• l’année dernière
Transcription
00:00 12h-13h30, les midis de culture. Géraldine Mosnassavoy, Nicolas Herbeau.
00:19 Place au débat critique. Aujourd'hui, deux critiques pour deux BD radicalement différentes mais qui marquent cette rentrée littéraire.
00:26 L'une se situe en Espagne au début du XXe siècle, l'autre se passe aujourd'hui dans une ville de banlieue imaginaire.
00:32 L'une croise Louise Bunuel, Picasso et Galadali. L'autre confronte quatre jeunes adultes à une administration froide.
00:40 Et pour en débattre, j'accueille ce midi Catherine Robin. Bonjour.
00:43 Bonjour.
00:44 Grand reporteur et critique du BD à elle et Victor Massé d'Alepiné. Bonjour.
00:48 Bonjour.
00:49 Journaliste. Et soyez tous les deux les bienvenus dans les midis de culture.
00:51 Et on commence avec Rosigny Zou de Chloé Wary.
01:00 La misère est si belle, zou. La misère est si belle, ga. La misère est si belle, c'est du. La misère est si belle, bat-se.
01:10 La misère est si belle, zou. La misère est si belle, ga. La misère est si belle, c'est du. La misère est si belle, bat-se.
01:20 La misère est si belle, c'est sur cet épigraphe du groupe PNL que s'ouvre Rosigny Zou, la nouvelle et quatrième BD de Chloé Wary.
01:28 Figure montante de la BD.
01:30 Pour cet album, la dessinatrice revient à Rosigny sur Seine, ville de banlieue qu'elle a imaginée et qui servait déjà de décor à sa deuxième BD.
01:37 L'histoire de Barbara et ses amis se battant pour jouer dans le club de foot.
01:41 Ici, plus de Barbara, mais quatre jeunes adultes.
01:44 Gabi, Susanna, Will et Okmé, pris entre leurs désirs et les nécessités familiales et matérielles.
01:49 Leurs idéaux et la politique de la ville qui a détruit le lieu de leur rencontre.
01:53 L'association Chœur de Cité.
01:55 Emportée par les couleurs et l'histoire de Rosigny, est-ce que vous l'avez été, Victor Massé de Lépiné ?
02:01 Absolument, j'ai bien été emporté par cette histoire de Rosigny.
02:05 Vous venez de le dire, Géraldine, on retrouve dans cette BD la ville imaginaire.
02:11 Rosigny sur Seine qui était au cœur de Saison des roses.
02:14 Saison des roses, c'était une BD sortie il y a 3-4 ans, qui avait eu un grand succès.
02:19 En 2019.
02:20 Et qui a pris un prix à Angoulême.
02:22 Chloé Wary, c'est une de ces jeunes autrices.
02:25 On peut citer Alix Garin, Léa Muraviec, Morane Mazard, Émilie Glison.
02:30 Beaucoup de cette génération, puisqu'elles sont toutes nées dans les années 90.
02:34 De jeunes autrices qui apportent vraiment quelque chose de neuf.
02:37 Un ton neuf, des graphismes neufs, des façons de raconter des histoires.
02:41 Et qui compte aujourd'hui dans la BD, vous avez dit que c'est sa quatrième BD.
02:45 C'est la deuxième très grosse et très attendue entre Saison des roses et Rosigny Zou.
02:52 Il y avait eu une qui se passait à la scène musicale.
02:56 Bétoeuf sur Seine.
02:58 Qui était en noir et blanc.
02:59 Là, on retrouve la Chloé Wary qu'on attendait.
03:02 Parce que cette première, ces couleurs, vous l'avez dit, ces couleurs au feutre.
03:05 Ça avait vraiment été un choc visuel.
03:08 C'était très attendu.
03:10 On se disait, c'est une figure montante.
03:11 Elle est attendue, pas au tournant.
03:13 Mais on attend de voir ce qu'elle a encore sous la semelle.
03:16 Il y a un peu ça.
03:17 Sous le feutre.
03:18 Je ne savais pas qu'elle préparait quelque chose qui se passerait au même endroit.
03:21 Je ne sais pas si c'est le début d'une comédie humaine à la Balzac.
03:24 Mais en tout cas, on retrouve des personnages, qui étaient les personnages principaux de la précédente,
03:28 qui deviennent des personnages secondaires.
03:30 On retrouve le décor.
03:31 On retrouve les joses de football.
03:33 On retrouve quelques fois les joses de football.
03:34 On retrouve le marchand de kebab avec sa boutique.
03:37 C'est une des grandes forces de cette BD.
03:39 C'est d'abord la vision de la banlieue qu'elle propose.
