 Alors j'emmène les gens au sommet des montagnes bien sûr.
05:31 Mais le guide, s'il tombe, il y a toujours une corde.
05:33 Il est assuré avec son client.
05:35 Le guide et le client sont ensemble vers le sommet.
05:39 Et donc c'est un partage.
05:41 Et ce n'est pas un alpiniste héroïque tout seul grandissant au sommet de la montagne.
05:46 Et tirant tout le monde vers le haut.
05:48 C'est ensemble, toujours.
05:50 Et alors il faut redescendre un moment de la montagne, comme de son euphorie d'ailleurs.
05:53 Vous préparez l'ascension pendant des mois et des mois.
05:56 Vous n'avez que quelques secondes d'euphorie au sommet.
05:59 Après il faut redescendre.
06:00 Ça vaut vraiment le coup ces quelques instants de joie ?
06:02 De se fader tout ça ?
06:03 C'est quoi cette joie que moi je ne connais visiblement pas ?
06:06 Moi je vois plutôt ça comme un accomplissement.
06:09 Un accomplissement personnel.
06:10 C'est des parcours de vie qui nous emmènent là.
06:12 Et ce moment de joie, il est très profond.
06:16 Par exemple en Upsé, si vous regardez le film,
06:19 c'est dans la mélancolie, dans la tristesse.
06:22 Parce que ça a été beaucoup de...
06:24 Et toute la cordée pleure.
06:26 C'est quelque chose de très profond.
06:29 Et ça reparcourt toute notre histoire de vie.
06:32 De ce qu'on a grimpé auparavant.
06:33 De ce qui nous emmène là un jour.
06:35 Et...
06:37 Vous pourriez encore en pleurer là ?
06:39 Si j'insiste vraiment longtemps.
06:42 C'était vraiment un moment magnifique.
06:44 C'était vraiment un moment inoubliable.
06:46 C'était inoubliable.
06:47 On était à 7 742 mètres au sommet de la montagne.
06:50 Pas de vent. L'Everest.
06:52 Une vue incroyable.
06:54 Avec des nuages qui sortent.
06:55 On voit le Tibet.
06:56 On voit l'Everest juste à côté.
06:57 Les grandes plaines du Népal.
06:59 On est en apesanteur dans un espèce de nuage de coton.
07:02 Avec la montagne.
07:03 On est cotonneux.
07:04 On pleure.
07:05 Il y a des filtres de...
07:07 C'est un peu flou.
07:09 Pascal Brugner, vous-même vous pratiquez l'alpinisme.
07:11 La randonnée en montagne.
07:12 Comment vous vivez là aux descentes ?
07:14 Moi déjà il faut que je monte.
07:16 Alors à côté d'Elias, je suis vraiment un bidochon.
07:19 Je fais des petits sommets.
07:22 Donc je n'ouvre pas de voie.
07:24 J'essaie de suivre péniblement la voie que me trace mon guide.
07:28 Et c'est vrai que l'ascension c'est une aventure collective.
07:32 Je ne monte jamais seul.
07:33 Parce que je n'en serais pas capable.
07:35 Et dans ce qu'a dit Elias tout à l'heure, il y a une chose vraie.
07:38 C'est qu'en fait dans la vie, on a deux expériences de la souffrance.
07:41 La souffrance qu'on subit, la maladie, les deuils, les chagrins.
07:44 Et la souffrance qu'on choisit.
07:45 La souffrance choisie pour un but précis.
07:47 C'est-à-dire arriver à un sommet, gravir une paroi difficile, se lancer un défi.
07:54 Ça n'a pas du tout le même sens.
07:55 Parce qu'on convertit cette souffrance en joie.
07:58 C'est une joie, c'est un bonheur de se dire "j'ai réussi à faire ça".
08:02 Ce n'est pas doloriste de dire ça.
08:03 Non ce n'est pas doloriste.
08:04 Parce qu'au contraire, on arrive à vaincre sa peur.
08:09 Parce que moi j'ai extrêmement peur au pied d'une montagne.
08:12 Et on la transforme en pouvoir éphémère.
08:15 Donc on n'a pas vaincu la montagne.
08:17 C'est la blague.
08:18 On a vaincu soi-même sa propre trouille, ses limites, son âge.
08:24 Et on redescend.
08:26 Et on est euphorique.
08:27 Et en réalité, la redescente est souvent plus dangereuse que la montée.
08:30 Parce qu'on ne fait plus attention.
08:31 Et il m'est arrivé bien souvent d'être frôlé par des pierres qui tombaient.
08:36 Ou de tomber dans une crevasse.
08:38 Tout simplement parce que j'étais la tête en l'air.
08:40 Et le guide vous dit "arrête de parler".
08:43 "Tu es trop heureux Pascal, tu es trop heureux, maintenant calme-toi".
08:46 Et pour terminer, Elias Millerio, on parle du danger.
08:50 C'est quelque chose que vous avez toujours en tête ?
08:52 Par exemple, vous avez frôlé la mort pendant cette ascension.
08:56 Vous décrivez une immense frayeur.
08:58 Vos prochaines ascensions vont être influencées par cet accident ou pas du tout ?
09:01 Alors toujours en fait.
09:02 L'alpinisme c'est une histoire d'expérience.
09:04 Les expériences de la vie nous construisent.
09:06 Elles nous permettent d'anticiper ces choses à la prochaine aventure.
09:10 Mais l'alpinisme c'est fait de plein d'incertitudes.
09:12 Et donc ces incertitudes, à chaque fois, à chaque nouvelle aventure, à chaque nouvelle montagne,
09:17 il y a des nouvelles choses qui se passent qu'on n'a pas anticipées.
09:20 Et on a beau tout préparer, c'est ça l'alpinisme.
09:23 C'est d'être dans l'incertitude et de gérer ce risque.
09:29 La gestion du risque.
09:31 Merci Elias Millerio.
09:33 Je rappelle que vous êtes alpiniste, guide de haute montagne.
09:35 On retrouve à l'Ouest sur Vimeo un superbe documentaire vraiment nupsé.
09:39 L'inaccessible absolu d'Hugo Clouzet qu'on vous recommande très très fort.
09:44 Clouzot. Et à vous aussi, parce que je vous le recommande.
09:46 Je vais le regarder.
09:48 Tout de suite.
09:49 Sur Vimeo.