03:43 Une vision intelligente, une vision politique et une vision esthétique de ces banlieues.
03:48 Un peu entre deux, entre la zone rurale et la banlieue telle qu'on l'imagine.
03:53 Toujours en travaux.
03:55 Catherine Robin, est-ce que vous aussi vous avez été emportée ?
03:58 Emportée, c'est vraiment une BD irrésistible pour moi.
04:02 Forcément, elles ne peuvent être qu'ensemble.
04:06 La saison des roses, qui était le premier livre, est celui-ci.
04:10 Je pense qu'il faut d'abord parler de la couverture.
04:13 La saison des roses avait la même flamboyance.
04:15 Ce grand ciel en feutre, qui est quasiment du pixel art.
04:19 Elle dessine des ciels avec des petits carrés.
04:22 Le premier tome, la saison des roses, était d'une espèce d'éclat,
04:27 mais très majeur si on faisait une comparaison musicale.
04:31 Là, on est plus dans la flamboyance crépusculaire,
04:34 avec quatre jeunes perchés en haut d'une grue,
04:36 qui surmontent un paysage tout gris.
04:39 Certains d'entre eux regardent au sol l'étendue du désastre.
04:42 Les deux autres regardent de loin une éclaircie à venir.
04:46 Comme le disait Victor, Chloé Wary trace ce sillon dans lequel elle s'était engagée.
04:52 Vous parliez d'une ville imaginaire, mais elle est très réaliste.
04:56 Elle vient de la Pamplouche, de la ville de banlieue,
05:00 à côté de Savigny-sur-Orge, ou Chili-Mazarin.
05:03 Au pied des pistes d'Orly, où voisinent des champs de maïs,
05:06 les pistes d'Orly, les zones pavillonnaires, les immeubles des cités, etc.
05:11 En plus, elle situe cette chronique-là à la veille de grandes Olympiades,
05:16 celui des Morgars, où il faut tout à coup ripolliner totalement la ville,
05:26 faire place nette, dégager ce qu'il y a à dégager,
05:31 et surtout se réapproprier les valeurs de cette jeunesse qui occupe les terrains.
05:37 Il se réapproprie toutes ces valeurs dans une espèce de langage urbanistico-administratif.
05:48 Elle joue beaucoup là-dessus, elle parle beaucoup ce langage techno-administratif
05:52 qui révulse les jeunes.
05:54 - C'est-à-dire qu'on voit une sorte de séparation entre ceux qui veulent reconstruire ces endroits,
05:59 ces banlieues, et ceux qui vivent ici, puisqu'on l'a dit tout à l'heure,
06:03 mais l'intrigue de départ, c'est la mairie qui veut raser le local de l'association.
06:08 - Ce sont vraiment ces frictions qu'elle met en scène,
06:10 et de façon pas du tout caricaturale, je trouve.
06:13 - C'est-à-dire qu'après, les jeunes et les vieux, en tout cas ?
06:16 - Elle met en scène les deux.
06:18 Souvent, ça intervient, c'est marrant, parce que dans le précédent album,
06:21 "La saison des roses", l'héroïne qui s'appelait Barbara,
06:24 était en conflit avec sa mère, là aussi, la petite Gabi,
06:27 la grande Gabi est en conflit avec sa mère.
06:29 - Parce qu'elle est en thèse de sociaux, quand même.
06:31 - Elle est en thèse de sociaux, et sa mère travaille à l'urbanisme à la mairie de Rosigny-Zou.
06:34 Et puis elle est aussi en conflit avec son petit ami, qui lui est intérimaire.
06:38 - Alors, ils sont ensemble ou pas ?
06:41 - C'est flottant, je ne sais pas.
06:43 Il y a des scènes un peu troublantes dans "Le champ de maïs", justement.
06:46 - Ce qui évite la dichotomie ou le manichéisme, c'est qu'en fait,
06:49 on a quatre personnages principaux qui, à chaque fois, sont pris
06:52 entre des trajectoires différentes, d'allégeance à sa famille, d'héritage,
06:58 et en même temps, d'idéal, par exemple, pour prendre l'héroïne Gabi.
07:01 Elle fait une thèse de sociaux, elle déteste sa mère qui est à la mairie,
07:04 et en même temps, elle a un discours un petit peu daté sur la lutte des classes,
07:08 que son ami ou petite amie Will va lui dire, en fait.
07:13 - Envoyer à la future.
07:15 - Voilà, ils vont vraiment se disputer.
07:16 Donc c'est intéressant, parce que c'est une BD, Victor Massé-Léviné,
07:19 qui est assez complexe sur ses trajectoires, qui est pas...
07:21 - C'est une BD de couleur très vive, très frappante, mais le propos ne l'est pas du tout.
07:24 - Oui, elle élargit vraiment la focale par rapport à "Saison des roses".
07:28 "Saison des roses", c'était une bande de ciné politique, puisque c'était un club de foot
07:31 qui veut fermer la section féminine, parce que la mairie réduit les subventions.
07:35 C'était très micro-politique. Un petit groupe de jeunes filles qui se met en lutte
07:40 avec leur entraîneur pour réussir à maintenir la section féminine de foot.
07:45 Là, en effet, les problématiques sont beaucoup plus grandes.
07:47 C'est les Olympiades, c'est le Grand Paris, c'est...
07:50 - En même temps, Victor, je trouve que ça reste micro.
07:54 Parce que ce sont des problématiques qui ne sont pas vraiment des choses
07:56 dont la fiction a très envie, finalement.
07:58 Le PLU... - Le plein local d'urbanisme.
08:01 - Voilà. Tout ça, ce ne sont pas des choses qui font des fictions très spectaculaires
08:04 ou très sensationnelles, quand on ne sait pas le baron noir.
08:07 - Non, non, non, ce n'est pas de la...
08:09 - Et c'est son talent, je trouve, que justement, c'est des sujets qui méritent aussi
08:15 de sortir peut-être des journaux institutionnels, des collectivités.
08:18 - Et elle y arrive. Victor Massé de Levin, continuez.
08:20 - Absolument. Mais quand je dis que la problématique est plus grande,
08:22 c'est-à-dire que ça nécessite un peu plus d'explications aussi.
08:25 Le Grand Paris, c'est des enjeux très larges.
08:28 - Vous trouvez que c'est un peu flou ?
08:29 - Non, je ne trouve pas que ce soit flou.
08:31 Je trouve que par moment, si on veut...
08:33 Comme elle a voulu mettre beaucoup de choses dedans,
08:35 par moment, ça nécessite un peu d'explications.
08:37 Et alors qu'il y a des dialogues, pour apporter un bémol,
08:39 alors qu'il y a des dialogues qui sont extrêmement justes dans les façons de parler.
08:42 Je trouve que c'est très juste la façon de parler des jeunes.
08:45 - Ce n'est ni caricatural. On ne sent pas qu'elle essaye de mimer un langage qui la dépasse.
08:52 Ce n'est ni trop administratif. Il y a vraiment la confrontation entre ces deux langages.
08:55 - Mais alors, comme il y a la même problématique exposée d'une certaine façon,
08:59 avec différents points de vue, différents aspects.
09:02 Quelquefois, il y a des dialogues d'exposition, j'allais dire,
09:04 où on doit un peu raconter d'où on vient.
09:07 Qui sont un tout petit peu...
09:09 Voilà, ça, c'est un des petits bémols que je voudrais mettre.
09:11 Et le deuxième, mais après je pourrais revenir sur tout ce qu'il y a de bien,
09:14 c'est que les deux personnages féminins, les deux jeunes filles...
09:17 - Donc Susanna et Gabi.
09:18 - Susanna et Gabi, je trouvais que graphiquement, elles étaient un tout petit peu caricaturales.
09:22 Il y en a une qui a des cheveux...
09:24 Alors que dans "Saison des roses", elles étaient toutes si...
09:27 Susanna a des cheveux...
09:29 Non, elles étaient si normales.
09:31 Là, elles ont des cheveux rouges et roses pour l'une, jaunes et bleus pour l'autre.
09:34 - Gabi, elle a des grandes tresses roses et elle a tout le temps des collants résilles.
09:39 Et Susanna, elle a les cheveux bicolores.
09:42 - Elle a un côté un peu personnage de manga...
09:45 - Oui, ou d'anime.
09:46 Moi, ça m'a vraiment rappelé des animes que je regardais quand j'étais enfant.
09:49 Et on voit que, comme vous le disiez, elle fait partie de cette génération,
09:53 de Léa Muraviec, de Émilie Glison,
09:56 qui ont vraiment fait un travail très important sur les corps.
10:00 C'est pour ça que cette dessinatrice, pour moi, elle est vraiment...
10:03 Ses couleurs, totalement flamboyantes.
10:07 On n'est pas dans le psychédélisme des années 70.
10:10 En 2023, je la trouve très contemporaine, y compris dans ses silhouettes de personnages.
10:17 Il y a parfois des membres hyper trophiés.
10:19 Il y a un jeu sur les perspectives, un jeu sur le mouvement.
10:22 Il est beaucoup question de breakdance.
10:24 - Il faut parler de ces magnifiques planches de danse.
10:27 - Il y a très peu de traits de mouvement.
10:32 Il y a très peu de traits de mouvement pour signifier que le personnage bouge,
10:36 c'est la base en bande dessinée.
10:38 Généralement, quand on lève le bras, on met quelques petits traits en dessous.
10:41 Il y en a assez peu, parce que tout le mouvement est vraiment dans le corps du personnage.
10:46 Je trouve ça vraiment très réussi.
10:48 - Avec des sortes d'inserts, d'interjections, qui donnent le rythme.
10:53 - Qui vont aussi très bien avec la pulsation de l'époque.
10:57 Il y a quelque chose de très contemporain dans son travail.
11:00 - Peut-être pour rentrer dans le détail du dessin,
11:02 c'est intéressant ce que vous nous expliquez avec les mouvements et les traits qui miment le mouvement.
11:07 Là aussi, le feutre, qu'est-ce que ça apporte ?
11:09 Moi, je n'ai pas l'habitude de voir une bande dessinée au feutre.
11:13 Et là, pareil, ça donne de la texture, ça donne presque du mouvement à ces personnages.
11:18 "Dans le ciel", vous l'avez décrit au début, ça nous emporte.
11:25 - Ça donne une forme d'intensité.
11:27 Ce qui est aussi intéressant, c'est qu'à certains moments,
11:30 on dirait presque, elle a joué là-dessus, on dirait presque de l'aquarelle.
11:33 - Elle a mouillé quelquefois son feutre pour donner cet effet-là.
11:38 Je ne sais pas trop quoi ajouter là-dessus, si ce n'est l'intensité.
11:44 Et par exemple, même dans son choix des imprimés de vêtements,
11:49 là aussi, c'est ultra moderne.
11:52 - Victor Massé de Lépinard ?
11:53 - Comme j'ai apporté un bémol sur les dialogues...
11:55 - Vous n'êtes pas obligé de vous rattraper, il faut avoir une critique nuancée.
11:58 - Oui, absolument, mais en même temps, c'est quand même...
12:00 - Vous vous en voulez.
12:01 - Absolument séduisant.
12:02 Je voudrais préciser, parce qu'on a beaucoup parlé du précédent,
12:05 qu'on n'est pas obligé d'avoir lu "Saison des roses" pour lire cela.
12:07 - Tout à fait, moi je ne l'ai pas lu, la BD d'avant.
12:09 - Mais ce qui est intéressant, c'est qu'il y a quand même certains dialogues
12:13 qui sont extrêmement bien construits et bien subtils,
12:16 parce qu'ils amènent la problématique de façon nuancée.
12:20 En effet, ce n'est pas maniché.
12:21 On sent qu'elle est attachée,
12:23 on sent qu'elle peut être d'une certaine façon, d'un certain côté,
12:26 de cette problématique entre ceux qui veulent prendre le train du progrès
12:30 et qui disent "oui, mais alors les autres, vous êtes dans l'immobilisme,
12:32 vous voulez rester dans votre banlieue misérable".
12:34 Les autres qui disent "non, c'est juste qu'on est là,
12:36 c'est nous qui avons investi ces endroits".
12:39 Il y a une scène qui est très juste, c'est Will,
12:42 ce personnage intérimaire qui travaille dans les grues.
12:44 - Petit ami ou pas, on ne sait pas, de Gabi.
12:46 - Le fameux.
12:47 - Qui construit avec son petit frère une grue en duplo.
12:50 Alors là, les duplos, c'est toutes les couleurs vives de la bande dessinée.
12:53 En duplo, il construit cette grue,
12:55 il explique à son petit frère "voilà, ça c'est bien,
12:57 tu as bien mis le câble, tu as bien mis les choses comme il faut".
13:00 Et le petit frère qui a 5 ans à la fin dit "mais non, regarde,
13:02 on a oublié quelque chose".
13:03 "Ah bon, quoi ?"
13:04 "Il n'y a personne pour conduire la grue".
13:06 Et cette espèce de symbole qui est amené de façon pas du tout lourde,
13:10 comme peut-être je viens de le faire.
13:11 - Non, non, tu ne peux pas raconter.
13:13 - Il y a des gens qui élaborent des grandes choses,
13:15 mais qui oublient complètement qu'il y a des gens qui doivent être là,
13:17 il y a des humains qui vont habiter dans ces quartiers
13:20 et faire des grands trucs magnifiques.
13:22 - Depuis le bureau.
13:23 - Les pôles urbains, etc.
13:24 Quand il n'y a personne, ça devient gris, ça devient moche.
13:26 Il y a marqué "ville propre" partout et en dessous, c'est dégueulasse.
13:30 - Ce qui est intéressant d'ailleurs, c'est que c'est une BD sur la banlieue,
13:33 mais pas de banlieue, on pourrait dire.
13:35 Ce n'est pas du tout gris, ternes, ça ne se dit pas
13:37 "on va parler de plan urbanistique, de plan urbain".
13:40 Au contraire, c'est beaucoup plus subtil que ça.
13:42 Je pense que c'est un petit peu peut-être la leçon
13:44 qu'on peut tirer de cette BD-là, 80/20.
13:47 - Oui, d'autant plus que la banlieue a été assez peu traitée,
13:50 enfin, je ne sais pas ce que vous en pensez, Victor,
13:52 mais assez peu traitée.
13:53 Ça a été dans "Okapi", "Tito" et "Tendre banlieue".
13:59 Il y a Gilles Rocher, dont elle parle d'ailleurs, Chloé Wary,
14:02 elle parle de lui comme d'une inspiration là aussi beaucoup très politique.
14:06 Et puis, il y a les trucs beaucoup plus loufoques de Nick Heumouk,
14:08 de Manu Larcenet ou Pascal Brutal de Riyad Satouf.
14:12 Il n'y avait rien dans cette veine-là, dans ce ton-là,
14:17 qui moi me fait plus penser à du Nicolas Mathieu ou du David Lopez avec Fief,
14:21 finalement, dans ce que...
14:23 - Donc là, des écrivains.
14:24 - Des écrivains qui... Alors que ces jeunes gens sont pleins d'énergie, etc.,
14:27 ce qui n'est pas forcément le cas des ados de Nicolas Mathieu ou de David Lopez,
14:32 mais il y a quand même quelque chose d'une jeunesse paumée.
14:37 - Victor Massalvini, pour finir.
14:39 - Ce qui est intéressant avec la banlieue et la vision de la banlieue qu'elle nous propose,
14:42 c'est que ce n'est pas une vision ni onirique ni critique,
14:45 mais c'est quand même contemplatif au sens où elle prend le temps, Chloé O'Hari,
14:49 toujours, d'avoir des longues séquences muettes où on voit le mobilier de chantier,
14:52 où on voit ce qu'on voit rarement dessiné, où on voit c'est ça, les paysages,
14:56 et on tourne et on se promène comme ça dans ces endroits qu'on prend le temps d'intégrer
15:00 pour comprendre que c'est en effet la réalité que vivent ces personnages.
15:03 Et ça apporte vraiment une profondeur, je trouve, à cette histoire.
15:07 [Musique]
15:33 - Jusqu'à 13h30, les midis de culture, Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
15:40 - Nous parlions à l'instant de Roselyne Izou, de Chloé O'Hari aux éditions Fleubleub,
15:44 et à présent, Dali, tome 1 de Julie Birman et Clément Oubrery aux éditions Dargaud.
15:50 - Salvador Dali continue sur l'oursin la série de ses recherches philosophico-géométrico-cosmogoniques.
15:55 Son dernier essai, toujours inspiré de la célèbre méthode paranoïaque critique,
15:59 a été de placer un pinceau dans la bouche d'un oursin vivant
16:02 et de lui faire tracer l'esquisse d'une œuvre dont les thèmes vertigineux
16:05 n'ont pas été sans étonner le maître lui-même.
16:08 - Comment Salvador Dali est-il devenu Dali ?
16:11 C'est toute l'intrigue de ce projet en trois volumes consacré à l'artiste catalan.
16:15 Julie Birman au scénario et Clément Oubrery pour les dessins
16:18 proposent pour ce premier tome d'aller à la source, à Figueras, ville natale de Dali,
16:22 pour tenter de saisir le génie qui l'a conduit jusqu'à Paris.
16:25 Sortie attendue de la rentrée, elle me pose cette question.
16:29 Mais d'où vient cette mode des BD biographiques ?
16:32 Eclairez-moi Catherine Robin !
16:34 - Parce que la BD aujourd'hui sert à tout.
16:37 - Et beaucoup aux biographies.
16:40 - Et beaucoup aux biographies, certes.
16:43 Mais depuis une quinzaine d'années, la BD sert à raconter l'histoire, à se raconter soi.
16:51 Et parmi tous ces nouveaux territoires qu'explore la bande dessinée,
16:56 en effet, la biographie va tous à zimut.
17:02 - Et c'est bien alors ?
17:04 - En fait, c'est un peu comme les biopics au cinéma.
17:07 Je ne sais pas si vous serez d'accord avec moi,
17:10 mais les biopics au cinéma, il y en a quand même un sacré paquet de pas totalement réussis.
17:14 Et il est très rare finalement d'avoir un regard d'auteur, je trouve, sur les objets qu'il choisit.
17:23 Généralement, les gens qui font des biopics sont écrasés par leurs sujets.
17:28 Ils n'osent pas prendre un peu de distance.
17:31 - Est-ce que c'est le cas de "Dead"?
17:33 - Non, pas tout à fait.
17:35 Après, c'est une BD très classique.
17:38 Mais comme ça avait été le cas avec Pablo Picasso, il y a quand même...
17:42 - On imagine Pablo Picasso ?
17:44 - Voilà, c'était les quatre tomes de Pablo Picasso qu'ils ont fait juste avant.
17:49 C'est ça qui questionne en l'occurrence chez ce duo Clément-Aubry-Joliot.
17:53 C'est pourquoi, après quatre tomes sur Picasso, ils vont choisir cet objet-là, ce sujet-là,
17:58 contemporain de siècles, de discipline...
18:02 - Qui commence d'ailleurs avec "Picasso".
18:04 - Et bien sûr, ce clin d'œil, cette auto-citation,
18:06 puisque c'est Picasso qui prend la parole le premier dans le livre,
18:09 c'est un petit clin d'œil finalement.
18:13 Mais c'est vrai que la question se pose, je n'ai pas bien compris la raison,
18:18 mais même si j'avais un peu peur de la recette de cuisine réapplicée,
18:22 je trouve que ça fonctionne quand même très bien.
18:24 - Victor Massé de Léfinet ?
18:25 - Moi je trouve qu'au contraire, c'est très rassurant presque qu'ils fassent d'avis...
18:28 - C'est une zone de confort finalement ?
18:30 - Pas zone de confort, mais centre d'intérêt réel.
18:33 Ce n'est pas deux auteurs à qui on a commandé un énième biopic
18:36 et qui doivent lire trois biographies et pondre quelque chose.
18:39 Je crois que Julie Birman connaît extrêmement bien...
18:42 - Oui, ils s'attachent à leur période de cœur.
18:44 - Elle connaît extrêmement bien la première moitié du XXe siècle, l'histoire de l'art.
18:47 Elle a fait quatre tomes sur Pablo, ils ont fait Isadora Duncan,
18:49 qui se passe à peu près au même moment aussi.
18:51 Ils ont créé ensemble aussi ces deux auteurs, une héroïne de fiction,
18:55 Renée Stone, qui se passe aussi dans ce tournant-là,
18:58 et dans l'histoire de l'art, l'archéologie.
19:01 Je crois que c'est vraiment une histoire qu'ils connaissent bien,
19:04 et Dali est un personnage central, extraordinaire, super pour une bande dessinée.
19:11 Alors en effet, je suis tout à fait d'accord avec Catherine.
19:14 Pour moi, le point fort principal, c'est qu'ils ne sont pas du tout écrasés par leur sujet.
19:18 Je précise aussi pour les auditeurs qui ne connaissent peut-être pas,
19:20 que Clément Bruri ne fait pas que du XXe siècle artistique,
19:24 que de la première moitié du XXe siècle,
19:26 puisque c'est le dessinateur de Haya de Youpoubon, par exemple,
19:28 où là, il est complètement ailleurs.
19:30 Mais pour cette biographie, je trouve que la principale force, en effet,
19:33 c'est de ne pas avoir été ni écrasé, ni subjugué par leur sujet.
19:37 - Ce qui est un peu difficile d'ailleurs, parce qu'un biopic sur un peintre...
19:41 Moi, je n'avais pas lu Pablo, mais pour représenter un artiste
19:45 en train de créer à travers la BD, ça fait une sorte de médium sur médium sur médium.
19:50 - Oui, et puis avec Dali s'ajoute cette difficulté supplémentaire
19:53 qu'on est tout de suite tenté de se dire, est-ce que c'est un génie ?
19:57 Est-ce que c'est un escroc ? Est-ce qu'il est pur ? Est-ce qu'il est cynique ?
19:59 Est-ce qu'il est juste un malin ?
20:01 Et il faut répondre vite à cette question.
20:03 Là, on est dans le premier tome, c'est pas du tout l'enjeu.
20:07 L'enjeu, c'est de nous présenter la jeunesse de ce jeune homme
20:11 qui n'a pas encore ses moustaches, qui n'a pas encore...
20:15 - C'est Dali avant Dali.
20:17 - C'est Dali avant Dali, mais comme Catherine tout à l'heure...
20:19 - Avant Gala, avant Gala.
20:21 - Oui, il faut se dire que c'est Gala qui va faire Dali.
20:23 On le comprend, puis on le sait, il l'a suffisamment dit.
20:26 - Gala, ça a été la femme de Dali à partir de 1934.
20:29 D'ailleurs, ça s'ouvre comme ça, il faut peut-être dire comment s'ouvre la BD.
20:32 Est-ce qu'on a dit qu'elle s'ouvrait sur Picasso ?
20:34 - Il reçoit chez lui Paul Éluard, alors marié avec Gala.
20:38 Éluard dit "je suis ravie, Gala, dine avec Dali".
20:42 Picasso lui dit "je déteste ce petit Dali, c'est un petit Mephisto".
20:45 Il le dessine en chat et là, flashback, retour aux sources, à Figueras.
20:50 - Là, encore entre Éluard et Picasso.
20:54 Éluard qui pointe d'abord le talent, l'imagination de ce Dali.
20:59 Et Picasso qui dit "c'est un escroc, c'est un truqueur, il sait très bien se manœuvrer, c'est un serpent".
21:06 C'est Mephisto, en effet.
21:08 Là, on est dans la question et ensuite on va ailleurs.
21:10 Comme Catherine tout à l'heure a décrit la couverture...
21:13 - Oui, j'allais vous demander de nous parler de...
21:15 Catherine disait que c'est classique.
21:17 Si on compare à l'autre, à la première, ça n'a rien à voir.
21:21 - En tout cas, cette couverture, je la trouve extrêmement réussie, extrêmement belle.
21:25 Elle dit quelque chose du propos.
21:27 C'est un tout jeune homme, qu'on sait évidemment être Dali,
21:30 dans la position de l'illustration de Fantomas, le coude sur la cuisse, le menton dans la main,
21:37 qui porte Paris dans une sorte de grande besace.
21:41 Il porte le Sacré-Cœur et la Tour Eiffel.
21:43 Et il écarte Notre-Dame, on a l'impression qu'il vient vraiment...
21:46 - Écraser la ville.
21:47 - Écraser la ville et presque déjà l'enjamber.
21:49 Puisque c'est le jeune Dali qui sort de la Catalogne puis de Madrid.
21:54 Il a déjà conquis tout ce monde-là.
21:56 Il arrive à Paris, mais on sent qu'il va encore ailleurs, qu'il va à New York, qu'il va dans le monde.
22:00 Mais il arrive dans ce Paris des surréalistes.
22:02 Et contrairement à Fantomas, il n'a pas un poignard caché dans sa manche.
22:07 Il a l'air absolument candide, absolument gentil, presque étonné d'être là.
22:12 Et ce qui saute aux yeux, c'est justement les yeux de Dali.
22:15 C'est cette espèce de regard un peu halluciné.
22:18 On ne sait pas bien quoi lire dans ce regard.
22:20 Et je crois que la question de comment Dali voit le monde,
22:24 comment Dali voit ses contemporains, mais surtout ses prédécesseurs,
22:27 la peinture classique, c'est au cœur de ce premier tome.
22:31 Et ce regard de Dali qui est un visionnaire...
22:33 - Mais est-ce que, et ça répond vraiment à cette question-là,
22:36 Victor Massé-Lépiné et aussi Catherine Orland,
22:38 c'est-à-dire que moi j'étais contente de découvrir la vie de Dali.
22:41 Je n'avais pas spécialement envie de lire un livre écrit sur la vie de Dali.
22:45 Là, je trouve que c'était une bonne manière d'entrer dans sa vie.
22:47 C'est quelque chose d'un peu pédagogique.
22:49 Après, je trouve que cette question-là de "qu'est-ce qu'il y a dans le regard de Dali",
22:52 c'est quelque chose qui échappe tout le temps.
22:54 Je n'ai pas l'impression qu'on me réponde à cette question-là dans cette BD.
22:58 - En tout cas, ce n'est pas pédagogique.
23:00 Julie Bierman n'a pas pris, mois par mois, année par année...
23:04 Je disais qu'il avait eu un grand succès en Catalogne, puis à Madrid.
23:07 Son galeriste, qui s'appelle Joseph Dalmo,
23:10 qui a été un galeriste important, qui a un peu rêvé Dali,
23:13 il apparaît, mais on ne nous montre pas comment il franchit une à une les étapes.
23:18 - C'est souvent des ellipses.
23:19 - Oui, c'est justement face au corpus dont elle disposait.
23:23 Elle a fait un travail très important et très judicieux,
23:29 y compris dans les dialogues.
23:31 On peut être très vite écrasé quand on a une matière pareille.
23:34 Ses dialogues sont assez équilibrés, ni trop bavards, ni trop léchés.
23:38 Dans des biographies sur des personnages comme ça, je trouve que c'est important.
23:43 Je n'ai pas forcément une connaissance très encyclopédique de la vie de Dali.
23:48 Pour moi, lire ce que vous parliez, est-ce que c'est un escroc ?
23:52 Je trouve que c'est ça que dit cette jeunesse de Dali.
23:55 Au départ, on peut en effet se dire que son caractère baroque,
24:00 loufoque, etc. est une construction, une fabrication,
24:03 pour accéder à encore plus de notoriété que ces peintures déjà nous ont amenées.
24:09 - Elle s'est marquée comme un personnage.
24:12 - Ce qu'on découvre, c'est que cette personnalité préexiste,
24:17 elle est là dès le départ. Son père parle de lui comme un déficient à un moment.
24:21 - Et en même temps, il le soutient tout le temps, son père.
24:24 - La famille est super, la maman est très soutenante aussi.
24:27 Mais il y a ces planches au tout début, où la mairie de Figueras lui commande une banderole.
24:33 Il va peindre cette banderole, et puis ça ne lui plaît pas.
24:36 Il va brûler les contours des lettres, et ça ne lui plaît pas non plus.
24:39 Donc il va finalement mettre de l'eau dessus.
24:41 Bref, la fin de la planche, c'est Dali tout nu sur son toit terrasse,
24:45 avec le seau sur la tête, et je ne sais plus quelle illustration...
24:48 - Qui se sert de la banderole comme dans un hamac.
24:50 - Qui se sert, voilà. Et là, on se dit qu'on est plus proche de Gaston Lagaffe.
24:54 - De Buster Keaton. - Ou de Buster Keaton.
24:56 - Qui va voir au cinéma. - Voilà.
24:58 - Victor Massé de l'épinay.
24:59 - Moi je crois qu'on voit, en effet, il y a des choix qui sont faits.
25:03 Il y a quand même à un moment, 8 pages sur Buñuel à Paris, au milieu de la bande dessinée.
25:06 - Et ça c'est génial d'ailleurs. C'est une insertion géniale.
25:09 - Mais parce que pour comprendre la vie de Dali et le poids que va avoir Buñuel dans sa vie,
25:15 et le chien andalou qu'ils écrivent ensemble, etc.,
25:18 il faut raconter Buñuel à Paris. Il faut raconter ce qu'est Paris.
25:21 C'est plus important pour comprendre qui est Dali, le Paris de cette époque,
25:24 que point par point, les évolutions de sa jeunesse.
25:28 Ses parents sont en effet très touchants, ça c'est quelque chose qu'on voit, qu'on suppose.
25:31 De toute façon, avec Julie Birman quand même, et Clément Bourrerie,
25:34 on sait que les choses sont documentées, sont intelligentes, sont vraies.
25:37 On peut leur faire confiance.
25:39 - En fait c'est pédagogique, mais ce n'est pas scolaire. C'est ça que vous voulez dire.
25:42 Je me demandais si cette scène du hamac était vraie ou pas.
25:47 - Il a raconté ses souvenirs, mais est-ce qu'on peut faire confiance à Dali quand il raconte son autobiographie ? Je ne sais pas.
25:52 Mais en tout cas, cette vision des menthes religieuses et des sauterelles
25:59 qui l'obsèdent complètement, la terreur sexuelle dans laquelle vit ce jeune homme,
26:03 est quand même tout à fait amusante.
26:05 J'ai vérifié beaucoup de choses, cherché dans les tableaux.
26:09 Quand il est au musée avec Lorca devant le Jardin des Délices de Boche,
26:14 il se reconnaît dans un détail du tableau, il reconnaît son visage.
26:19 Et en effet, c'est quelque chose qu'on retrouvera plus tard dans "Le Grand Masturbateur".
26:23 Il y a beaucoup de choses qui sont très intelligentes, aussi graphiquement, dans le dessin d'Oubrerie.
26:28 - Vous avez aimé Victor. - Il attend les deux prochains tomes.
26:31 - Dali, tome 1, il y en aura trois, effectivement.
26:34 De Julie Birman et Clément Oubrerie, c'est aux éditions Dargo.
26:37 Je rappelle qu'on a parlé aussi de Rousi Nizou, de Chloé Ouary aux éditions Fleubleub.
26:42 Merci à tous les deux, Catherine Robin, Victor Massé de Lépiné.
26:47 Vous retrouverez toutes les références sur le site de France Culture, à la page de l'émission "Les Midis de Culture".

Recommandations